Étiquette : Baudelaire


  • 20 août 1857 |
    Ouverture du procès des Fleurs du Mal de Baudelaire

    Éphéméride culturelle à rebours



         Le 20 août 1857 s’ouvre à Paris, devant la 6e chambre correctionnelle, le procès des Fleurs du Mal. Charles Baudelaire, dont le recueil poétique vient d’être publié par l’éditeur Poulet-Malassis, est accusé d’immoralité. Selon Ernest Pinard, procureur impérial, cette œuvre est une « offense à la morale religieuse » ainsi qu’à « la morale publique et aux bonnes mœurs ». Baudelaire est condamné à 300 francs d’amende et se voit contraint de supprimer six poèmes : « Lesbos », « Femmes damnées », « Le Léthé », « À celle qui est trop gaie », « Les Bijoux », « Les métamorphoses du vampire ». Ces six pièces condamnées seront publiées en 1864 dans le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle avant de figurer dans Les Épaves, recueil publié en 1866 à Bruxelles par Poulet-Malassis.






    Delacroix, Aspasie
    Eugène Delacroix, Aspasie, v. 1824
    Huile sur toile, 81 cm x 65 cm
    Montpellier, Musée Fabre
    © RMN/Agence Bulloz
    Source







    LES BIJOUX, MÉTAPHORE DE LA POÉSIE BAUDELAIRIENNE


        Vingtième pièce de la première édition des Fleurs du Mal, le poème intitulé « Les Bijoux » appartient aujourd’hui à la section « Spleen et Idéal ».
        Inspiré du Cantique des Cantiques et destiné à Jeanne Duval, la « Vénus noire », ce poème est une célébration érotisée de la femme aimée. Mais il relève également d’un traité de l’art poétique dans lequel Baudelaire pose les prémisses des critères esthétiques de sa poésie. Le poème n’est-il pas, tout comme les bijoux, cette forme achevée, ciselée avec art, dont Théophile Gautier, l’auteur d’Émaux et Camées, avait révélé à Baudelaire la forme parfaite ?




    La très-chère était nue, et, connaissant mon cœur,
    Elle n’avait gardé que ses bijoux sonores,
    Dont le riche attirail lui donnait l’air vainqueur
    Qu’ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores.


    Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
    Ce monde rayonnant de métal et de pierre
    Me ravit en extase, et j’aime à la fureur
    Les choses où le son se mêle à la lumière.


    Elle était donc couchée et se laissait aimer,
    Et du haut du divan elle souriait d’aise
    À mon amour profond et doux comme la mer,
    Qui vers elle montait comme vers sa falaise.


    Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,
    D’un air vague et rêveur elle essayait des poses,
    Et la candeur unie à la lubricité
    Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;


    Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
    Polis comme de l’huile, onduleux comme un cygne,
    Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
    Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,


    S’avançaient, plus câlins que les Anges du mal,
    Pour troubler le repos où mon âme était mise,
    Et pour la déranger du rocher de cristal
    Où, calme et solitaire, elle s’était assise.


    Je croyais voir unis par un nouveau dessin
    Les hanches de l’Antiope au buste d’un imberbe,
    Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
    Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe !


    ― Et la lampe s’étant résignée à mourir,
    Comme le foyer seul illuminait la chambre,
    Chaque fois qu’il poussait un flamboyant soupir,
    Il inondait de sang cette peau couleur d’ambre !



    Charles Baudelaire, Les Épaves in Pièces condamnées, Œuvres complètes, Bibliothèque de La Pléiade, Éditions Gallimard, 1961, pp. 139-141.






    CHARLES BAUDELAIRE


    Aaaaaaaaaa
    Image, G.AdC



    ■ Charles Baudelaire
    sur Terres de femmes

    La mort des amants
    Recueillement
    31 août 1867 | Mort de Charles Baudelaire
    19 février 1924 | Conférence de Paul Valéry sur Baudelaire



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur litteratura.com, un superbe site de Azziz El Khiati)
    Charles Baudelaire





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  • 19 février 1924 | Conférence de Paul Valéry sur Baudelaire

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 19 février 1924, sur l’invitation de Pierre de Monaco, Paul Valéry prononce à Monte-Carlo une conférence intitulée « Situation de Baudelaire ».





    Valéry-Baudelaire
    Image, G.AdC







    EXTRAIT


    Baudelaire est au comble de la gloire.

    Ce petit volume des Fleurs du Mal, qui ne compte pas trois cents pages, balance dans l’estime des lettrés les œuvres les plus illustres et les plus vastes. Il a été traduit dans la plupart des langues européennes : c’est un fait sur lequel je m’arrêterai un instant, car il est, je crois, sans exemple dans l’histoire des Lettres françaises […]

    […] Avec Baudelaire, la poésie française sort enfin des frontières de la nation. Elle se fait lire dans le monde ; elle s’impose comme la poésie même de la modernité ; elle engendre l’imitation, elle féconde de nombreux esprits. Des hommes tels que Swinburne, Gabriele D’Annunzio, Stefan George, témoignent magnifiquement de l’influence baudelairienne à l’extérieur.

    Je puis donc dire que s’il est, parmi nos poètes, des poètes plus grands et plus puissamment doués que Baudelaire, il n’en est point de plus important.

    A quoi tient cette importance singulière ? Comment un être aussi particulier, aussi éloigné de la moyenne que Baudelaire l’était, a-t-il pu engendrer un mouvement aussi étendu ?

    Cette grande faveur posthume, cette fécondité spirituelle, cette gloire qui est à son plus haut période, doivent dépendre non seulement de sa valeur propre en tant que poète, mais encore de circonstances exceptionnelles. C’est une circonstance exceptionnelle qu’une intelligence critique associée à la vertu de poésie. Baudelaire doit à cette rare alliance une découverte capitale. Il était né sensuel et précis ; il était d’une sensibilité dont l’exigence le conduisait aux recherches les plus délicates de la forme ; mais ces dons n’eussent fait de lui qu’un émule de Gautier, sans doute, ou un excellent artiste du Parnasse, s’il n’eût, par la curiosité de son esprit, mérité la chance de découvrir dans les ouvrages d’Edgar Poe un nouveau monde intellectuel. Le démon de la lucidité, le génie de l’analyse, et l’inventeur des combinaisons les plus neuves et les plus séduisantes de la logique avec l’imagination, de la mysticité avec le calcul, le psychologue de l’exception, l’ingénieur littéraire qui approfondit et utilise toutes les ressources de l’art, lui apparaissent dans Edgar Poe et l’émerveillent. Tant de vues originales et de promesses extraordinaires l’ensorcellent. Son talent en est transformé, sa destinée en est magnifiquement changée […]

    […] Mais je dois considérer maintenant une seconde circonstance remarquable de la formation de Baudelaire.
         Au moment qu’il arrive à l’âge d’homme, le romantisme est à son apogée ; une éblouissante génération est en possession de l’empire des Lettres : Lamartine, Hugo, Musset, Vigny sont les maîtres de l’instant.

    Plaçons-nous dans la situation d’un jeune homme qui arrive en 1840 à l’âge d’écrire. Il est nourri de ceux que son instinct lui commande impérieusement d’abolir. Son existence littéraire qu’ils ont provoquée et alimentée, que leur gloire a excitée, que leurs ouvrages ont déterminée, toutefois, est nécessairement suspendue à la négation, au renversement, au remplacement de ces hommes qui lui semblent remplir tout l’espace de la renommée et lui interdire, l’un, le monde des formes ; l’autre, celui des sentiments ; un autre, le pittoresque ; un autre, la profondeur.

    Il s’agit de se distinguer à tout prix d’un ensemble de grands poètes exceptionnellement réunis par quelque hasard, dans la même époque, tous en pleine vigueur.

    Le problème de Baudelaire pouvait donc, — devait donc, — se poser ainsi :

    « Être un grand poète, mais n’être ni Lamartine, ni Hugo, ni Musset. » Je ne dis pas que ce propos fût conscient, mais il était nécessairement en Baudelaire, — et même essentiellement Baudelaire. Il était sa raison d’Etat. Dans les domaines de la création, qui sont aussi les domaines de l’orgueil, la nécessité de se distinguer est indivisible de l’existence même. Baudelaire écrit dans son projet de préface aux Fleurs du Mal :

    « Des poètes illustres s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique, etc. Je ferai donc autre chose… »


    Paul Valéry, Situation de Baudelaire in Variété II, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1930, pp. 129-133.




    ■ Paul Valéry
    sur Terres de femmes


    [Rime]
    30 octobre 1871 | Naissance de Paul Valéry
    30 mars 1917 | Publication de La Jeune Parque de Paul Valéry
    23 juin 1927 | Discours de réception de Paul Valéry à l’Académie française
    20 juillet 1945 | Mort de Paul Valéry




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    31 août 1867 | Mort de Charles Baudelaire
    la biographie de Paul Valéry sur le site de l’Académie française






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