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  • 25 octobre 1767 | Naissance de Benjamin Constant

    Éphéméride culturelle à rebours



    Benjamin Constant
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    « JE SUIS NÉ LE 25 OCTOBRE 1767 »



    Je suis né le 25 octobre 1767, à Lausanne, en Suisse, d’Henriette de Chandieu, d’une ancienne famille française réfugiée dans le pays de Vaud pour cause de religion, et de Juste Constant de Rebecque, colonel dans un régiment suisse au service de Hollande. Ma mère mourut en couches, huit jours après ma naissance.
        1772 ― Le premier gouverneur dont j’aie conservé un souvenir un peu distinct fut un Allemand nommé Stroelin, qui me rouait de coups, puis m’étouffait de caresses pour que je ne me plaignisse pas à mon père. Je lui tins toujours fidèlement parole, mais la chose s’étant découverte malgré moi, on le renvoya de la maison. Il avait eu, du reste, une idée assez ingénieuse, c’était de me faire inventer le grec pour me l’apprendre, c’est-à-dire qu’il me proposa de nous faire à nous deux une langue qui ne serait connue que de nous : je me passionnai pour cette idée. Nous formâmes d’abord un alphabet, où il introduisit les lettres grecques. Puis nous commençâmes un Dictionnaire dans lequel chaque mot français était traduit par un mot grec. Tout cela se gravait merveilleusement dans ma tête, parce que je m’en croyais l’inventeur et je savais déjà une foule de mots grecs, et je m’occupais de donner à ces mots de ma création des lois générales, c’est-à-dire que j’apprenais la grammaire grecque, quand mon précepteur fut chassé. J’étais alors âgé de cinq ans.

    1774-1776 ― J’en avais sept quand mon père m’emmena à Bruxelles, où il voulut diriger lui-même mon éducation. Il y renonça bientôt, et me donna pour précepteur un Français, M. de La Grange, qui était entré comme chirurgien-major dans son régiment. Ce M. de La Grange faisait profession d’être athée. C’était du reste, autant qu’il m’en souvient, un homme assez médiocre, fort ignorant, et d’une vanité excessive. Il voulut séduire la fille d’un maître de musique chez qui je prenais des leçons. Il eut plusieurs aventures assez scandaleuses. Enfin il se logea avec moi dans une maison suspecte, pour être moins gêné dans ses plaisirs. Mon père arriva furieux de son régiment, et M. de La Grange fut chassé.

    En attendant que j’eusse un autre mentor, mon père me plaça chez mon maître de musique. J’y demeurai quelques mois. Cette famille, que le talent du père avait sortie de la classe la plus commune, me nourrissait et me soignait fort bien, mais ne pouvait rien pour mon éducation. J’avais quelques maîtres dont j’esquivais les leçons, et l’on avait mis à ma disposition un cabinet littéraire du voisinage dans lequel il y avait tous les romans du monde, et tous les ouvrages irréligieux alors à la mode. Je lisais huit à dix heures par jour tout ce qui me tombait sous la main, depuis les ouvrages de La Mettrie jusqu’aux romans de Crébillon. Ma tête et mes yeux s’en sont ressentis pour toute ma vie.

    1776-1777 ― Mon père qui, de temps en temps, venait me voir, rencontra un ex-jésuite qui lui proposa de se charger de moi. Cela n’eut pas lieu, je ne sais pourquoi. Mais dans le même temps un ex-avocat français, qui avait quitté son pays pour d’assez fâcheuses affaires et qui, étant à Bruxelles avec une fille qu’il faisait passer pour sa gouvernante, voulait former un établissement d’éducation, s’offrit et parla si bien que mon père crut avoir trouvé un homme admirable. M. Gobert consentit pour un prix très haut à me prendre chez lui. Il ne me donna que des leçons de latin qu’il savait mal, et d’histoire, qu’il ne m’enseignait que pour avoir une occasion de me faire copier un ouvrage qu’il avait composé sur cette matière et dont il voulait avoir plusieurs copies. Mais mon écriture était si mauvaise et mon inattention si grande, que chaque copie était à recommencer, et pendant plus d’un an que j’y ai travaillé, je n’ai jamais été plus loin que l’avant-propos.

    1777-1778 ― M. Gobert cependant et sa maîtresse étant devenus l’objet des propos publics, mon père en fut averti. Il s’ensuivit des scènes dont je fus témoin et je sortis de chez ce troisième précepteur, convaincu pour la troisième fois que ceux qui étaient chargés de m’instruire et de me corriger étaient eux-mêmes des hommes très ignorants et très immoraux.

    Mon père me ramena en Suisse, où je passai quelque temps, sous sa seule inspection, à sa campagne. Un de ses amis lui ayant parlé d’un Français d’un certain âge qui vivait retiré à la Chaux-de-Fonds près de Neuchâtel, et qui passait pour avoir de l’esprit et des connaissances, il prit des informations, dont le résultat fut que M. Duplessis — c’était le nom de ce Français — était un moine défroqué qui s’était échappé de son couvent, avait changé de religion et se tenait caché, pour n’être pas poursuivi, même en Suisse, par la France.

    Quoique ces renseignements ne fussent pas très favorables, mon père fit venir M. Duplessis qui se trouva valoir mieux que sa réputation. Il devint donc mon quatrième précepteur. C’était un homme d’un caractère très faible, mais bon et spirituel. Mon père le prit tout de suite en très grand dédain, et ne s’en cacha point avec moi, ce qui était une assez mauvaise préparation pour la relation d’instituteur et d’élève. M. Duplessis remplit ses devoirs du mieux qu’il put et me fit faire assez de progrès. Je passai un peu plus d’un an avec lui, tant en Suisse qu’à Bruxelles et en Hollande. Au bout de ce temps, mon père s’en dégoûta, et forma le projet de me placer dans une université d’Angleterre.

    1778-1779 ― M. Duplessis nous quitta pour être gouverneur d’un jeune comte d’Aumale. Malheureusement, ce jeune homme avait une sœur assez belle et très légère dans sa conduite. Elle s’amusa à faire tourner la tête au pauvre moine qui en devint passionnément amoureux. Il cachait son amour parce que son état, ses cinquante ans et sa figure lui donnaient peu d’espérance, lorsqu’il découvrit qu’un perruquier moins vieux et moins laid était plus heureux que lui. Il fit mille folies qu’on traita avec une sévérité impitoyable. Sa tête se perdit et il finit par se brûler la cervelle. […]



    Benjamin Constant, Le Cahier Rouge, Ma vie [1767-1787] in Adolphe suivi du Cahier Rouge et de Poèmes inédits, Le Livre de Poche Classique, 1972, pp. 149-150-151-152-153-154. Édition de Jean Mistler.





    BENJAMIN CONSTANT


    Benjamin Constant
    Image, G.AdC




    ■ Benjamin Constant
    sur Terres de femmes


    8 décembre 1830 | Mort de Benjamin Constant (+ extrait d’Adolphe)


    ■ Voir aussi ▼


    le site de l’Institut Benjamin Constant (Université de Lausanne)





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  • 8 décembre 1830 | Mort de Benjamin Constant


    Éphéméride culturelle à rebours








         Le 8 décembre 1830 meurt à Paris Benjamin Constant de Rebecque, gentilhomme ordinaire du duc de Brunswick, né à Lausanne le 25 octobre 1767, nationalisé français en 1794. De la même année date sa rencontre avec Madame de Staël. De cette rencontre naît un amour passionné qui prend fin en 1808. Des nombreuses liaisons orageuses que Benjamin Constant noue avec les femmes, Le Cahier rouge, Ma vie (1767-1787), porte les traces. Ce carnet, dans lequel Benjamin Constant consigne les épisodes les plus importants de sa vie sentimentale, constitue la source principale de son roman Adolphe.
        « Creuset de plusieurs formes littéraires », combinant le roman d’analyse à la confession autobiographique, Adolphe est l’expression du « mal du siècle » romantique. Le chef-d’œuvre de Benjamin Constant, publié, à la fois à Londres (Colburn) et à Paris (Treuttel et Würtz), en 1816.






    Isabelle Adjani dans le rôle d'Ellénore, dans Adolphe de Benoît Jacquot (2002)
    Isabelle Adjani dans le rôle d’Ellénore
    Film Adolphe (2002) de Benoît Jacquot,
    d’après l’œuvre de Benjamin Constant
    Source






    EXTRAIT


    Chapitre VI


         […] Nous nous fixâmes à Caden, petite ville de la Bohême. Je me répétai que, puisque j’avais pris la responsabilité du sort d’Ellénore, il ne fallait pas la faire souffrir. Je parvins à me contraindre ; je renfermai dans mon sein jusqu’aux moindres signes de mécontentement, et toutes les ressources de mon esprit furent employées à me créer une gaieté qui pût voiler ma profonde tristesse. Ce travail eut sur moi-même un effet inespéré. Nous sommes des créatures tellement mobiles, que les sentiments que nous feignons, nous finissons par les éprouver. Les chagrins que je cachais, je les oubliais en partie. Mes plaisanteries perpétuelles dissipaient ma propre mélancolie ; et les assurances de tendresse dont j’entretenais Ellénore répandaient dans mon cœur une émotion douce qui ressemblait presque à l’amour.
        De temps en temps des souvenirs importuns venaient m’assiéger. Je me livrais, quand j’étais seul, à des accès d’inquiétude ; je formais mille plans bizarres pour m’élancer tout à coup hors de la sphère dans laquelle j’étais déplacé. Mais je repoussais ces impressions comme de mauvais rêves. Ellénore paraissait heureuse ; pouvais-je troubler son bonheur ? Près de cinq mois se passèrent de la sorte.
         Un jour je vis Ellénore agitée et cherchant à me taire une idée qui l’occupait. Après de longues sollicitations, elle me fit promettre que je ne combattrais point la résolution qu’elle avait prise, et m’avoua que M. de P*** lui avait écrit : son procès était gagné ; il se rappelait avec reconnaissance les services qu’elle lui avait rendus, et leur liaison de dix années. Il lui offrait la moitié de sa fortune, non pour se réunir avec elle, ce qui n’était plus possible, mais à condition qu’elle quitterait l’homme ingrat et perfide qui les avait séparés. « J’ai répondu, me dit-elle, et vous devinez bien que j’ai refusé. » Je ne le devinais que trop. J’étais touché, mais au désespoir du nouveau sacrifice que me faisait Ellénore. Je n’osai toutefois ne lui rien objecter : mes tentatives en ce sens avaient toujours été tellement infructueuses ! Je m’éloignai pour réfléchir au parti que j’avais à prendre. Il m’était clair que nos liens devaient se rompre. Ils étaient douloureux pour moi, ils lui devenaient nuisibles ; j’étais le seul obstacle à ce qu’elle retrouvât un état convenable et la considération, qui, dans le monde, suit tôt ou tard l’opulence ; j’étais la seule barrière entre elle et ses enfants : je n’avais plus d’excuse à mes propres yeux. Lui céder dans cette circonstance n’était plus de la générosité, mais une coupable faiblesse. J’avais promis à mon père de redevenir libre aussitôt que je ne serais plus nécessaire à Ellénore. Il était temps enfin d’entrer dans une carrière, de commencer une vie active, d’acquérir quelques titres à l’estime des hommes, de faire un noble usage de mes facultés. Je retournai chez Ellénore, me croyant inébranlable dans le dessein de la forcer à ne pas rejeter les offres du comte de P*** et pour lui déclarer, s’il le fallait, que je n’avais plus d’amour pour elle. «  Chère amie, lui dis-je, on lutte quelque temps contre sa destinée, mais on finit toujours par céder. Les lois de la société sont plus fortes que les volontés des hommes ; les sentiments les plus impérieux se brisent contre la fatalité des circonstances. En vain l’on s’obstine à ne consulter que son cœur ; on est condamné tôt ou tard à écouter la raison. Je ne puis vous retenir plus longtemps dans une position également indigne de vous et de moi ; je ne le puis ni pour vous, ni pour moi-même. » À mesure que je parlais, sans regarder Ellénore, je sentais mes idées devenir plus vagues et ma résolution faiblir. Je voulus ressaisir mes forces, et je continuai d’une voix précipitée : « Je serai toujours votre ami ; j’aurai toujours pour vous l’affection la plus profonde. Les deux années de liaison ne s’effaceront pas de ma mémoire ; elles seront à jamais l’époque la plus belle de ma vie. Mais l’amour, ce transport des sens, cette ivresse involontaire, cet oubli de tous les intérêts, de tous les devoirs, Ellénore, je ne l’ai plus. » J’attendis longtemps sa réponse sans lever les yeux sur elle. Lorsqu’enfin je la regardai, elle était immobile ; elle contemplait tous les objets comme si elle n’en eût connu aucun ; je pris sa main : je la trouvai froide. Elle me repoussa. « Que me voulez-vous ? me dit-elle. Ne suis-je pas seule, seule dans l’univers, seule sans un être qui m’entende ? Qu’avez-vous encore à me dire ? Ne m’avez-vous pas tout dit ? Tout n’est-il pas fini, fini sans retour ? Laissez-moi, quittez-moi ; n’est-ce pas là ce que vous désirez ? » Elle voulut s’éloigner, elle chancela ; j’essayai de la retenir, elle tomba sans connaissance à mes pieds ; je la relevai, je l’embrassai, je rappelai ses sens. « Ellénore, m’écriai-je, revenez à vous, revenez à moi ; je vous aime d’amour, de l’amour le plus tendre, je vous avais trompée pour que vous fussiez libre dans votre choix. » Crédulités du cœur, vous êtes inexplicables ! Ces simples paroles démenties par tant de paroles précédentes, rendirent Ellénore à la vie et à la confiance ; elle me les fit répéter plusieurs fois : elle semblait respirer avec avidité. Elle me crut : elle s’enivra de son amour, qu’elle prenait pour le nôtre ; elle confirma sa réponse au comte P***, et je me vis plus engagé que jamais.


    Benjamin Constant, Adolphe [1816], Le Livre de Poche Classique, 1972, pp. 81 à 85.





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