Étiquette : Bernard Noël


  • Muriel Stuckel | [Demeure précaire]



    Toi l’absolu du verbe Qui nous épies en silence Tout au bout de la ligne
    Ph., G.AdC







    [DEMEURE PRÉCAIRE]




    Demeure précaire
    Toi qui infuses
    L’ivresse de l’élan


    À peine si t’anime
    Le désir de la durée


    Seul le jaillissement
    Se rêve profondeur
    De l’instant perpétuel


    Demeure poésie
    Toi l’absolu du verbe


    Qui nous épies en silence
    Tout au bout de la ligne


    L’élan y sera notre mesure




    Muriel Stuckel, L’Insoupçonnée ou presque, éditions Voix d’Encre, 2013, page 98. Peintures Laurent Reynès. Préface Bernard Noël.







    Muriel Stuckel, L'Insoupçonnée ou presque, Voix d'encre, 2013.






    MURIEL STUCKEL


    Muriel Stuckel 3




    ■ Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Dans la césure de tes poèmes (extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    La poétique des failles chez Muriel Stuckel (Chronique d’Isabelle Raviolo)
    [Sous le pas d’une ombre vive] (autre extrait de L’Insoupçonnée ou presque)
    [Ce n’est pas tant] (extrait d’Eurydice désormais)
    Le risque de la poésie (extrait d’Eurydice désormais)
    [Sous la courbe de la phrase] (extrait de Du ciel sur la paume)
    [Trop vif le soleil] (extrait de Petite Suite Rhénane | Kleine Rhein-Suite)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La poésie échappée



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Voix d’encre)
    la fiche de l’éditeur sur L’Insoupçonnée ou presque



    ■ Notes de lecture de Muriel Stuckel
    sur Terres de femmes

    Jacques Estager, Douceur
    Gunvor Hofmo, Tout de la nuit est sans nom
    Stéphane Sangral, Circonvolutions





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  • Armand Dupuy, Mieux taire

    par Isabelle Lévesque

    Armand Dupuy, Mieux taire,
    Æncrages & Co, 2012.
    Avec 5 linogravures de Jean-Michel Marchetti.
    Préface de Bernard Noël.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    JMM5
    Source







    [UN TEMPS ÉCOULÉ RIVÉ AU SILENCE]



    « Le ciel est tombé noir et j’attends par les yeux presque aussi loin qu’attendre peut. »



    Une spirale ouvre le recueil, celle dessinée par Jean-Michel Marchetti. Elle est double, deux gris s’emportent vers le centre ou le quittent — la couleur même utilisée pour le titre — à moins qu’il ne s’efface. Quels degrés ? Peut-on supposer que dans l’infinitif « taire » existe une gradation, comme deux gris conjoints (et disjoints) s’assembleraient pour un mouvement improbable ? Écrivant, fait-on mieux que « taire » et rejoindre un silence qui existe sans nous ?

    La quatrième de couverture signée du poète tourne autour du silence, ce centre-là, et le livre s’ouvre sur un titre et une linogravure de Jean-Michel Marchetti qui donnent le tournis :

    « Une forme d’aveuglement reste — restera. »

    Double assertion : les images, métaphores, « ne tiennent pas ». Vertige en source : « langue absentée ». Alors fines touches, esquisses ; des phrases (des vers) se lancent et définissent, par la négation (grammaticale) ou l’absence, le texte. Il y a bien des pronoms, un « tu » qui existe, mais il est hors du paysage ou des choses, collé à la vitre des mots. Il résiste, apparaît en fin de strophe sous sa forme pronominale (« la seule peur d’être / sans toi ») ou dans un déterminant (« [t]a nuque à l’abandon »). Chaque page, sauf une, présente deux sizains ponctués, des vers aussi bien que des morceaux cousus/décousus d’un patchwork alliant l’observation (paysage, mouches, murs, ampoules, vaches, merles, plantes, sapins…) à la réflexion elle-même arrêtée lorsqu’elle commence puis reprend.

    Pointillés des lignes avec en fin de parcours (pages) des appels à ce « tu » identitaire et nécessaire. Des mots, paronymes, se rencontrent (« taire » / « raie » — « serre » / « septembre » — « pelles » / « peine ») et des syntagmes s’attendent dans la phrase pour être reprécisés avec la lenteur d’un report :

    « […] fouler fort dans / sa langue, les pieds le savent devant. »

    Voilà pourtant la métaphore, concrète, douloureuse, « le jour en boule dans la gorge », car taire c’est aussi prononcer le « peu » : attente, rien, un passage vers « avale ».

    La réalité que le mot pourrait porter est absorbée dans sa prononciation, le temps d’aligner les syllabes au rythme du passage des mouches. Elles traversent le texte, restent et se posent dans deux linogravures de Jean-Michel Marchetti dont celle de couverture : gris sur noir, surimpression d’insectes minuscules en un plus grand tautologique parfaitement découpé sur la page. On peut au passage souligner la qualité des reproductions signées de la maison Æncrages and Co : reproductions couleurs, pleine page, criantes comme le texte (pas asservi, le dessin happe autant que les mots, bourdonne autant que les mouches).

    Quatre parties composent le livre et la première s’achève par un simple constat, on est près de la phrase minimale :

    « […] Tout me laisse plus seul ici. »

    La syntaxe pourtant réserve quelques surprises, menues surprises glissées dans les coupes inattendues d’un vers qui repousse un mot court sur le suivant :

    « ce que fait dehors sans savoir, un vert

    tu qu’il faudrait presser, fouler fort dans

    sa langue […] »

    Participe passé du titre à l’infinitif en rejet, qu’il faut entendre et bousculer comme un silence (le vers tue, la vertu…).

    Déséquilibres rattrapés ou non, les surprises, les allitérations ou assonances (« Faire les corvées puis laisser / pour chaque chose ma bouche se taire. ») coexistent et se répondent. Paronymes ou homonymes suggérés :

    « Le dire / n’y peut rien tout freine ici, morts et terre avec. »

    Taire et terre se répondant en écho du titre comme on s’approche du quiproquo, théâtre du silence que l’on frôle :

    « silence neuf dont la tête est l’œuf ou la poule »

    La scène (la strophe) intègre le calembour ou l’ambiguïté qui alimentent le texte surtout pour celui qui en entendrait la lecture. On joue les mots, ils se heurtent, se bousculent avec une certaine allégresse qui pourrait contrebalancer le poids d’un silence ontologique et fatal. Le titre, Mieux taire, oriente vers le silence de Samuel Beckett, on peut aussi sourire au fil du texte de l’humour qui désamorce le possible tragique : « ma tête sans temps dans la vitre » (la vitre comme un miroir sans tain / sans temps, homophonique trouble des sons : cent ans, s’entend…).

    Les négations prolifèrent (de la plus simple, « ne…pas », à ses variantes, ou le privatif, « sans toits ni ciel »), ce qui est perçu révèle une béance, un trou dans la langue, une absence. Existent plus peut-être les éléments rendus à la personnification, « [t]out l’air debout ». Alors le rêve, qu’un processus s’amorce, non « un oiseau posé » mais « mieux [qui] se pose » à l’inverse du « temps plié ». Les participes passés employés ou non comme adjectifs s’accumulent (« ciel tombé », air et dehors « balayés », « ce tas privé de tout ») ; ils gardent une valeur accomplie, malheureusement accomplie. C’est ce temps écoulé rivé au silence qui s’exprime dans Mieux taire.

    Seule résistance : « laisser » ? Mots écrits à peine, suggestion du manque. Quelques actions peut-être laissées aux verbes suspendus, intemporels, infinitifs comme une absence d’ancrage : « couper, fendre et couper le bois, le ranger, balayer le silence moins vite de chaque chose s’impose. »

    « Si langue effeuille » : déplie ? Une fois les corvées accomplies, les participes passés énoncés, « [o]n cherche la seule impression de chercher », poème entrepris, petites notes du merle ou vol des oiseaux, les signes si peu marqués pour « mieux taire ».



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes







    Dupuy




    ARMAND DUPUY


    Armand Dupuy Denim
    Source




    ■ Armand Dupuy
    sur Terres de femmes


    [l’eau fermée] (extrait de Ce doigt qui manque à ma vue)
    [On cherche avec les yeux] (extrait de Par mottes froides)
    Présent faible (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Une première fin des questions
    8-12 février [2017] | Armand Dupuy | [je m’entends parler du temps qu’on serre] (extrait de Selfie lent)




    ■ Voir aussi ▼

    le blog d’Armand Dupuy
    → (sur le site d’Æncrages & Co)
    une page de l’éditeur sur Mieux taire



    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • 26 septembre 1973 | Mort d’Anna Magnani

    Éphéméride culturelle à rebours

    Lecture d’Angèle Paoli



    Il y a quarante ans, le 26 septembre 1973, décédait à Rome l’actrice italienne Anna Magnani.







    Magnani 1
    Image, G.AdC







    DOULEURS DE LANGUE | DOULEURS DE CORPS
    (lecture de La Langue d’Anna de Bernard Noël, par Angèle Paoli)


    Elle parle. Elle jette sa vie sur sa langue. Elle a toujours voulu tout et tout de suite. Elle est une comédienne célèbre. Elle a beaucoup parlé avec les mots des autres. Elle n’avait pas le temps de sa propre vie, mais voilà que son corps l’a rattrapée, l’a même doublée. Elle met du passé dans ce présent trop mortel. Elle appelle ses amis : Fellini, Pasolini, Visconti. Elle sait qu’il est trop tard. Elle ne s’y résigne pas. Elle ne s’est jamais résignée.


    Bernard Noël, La Langue d’Anna (roman), « Quatrième de couverture », P.O.L, 1998.



    Il y a pulsion vers, élan irrépressible vers, qui pousse à la rencontre. Rencontre de Bernard Noël avec l’autre, l’absente que la langue du poète va rendre présente, omniprésente. Illusoirement. Rencontre de la lectrice avec Anna et en contrepoint, avec le poète. Rencontre avec deux langues, en chassé-croisé et en surimpression. Langue d’un homme, entrelacée (enlacée) à la langue ― parlée ? imaginée ? pythique ? ― d’une femme. Le temps qu’opère la magie d’une écriture, stratégies et mensonges, propres à donner l’illusion de la vérité. Envers et endroit d’un même miroir bifrons. Le temps que dure la lecture de La Langue d’Anna, roman de Bernard Noël, l’adéquation se produit. Parfaite. Il y a imprégnation et appropriation. Symbiose. Avec ce « je » que Bernard Noël a choisi pour elle, ce « je » non autobiographique qui est celui de son personnage inextricablement combiné à celui de sa personne. À elle, Anna. Ce « je » qui traverse de part en part le roman d’une vie, jusqu’à la maladie et jusqu’à la mort ; et à travers lequel elle, Anna, parle, se dit, se raconte, elle, ses amours, ses délires et ses combats, ses contradictions. Et s’interroge sans fin : « Qui suis-je ? » « Je ne suis pas celle que vous croyez. » Leitmotiv obsédant qui rythme jusqu’au vertige le texte de La Langue d’Anna.


    Je sais que je me contredis : je ne suis pas celle que vous croyez, et je la suis, et je ne la suis pas dans la mesure où je me vois l’être, et tant pis si j’ai l’air d’embrouiller l’écheveau que je me proposais de démêler.


    De quelle identité est-elle faite ? Quel visage introuvable se cache désormais sous les masques multiples de son personnage ? Qui est-elle, sinon « une espèce d’hydre agitant les mille têtes qui furent d’autant plus » les siennes « qu’aucune ne l’était vraiment » ?

    Et pourtant, c’est elle, celle que nous connaissons tous, que nous avons aimée à travers les images que l’écran du cinéma nous a données d’elle. Reconnaissable entre mille femmes, mille actrices du cinéma italien, elle est Anna. Anna Magnani, la grande, la Diva, la divine. Elle est Anna la furieuse, la déchaînée, la débordante, la braillarde. La harpie. La gouailleuse et truculente mère du jeune Ettore, dans l’inoubliable scène de mariage de Mamma Roma (1962) de Pier Paolo Pasolini. Pier Paolo, qui la comprend et qui l’aime, même si la Magnani ne correspond pas tout à fait à son esthétique cinématographique. Pier Paolo, pour qui Anna nourrit une tendresse particulière. Elle est l’excessive. De tempérament et d’énergie, de trop de nez trop de chair trop de seins, de trop de. Elle est « l’excessive pour faire rire ou pour faire pleurer. » Celle dont Federico Fellini aurait déclaré : « Je ne peux pas te mettre dans mes images, tu les ferais déborder. » Elle est celle que Roberto Rossellini n’aimait que pour avoir aperçu en elle le personnage qu’il cherchait. Roma città aperta. Rome ville ouverte. 1945. Le coup d’éclat de l’actrice. Son sommet inoubliable qui la propulse au zénith et fait d’elle l’égérie du néo-réalisme italien. Nimbée de cette « couronne de douleur », « cette douleur ensanglantée », cette « douleur du monde » que l’actrice joue jusqu’à l’excès « pour en délier les spectateurs » et pour « expectorer » la sienne. Elle est la Magnani, prise dans le vertige d’une beauté construite de toute pièce, sublime beauté qui a relégué la laideur et la vulgarité ordinaire de la misère sous le tain du miroir, au fond du trou de la mémoire pour laisser émerger l’autre, l’éclatante dont la blancheur de la peau et les yeux de braise émeuvent autant que sa tignasse effarouchée et son cul ! Moulé dans l’étau de sa robe. La robe noire, mélange de dernier cri et de mode éternelle des paysannes de Ciocciara. Femme du peuple et symbole de la tragique exubérance de Rome pendant la Libération, elle est Anna. La Magnanime.

    De l’autre côté de l’écran, côté page blanche et stylo plume, il y a Bernard Noël, écrivain et poète, un grand, un très grand. L’un des plus grands de ce temps. Le plus grand peut-être. Pourquoi Bernard Noël a-t-il choisi, parmi tant d’autres icônes, cette femme-là, cette actrice-là pour fixer sa fiction romanesque ? Question récurrente dont la lecture du « roman » de La Langue d’Anna ne livre pas explicitement la réponse. Et la lectrice d’interroger sans relâche l’entremêlement de l’un avec l’autre. Il s’agit sans doute, chez le poète, de l’une de ces nombreuses variations sur l’écriture comme « lieu de la quête ». Quête inlassable, toujours recommencée, du moi et de l’identité. « Qui suis-je » ? « Qui suis-je quand je parle ? Qui suis-je quand j’écoute ? » interroge le poète dans Une Messe blanche (1972). « Qui suis-je ? » reprend en écho Anna. Qui ajoute :


    dans le patois de ma banlieue […] ça n’était pas une interrogation philosophique mais une exclamation d’étonnement.


    Auteur polygraphe, mais avant tout poète, Bernard Noël est l’auteur de quatre monologues « gouvernés par les pronoms personnels ». Le Syndrome de Gramsci (1994), La Maladie de la chair (1995), La Langue d’Anna (1998) et La Maladie du sens (2001). Dans chacun de ces monologues, l’auteur fait le choix d’un pronom personnel dominant. Dans le troisième monologue, le pronom personnel « Je » donne la parole à Anna Magnani. La Langue d’Anna (1998).


    l’autre est un sosie de moi
    même cicatrice


    confie Bernard Noël dans Tombeau de pierre. Peut-être dans cette cicatrice, cette autre s’insinue-t-elle, langue et corps, bouche et voix, sang et lymphe, viande et ventre, identité duplice, jusque sous la langue du poète, dans son être d’écriture et de chair ? Quelle est, dans La Langue d’Anna, la part de l’un la part de l’autre ? Par quels interstices de l’écriture se fait la pénétration de l’autre vers l’un ? Le poète n’est-il qu’« un simple porte-voix » à celle qui déclare ne pas savoir écrire ? La langue d’Anna « n’est pas faite pour le papier ». La langue d’Anna est celle du corps, un corps qui la déborde et attise sur elle la langue du désir et du sexe. Langue de l’amant d’une nuit, révélatrice d’un corps partagé en son milieu par une « plaie puante ». Qu’il a fallu apprivoiser pourtant, pour pouvoir se reconstruire. Langue apaisante, plus tard, réconciliatrice, de l’amant Rossellini, langue de la découverte de l’amour et de la jouissance :


    J’ai déjà sa langue dans mon horreur, et voilà qu’au lieu de me révulser, elle me réconcilie. Je suis lustrée. Je ne sais d’où me vient ce mot. Je le murmure dans ma gorge et mon corps s’éclaircit dans les yeux que l’homme ouvre devant les miens…


    langue virile,


    qui bande au milieu pour faire jouir la foule.


    Ailleurs, c’est la langue de la misère et de l’angoisse qui se tortille, cette


    langue intérieure ― la langue de la bête silencieuse qui dévore en moi les épouvantes et les douleurs.


    Et, avec la misère et sa horde dépenaillée de moisissures et de sordide, surgissent l’odeur de la vieillesse, le visage de la mère, ses yeux égarés, son haleine fétide et


    sa langue agitée sans cesse par la même répétition, [pareille à un] hanneton tournant.


    Rongée par la tumeur qu’elle voudrait arracher au trou de sa bouche, elle devient cette « corde » sur laquelle il lui faut tirer ― « tresse indivisible » des « douleurs de langue » et des « douleurs de corps ».


    Bernard Noël investit de son élan celle qui l’habite et qu’il recrée. « Tout comme Dieu tira Ève du flanc d’Adam », le poète « tire des mots une forme ». La forme d’Anna. Toute bruissante de la jouissance secrète de celui qui l’invente à son tour, après tous les autres (Rossellini, Pasolini, Fellini, Visconti,…). Mais leurs langues se mêlent dans la polysémie d’un corps à corps invisible que l’actrice — emportée par l’obscène cancre incrusté dans son ventre, longtemps avant que ne paraisse La Langue d’Anna — n’a jamais connu avec aucun des hommes qu’elle a aimés. Il y a de l’éros dans cette longue « copulation vocale », de la violence et de la révolte. De la rage, de la colère. Passion et mort étroitement arrimées aux signes et aux images.


    Images.
    Images : langue du fond. Langue fondamentale.
    Images filantes dans l’épaisseur émue où le sentimental est enfin tombé en poussières.


    écrit le poète dans La Chute des temps.

    Et Anna, à qui Bernard Noël confie ses propres images :


        Je vois souvent ma langue flotter derrière les créneaux de mes dents comme une flamme : elle bat au vent d’un orage, reçoit la foudre, la renvoie au ciel. J’aime la tête que j’ai alors, pleine de bruit et de fureur et tout habitée par la tragédie. Je ne sais pas ce qui est en jeu. Je n’ai pas besoin de le savoir. Je suis dans l’élan originel, celui qui donne aux pierres la forme des dieux, et aux hommes la volonté de se tenir debout.


    Peut-être est-ce là parole ardente, enfin libérée de la gangue des mots des autres ? Parole vraie, proférée depuis les profondeurs et sans prétention autre que celle de laisser son empreinte, juste une empreinte sur la page tremblée du miroir.


    la forme d’un corps
    la forme d’un visage
    ce que font les ténèbres
    en s’habillant de peau

    une expression humaine

    qu’est-ce que l’autre

    pas la figure
    pas le personnage

    mais l’apparu
    l’inévitable
    au bout du doigt
    au bout des yeux
    le même souffle […] *




    Angèle Paoli in Revue Nu(e)49, Bernard Noël, 2011, pp. 57-58-59-60.




    ________________________________
    * Bernard Noël, Les Yeux dans la couleur, P.O.L, 2004, page 66.





    ANNA MAGNANI


    Annamagnani 2
    Source



    ■ Anna Magnani
    sur Terres de femmes

    des extraits de La Langue d’Anna de Bernard Noël
    22 septembre 1962 | Sortie de Mamma Roma (Pier Paolo Pasolini)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Cinémathèque française)
    une fiche bio-filmographique sur Anna Magnani
    → (sur ansa.it)
    Omaggio a Nannarella, mito intramontabile (13 photos d’Anna Magnani)





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  • 7 mars 1908 | Naissance d’Anna Magnani

    Éphéméride culturelle à rebours

    Lecture d’Angèle Paoli



    Née le 7 mars 1908 à Alexandrie, l’actrice italienne Anna Magnani décédera le 26 septembre 1973 à Rome. Elle a notamment joué Camilla dans Le Carrosse d’or de Jean Renoir (1952) et Serafina Della Rose dans La Rose tatouée de Daniel Mann (1954), mais est surtout inoubliable dans le rôle de Pina dans Rome, ville ouverte (Roma, città aperta) de Roberto Rossellini (1945) et dans celui de Mamma Roma dans le film éponyme de Pier Paolo Pasolini (1962).







    Magnani 1
    Image, G.AdC







    DOULEURS DE LANGUE | DOULEURS DE CORPS
    (lecture de La Langue d’Anna de Bernard Noël, par Angèle Paoli)


    Elle parle. Elle jette sa vie sur sa langue. Elle a toujours voulu tout et tout de suite. Elle est une comédienne célèbre. Elle a beaucoup parlé avec les mots des autres. Elle n’avait pas le temps de sa propre vie, mais voilà que son corps l’a rattrapée, l’a même doublée. Elle met du passé dans ce présent trop mortel. Elle appelle ses amis : Fellini, Pasolini, Visconti. Elle sait qu’il est trop tard. Elle ne s’y résigne pas. Elle ne s’est jamais résignée.


    Bernard Noël, La Langue d’Anna (roman), « Quatrième de couverture », P.O.L, 1998.



    Il y a pulsion vers, élan irrépressible vers, qui pousse à la rencontre. Rencontre de Bernard Noël avec l’autre, l’absente que la langue du poète va rendre présente, omniprésente. Illusoirement. Rencontre de la lectrice avec Anna et en contrepoint, avec le poète. Rencontre avec deux langues, en chassé-croisé et en surimpression. Langue d’un homme, entrelacée (enlacée) à la langue ― parlée ? imaginée ? pythique ? ― d’une femme. Le temps qu’opère la magie d’une écriture, stratégies et mensonges, propres à donner l’illusion de la vérité. Envers et endroit d’un même miroir bifrons. Le temps que dure la lecture de La Langue d’Anna, roman de Bernard Noël, l’adéquation se produit. Parfaite. Il y a imprégnation et appropriation. Symbiose. Avec ce « je » que Bernard Noël a choisi pour elle, ce « je » non autobiographique qui est celui de son personnage inextricablement combiné à celui de sa personne. À elle, Anna. Ce « je » qui traverse de part en part le roman d’une vie, jusqu’à la maladie et jusqu’à la mort ; et à travers lequel elle, Anna, parle, se dit, se raconte, elle, ses amours, ses délires et ses combats, ses contradictions. Et s’interroge sans fin : « Qui suis-je ? » « Je ne suis pas celle que vous croyez. » Leitmotiv obsédant qui rythme jusqu’au vertige le texte de La Langue d’Anna.


    Je sais que je me contredis : je ne suis pas celle que vous croyez, et je la suis, et je ne la suis pas dans la mesure où je me vois l’être, et tant pis si j’ai l’air d’embrouiller l’écheveau que je me proposais de démêler.


    De quelle identité est-elle faite ? Quel visage introuvable se cache désormais sous les masques multiples de son personnage ? Qui est-elle, sinon « une espèce d’hydre agitant les mille têtes qui furent d’autant plus » les siennes « qu’aucune ne l’était vraiment » ?

    Et pourtant, c’est elle, celle que nous connaissons tous, que nous avons aimée à travers les images que l’écran du cinéma nous a données d’elle. Reconnaissable entre mille femmes, mille actrices du cinéma italien, elle est Anna. Anna Magnani, la grande, la Diva, la divine. Elle est Anna la furieuse, la déchaînée, la débordante, la braillarde. La harpie. La gouailleuse et truculente mère du jeune Ettore, dans l’inoubliable scène de mariage de Mamma Roma (1962) de Pier Paolo Pasolini. Pier Paolo, qui la comprend et qui l’aime, même si la Magnani ne correspond pas tout à fait à son esthétique cinématographique. Pier Paolo, pour qui Anna nourrit une tendresse particulière. Elle est l’excessive. De tempérament et d’énergie, de trop de nez trop de chair trop de seins, de trop de. Elle est « l’excessive pour faire rire ou pour faire pleurer. » Celle dont Federico Fellini aurait déclaré : « Je ne peux pas te mettre dans mes images, tu les ferais déborder. » Elle est celle que Roberto Rossellini n’aimait que pour avoir aperçu en elle le personnage qu’il cherchait. Roma città aperta. Rome ville ouverte. 1945. Le coup d’éclat de l’actrice. Son sommet inoubliable qui la propulse au zénith et fait d’elle l’égérie du néo-réalisme italien. Nimbée de cette « couronne de douleur », « cette douleur ensanglantée », cette « douleur du monde » que l’actrice joue jusqu’à l’excès « pour en délier les spectateurs » et pour « expectorer » la sienne. Elle est la Magnani, prise dans le vertige d’une beauté construite de toute pièce, sublime beauté qui a relégué la laideur et la vulgarité ordinaire de la misère sous le tain du miroir, au fond du trou de la mémoire pour laisser émerger l’autre, l’éclatante dont la blancheur de la peau et les yeux de braise émeuvent autant que sa tignasse effarouchée et son cul ! Moulé dans l’étau de sa robe. La robe noire, mélange de dernier cri et de mode éternelle des paysannes de Ciocciara. Femme du peuple et symbole de la tragique exubérance de Rome pendant la Libération, elle est Anna. La Magnanime.

    De l’autre côté de l’écran, côté page blanche et stylo plume, il y a Bernard Noël, écrivain et poète, un grand, un très grand. L’un des plus grands de ce temps. Le plus grand peut-être. Pourquoi Bernard Noël a-t-il choisi, parmi tant d’autres icônes, cette femme-là, cette actrice-là pour fixer sa fiction romanesque ? Question récurrente dont la lecture du « roman » de La Langue d’Anna ne livre pas explicitement la réponse. Et la lectrice d’interroger sans relâche l’entremêlement de l’un avec l’autre. Il s’agit sans doute, chez le poète, de l’une de ces nombreuses variations sur l’écriture comme « lieu de la quête ». Quête inlassable, toujours recommencée, du moi et de l’identité. « Qui suis-je » ? « Qui suis-je quand je parle ? Qui suis-je quand j’écoute ? » interroge le poète dans Une Messe blanche (1972). « Qui suis-je ? » reprend en écho Anna. Qui ajoute :


    dans le patois de ma banlieue […] ça n’était pas une interrogation philosophique mais une exclamation d’étonnement.


    Auteur polygraphe, mais avant tout poète, Bernard Noël est l’auteur de quatre monologues « gouvernés par les pronoms personnels ». Le Syndrome de Gramsci (1994), La Maladie de la chair (1995), La Langue d’Anna (1998) et La Maladie du sens (2001). Dans chacun de ces monologues, l’auteur fait le choix d’un pronom personnel dominant. Dans le troisième monologue, le pronom personnel « Je » donne la parole à Anna Magnani. La Langue d’Anna (1998).


    l’autre est un sosie de moi
    même cicatrice


    confie Bernard Noël dans Tombeau de pierre. Peut-être dans cette cicatrice, cette autre s’insinue-t-elle, langue et corps, bouche et voix, sang et lymphe, viande et ventre, identité duplice, jusque sous la langue du poète, dans son être d’écriture et de chair ? Quelle est, dans La Langue d’Anna, la part de l’un la part de l’autre ? Par quels interstices de l’écriture se fait la pénétration de l’autre vers l’un ? Le poète n’est-il qu’« un simple porte-voix » à celle qui déclare ne pas savoir écrire ? La langue d’Anna « n’est pas faite pour le papier ». La langue d’Anna est celle du corps, un corps qui la déborde et attise sur elle la langue du désir et du sexe. Langue de l’amant d’une nuit, révélatrice d’un corps partagé en son milieu par une « plaie puante ». Qu’il a fallu apprivoiser pourtant, pour pouvoir se reconstruire. Langue apaisante, plus tard, réconciliatrice, de l’amant Rossellini, langue de la découverte de l’amour et de la jouissance :


    J’ai déjà sa langue dans mon horreur, et voilà qu’au lieu de me révulser, elle me réconcilie. Je suis lustrée. Je ne sais d’où me vient ce mot. Je le murmure dans ma gorge et mon corps s’éclaircit dans les yeux que l’homme ouvre devant les miens…


    langue virile,


    qui bande au milieu pour faire jouir la foule.


    Ailleurs, c’est la langue de la misère et de l’angoisse qui se tortille, cette


    langue intérieure ― la langue de la bête silencieuse qui dévore en moi les épouvantes et les douleurs.


    Et, avec la misère et sa horde dépenaillée de moisissures et de sordide, surgissent l’odeur de la vieillesse, le visage de la mère, ses yeux égarés, son haleine fétide et


    sa langue agitée sans cesse par la même répétition, [pareille à un] hanneton tournant.


    Rongée par la tumeur qu’elle voudrait arracher au trou de sa bouche, elle devient cette « corde » sur laquelle il lui faut tirer ― « tresse indivisible » des « douleurs de langue » et des « douleurs de corps ».


    Bernard Noël investit de son élan celle qui l’habite et qu’il recrée. « Tout comme Dieu tira Ève du flanc d’Adam », le poète « tire des mots une forme ». La forme d’Anna. Toute bruissante de la jouissance secrète de celui qui l’invente à son tour, après tous les autres (Rossellini, Pasolini, Fellini, Visconti,…). Mais leurs langues se mêlent dans la polysémie d’un corps à corps invisible que l’actrice — emportée par l’obscène cancre incrusté dans son ventre, longtemps avant que ne paraisse La Langue d’Anna — n’a jamais connu avec aucun des hommes qu’elle a aimés. Il y a de l’éros dans cette longue « copulation vocale », de la violence et de la révolte. De la rage, de la colère. Passion et mort étroitement arrimées aux signes et aux images.


    Images.
    Images : langue du fond. Langue fondamentale.
    Images filantes dans l’épaisseur émue où le sentimental est enfin tombé en poussières.


    écrit le poète dans La Chute des temps.

    Et Anna, à qui Bernard Noël confie ses propres images :


        Je vois souvent ma langue flotter derrière les créneaux de mes dents comme une flamme : elle bat au vent d’un orage, reçoit la foudre, la renvoie au ciel. J’aime la tête que j’ai alors, pleine de bruit et de fureur et tout habitée par la tragédie. Je ne sais pas ce qui est en jeu. Je n’ai pas besoin de le savoir. Je suis dans l’élan originel, celui qui donne aux pierres la forme des dieux, et aux hommes la volonté de se tenir debout.


    Peut-être est-ce là parole ardente, enfin libérée de la gangue des mots des autres ? Parole vraie, proférée depuis les profondeurs et sans prétention autre que celle de laisser son empreinte, juste une empreinte sur la page tremblée du miroir.


    la forme d’un corps
    la forme d’un visage
    ce que font les ténèbres
    en s’habillant de peau

    une expression humaine

    qu’est-ce que l’autre

    pas la figure
    pas le personnage

    mais l’apparu
    l’inévitable
    au bout du doigt
    au bout des yeux
    le même souffle […] *




    Angèle Paoli in Revue Nu(e)49, Bernard Noël, 2011, pp. 57-58-59-60.




    ________________________________
    * Bernard Noël, Les Yeux dans la couleur, P.O.L, 2004, page 66.





    ANNA MAGNANI


    Anna_magnani_par_youssouf_karsh
    Anna Magnani par Yousuf Karsh
    Source




    ■ Anna Magnani
    sur Terres de femmes

    des extraits de La Langue d’Anna de Bernard Noël
    22 septembre 1962 | Sortie de Mamma Roma (Pier Paolo Pasolini)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Cinémathèque française)
    une fiche bio-filmographique sur Anna Magnani
    → (sur kinoeye)
    une page consacrée à Roberto Rossellini



    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur YouTube) la séquence Fiore di merda de Mamma Roma :

    Séquence du film Mamma Roma



    → (sur YouTube) la séquence finale de Mamma Roma :

    Séquence finale de Mamma Roma



    → (sur YouTube) une séquence du film Abbasso la ricchezza (Au diable la richesse, 1946) de Gennaro Righelli, dans laquelle Anna Magnani chante Quanto sei bella Roma :

    Séquence du film Abbasso la ricchezza





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Bernard Noël | [le temps ne sait rien]


    Le commencement a déjà commencé
    Ph., G.AdC







    [LE TEMPS NE SAIT RIEN]



    le temps ne sait rien
    de nous il est seulement
    ce trou qui passe dans
    les yeux
                   une porte par qui
    sortir vers le début
    de l’avenir
                        toujours
    je t’attends derrière
    ton visage
                        qui sait
    où s’achève le tu
    il y a cette déchirure
    et puis
                 le commencement
    a déjà commencé
    un pronom sans fin




    Bernard Noël,  Des formes d’Elle, 4, in Les Plumes d’Éros, Œuvres I, P.O.L, 2010, page 282.





    Eros 2





    BERNARD NOËL


    Bernardnoël02
    Ph. © Steve Seiler
    Source





    ■ Bernard Noël
    sur Terres de femmes


    19 novembre 1930 | Naissance de Bernard Noël
    L’Encre et l’Eau
    La Langue d’Anna
    la paume caressant un souffle
    Sur le peu de corps, 18
    Fenêtres fougère (extrait de Sur un pli du temps)
    TOI est le nom sans néant
    Viens dis-tu
    19 octobre 1977 | André Pieyre de Mandiargues | Bernard Noël
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps] (extrait de Retours de langue)
    Édith Azam | Bernard Noël, Retours de langue (lecture d’AP)
    Mohammed Bennis | Bernard




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    7 mars 1908 | Naissance d’Anna Magnani (lecture de La Langue d’Anna de Bernard Noël, par AP, in Revue Nu(e)49)
    l’Atelier Bernard Noël de Nicole Martellotto





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Bernard Noël | Sur le peu de corps, 18



    Son beau silence noir
    Ph., G.AdC






    SUR LE PEU DE CORPS , 18



    entre les os
    gîtent les vieilles ombres


    elles étaient là
    bien avant je


    nous partageons la place
    pendant que mûrit
    le passé


    son beau silence noir


    l’ici là-bas
    qu’en chacun creuse
    l’inconnu


    la forme
    que souffle
    du cœur aux lèvres
    notre propre disparition


    un fouet de froid




    Bernard Noël, Les États du corps, III, « Sur le peu de corps », 18, in Extraits du corps, Éditions Gallimard, Collection Poésie, page 306.





    BERNARD NOËL


    Bernardnoël02
    Ph. © Steve Seiler
    Source





    ■ Bernard Noël
    sur Terres de femmes


    19 novembre 1930 | Naissance de Bernard Noël
    la paume caressant un souffle
    L’Encre et l’Eau
    La Langue d’Anna
    Fenêtres fougère (extrait de Sur un pli du temps)
    [le temps ne sait rien]
    TOI est le nom sans néant
    Viens dis-tu
    19 octobre 1977 | André Pieyre de Mandiargues | Bernard Noël
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps] (extrait de Retours de langue)
    Édith Azam | Bernard Noël, Retours de langue (lecture d’AP)
    Mohammed Bennis | Bernard





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  • Israël Eliraz | Poème n’est qu’un lieu


    POÈME N’EST QU’UN LIEU
    (extrait)


    Pour Bernard



    Poème n’est qu’un lieu de
    sieste entre des promenades

    la fébrilité d’un texte : risque,
    oser

    même pas une mouche sur
    la joue
    (oui, c’est Proust)

    et le Welt qui craque
    (objet fragile qui signifie quoi ?)




    les oignons (ou les six chaises)
    nous apaisent. L’arôme du
    chien.

    Toujours présent dans l’insomnie
    salée, près d’une fenêtre où,
    de l’autre côté, rien ne passe

    la rage d’une valise vide au
    bout du rêve, près
    d’une fausse porte. Le
    mutisme qui se dégage d’une
    paire de vieilles chaussures

    de vrais riens, brouillard
    d’une porte, un déplacement,
    un acharnement dernier




    […]



    c’est l’heure où
    le rouge touche trop de blanc,
    l’ennui s’affirme et rien n’arrive

    la pioche perdue dans la fatigue

    un poing de miel

    ni l’un, ni l’autre

    les ongles cassés et les aiguilles

    des fils de lin partout,
    des nœuds, il faut prendre garde




    inventaire d’ivresse d’une terre
    promise, interdite

    oui, ici commence le royaume
    de l’épine d’été

    je les perds partout, les poèmes

    poches explosées sous la peau
    du rêve



    […]




    Israël Eliraz, in « Avec Bernard Noël », Nu(e)49, N° spécial Bernard Noël, 2011, pp. 116-117-118.






    ISRAËL ELIRAZ


    ISRAEL ELIRAZ
    Source



    ■ Israël Eliraz
    sur Terres de femmes

    apprends du monde verdoyant où est ta place… (extrait)
    le désert est (poème extrait de Laisse-moi te parler comme à un cheval)
    L’instant né au bout du doigt
    maintenant comment poursuivre ? (poème extrait de Comment entrer dans la chambre où l’on est depuis toujours)
    La Pierre (extrait de Thabor) [+ bio-bibliographie]
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  • 19 octobre 1977 | André Pieyre de Mandiargues | Bernard Noël

    Éphéméride culturelle à rebours



    Bernard Noël par Bernard Plossu
    Source






    LE 19 OCTOBRE 1977



    Le 19 octobre 1977, ces deux mots et ces chiffres, qui composent une date passée depuis un an et demi approximativement, ont fonction d’intituler un singulier récit de Bernard Noël qui vient de paraître et à propos duquel je voudrais d’abord citer un vers du poète mexicain Homero Aridjis, récemment tombé sous mes yeux. Celui-ci :


    Le mot qui nomme ne révèle pas ni ne dissimule.


    Car (mais je peux me tromper) il me semble que le secret propos de l’auteur du 19 octobre est avant tout de faire un livre pour nommer sans rien révéler ni rien dissimuler, tâche ou caprice où je crois apercevoir, à l’égard de soi-même et à celui des lecteurs, beaucoup d’héroïsme et un peu de perversité, choses qui, bien entendu, ont tout pour me plaire… Mais avant d’essayer de parler du 19 octobre, ne serait-il pas temps de parler de l’auteur, justement ?

    J’ai rencontré Bernard Noël il y a treize ou quatorze ans, et j’ai pour cet homme incomparablement intelligent et touchant une très grande amitié, quoique je le voie très rarement et que je ne puisse me vanter de le connaître vraiment, à cause d’une sorte d’écran tendu entre nous par sa timidité et ma timidité, qui ne sont pas des timidités médiocres. Ce dont je puis me vanter, en revanche, est de bien connaître toute son œuvre et de l’admirer passionnément. Venait-il me voir quand j’habitais encore au 11 de la rue Payenne, les mots qu’il jetait entre nous comme des mots perdus, je me le rappelle, faisaient naître une étrange atmosphère de gêne où je crois qu’il se sentait bien et où je ne me sentais pas mal. Alors il me donnait à lire les manuscrits de ces merveilleux poèmes publiés plus tard, en 1967, sous le titre collectif de La face de silence. Poèmes qui n’ont pas cessé d’être pour moi le don essentiel de la poésie de langue française en ces quinze ou vingt dernières années. Car Noël à mes yeux est un très grand poète avant toutes choses ; car tous ses livres, essais ou récits tant qu’on veut, sont poésie, comme je crois que sont tous les livres de Mallarmé, dont un écho s’entend toujours dans ce qu’il écrit, lui, ce qui n’est pas la moindre raison du bonheur que je trouve à le lire. Du premier livre, Les yeux chimères (1955) de Noël, la première ligne est :


    Je dormirai des morts très lentes


    Depuis près de vingt-cinq ans, il ne me semble pas que Bernard Noël se soit éloigné de la (sa) mort, qui nourrit son langage d’une espèce de musique blanche qui est peut-être une simple variation sur une base de silence. Les mots font le reste, tout le reste, qui est la vie, et si un sexe de femme parfois s’oppose (ou s’allie) à la mort et lui dit « mon œil », c’est le fait d’une illumination qui m’est trop familière pour que je veuille en parler. Blanche comme la mort, la neige tombe et retombe en blancs flocons épars qui font un langage pareil à celui que nous ne cessons d’entendre dès que l’envie nous prend de sortir de (chez) nous et qui est l’apparence que prend pour nous la simple vie des hommes et des femmes. Cette neige de mots disjoints qui nous éloigne autant qu’elle nous rapproche de la mort, eh bien, n’est-ce pas ce que d’aucuns nomment « l’actualité », n’est-ce pas le voile d’espèce cabalistique qui ne révèle pas plus qu’il ne dissimule Le 19 octobre 1977  ?

    Ce jour-là, donc, sur les quais, un « personnage de récit » qui s’exprime à la première personne et qui évoque assez l’auteur pour que je l’appelle B.N. ouvre un livre à la reliure aveugle dont s’échappe une photographie qui un instant le bouleverse sans que vraiment il l’ait vue et pour laquelle il achète le livre. Puis B.N. s’en va dans le présent qui tourbillonne, confuse actualité, flocons légers d’amitié ou d’amour, d’humour et d’érotisme, de labeur et de paresse, de politique et d’histoire, flocons qui sont sa (notre) vie, fleurie parfois d’un sexe nu, tourmentée par l’annonce de la torture ou de la mort des autres, en attendant ce que nous ne savons que trop… Le livre où est la photo, B.N. l’a scellé de bandelettes de papier.

    Un an plus tard, le 19 octobre 1978, B.N. reçoit d’une amie un paquet qui contient le récit fatidique de Maurice Blanchot, L’arrêt de mort, dont il relit quelques pages. Avec une sorte de colère, alors, il prend le livre qui attendait depuis douze mois d’être découvert et rompt les sceaux. Il s’agit d’Arrêt de mort, roman de Vicki Baum, et des pages exagérément romancées jaillit la terrible image, photo d’un corps fracassé, mutilé probablement, une femme : Carmen Juana Cisneros, que fallecio en octubre. Que pour B.N. cette photo prenne l’importance que pour Georges Bataille eut celle du supplicié chinois que l’on sait, je crois le comprendre et ne m’étonne pas des pages d’autodestruction qui suivent, jusqu’à la rencontre de B.N. avec une sorte de putain qui l’emmènera un peu plus tard dans une étrange maison de plaisir où d’étranges convives attendent que l’on trépane pour eux un vivant « mandarin » dont ils mangeront dans le crâne la cervelle toute vive… Décervelage d’intellectuel, dont l’origine pourrait remonter à une certaine histoire de singe contemporaine du Jardin des supplices, opération inquiétante pour les méninges de l’auteur, non moins que pour celles du lecteur. « Après tout, dit la pute en dégustant, les morts nous doivent la vie. »

    Par l’intermédiaire d’un professeur de philosophie et de quelques souvenirs culturels, B.N. piège à nouveau son lecteur et le fait rentrer dans l’érotisme, c’est-à-dire dans le vestibule de la mort. Une porte ; une clé ; une chambre ; un lit. Une fille nue qui s’écarte au-dessus du visage de l’auteur. « Je vois l’âme de ton sexe », dit celui-là. Et il meurt.

    « Tout livre, ai-je dit naguère, est une rêverie coulée dans les formes d’un style ». En fait de style, en fait de rêverie, Bernard Noël est aujourd’hui parvenu à un si haut degré qu’il nous exalte au point sublime. N’ai-je pas mangé, avec lui, le mandarin ? Je croirais que oui et serais un goujat si je ne lui en rendais grâce !


    André Pieyre de Mandiargues, Ultime belvédère, Fata Morgana, 2002, pp. 27-28-29-30.




    ______________________________________________
    Note d’AP : ce texte (publié en 1979) a été retenu comme préface par les éditions Gallimard pour la réédition du 19 octobre 1977 dans la collection L’Imaginaire (n° 526, 2006).





    Bernard Noël Le 19 octobre 1977





    ANDRÉ PIEYRE DE MANDIARGUES


    724-003-090805184429
    Source




    ■ André Pieyre de Mandiargues
    sur Terres de femmes


    12 août 19… | André Pieyre de Mandiargues, Madeline aux vipères
    18 mars 1978 | André Pieyre de Mandiargues, Crachefeu
    13 décembre 1991 | Mort d’André Pieyre de Mandiargues





    BERNARD NOËL


    BN
    Source




    ■ Bernard Noël
    sur Terres de femmes


    19 novembre 1930 | Naissance de Bernard Noël
    La Langue d’Anna
    la paume caressant un souffle
    L’Encre et l’Eau
    Sur le peu de corps, 18
    Fenêtres fougère (extrait de Sur un pli du temps)
    [le temps ne sait rien]
    TOI est le nom sans néant
    Viens dis-tu
    Mohammed Bennis | Bernard
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps] (extrait de Retours de langue)
    Édith Azam | Bernard Noël, Retours de langue (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    7 mars 1908 | Naissance d’Anna Magnani (lecture de La Langue d’Anna de Bernard Noël, par AP)






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Mohammed Bennis | Bernard




    | BERNARD |

       (EXTRAIT)




    Bernard Noël
    Bernard Noël
    Ph. D.R. Olivier Roller
    Source







    Bernard
                    la venue est toujours là
    dans la vibration des mots
    unissant Je au Tu
    L’air passe à travers le sang Quelques bruits
    emportent Le vent donne
    à la main sa pâleur

    Rien ne reste à l’instant
    Bribes infimes ce retour
    par les moments où
    silence se voit demeure

    Plus loin encore le calme
    Si le regard se perd
    l’écriture fixe l’infini
    dès le geste premier d’un
    désir de continuer
    à partager la parole amitié
    si solitaire

    Connaissons-nous le point où
    le LIVRE n’est qu’un bleu
    jeté au creux du silence
    mesuré
    par le manque cher à l’os seul
    et seul qui parle

    Cette amitié ouvre
    un chemin secret dans le froid des frontières
    Un Je
    se retrouve mélangé
    à un Tu pluriel

    Sans abri le souffle jette
    une perplexité
    prend la main d’un partant pour ne
    trouver que l’inconnu
    Dans le désert de notre nuit un aveugle seigneur
    guidant les pas

    Garde le feu me dis-tu
    au bord d’une parole
    sans fin Le feu qui tisse
    passage d’une langue
    à une autre Il est accueillant
    et parfois
    un ange libéré
    de la pesanteur des ailes

    Encore une fois les mots résonnent sentent
    le trouble et volent
    Ici
    destination à venir

    Précise est l’immensité de ce trajet entre nous
    va et vient Non
    Trace et illumination Sourd
    ce temps le nôtre sourd
    au nom de qui se désintéresse
    l’un comme l’autre


    […]



    Mohammed Bennis, in numéro spécial “Bernard Noël”, revue littéraire Europe, n° 981-982, janvier-février 2011, pp. 265-266.




    _______________________
        Le 19 mars 2011, le Prix Ceppo international Piero Bigongiari du 55e Prix littéraire Ceppo Pistoia, organisé par l’Académie éponyme dirigée par Paolo Fabrizio Iacuzzi (www.accademiadelceppo.it), a été attribué à Mohammed Bennis. La cérémonie officielle de remise du prix a eu lieu samedi 26 mars 2011, dans la Sala Maggiore du Palazzo Comunale de Pistoia.




    MOHAMMED BENNIS


    Mohammed Bennis
    Source




    ■ Mohammed Bennis
    sur Terres de femmes


    Invitation
    [Toujours ton ami d’Orient revient à l’automne](poème extrait de Lieu païen)
    Galaxie (poème extrait de Vin)
    la lectio magistralis, « Le poème et l’appel à la promesse », prononcée (en français) par Mohammed Bennis le 25 mars 2011 à Florence, à l’occasion de l’attribution du Prix Ceppo international de Pistoia




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Imperfetta Ellisse)
    Mohammed Bennis, poeta mediterraneo, vince il Premio Internazionale Ceppo di Pistoia
    → (sur Lyrikline)
    dix poèmes de Mohammed Bennis dits (en arabe) par Mohammed Bennis





    ■ Bernard Noël
    sur Terres de femmes


    19 novembre 1930 | Naissance de Bernard Noël
    la paume caressant un souffle
    L’Encre et l’Eau
    Sur le peu de corps, 18
    Fenêtres fougère (extrait de Sur un pli du temps)
    TOI est le nom sans néant
    Viens dis-tu
    La Langue d’Anna
    Édith Azam | Bernard Noël | [comment ça s’ouvre un corps]
    19 octobre 1977 | André Pieyre de Mandiargues | Bernard Noël




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    7 mars 1908 | Naissance d’Anna Magnani (lecture de La Langue d’Anna de Bernard Noël, par AP)



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