Étiquette : Bethani


  • Martine-Gabrielle Konorski, Bethani

    par Angèle Paoli

    Martine-Gabrielle Konorski, Bethani,
    suivi du Bouillon de la langue,
    Le Nouvel Athanor, 2019.
    Préface d’Emmanuel Moses.



    Lecture d’Angèle Paoli




    DIRE EN BETHANI LE POSSIBLE RECOMMENCEMENT





    Dire Bethani, chanter Bethani, nommer Bethani. Errer vers Bethani. Attendue, espérée de longue date, la ville au loin guide le peuple en marche. Pareille à une étoile fidèle, visible de tous, tout à la fois accessible et inaccessible. Le murmure de son nom attise le désir. Attise aussi la douleur. Bethani, rejoindre la ville et retrouver la maison. L’unique. La seule possible. BETH-ANI. La Maison de l’Affliction.

    En un long poème inspiré, la poète Martine-Gabrielle Konorski est ici celle qui nomme. Son dit porte le nom de Bethani. Le poème se fait ainsi psaume. Suit un second poème, intitulé Le Bouillon de la langue.

    Par sa parole et par son chant, Martine Konorski s’institue chantre de l’histoire. L’histoire d’un peuple en marche. Une longue marche, une anabase réelle ou rêvée, archétype de toutes les marches, résonne en nos mémoires oublieuses et absentes. Une marche dans le désert, qui s’étire dans le hors-temps de l’Histoire et qui dit l’humanité en quête de son lieu d’être. Comment nommer Bethani ? Comment inscrire le nom de Bethani dans les circonvolutions de la mémoire ? Seule la poésie, portée par le souffle et le sel qui la fécondent, peut faire jaillir sur la page, en une suite de poèmes que rythme leur musicalité propre, les traces effacées par le vent des sables. Les strophes se succèdent, brèves, économes de mots mais non d’images. Souvent isolés, les mots s’inscrivent en retrait dans les vers les plus longs.

    La chronique de cet exode est prise in medias res, alors même que le peuple — innommé, sinon par le pronom indéfini « eux » ou par le nom de « caravane » — est en marche. Au commencement est la route, au commencement est son sillon de poussière, la traînée de cailloux déplacés, les crissements d’essieux et les grincements de roues, les obstacles. Un futur imaginaire dessine les promesses de portes entrouvertes pour l’accueil. Ivresses et larmes conjuguent tout ensemble leur présence. Le paysage est celui d’une terre aride d’où émergent les frondaisons des oasis. Pays du soleil implacable et de la soif. Pays des transhumances et des migrations nomades, qui avancent tout en lenteur, de puits en citernes, sur les croûtes brûlantes de la terre. Avec un rêve. Rejoindre Bethani.

    En lisant le récit de cet exode, je songe à la peinture murale de Delacroix — La Lutte avec l’Ange —, à cet arrière-plan où se vit la longue remontée de la tribu de Jacob à la rencontre d’Esaü, son frère, cheminement hasardeux à travers les trouées de lumière, où se bousculent chevaux et chameaux, « petit et gros bétail ».

    « Dans la fournaise

    les hommes du vent

    font confiance aux chameaux

    Tous avancent somnolents

    aimantés

    par l’horizon

    des jours qui passent ».

    Le nom de Bethani scande le rythme de la marche. Il revient en leitmotiv, sous-jacent à d’autres mots qui dessinent avec lui une frise — frise géographique, frise historique, frise poétique. Main, sable, larmes, frontières, exil, désert, trace, empreintes, chagrin… Pourtant, malgré ces stèles qui ancrent le poème dans un espace tout autant connu que désiré, le paysage échappe. Même si au passage le lecteur croise la vigne et l’olivier, le shofar, le Temple et les noms de David et de Salomon. Quelques vers plus loin, avec l’allusion explicite aux « Esclaves d’hier » et à la fuite hors d’Égypte ne subsiste plus de doute. Le peuple en route vers Bethani est bien le peuple hébreu.

    Deux vers, peut-être, pourraient à eux seuls nommer cette double quête, celle du peuple nomade comme celle de la poète :

    « Intraduisible rêve

    cette route de Bethani. »

    Intraduisible sans doute, parce que le rêve recèle en lui sa part de souffrance et de misère. Mais aussi sa part de violence et de sidération. Rejoindre Bethani est une entreprise douloureuse, semée d’embuches et de luttes. Qui dit le déchirement, la perte d’identité, l’errance, et jusqu’à l’éradication :

    « Bethani

    Survivre à l’effacement. »

    D’où l’importance, toute biblique, de nommer. Comme dans ces versets de la Genèse, où « Celui » qui heurta la hanche de Jacob dit à ce dernier :

    « Quel est ton nom ? » — « Jacob », répondit-il. Il reprit : « On ne t’appellera plus Jacob, mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et tu l’as emporté. »

    Minée par le doute et par l’« inespérance », la caravane qui progresse conduit avec le ciel un « dialogue d’éther », d’incandescence, de feu et de larmes. Au bout de la nuit survient un nouveau souffle. Une lueur d’espoir annonciatrice de la reconstruction. Une parole bienfaitrice qui renaîtra de ses blessures. Bethani surgit au lendemain d’intenses traversées.

    Une lumière s’accorde pour dire en Bethani le possible recommencement.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Martine Konorski  Bethani 2





    MARTINE – GABRIELLE KONORSKI


    Martine Konorski Portrait
    Ph. D.R. Pascal Therme
    Source





    ■ Martine – Gabrielle Konorski
    sur Terres de femmes


    [Les mots cognent] (extrait de Bethani)
    Instant de Terres (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    « Un point ouvert » (extrait d’Instant de Terres)
    un autre poème extrait d’« Un point ouvert » (Instant de Terres)
    [Au versant de la pierre-écritoire] (extrait de Je te vois pâle… au loin)
    Verticale (extrait d’Une lumière s’accorde)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Vissée à la plante des pieds]





    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Martine Konorski
    le site de Martine Konorski





    Retour au répertoire du numéro d’avril 2019
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Martine – Gabrielle Konorski | [Les mots cognent]




    [LES MOTS COGNENT]




    Les mots cognent

    la tête
    déchirent les rêves

    d’un refuge

    Les murs restent si hauts
    Là-bas

    Toujours s’éloigne
    Bethani        BETH    ANI
    Le vent souffle

    Inlassable
    sur ces lettres de feu

    Cet été sera-t-il

    le dernier
    sans revoir la maison ?





    Retrouver Bethani
    Une
    course au goût de sel
    Sur les rives éloignées des dunes

    trébucher seulement
    Sous le cri des chameaux
    le poids des corps

    se dépose

    flaques d’ombres
    brisées à chaque
    pas

    Les larmes sont de joie

    en lames à nos chevilles.





    Nommer Bethani

    dans le chant
    Écho d’un son

    qui s’égare

    Point de fuite

    disparu
    dans les traces

    ensablées

    Errance

    Des milliers de visages

    consolés
    par les feux

    du désert

    Avançons
    les joues blanchies

    de lune.




    Martine-Gabrielle Konorski, Bethani, suivi de Le Bouillon de la langue, Le Nouvel Athanor, 2019, pp. 26-28. Préface d’Emmanuel Moses.






    Martine Konorski  Bethani 2





    MARTINE – GABRIELLE KONORSKI


    Martine Konorski Portrait
    Ph. D.R. Pascal Therme
    Source





    ■ Martine – Gabrielle Konorski
    sur Terres de femmes


    Bethani (lecture d’AP)
    Instant de Terres (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    « Un point ouvert » (extrait d’Instant de Terres)
    un autre poème extrait d’« Un point ouvert » (Instant de Terres)
    [Au versant de la pierre-écritoire] (extrait de Je te vois pâle… au loin)
    Verticale (extrait d’Une lumière s’accorde)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Vissée à la plante des pieds]




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Martine Konorski
    le site de Martine Konorski





    Retour au répertoire du numéro d’avril 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes