Étiquette : Bleu d’encre éditions


  • France Burghelle Rey, Après la foudre

    par Philippe Leuckx

    France Burghelle Rey, Après la foudre,
    Bleu d’encre éditions, 2018.



    Lecture de Philippe Leuckx






    Pour dire la « mémoire » (première partie) d’un proche, la poète a construit son petit livre en trois sections de textes qui puissent célébrer le souvenir, alléger la peine et faire du rêve sans doute un tremplin.

    La foudre du titre, c’est le deuil, l’orage du cœur, le silence imposé, face à quoi la poète doit réagir, user du « clavier » et des mots pour échapper à la peine, cette perte même du « visage » du disparu, et ce repli en enfance — mot-clé du recueil —, et la langue altière sert parfois le projet :

    « j’en tremble d’oser désespérer du soleil

    désespérer d’apprivoiser oiseaux enfants amants

    et l’herbe du jardin »

    Qui dit « je n’ai plus aucune peur quand j’ai encore des mots » signifie sa foi en l’écriture, en l’aphorisme (« échanger le silence / n’est jamais renoncer »), en la musique des « notes / d’un clavier sous ma chair ». La poète nourrit « ces doigts qui / veulent le chant / tempête des mots / choc des syllabes/ et cris des voyelles ».

    N’empêche, il y a eu mort, celle de l’être aimé, celle de la terre, loin de la « seule maison celle d’enfance » où « le lilas est toujours à la sortie du village ».

    N’empêche, cette terre peut être baume, salut quand il n’y a plus qu’à serrer et à « partager cette lumière » et un beau jour, après tant de poèmes, c’est comme le miracle :

    « j’ai entre chien et loup

    retrouvé ton visage »

    Après « Au cœur de la fonte », « Le poids des rêves », troisième partie du livre, sent « le cœur » battre à contre temps tant la souffrance, la fin de l’enfance, l’espace confiné sans l’autre, l’absence ponctuent désormais la vie et le constat a sa grande part de gravité :

    « je suis de nouveau sans moi »

    Les derniers poèmes révèlent le lien de fraternité qui unit la plume et l’absent. La ferveur pour lui demeure ainsi comme le fruit de « mon enfance » et le « double » disparu, ce frère, ce jumeau, enjoint la sœur à poursuivre de ses mots, de ses vers la lutte.



    Philippe Leuckx
    pour Terres de femmes
    D.R. Texte Philippe Leuckx






    France Burghelle Rey  Après la foudre







    FRANCE BURGHELLE REY


    France Burghelle Rey




    ■ France Burghelle Rey
    sur Terres de femmes


    Les Tesselles du jour (extraits)
    Trop (extrait du Bûcher du phénix)
    [qu’importe le temps] (extrait de Lieu en trois temps)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Lumière du poème




    ■ Voir aussi ▼


    le blog de France Burghelle Rey
    le site des éditions Bleu d’encre





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  • Florence Noël, L’Étrangère

    par Angèle Paoli

    Florence Noël, L’Étrangère,
    Bleu d’encre Éditions, 5500 Dinant (Belgique), 2017.
    Dessins de Sylvie Durbec.



    Lecture d’ Angèle Paoli



    EN ATTENDANT « LE VENT SEC/DES RÉDEMPTIONS »



    Elle est « L’Étrangère », si étrange être de poésie. Est-ce elle, est-ce une autre ? Elle, c’est Florence Noël, poète. L’autre, c’est L’Étrangère. Celle qui n’existe que dans les « entailles » où elle trouve asile. L’autre, c’est la poète.

    Les poèmes, que Florence Noël voudrait « secs », ne le sont pas vraiment, du moins pas tout à fait. Tout au plus sont-ils menus, économes en mots, friands de brièveté. C’est sa manière à « elle » d’exister, sans excès ni débordements, sans lyrisme incongru. Pour ne pas « inexister », « elle » écrit, et pour écrire, « elle » se cherche des points d’étayage, des encrages amis. Elle, Florence Noël. Les poètes qu’elle convoque ont pour nom Emily Dickinson, Geneviève d’Hoop, José Saramago. Et d’autres encore. Ils ont aussi pour nom Marc Claude et Sylvie. C’est à eux qu’est dédié ce recueil : L’Étrangère. Il y a aussi des morts anonymes à ses côtés, en une proximité singulière :

    « parfois

    je séjourne comme

    les morts

    la tête obstinément fixée vers un ciel

    alors animé

    d’astres vertigineux

    d’autres fois

    je m’essaye à rester debout »

    Ainsi sommes-nous invités à accompagner la poète dans son univers. Et l’on sent bien qu’il faut peser ses mots. En dire trop ne peut convenir. Mieux vaut opter pour la brièveté tout en s’offrant quelques gambades, comme le suggèrent les dessins de Sylvie Durbec qui ponctuent le recueil de leur fantaisie. Légèreté, drôlerie, humour. De quoi jouer les funambules entre les mots, entre ces « riens qui la rendaient/partout/étrangère ». Se glisser à son tour dans la faille entrouverte sur « la liturgie des malheurs ».

    L’Étrangère (ou son double poète) a une écriture étrange. Je ne suis pas sûre d’en cerner toutes les subtilités, toutes les nuances, tant celle-ci surprend. Ce que je pressens, c’est la souffrance, la douleur. Mais de quoi souffre-t-elle ? Du manque d’amour ou du trop d’amour ? Ou du trop d’imperfection dans l’amour ?

    « je vous écris

    d’entre les lèvres d’une blessure », confie-t-elle.

    Ailleurs, elle s’interroge :

    « — comment aimer

    sans l’aune de la perte — »

    Et la poète de poursuivre, dans le même poème :

    « si j’y vais

    ce ne sera pas sans

    ce sac épais

    d’os et de larmes

    ma boiterie les sanglots longs

    et ce regard perdu

    que tu m’offris un jour

    en guise d’alliance »

    On le voit, on croise au passage d’autres amis, notamment Jacob et sa « boiterie », héritage du combat nocturne avec l’Ange et signe de l’Alliance avec Dieu ; un Jacob laïcisé cependant en guise d’amant ; Verlaine aussi, et les « sanglots longs » de la « Chanson d’automne » ; ainsi que le compositeur et interprète israélien Asaf Avidan : My tunnels are long and dark these days. Le tragique est au cœur et la poète oscille entre mélancolie et tonalités plus austères.

    « L’Étrangère » voudrait faire d’elle un « poème possible ». Elle hante les morts et les fréquente. Sa poésie est vertigineuse car insaisissable, intraduisible avec les mots courants, les pensées ordinaires. Ses mots sont si simples, pourtant ! Mais ils disent un ailleurs inconnaissable, qu’elle seule semble pouvoir aborder. Le poème emprunte cependant, parfois, des phrases entendues dans la conversation courante, mais celles-ci n’en deviennent que plus singulières. D’autres fois, la poète évoque de lointaines comptines d’enfance. Ce que l’on peut dire, c’est que cette poésie se dérobe. Ses mots bercent en même temps qu’ils raniment d’anciennes blessures qui ne demandent qu’à affleurer. Une grande tristesse respire entre les pages, qui résistent, un peu rêches, un peu grenues au toucher. À l’identique des mots qui s’ébrouent pour confier au poème à la fois la blessure et cette soif d’absolu (qui en est peut-être l’une des composantes primordiales).

    Je feuillette à nouveau le recueil pour saisir les inflexions d’une voix, et voici ce qui s’offre à moi :

    « l’inflexion d’une main

    inconnue

    exécutant la danse

    qu’un rêve nous

    offrit »

    Plus loin, cette découverte interrogative incroyable d’où surgit le plaisir paradoxal :

    « c’est un peu fou d’inexister

    avec tant de ferveur

    de densité rêveuse

    ça doit être cela, ce sourire

    parfois »

    Le sourire, c’est celui du chat du Cheshire.

    Dans ce recueil, ce qui prédomine, c’est l’image de l’envers. La chute dans le vide, la catabase, tête première, mais aussi l’enroulement de l’écuyère ou de la trapéziste. Tant de mystère dans la poésie de L’Étrangère, tant de poésie indicible qui se déroule, encercle, enlève, enlove, ailleurs, au-delà, dans un univers qui n’existe peut-être que dans les rêves ou dans l’imaginaire poétique. Car elle est bien étrange celle qui se définit ainsi :

    « elle est une farce

    une anomalie »

    et qui plus loin écrit :

    « elle n’écrit que dans

    l’insondable tristesse

    ou l’insondable joie

    là ce qui n’a Nom

    réside

    amoureusement »

    Faut-il voir un zeugma entre « ce qui n’a nom » et ce qui tient à l’imprononçable ? Le Nom de Yahweh ? Tenter de donner une réponse transparente serait contraire à la vision et à la démarche de la poète, et à celle de la dessinatrice. Il faut donc se résoudre à suivre la ligne de la poète sans vouloir apporter de réponse tranchée :

    « et vous cherchiez encore

    quel sens

    lire par là »

    L’essentiel n’est-il pas de suivre les gués qui s’offrent en cours de chemin et de faire halte ? De prendre le temps de la méditation avant de poursuivre ?

    « dans l’écriture

    des choses brèves lui viennent

    inaugurant des ponts

    tendus entre embrasements

    et néants

    ces passerelles

    continuent à se balancer

    à l’aplomb des gouffres

    où mystères et indicible

    se disputent

    les dents des morts »

    En attendant « le vent sec/des rédemptions ». Ou peut-être cet « appel » qui ouvre sur l’espoir :

    « il reste des mots pour

    communier à l’allégresse »

    Riche d’échos auxquels nos esprits cartésiens sont devenus trop souvent insensibles, la poésie de L’Étrangère est une poésie troublante et exigeante. Imprégnée de spiritualité, de délicatesse et de douceur. Lente et extrême. Une poésie inspirée, une poésie des contrées hautes. Une anabase.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Florence Noël  L'Etrangère  Bleu d'encre Editions  2017 4






    FLORENCE NOËL


    Florence Noël 3





    ■ Florence Noël
    sur Terres de femmes


    un entretien avec Florence Noël
    Sarabande (extrait de Branche d’acacia brassée par le vent)
    [parler de soi] (poème extrait de L’Étrangère)
    Initiation au crépuscule
    Solombre (lecture d’AP)
    [tu dis c’est l’heure jaune] (extrait de Solombre)
    [Donnez-nous des pierres] (Vases communicants)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    autant revivre en mon jardin






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  • Florence Noël | [parler de soi]


    [PARLER DE SOI]



    parler de soi
    c’est si facile
    nous sommes des constellations
    de peu dit
    des myriades d’étincelles
    aussi brèves
    que brûlantes
    vastes comme un peuple
    un océan
    un univers

    et quel que soit le voyage entrepris
    nous ne tournons
    qu’autour de ce même petit
    moi pale
    et troublant




    je vous écris
    d’entre les lèvres d’une blessure




    Florence Noël, L’Étrangère, Bleu d’encre Éditions, 5500 Dinant (Belgique), 2017, pp. 73-74. Dessins de Sylvie Durbec.






    Florence Noël  L'Etrangère  Bleu d'encre Editions  2017 4






    FLORENCE NOËL


    Florence Noël 3





    ■ Florence Noël
    sur Terres de femmes


    un entretien avec Florence Noël
    Sarabande (extrait de Branche d’acacia brassée par le vent)
    L’Étrangère (lecture d’AP)
    Initiation au crépuscule
    Solombre (lecture d’AP)
    [tu dis c’est l’heure jaune] (extrait de Solombre)
    [Donnez-nous des pierres] (Vases communicants)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    autant revivre en mon jardin






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  • Philippe Leuckx | [On a vécu sous le verre]



    [ON A VÉCU SOUS LE VERRE]



    On a vécu sous le verre. La myopie. L’écart.
    La solitude.
    On griffonne l’oubli sur de larges bords.
    Le vent trame ses poumons d’orbe.
    La rue ses glissades ses masques.
    Le temps peut bien tomber.
    On est de la cire.
    Le sang court, libre.



    Philippe Leuckx, « Le sang court » in L’imparfait nous mène, Bleu d’Encre Éditions, Dinant, 2015, page 29. Prix Charles Plisnier 2018.








    Leuckx-imparfait





    PHILIPPE LEUCKX


    Philippe Leuckx
    Ph. Christelle Dossche




    ■ Philippe Leuckx
    sur Terres de femmes


    [Laisse la nuit s’éclairer sous tes yeux](poème extrait de Doigts tachés d’ombre)
    D’obscures rumeurs (lecture d’AP)
    [Il reste au-dessus du jour quelque vœu d’enfance](poème extrait de D’obscures rumeurs)
    [On ose à peine la lumière](poème extrait de L’Effeuillement des choses vers les confins)
    [J’assume mes greniers d’enfance](poème extrait de Maisons habitées)
    Le Mendiant sans tain (extraits)
    Nuit close (extraits)
    Poèmes du chagrin (lecture d’AP)
    [Tu marches dans ta ville] (poème extrait de Poèmes du chagrin)
    Piéton de Rome, 13 (poème extrait de Rome rumeurs nomades)
    [Parfois il est bon de s’égarer](poème extrait des Ruelles montent vers la nuit)
    [Le soir](poème extrait de Ce long sillage du cœur)
    Ce long sillage du cœur (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’Association des écrivains belges de langue française)
    une recension de L’imparfait nous mène, par Marcel Detiège
    → (sur le blog d’Eric Allard, Les Belles Phrases)
    une recension de L’imparfait nous mène





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