Étiquette : Bruxelles


  • Anne-Marie Kégels | Peut-être


    PEUT-ÊTRE




    Quand la nuit sera souveraine
    — toutes étoiles dérobées
    derrière d’immobiles nuages —
    je m’appuierai à la fenêtre,
    je m’éblouirai de l’immense noirceur,
    j’ordonnerai à mes yeux de se faire lame,
    de transpercer ce velours de ténèbres
    jusqu’à la trame,
    au-delà de l’intime secret.

    Par la déchirure
    je verrai peut-être
    une bête ensauvagée,
    j’apercevrai peut-être la tête dodelinante
    d’un cèdre somnambule,
    plus loin encore, peut-être,
    je surprendrai ce qui n’a pas de nom
    et fait battre le cœur.



    Anne-Marie Kégels, Porter l’orage, éditions André De Rache, Bruxelles, 1978, page 26. Prix Louise-Labé 1979.







    ANNE-MARIE KÉGELS


    Anne-Marie Kégels
    Photo © J.-L. GEOFFROY
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    un dossier sur Anne-Marie Kégels établi par Lambert Schlechter
    → (sur le site de la Maison de la Poésie de Namur)
    une notice bio-bibliographique sur Anne-Marie Kégels





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  • Corinne Hoex, L’Été de la rainette

    par Philippe Leuckx

    Corinne Hoex, L’Été de la rainette,
    Le Cormier, Bruxelles, 2016.



    Lecture de Philippe Leuckx



    [UN ÉTÉ 53]




    Sous la bannière épigraphique d’André Hardellet, ici convoqué pour une inventive recréation d’une définition de l’enfance (tirée de son répertoire : « clef rouillée que cachent les buis, celle qui forcerait toutes les serrures » in La Cité Montgol, Collection Poésie/Gallimard, 1998), la poète Corinne Hoex rameute celle, lointaine, qui a déjà marqué nombre de ses livres romanesques (Le Grand Menu, 2001 ; Ma robe n’est pas froissée, 2008). Faut-il la dire, cette enfance ? La taire ? La récrire ?

    La poète, au conditionnel présent, recrée un lieu, des usages (on coud ainsi beaucoup chez Pelote-Pénélope-Hoex) ; on a des sœurs en « tresses » et « l’enfant tend l’aiguille » de ses mots « à la lumière ».

    À cette époque-là (je vous parle « d’un temps que les moins de soixante-dix ans ne peuvent pas connaître » !), la table est essentielle : on n’a pas le droit de la quitter. Alors, on « joue » comme on peut : et si on disait que ce serait l’été ? Comme tout enfant qui sommeille dans le poète adulte, l’anaphore « Ce serait l’été » dévide la pelote des poèmes.

    Hoex brode bien sûr, dans tous les sens du terme (réinventer l’enfance, tramer la toile de ses textes etc.), coud, mots et mailles, et le dé – qui protège le doigt est « d’argent », « trop large » pour la gamine. « Vie cousue, décousue ». L’enfance, chez elle, ce sont « des voix sans corps ni visages ». Et, comme chez Hardellet, penchez-vous, lecteur, sur un puits et vous en recevrez, dit-il, toute la fraîcheur (!) au visage.

    L’enfance ? « Pâte de sommeil », méridiennes lourdes, temps enfoui, immobile, ENLISÉ.

    L’enfance ? « Mâche(r) le lait âcre de leurs tiges » de pissenlits « amers » !

    L’anaphore, bien sûr, de « Ce serait l’été » avec Irma qui prépare le poisson de famille, celui de l’oncle Armand, blagueur comme tout.

    Ce serait cette « rainette » qui, selon le même oncle, appelle à former un « vœu »…

    L’enfant de « sept ans » que l’on enjoint de « mieux écouter cette tourterelle »…

    Oui, un été 1953, un bel été ?



    Philippe Leuckx
    pour Terres de femmes
    D.R. Texte Philippe Leuckx






    Hoex-Rainette







    CORINNE HOEX


    Corinne Hoex
    Source




    ■ Corinne Hoex
    sur Terres de femmes

    Et surtout j’étais blonde (lecture de Philippe Leuckx)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Le Cormier)
    la fiche de l’éditeur sur L’Été de la rainette
    (sur espace livres & création)
    une fiche sur L’Été de la rainette





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  • Lawrence Ferlinghetti | [I am signaling you through the flames]




    Lawrence Ferlinghetti A
    Triptyque photographique, G.AdC







    [I AM SIGNALING YOU THROUGH THE FLAMES]



    I am signaling you through the flames.


    The North Pole is not where it used to be.


    Manifest Destiny is no longer manifest.


    Civilization self-destructs.


    Nemesis is knocking at the door.


    What are poets for, in such an age?
    What is the use of poetry?


    The printing press made poetry so silent it lost its song. Make it sing again.


    If you would be a poet, create works capable of answering the challenge of apocalyptic times, even if this means sounding apocalyptic.


    You are Whitman, you are Poe, you are Mark Twain, you are Emily Dickinson and Edna St. Vincent Millay, you are Neruda and Mayakovsky and Pasolini, you are an American or a non-American, you can conquer the conquerors with words.


    If you would be a poet, write living newspapers. Be a reporter from outer space, filing dispatches to some supreme managing editor who believes in full disclosure and has a low tolerance for bullshit.


    If you would be a poet, experiment with all manner of poetics, erotic broken grammars, ecstatic religions, heathen outpourings speaking in tongues, bombast public speech, automatic scribblings, surrealist sensings, streams of consciousness, found sounds, rants and raves—to create your own underlying voice, your ur voice.


    If you call yourself a poet, don’t just sit there. Poetry is not a sedentary occupation, not a “take your seat” practice. Stand up and let them have it.


    Have wide-angle vision, each look a world glance. Express the vast clarity of the outside world, the sun that sees us all, the moon that stews its shadows on us, quiet garden ponds, willows where the hidden thrush sings, dusk falling along the riverrun, and the great spaces that open out upon the sea… high tide and the heron’s call… And the people, the people, yes, all around the earth, speaking Babel tongues. Give voice to them all.


    You must decide if bird cries are cries of ecstasy or cries of despair, by which you will know if you are a tragic or a lyric poet.


    If you would be a poet, discover a new way for mortals to inhabit the earth.


    If you would be a poet, invent a new language anyone can understand.


    If you would be a poet, speak new truths the world can’t deny.


    If you would be a great poet, strive to transcribe the consciousness of the race.


    Through art, create order out of the chaos of living.


    Make it new news.


    Write beyond time.


    Reinvent the idea of truth.


    Reinvent the idea of beauty.


    In the first light, wax poetic. In the night, wax tragic.


    Listen to the lisp of leaves and the ripple of rain.


    Put your ear to the ground and hear the turning of the earth, the surge of the sea, and the laments of dying animals.


    Conceive of love beyond sex.


    Question everything and everyone, including Socrates, who questioned everything.


    Question “God” and his buddies on earth.


    Be subversive, constantly questioning reality and status quo.


    Strive to change the world in such a way that there’s no further need to be a dissident.




    Lawrence Ferlinghetti, Poetry as Insurgent Arts, A New Directions Book, New York, 2007, pp. 3-8.








    Ferlinghetti, Poetry as Insurgent Art









    Lawrence Ferlinghetti B
    Triptyque photographique, G.AdC







    [JE TE FAIS SIGNE À TRAVERS LES FLAMMES]



    Je te fais signe à travers les flammes.


    Le Pôle Nord a changé de place.


    La Destinée manifeste n’est plus manifeste.


    La civilisation s’auto-détruit.


    Némésis frappe à la porte.


    À quoi bon des poètes dans une pareille époque ?
    À quoi sert la poésie ?


    L’imprimerie a rendu la poésie silencieuse, elle y a perdu son chant. Fais-la chanter de nouveau !


    Si tu te veux poète, crée des œuvres capables de relever les défis d’une apocalypse, et s’il le faut, prends des accents apocalyptiques.


    Tu es Whitman, tu es Poe, tu es Mark Twain, tu es Emily Dickinson et Edna St Vincent Millais, tu es Neruda et Maïakovski et Pasolini, Américain(e) ou non, tu peux conquérir les conquérants avec des mots.


    Si tu veux être poète, écris des journaux vivants. Sois reporter dans l’espace, envoie tes dépêches au suprême rédacteur en chef qui veut la vérité, rien que la vérité, et pas de blabla.


    Si tu veux être un grand poète , expérimente toutes sortes de poétiques, grammaires érotiques barbares, religions extatiques, épanchements païens glossolaliques, et l’emphase des discours publics, les gribouillis automatiques, les perceptions surréalistes, les flots de conscience, sons trouvés, cris et récriminations — et crée ta voix limbique, ta voix sous-jacente, ta voix, la tienne.


    Si tu te dis poète, ne reste pas bêtement sur ta chaise. La poésie n’est ni une activité sédentaire, ni un fauteuil à prendre. Lève-toi et montre-leur ce que tu sais faire.


    Cultive une vision ample, que chacun de tes regards embrasse le monde. Exprime la vaste clarté du monde extérieur, le soleil qui nous voit tous, la lune qui nous jonche de ses ombres, les étangs calmes dans les jardins, les saules où chantent des grives cachées, le crépuscule tombant au fil de l’eau et les grands espaces qui s’ouvrent sur la mer… marée haute et le cri du héron… Et les gens, les gens, oui, tout autour du monde, qui parlent les langues de Babel. Donne-leur une voix à tous.


    Tu devras décider si les cris des oiseaux sont d’extase ou de désespoir. Alors tu sauras si tu es poète tragique ou poète lyrique.


    Si tu te veux poète, découvre une nouvelle manière pour les mortels d’habiter sur Terre.


    Si tu te veux poète, invente un nouveau langage que chacun puisse comprendre.


    Si tu te veux poète, prononce des vérités nouvelles que le monde ne pourra pas nier.


    Si tu veux être un grand poète, efforce-toi de transcrire la conscience de la race.


    Par l’art, crée l’ordre à partir du chaos vital.


    Rends les nouvelles neuves.


    Écris au-delà du temps.


    Réinvente l’idée de la vérité.


    Réinvente l’idée de la beauté.


    Aux premières lueurs, ose l’emphase poétique. La nuit, l’emphase tragique.


    Écoute le chuintement des feuilles et le clapotis de la pluie.


    Pose l’oreille sur le sol et entends la Terre tourner, la mer déferler, les animaux mourants se lamenter.


    Conçois l’amour par-delà le sexe.


    Mets tout et tout le monde en question, même Socrate, qui questionnait tout.


    Questionne « Dieu » et ses acolytes sur Terre.


    Sois subversive, remets sans cesse en cause réalité et statu quo.


    Efforce-toi de changer de monde, et qu’il n’y ait plus besoin d’être un dissident.




    Lawrence Ferlinghetti, Poésie, Art de l’Insurrection, maelstrÖm reEvolution, Bruxelles, 2012, pp. 13-14-15-16-17-18. Traduit de l’anglais (USA) par Marianne Costa.








    Ferlinghetti-art-de-l-insurrection




    LAWRENCE FERLINGHETTI (1919-2021)


    Ferlinghetti portrait
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur poets.org)
    une fiche bio-bibliographique sur Lawrence Ferlinghetti
    le site City Lights Booksellers & Publishers
    → (sur lemonde.fr) Lawrence Ferlinghetti, poète et éditeur de la Beat generation, est mort






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