Étiquette : carnets


  • Michel Butor, Géographie parallèle, XV et XVI




    XV
    VERITE EN-DEÇÀ DU PACIFIQUE
    ERREUR AU-DELÀ





    La carte qu’on m’a montrée
    au palais de l’Empereur
    celles que j’ai étudiées
    dans les galeries du Pape

    Nominations dédoublées
    s’entrecroisent dans ma tête
    îles et détroits possibles
    tourbillons d’incertitudes

    Rades où navigateurs
    confrontent leurs ignorances
    gestes vêtements produits
    à renfort de mots obscurs






    XVI – LE MERCURE DES GORGES




    Dans les caves des vignerons l’or du lac est mis en bouteilles. Les oiseaux tournent de village en village en collectant des brins de laine pour leurs nids. Le chemin de fer s’enfonce dans son tunnel. Sur l’autoroute les camionneurs cherchent leur voie. Forêts et glaciers, nuages et navires.

    Les anges se retrouvent aux tavernes des premières constellations pour discuter sur les moyens de mieux nous protéger contre nous-mêmes le lendemain. Navrés de leur impuissance ils se consolent par quelques arrangements de plumes incandescentes qui nous arrachent parfois des cris d’admiration nostalgique.



    Michel Butor, Géographie parallèle, carnets, L’Amourier éditions, 1998, page 19.






    Michel Butor, Géographie parallèle




    MICHEL BUTOR


    Michelbutor Marc Monticelle
    Ph. © Marc Monticelli
    Source



    ■ Michel Butor
    sur Terres de femmes

    À fleur de peau
    Et omnia vanitas
    Ferments d’agitation
    Jeux de dames (extraits)
    Mallarmé | Pli selon pli (extrait de Répertoire II de Michel Butor)
    Vergers d’enfance
    20 mai | Michel Butor, L’Emploi du temps
    15 septembre | Michel Butor, L’Emploi du temps



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    la fiche de l’éditeur sur Géographie parallèle







    Retour au répertoire du numéro d’août 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 27 septembre 2011 | Alexandre Hollan, Carnets

    Éphéméride culturelle à rebours



    Portrait-Alexandre-Hollan
    Source







    CARNETS, ÉTÉ 2011


    27.9


    En regardant mes dessins de l’été j’ai vu clairement qu’une vibration s’imposait de plus en plus. Elle devenait une présence vibrante, mouvement de la matière du papier, et immobile, qui déchire les traits, qui les fait vibrer.

    La surface, quand elle vibre, crée un contact avec un autre aspect de l’arbre.

    Depuis longtemps je cherche à « être dans l’arbre », ne pas me promener sur sa surface, pas seulement trouver une direction, une force traversant sa masse, et disparaissant, ou changeant.

    La vibration apparaissait comme un mouvement à l’intérieur des traits, qui pouvait les « rendre vivants » — une tension — relâchement inimitable. (Je me l’expliquais en disant le trait tourne, avance en spirale, ce que je pense encore, comme un tire-bouchon qui pénètre une matière plus dense.)

    (Mais) en regardant les traits qui circulent dans mes dessins, et dans lesquels je poursuis une force présente au moment même, je devine « la matière » d’un regard naissant, d’une sensation – et c’est cette sensation qui vibre et qui anime le papier.

    Il y a des traits fins, légers, rapides, qui volent presque, sans laisser de contact. Une sensation plus lourde, plus dense, s’exprime par un trait plus affirmé, plus lent, plus visible.

    Les traits ont besoin de vibrer pour rester dans l’espace du papier (pour ne pas être trop forts, trop en avant).

    La vibration (est un) mouvement de la profondeur.

    La vibration est matérielle. Une vieille pomme vibre, un sac tissé vibre. La lumière vibre entre les feuilles d’un arbre.

    La vibration d’une peinture se concentre ou se dilate sur la surface travaillée. Les contrastes, le déséquilibre, suscitent la vie. La vibration cherche à rééquilibrer, atténuer les contrastes, en alternant les concentrations, en comblant les vides. Mais elle garde sa forme de vibration (par exemple une trame d’impression d’un journal ne peut reproduire une plus grande finesse que sa propre trame).

    Résonner, reproduire une vibration, la prolonger : vibrer.

    Se souvenir, retrouver une vibration dans la mémoire.

    Si je considère la vibration comme un mouvement, elle ne correspond pas à l’idée que je me fais du mouvement. Pour vibrer en me dépassant, pour vivre “ma propre vie” à l’intérieur d’un lieu vibratoire, je dois connaître ses dimensions, ses limites, et savoir jusqu’où je peux aller.

    Le langage des vibrations est concentration vide : point vide. Ajouter un *.



    Alexandre Hollan, Carnets, été 2011 in L’Atelier Contemporain, 1er numéro, été 2013, pp. 166-167.







    L'Atelier contemporain, premier numéro , été 2013





    ■ Voir | écouter aussi ▼

    Quelques « bonnes feuilles » du premier numéro de L’Atelier contemporain [PDF]
    → (sur le site de France Culture)
    Alexandre Hollan s’entretient avec Laure Adler dans l’émission Hors-champs (19 juillet 2013)
    → (sur YouTube)
    Alexandre Hollan sur le motif





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2013
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • 3 janvier 1978 | Albert Cohen, Carnets

    Éphéméride culturelle à rebours




    Trois janvier



        […] J’ai quatre-vingt-deux ans et je vais bientôt mourir. Vite me redire, stupidement souriant, me redire le temps de mon enfance, vite avant la fin de moi et de mes souvenirs. En ce temps de mon enfance, avant le jour du camelot, jour de mes dix ans, je trouvais l’appartement désert lorsque, réveillé, je sortais de mon lit bizarre, lit à barreaux. Maman n’était pas là, elle était allée travailler, allée à sa dure besogne, et je ne dirai pas vers quelle besogne elle allait, car cette besogne imposée me fait mal comme elle me faisait mal en mes années d’enfance, et je ne pardonnais pas à mon père, que je préférais appeler son mari, je ne lui pardonnais pas de l’avoir obligée à une besogne qui n’était pas digne d’elle, pas digne de cette reine de bonté, besogne que silencieusement je désapprouvais, injuste besogne que je ne veux pas préciser, lourde besogne méchante à ses petites mains si fines, si peu faites pour de lourds remuements, maniements de lourdes caisses effrayantes, cruelle besogne prescrite à une douce épouse et servante qu’un regard du mari faisait pâlir, sévère regard du mâle assuré de son droit et privilège, grotesque regard impérial de l’animale virilité.

        Assez, j’ai réglé maintenant mon compte avec l’omnipotent de mon enfance, le chef aux effrayantes moustaches sans cesse orgueilleusement recourbées, le monarque aux sourcils froncés de puissance et de sévérité, lamentable monarque dont j’ai soudain pitié, une étrange tendresse de pitié, pauvre qui ne savait pas le mal qu’il faisait.



    Albert Cohen, Carnets 1978, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1979, pp. 9-10.





    Cohen, Carnets





    ALBERT COHEN


    COHEN-Albert-photo-Jacques-SASSIER-Gallimardpetite-3-39c38
    Source



    ■ Albert Cohen
    sur Terres de femmes

    17 octobre 1981 | Mort d’Albert Cohen



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de l’Atelier Albert Cohen, Groupe de recherches universitaires sur Albert Cohen)
    Albert Cohen, Carnets 1978 | Un “étrange athée” aux prises avec Pascal, par Carole Auroy



    Retour au répertoire du numéro de janvier 2012
    Retour à l’ index de l’éphéméride culturelle
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes