Étiquette : Carnets de Marche


  • Carnets de marche. 17

       



    CARNET N.17

    17.

         Elle est celle…

         Elle est en retard pour sa marche quotidienne, retenue au bar et invitée par son ami du carrughju. Elle est la seule femme pour le moment, excepté celui qui sert les cafés. Il y a quelques têtes connues dont elle ignore encore les noms. Peu à peu, les noms rejoignent les visages et le puzzle de son agenda personnel villageois se reconstitue. Ce qui ressort de ces rencontres, c’est qu’elle est connue, elle. Elle est celle qui marche et qui écrit.

         Elle annonce qu’elle est mamona depuis deux jours. Sa petite Colomba est née depuis lundi. La nouvelle ne va pas tarder à se répandre comme un feu de poudre. Ce nouveau statut joue sûrement en sa faveur.

         Tu te demandais si l’enfant qui allait venir serait vraiment un bébé. C’est vraiment un bébé. Un vrai bébé. Avec des menottes longues et fines, des oreilles bien ourlées, des yeux déjà ouverts sur le monde, un petit nez en trompette. Et une moue volontaire. Tu te sens fondre devant ce tout-petit qui te vient de ta fille. Il te tarde de la prendre dans tes bras, de sentir son odeur de nourrisson nourri au lait maternel, de serrer contre toi ce petit bout de future femme sorti du ventre de ta fille. Ta difficulté à concevoir cette idée-là autrement que par les mots habituels. Impossible d’aller au-delà. Une chose est sûre : l’enfant ne retournera jamais dans les entrailles d’où il est issu. Rebrousser chemin ne se peut. Remonter à la source oui, mais au-delà, le parcours devient improbable.

         Elle est en retard. Elle se gare à la Leccia, accueillie par le braiment pitoyable des ânes. Elle marche sur la route, dans une atmosphère douce, à dominante vert-de-gris. Nulle trace de soleil aujourd’hui. Seuls les reflets moirés de la mer signalent des espaces de lumière. Les échancrures de la côte se dessinent d’un trait sûr, sans la moindre ombre d’écume.

         Tu penses à Ficajola, le hameau abandonné au-dessus de Minerviu. Tu n’as pas encore réussi à le localiser. C’est un nom de ton enfance, du temps de tes aïeuls. Tu arrives à Linaghje. Le hameau détruit au XVIe siècle. Rayé de la carte par les troupes de l’amiral Doria. Tout ce passé meurtri, tombé dans les oubliettes de l’histoire.

         Tu marches vite. Ton cœur est léger aujourd’hui. Tu es heureuse. Pour la première fois depuis si longtemps. Tu ne penses à rien de précis. Tu te laisses porter par ton propre rythme. Écouter ton pas, sentir la légèreté de tes pieds, la souplesse de tes genoux. La route est déserte. L’enclos est fermé. Tu te diriges vers le chêne. Tu t’appliques à construire ta marche sur de menus rituels. Tu regardes la branche clé de fa sans comprendre. Le sac à duvet a disparu. Il ne reste qu’un ruban. Unique trace de son ancienne présence. Ce matin, le sac à duvet a été coupé, séparé net de sa branche. Cette découverte t’inquiète. Je sais à quoi tu penses. Tu penses ce que tu as toujours pensé. Tu penses que ce sac, confectionné dans un bout de tissu ficelé, est un véritable gri-gri, destiné à attirer le mauvais œil sur la personne qu’il est censé reproduire. Elle guette la route. Elle se sent vue, surveillée, épiée. Les yeux masqués du maquis, invisibles comme les chèvres qui s’y abritent. Tu cherches des yeux la dépouille du sac à duvet gri-gri cra-cra. Tu ne vois à tes pieds qu’une touffe de duvet, une boule compacte de fils enchevêtrés. Tu ne vas pas la ramasser tout de même ! Tu ne vas pas fourrer ça dans ton sac ! Tu voudrais trouver l’enveloppe, avec ses yeux de clown et sa bouche peinte. Tu tournes autour de l’arbre sans rien voir. Tu te laisses glisser le long du talus. Peut-être, en prenant du recul, vas-tu trouver ce que tu cherches ? Voilà, il est là, caché sous une masse d’épineux. Le voilà, ton sac à duvet gri-gri cra-cra, ce qu’il en reste. Il gît, décapité, éventré au milieu des feuilles de chêne. Tronqué par le geste violent qui l’a arraché à sa branche. Je me baisse, je ramasse ce qu’il reste, nombril entortillé de ficelle, yeux, bouche peinte, ventre ouvert, bout de ruban cra-cra.

         Tu considères la dépouille avec consternation.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli

       

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  • Carnets de marche. 16

       



    CARNET N.16

    16.

         Elle glisse, glisse entre les immeubles de verre jusqu’à l’infini du ciel. Arrimée sur sa planche de vitre biseautée à sa taille, elle file, file dans le vent qui lui caresse la joue au passage. Elle descend, descend à travers la ville blanche. Elle ne sait si elle pourra refaire la route en sens inverse. Pour le moment, grisée, elle se laisse emporter par la vitesse. Au détour d’un virage, elle aperçoit la patte miniature d’un animal. Un éléphant grandeur nature qui l’observe de son regard liquide, embué de lumière. Elle frôle un grand lion ténébreux qui lui cède le passage puis rejoint la silhouette de ses enfants, elle, minuscule et lui, immense. Elle se retourne et lui fait signe. Ils vont à la plage, de ce côté-ci de la mer. Elle a beau faire, elle ne peut les rejoindre. Le sentier lui échappe et le temps a déjà changé. D’énormes vagues battent le rivage. La petite crique, à l’abri des regards indiscrets, conviendrait mieux à son attente. Elle glisse, glisse comme le petit bonhomme de « Jean Mineur publicités » sur son ruban filmique.

         Tu t’es réveillée tard ce matin, au-delà de dix heures. Il te faut une heure pour te préparer. Il est trop tard pour te lancer dans ta marche matinale. Tu as juste le temps de porter le pain sec aux ânes, en prenant garde de tailler des quignons pour chacun d’eux. Avec quelle violence ils se battent, donnent chacun des coups de croupe à l’autre pour l’empêcher de s’emparer du croûton ! Un troisième survient qui fait de même et c’est la guerre. Les trois sont au bord du précipice, le muret risque à tout moment de s’effondrer. Toi, tu regardes impuissante les étapes d’un drame dont te voilà responsable !

         Douceur de l’air ce matin. Étrange calme après la tempête d’hier. Des vents à couper le souffle, des gouffres blancs d’écume jusqu’à l’extrême horizon. Tu penses qu’il y a quelque chose de surréel à être ici, dans ce lieu de ton enfance, décor de pierre et de mer. Dans quinze jours, c’est Noël. Pourquoi es-tu là et non plus là-haut, dans les brumes où tu as vécu si longtemps ? Le marché couvert illuminé regorge de victuailles. Ici, tu as juste ta petite épicerie de village. Tu regardes avec tristesse les sapins de la supérette, blêmes de neige artificielle. Des visages surgissent, qui ont fait partie de ta vie. Tu peux les faire revenir à ta mémoire n’importe quand, tu peux imaginer le sourire de la crémière, ou la gouaille féroce du poissonnier ; tu peux les regarder vivre et travailler, comme si rien n’avait changé. Eux ne savent plus où tu es. Tu es partie sans laisser de trace. Tu t’es portée disparue.

         Installée devant la flambée de fin de matinée, tu écoutes Riccardo Cocciante. C’est la musique qu’il a choisie pour toi. Et toi, tu pleures, et tes larmes coulent en gros grains, en gros sanglots irrépressibles sur tes joues. Tu te sens broyée de nostalgie. Le manque de l’Italie se creuse en toi, te prend à l’improviste, te submerge. Tout un pan de ta vie noyé, emporté dans l’abîme. Tu iras, tu iras au printemps. Il le faut !

         Être ici, cela te renvoie à tout ce que tu as perdu. Tu sais pourtant que tout ce qui faisait ta vie n’était plus depuis longtemps, bien avant que le choix de l’exil eût été fait. Le passé refait surface par nappes mauves semblables à celles de la mer d’aujourd’hui. Les accents déchirants de la musique de Cocciante te lacèrent le cœur. Un cœur de midinette qui pleure sur elle, sur la vie qu’elle a laissée, sur la part d’elle-même qui n’est plus. Abandonnée où ? Depuis quand et pour combien de temps encore ? Elle ne sait plus. Elle se perd. Elle se sent traversée de méandres aux issues introuvables. Promis à quels ailleurs ?

         Le grand vent d’hier est tombé, la violence des rafales qui balayaient la mer s’est estompée. Le mugissement sourd de l’étendue noire s’est apaisé. Étrange cette sensation qu’elle a du rapprochement de la mer, de sa montée, de son inquiétante proximité, chaque fois qu’elle s’enfle et se gonfle. Les étoiles perçantes à travers les grandes embardées de nuages exaltants. Tu envies leur fluctuance, leur extravagance, leur ubiquité inconsolable. Leur force tranquille et décidée que rien n’entrave ni n’arrête. Tu penses à tous les exils. Et au tien, bien moindre que celui de tant d’autres. Sèche tes larmes. Il n’y a vraiment pas de quoi gémir.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli

       

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  • Carnets de marche. 15

       



    CARNET N.15

    15.

         Le vent de la nuit est tombé. Le désir la prend d’aller marcher sur la route côté ombre. De reprendre le fil de son écriture. L’air est vif et pur. Elle marche d’un bon pas. Le premier feu de talus l’attend juste dans la première ligne droite.

         Elle pense à la question du « elle », abordée l’autre jour avec Sol. Ce « elle » qui la dépersonnalise. C’est ce que lui dit Sol. Cette distanciation, toujours, qui l’empêche d’assumer son « moi ». Elle, elle hésite. Le « je » qui se met sans cesse en avant, ça la contrarie. Elle le trouve trop exclusif, trop égocentré. Elle lui préférerait le « tu », qui ouvre le dialogue avec cette autre part d’elle-même, instaure le va-et vient entre une forme de regard et une autre, un angle de vue et un autre.

         Cette manie qu’ils ont de faire des feux le long des talus. Et ces pans entiers de verdure qui peu à peu finissent en branchages calcinés, renversés dans le vallon !

         Elle pense à son « moi dévitalisé », à cette mémoire du jour qui s’enfuit sans laisser de trace. Elle entre dans le soleil. La caresse douce dans son dos. Ses pensées fuient, sans laisser de signe tangible de leur passage. Elle voudrait les retenir, un peu, pas toutes, seulement certaines. Pourquoi au juste ? Elle ne sait pas.

         Elle croise le pêcheur sur sa vespa, une grande brassée de bruyère posée devant lui.

         Tu t’interroges jour après jour sur la vie étrange des gens d’ici. Rituels auxquels tu n’as pas accès, dont le sens t’échappe. Et ces petits buissons têtus, chaque jour plus hauts, plus touffus. Tu viens de comprendre que ce sont les buissons d’asphodèles. Les touffes neuves émergent autour des tiges anciennes. Les ferlucci desséchés ploient sous le vent. Une odeur de charogne persiste encore autour de la chênaie. Toute trace d’oiseau a pourtant disparu. Les choses ainsi surgissent, puis disparaissent sans que l’on comprenne pourquoi.

         Tu envies à ton amie ce souffle, cette inspiration qui l’habite et l’enlève vers un au-delà des mots, inaccessible. Elle porte en elle d’autres forces vitales qui la font s’extasier vers cette « autre lumière ». Hanging Rock (Australie) étire son dôme grêlé de cratères. Partie dans le soleil, partie dans l’ombre. Un oiseau lance son pépiement. Rythme binaire, syncopé 2/2 ; 2/2 ; 2/2… Tiens, il a changé de côté. Il t’a contournée sans que tu t’en aperçoives.

         Tu croises l’inconnue de Barrettali, dans sa Toyota décapotable. Le friselis léger de la mer, bleu turquoise ce matin. Tu frissonnes comme si tu mettais un pied dans l’eau. Elle doit vraiment avoir fraîchi. Les premières maisons de Barrettali dans un triangle de lumière douce. L’enclos est toujours fermé. Tu ne dis plus où tu vas, dans quelle direction ni jusqu’où. Ainsi tu te réappropries l’espace et, avec lui, le temps, son compagnon indissociable. Ici, l’espace anéantit le temps. Provisoirement. L’heure tourne et tu ne t’en aperçois pas. Les sonnailles timides des chèvres, en contrebas. Un petit avion pointe son museau bruyant au-dessus de la Punta. Une nappe onctueuse de nuages mauves étire ses filaments. La mer en un instant est devenue violine, le temps de grimper vérifier si l’enclos est ouvert ou fermé et de redescendre. Des flammèches plus claires s’épanouissent en gerbes dans le ciel. Le petit sac à gri-gri duvet cra-cra oscille, suspendu à la clé de fa d’une liane. Le cliquetis des sonnailles se rapproche. Elles ne sont plus loin maintenant. Une tache mouvante bouge dans la lumière. Le troupeau est là, tapi à l’affût dans les feuillages, disséminé de part et d’autre de la route. Les chèvres t’observent, intriguées, immobiles, figées presque. Un grand bouc brun surgit des hauteurs, derrière un arbousier. Une petite courtaude te fixe de son air incrédule. Elle te rappelle quelqu’un, mais qui ? Les buissons tremblent, secoués ici et là par les mâchoires qui tirent sur les branches. Une autre descend, qui s’agrippe aux bruyères. Le maquis crépite.

         Tu voudrais bien continuer ta route. Tu reprends le rythme de ta marche. Les cabrettes s’éclipsent aussitôt et se faufilent entre les branches. Elles soulèvent en cavalant des odeurs de champignons et de musc. Barrettali étire ses hameaux dans la pleine lumière. L’écrin vert émeraude de la marine dans le déploiement des cloches de midi.

         Les ondes vives sont silencieuses aujourd’hui.

    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli

       

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  • Carnets de marche. 6

       



    CARNET N.6





    6.


         Beauté des feuilles mortes, ce matin. Platanes, châtaigniers, figuiers. Détail surprenant : toutes les feuilles sont à l’envers. À cause du grand vent d’hier, sans doute.


         Elle marche jusqu’à la Tour de Linaghje ― la Tour d’Amour ― et se faufile dans le maquis pour grimper un peu plus haut. Elle découvre, en contrebas de la tour, un véritable hameau avec ses dépendances, ses casemates, son four à pain, ses foyers. Partout des fenêtres à meneaux. Aux temps reculés de l’occupation génoise, il devait régner ici une animation intense. Elle imagine une tour de guet fourmillante de gens d’armes. Plus tard, bien des années après l’incendie du hameau par les lansquenets d’Andrea Doria, les villageois se sont servi de la tour et de ses dépendances pour remiser le lin. Ils l’ont baptisée Linaghje. Dans ces piani étroits et sauvages, difficile pourtant d’imaginer des terres cultivées de lin. Ses aïeuls, lui a-t-on dit, y possédaient quelques terrains. Ils venaient y travailler.


         Elle fait son plein de petit bois, charge son fardeau sur ses épaules, hâte le pas vers la maison pour s’en délester au plus vite. Ce matin, tout comme hier, au même endroit, un épervier plane au-dessus de sa tête, dans le tourbillon du vent. D’un trait, il s’est mis à fondre sur une proie invisible, ailes repliées en arrière !


         Météo, météo, le petit coquelicot n’est plus. Nulle autre fleur ne l’a remplacé. Les pétales gelés du petit « coqueli » sont tombés. Roulés, broyés par la tempête. Un vent glacial transit l’espace. La mer semble avoir pris du volume et s’être rapprochée. Elle gagne sur la montagne. Bleu vert foncé. Elle pense au coquelicot de Zanzotto. Que sait-elle du papavero ? Elle lui plante le coquelicot de Zanzotto dans le cœur. Météo, météo.




    Même jour ― autre regard ―


         Aujourd’hui, rien. Rien qui aille. Rien qui va. Rien lu. Rien fait. Pensé à rien, sinon à attendre la fin du jour. Lumière nocturne toute la journée. Et ce rêve de limaces géantes qui lui donnent la chasse. Tout en repensant à cette course visqueuse, elle cherche des yeux le petit sac à plumes. L’étrange gri-gri qui la nargue, accroché à ses rubans de crasse. Elle note la marche inversée des arbres. Pareils à l’armée de Duncinan, ils viennent à sa rencontre, au rythme de ses pas. Un noir intense descend sur la mer. Les eaux brouillées du ciel rejoignent la ligne de crête des vagues. S’y plongent. Le triangle de lumière a encore rétréci. Ciel et mer, immergés l’un dans l’autre, broient du noir.


         Le petit coquelicot n’est plus. Il est mort ce matin, broyé par les vents d’hiver. Ses pétales gisent, recroquevillés dans les trous de rocaille. Nulle autre fleur tardive ne l’a remplacé. Météo, météo, météo. Le coquelicot de Zanzotto bat de l’aile dans sa tête. Elle rumine son refrain. Lallation de douleur. Un stylet planté dans le cœur. Rouge sang. Météo, météo, météo.


         Elle cherche des yeux l’étrange gri-gri, le petit sac à plumes cra-cra. Le voilà, toujours accroché à sa branche, rubans et ficelles luisants de goudron. Un vautour plane au-dessus de la route, grisé par le vent. Elle marche vite, les dents serrées sur ses mauvaises pensées. Ton regard posé sur les feuillages tavelés par le froid. Frilosité. Tremblements minuscules, à peine perceptibles. L’odeur âcre des cendres mouillées. Les sonnailles des chèvres concentrées dans un coin du maquis, cachées dans un réseau d’épineux. Invisibles. Et l’enclos à chevreaux, toujours fermé.


         Linaghje. La Tour d’Amour, dressée sur ses contreforts enchevêtrés de ronces. Les nuages filent, impassibles, au-dessus des casemates abandonnées, cheminées et lucarnes, amoncellements de lauzes masqués par les broussailles. Elle rejoint la route par la pâture à chevaux, passe devant la roulotte patinée de noir, trébuche sur les bogues fendues des châtaignes. Tu te sens en territoire interdit. Tu as l’air coupable de celle qui viole un espace qui ne lui appartient plus.


         Au-delà de Linaghje, un chemin de terre grimpe raide vers l’inconnu de la montagne. Le vent apporte à tes narines une odeur de cochon et de lisier. Une odeur reconnaissable entre mille. Odeur chaude d’enfance. Un premier enclos, un second. Tout un bric-à-brac invraisemblable de planches, de claies, de bidons, de ferrailles et de montures de lit. La porte de ta salle de bain est là, elle aussi, au milieu des encastrements de chaises en plastique. Le Club des cinq resurgit des lointains de ton enfance. Des voix arrivent jusqu’à toi. Tu te retournes, tu cherches, prête déjà à trouver refuge derrière un amas de branchages. Des cyclistes sur la route. De là où tu es, tu découvres d’autres toits de tôle, d’autres baraquements construits à la va-vite. Tu comprends les raisons du déboisage systématique du maquis. Tu grimpes encore, jusqu’au gargouillis de cette fontaine de fortune. Un tuyau de caoutchouc déverse son jet dans un cul de tonneau.


         À continuer ainsi, tu vas arriver aux bergeries, tout là-haut, du côté de Pedricaghjola. Un nouveau frisson de vent, plus vif, t’incite à rebrousser chemin. Tu quittes le sentier bourbeux. Tu te sens vue, épiée. Tu accélères le pas. L’armée des arbres roule à ta rencontre. Le jet d’eau vive. Envie très forte d’uriner. Tu repenses aux culottes en coton tricotées par sa mère, Ginger Ale, cette autre mère dont ils s’apprêtent à fêter les quatre-vingts ans. Tabula rasa de ses souvenirs.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



       




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  • Carnets de marche. 5

       



    CARNET N5





    5.


         Vent frais ce matin. De fortes rafales ont balayé la pluie de la nuit. Elle marche vite, s’arrête pour extirper de son sac carnet et crayon. Elle note le vent dans les feuilles. Elle reçoit des gifles d’air par saccades. Elle pense au vent dans les voiles. Ici, plein visage. Le vent enveloppe l’espace. Elle note le mugissement sourd de la mer, celui plus proche du vent dans les feuillages. Moins dense. Des flots d’air froid montent à l’assaut des pentes. Puis dévalent en sens inverse, par masses imprévisibles, irrégulières. La mer, lisse hier soir, est hérissée de crêtes blanches. Là-bas, dans d’autres paysages, le miroir paisible de la Loire. Les peupliers blonds, immobiles, face au temps qui passe. Un vautour plane, il imite le vent. Le petit coquelicot est toujours là. Frémissant. Pétales retroussés en arrière, sous les harcèlements de l’air. Des tranches de rocaille dénudées opposent leur immobilité rigide aux grands mouvements d’air qui circulent par brassées. Les talus labourés par la battue d’hier. Le sang des sangliers. Les sangliers, marqués jusque dans la chair de leur nom par le goût du massacre. Une famille de cochons croisés traverse la route, tranquille. Elle suit la frange de lumière qui se déroule en contrebas.


         Bardadrac. Elle lit le Bardadrac de Gérard Genette. Bardadrac. Ça roule rond à son oreille. Un croisé entre le Bardamu de Céline et le Patatras de la B.D. de son enfance. Patatras, l’acolyte de Poum. Lequel précède l’autre dans la chute ? Lequel porte en lui l’annonce de désastres ?


         La solitude de sa mère. Elle résiste à la nécessaire interrogation : de quoi est faite cette solitude ? Elle ne cherche pas à le savoir. Elle dit. Elle prétend ne pas être concernée. Elle voudrait s’en convaincre.


         Les hameaux du versant opposé surgissent sous des masses de lumière. Odeur de bois brûlé. Les rifiuti de la battue d’hier, accrochés aux abords des talus. Elle rebrousse chemin. Elle monte jusqu’à l’enclos à chèvres, plante son nez dans un massif d’euphorbes. Une odeur particulière emplit ses narines. Mais laquelle ? L’enclos est vide. La route, déserte. De forts relents d’urine la guident, mélangés aux feuilles de chêne et à la boue. Des crottes rondes et régulières, pareilles à des noyaux d’olives, jalonnent la bourbe du chemin. Elle pénètre dans l’enclos couvert. Il fait noir. Il fait chaud. Les chevreaux sont là, serrés les uns contre les autres. Une bonne quinzaine. Toute une classe d’âge. Ils se massent contre le mur du fond. Puis, se ravisant, grimpent d’un seul tenant à l’assaut de la barrière de bois. Ils se hissent, chacun empiète sur le dos de son jumeau. Ils s’agrippent à sa manche, la broutent, dégringolent, piétinent. Trois minuscules têtes la lèchent, tètent la toile de sa vareuse de marin. Blanc et noir, blanc et beige. Noir tacheté de brun. Ils s’agglutinent tous ensemble puis d’un mouvement inverse et dans un même élan grimpent jusqu’à elle. Certains sautent en hauteur. Craintifs et curieux. Ils bondissent sur les dés de leurs sabots. Elle caresse leurs fronts. Les petites cornes de lait percent sous le dru de la toison. Ils la reniflent, éternuent, se grattent, se bousculent. Ils sont agités de toute une petite frénésie mystérieuse. Insaisissable. Une vie fébrile de chevreaux dérangés de l’ennui de leur incarcération. Ils la tirent par la manche. Elle sourit. Ils grignotent hardiment la toile. Coups de museaux plus forts et plus tenaces. Obstinés. Le bout humide de leur nez, pareil au sien planté dans l’euphorbe. Leurs yeux larmoyants. La tendresse l’étreint. Elle quitte l’enclos. Elle reviendra demain.


         Variations sur le même. Couleurs, odeurs, formes. Variations, oui, mais chaque jour émerge un élément nouveau. L’enclos à chevreaux : un espace temps alvéolaire de sa marche d’aujourd’hui.


         Elle accélère le pas en direction de la Tour d’Amour. L’écrin sombre de la marine assiégé par les vagues. Leur roulement régulier. Le vrombissement croissant décroissant d’un avion absorbé par les nuages. La Tour d’Amour est là, en partie masquée par d’énormes châtaigniers. La Dame a déserté sa haute fenêtre. Le chevalier inexistant est mort dans des combats inextricables. Les nuages aujourd’hui courent en sens inverse. Il lui faut rebrousser chemin, tourner le dos au soleil. Elle remet les pas dans ses pas. À rebours. L’agitation sauvage des geais, toujours à la même hauteur. Elle accélère le rythme de sa marche. Elle rapporte avec elle un nid de mousse, un rameau d’arbouses, un plein sac de rondins de bois abandonnés tout au long de la route.


         Elle pense aux bois flottés qui, peut-être, l’attendent à l’autre bout du ciel.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



       




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  • Carnets de marche. 4

       



    CARNET N.4





    4.


         Elle va à sa rencontre. Trouver sur la route un trou d’ondes vives où la rejoindre. Elle roule. Aura-t-elle eu le temps de lui répondre ? La route est belle, mais peu ensoleillée de ce côté-ci de la montagne. Elle ne l’avait jamais remarqué jusqu’alors. L’adret, l’ubac, où est-ce ? Elle ne sait jamais. Tant de choses lui échappent, dont elle a croisé l’existence, mais dont elle n’a toujours pas les clés. Le vallon du Mulinu di Pendente plonge dans un bain de lumière. Miracle que cette beauté du matin.


         Trop de chasseurs cachés dans les fourrés. Elle décide de rejoindre le coquillage de verdure de Cunchigliu. Elle commence à prendre ses aises, à s’octroyer quelques libertés, à descendre un peu plus bas. Un peu plus loin. La pancarte tordue du « Théâtre de verdure », au milieu d’un champ de cigales. Elle se gare sur la placette, au pied de l’église baroque, et remonte l’allée des tombeaux. Paisible, majestueuse, romaine. À découvert sur son promontoire de rocailles, elle ne risque rien. Vue d’ici, la Tour d’Amour semble être fendue en deux par la moitié. Elle guette d’invisibles assaillants, depuis longtemps anéantis par la marche des jours. Tout est serein et immobile, hors les nuages qui filent par-dessus la crête.


         De loin en loin, le calme dominical est interrompu par les cris de la battue. Aboiements des chiens. Coups de feu qui se répercutent d’un versant à l’autre. Son œil s’arrête sur la volute torsadée qui orne l’entrée d’un tombeau. Élégante, raffinée, la volute tourne et oblique sur elle-même. Elle ferait mieux de regarder où elle pose les pieds. Ne pas oublier qu’elle marche sur un sentier de chèvres. Elle sautille, en route vers son rendez-vous solitaire, secret, silencieux. Son cœur bat comme au temps du premier rendez-vous. Le roulement régulier de la vague, la caresse douce du soleil sur son visage. Le bien-être se dilue dans ses veines de lézard avide de chaleur. Elle goutte la plénitude de ce moment, qui lui appartient. Qu’elle lui offre. Odeurs têtues de menthe poivrée, de thym et de myrte.


         La voix maternelle s’estompe, abandonnée à sa litanie du matin. Elle laisse derrière elle les questions obsédantes du jour. Elle tire la porte sur le discours monolithique de la vieille dame. Les coups de feu accompagnés d’aboiements obsédants se répercutent en écho d’un versant de la conque à l’autre. Elle pense à ce fameux trou qui la tire, elle, de son sommeil et la fait s’asseoir hébétée au milieu de son lit. Cette sensation de béance sans visage, sans représentation aucune. Cette angoisse qui l’envahit à l’étouffer et la maintient suspendue au bord de l’abîme. La question du trou et de son double, la question récurrente du cri. Sol lui a dit qu’elle est clouée, qu’elle ne parvient pas à mettre en mots cette sensation vide de contours.


         Le scintillement des 4/4 sur la route, au-dessus d’elle. Le téton du Cucaru dresse sa pointe argentée dans les contours d’un nuage bleu. La température a fraîchi. Elle laisse les images venir à elle, la traverser sans ordre ni prétention. Elle pense à toutes ces morts qui jalonnent sa vie, certaines minuscules, lointaines, affadies, d’autres au contraire plus vives. Encore une mosaïque de taches sombres ou plus claires à explorer. Des visages surgissent puis s’effacent dans un même instantané. Un archipel de visages trace des pointillés dans sa mémoire. Qu’y a-t-il de commun entre le hameau de la marine, tapi dans la tiédeur du jour, provisoirement clos sur les souvenirs de l’été, et d’autres lieux qu’elle a jusqu’alors habités, investis, aimés ? Qu’y a-t-il de commun entre le clocher du village qui égrène inlassablement les heures, et les rues affairées du Vieux-Lille qu’elle aime à sillonner. Elle déroule le ruban des souvenirs, les déambulations le long des vitrines, ses rencontres, ses étonnements. Les « icônes » de l’enfance, de Claude Louis-Combet, découvertes à travers leurs lectures communes, leurs longues discussions sur les textes de la cruauté. Et sur la poésie d’aujourd’hui. Sujet de litiges, souvent.


         Elle réveille en marchant une couleuvre enroulée sur ses anneaux. L’élégante fuit furtive dans un buisson de ciste, derrière elle. Le tombeau le plus ancien découpe sa silhouette parfaite dans un pan de ciel bleu. Une odeur entêtante de cyprès enveloppe l’allée tout entière, relayée sur la gauche par celle des pins parasols. L’odeur rousse de la résine. Ces odeurs qui sont aussi celles de l’enfance. Plus aucune image ne remonte de ce temps lointain. Peut-être, à force de s’en repaître, les a-t-elle définitivement épuisées ? Elle se promet d’y réfléchir, un jour ou l’autre. Elle cueille un bouquet du maquis. Pour elle ? Peut-être parviendront-elles toutes deux à se parler ?


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



       




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  • Carnets de marche. 3

       



    CARNET N3





    3.


         Attente de la pluie qui uniformise le temps et les jours. Tout un nuancier de gris vogue au-dessus de l’horizon. Elle laisse vagabonder son esprit au fil des nuages au fil du vent. La pluie, cinq gouttes à peine, libère la terre de ses parfums. Comment dire l’odeur du sous-bois, mélange de champignons et de feuilles de chêne ? Comment traduire en mots la flamboyance chromatique de l’arbousier ? Une odeur de coquelicot la surprend au détour de la route. Elle l’accompagne dans sa marche, la sauve momentanément de la déréliction.


         Quand tu dis : « odeur de coquelicot », qu’as-tu dit au juste ?


         Cette sensation de fragrance froissée que tu reconnais pourtant entre mille échappe à toute tentative de définition. Un coquelicot minuscule surgit, timide et frêle, sur le talus. Il dore sa corolle dans le soleil. Une forte odeur de bouse chasse soudain l’odeur à peine poivrée de la fleur. Un cercle de lumière se déplace sur la Punta di Minerviu, qui irradie le diamant de la Mugliarese. Elle bascule dans l’odeur du figuier. Où se situe le seuil d’une odeur à l’autre ? Où se fait le passage ? Par quelles failles et par quels interstices ? Peut-être dans le jacassement des geais. Le figuier maigrelet, défeuillé, jauni, est perdu au milieu des ronciers. Pourtant son parfum rugueux, tenace, envahit l’espace.


         Ils sont là, cachés parmi les chênes, camouflés dans leurs treillis de maquisards. Hirsutes, ils surgissent des taillis où ils sont embusqués depuis l’aube. Des paquets de cigarettes et des cercles de feu de bois jalonnent les talus. Elle n’y avait pas prêté attention jusqu’alors. La « Roche Tarpéienne » déploie son squelette, inquiétant et nu, au-dessus de la route. La Tour de Linaghje, mystérieuse écorchée, émerge un peu plus loin. Elle cherche des yeux, dans l’embrasure de la fenêtre à ciel ouvert, la Haute Dame en mal d’amour. Le pot de basilic qui renferme le crâne de l’amant a disparu depuis longtemps. Et la tour n’offre plus qu’une carcasse esseulée. Les hululements des chasseurs la tirent de son univers de rêverie. Les cloches de l’église de Cunchigliu sonnent à toute volée. Quel jour est-on ? Samedi ? Dimanche ? C’est la fin de la battue. C’est la fin de sa promenade. Elle rapporte dans son sac une provision de petit bois. Une fleur. Son carnet. Quelques mots. Elle sait qu’elle va les lui envoyer. Elle sait qu’elle a trouvé. Que peut-être avec eux va se renouer le chemin de leur échange.


         Elles parlent. Elles parlent de la jalousie. Chacune la leur. Jalousies tues, passées sous silence. Et les autres, celles qu’elles évoquent, à peine, et qui en cachent tant d’autres ! Et s’il ne restait plus, un jour, que la jalousie nue, la cruelle jalousie, la dure et mortelle jalousie ?


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



       




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  • Carnets de marche. 2

       



    CARNET N2(2)





    2.


         L’autre nuit, nuit de brûlure et d’impatience, nuit de torture sans sommeil, une autre a surgi. Agile. Empressée de te prendre au creux des reins. Son sexe impubère riait de ton étonnement. Et ses yeux enjôleurs de divine faunesque grimaçaient entre plaisir et douleur. Elle t’emporte au-delà des couloirs d’Anvers. Elle ouvre des cages de bois dans lesquelles elle se glisse, t’entraînant dans un inévitable corps à corps. D’autres cages plus étroites refusent de vous accueillir. Qu’importe. L’une à l’autre s’enlace. Dans la griserie de l’ivresse partagée, un doigt glisse qui force la chaleur sombre de la chair. Un cri monte vers le ciel qui l’accueille.


         Tu écoutes la chevauchée du vent dans les chênes, doux éclats de lumière entre la trouée des feuilles. Tu écoutes le renflement des vagues et des houles qui se gonflent puis s’apaisent. Chevauchée semblable dans son mouvement de flux et de reflux à la douleur qui sommeille assoupie au cœur des ténèbres. Puis s’enfle et bondit au débotté. Dans l’abri-chêne, ton refuge, tu te laisses bercer par le feulement des branches. Station Anvers ― qui n’a jamais été la sienne ― elle te quitte. Ou plutôt, elle te congédie. D’un geste désinvolte, elle te désigne une silhouette. « Ma mère Ginger Ale. Je ne sais ce qu’elle fait ici. Mais je dois la rejoindre à tout prix. Avant qu’elle ne s’aperçoive de ma présence. Et de la tienne à mes côtés ! »


         Congédiée ! Tu l’es bel et bien ! Renvoyée à ton rocher perdu en pleine mer ! Et te voilà clouée sans dérive au Merchione insensible. Condamnée à attendre. Attendre d’être délivrée ― par quel dieu attentif ? Ou plutôt dévorée ― par quelque aigle des cimes !


         Le vent bruit dans les branches et te prend dans son souffle. De ce bruissement inégal qui enfle puis s’efface, qui se gonfle et coule sur les pentes, le vent soulève la mer en lames infertiles puis son râle t’emporte, vibrante et chaude, vers le soleil.


         « Toute relation est une énigme consentie à l’erreur ». J’ai noté cette phrase mais j’ai omis de noter quel en est l’auteur. Méprisant les lieux que j’aime, je comprends qu’elle me méprise. Quelle présomption de croire que l’autre entrera de plain-pied dans cet ailleurs dont il ne perçoit pas le moindre signe. Ni bruissement ni odeur. Ni passé ni présent !


         Ma solitude m’appartient, amère et douce à la fois. Plus jamais je ne l’offrirai en partage à quiconque. Le vent balaie ciel et mer par rafales. Les nuages effilochent leurs filaments sur les crêtes. Le soleil brûle ma joue. En d’autres temps caresse bienfaisante. Sans doute ai-je rêvé, sans doute n’était-ce qu’illusion ? Il me semble avoir vécu pendant des mois dans le mensonge. Je me suis laissé croire que nous survivrions à mon éloignement. Il me faut ne plus y songer, fermer la parenthèse du passé, de ce passé-là ; déposer là, dans ce creux de roche, les promesses et les fictions, abandonner aux amas de pierres et d’infortunes les gestes de la tendresse et la complicité, faire un tas de tous ces oripeaux ― horribles peaux d’orpailleurs ! ― et les laisser aller au vent.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



       




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  • Carnets de marche. 1



    CARNETS DE MARCHE
    Ph./Image, G.AdC





    1.


         Cinq ans bientôt. Et c’est déjà la fin. Un étau de douleur la tenaille. L’étreint. Elle s’accroche à ses pentes, elle s’accroche à ses cimes ― qui ne lui sont rien. Elle a pensé ― à tort ― qu’elle la bercerait du chant de ses rivages. Un chant qu’elle rejette avec mépris. Rejeté au mépris de la douleur qu’elle lui inflige. Dès lors, la quitter sans bruit. Sans fureur. S’éloigner doucement de celle qui fut, au long de ces années, amie et confidente. Aimée. Tendresse et ruptures. Ne plus penser à elle. Ne plus l’attendre. Ne plus attendre d’écho à sa voix. Ni à son silence.


         Tu comprends maintenant. Cette rencontre de jadis fut une erreur, une voie empruntée pour te détourner de l’autre. L’autre à qui tu as infligé des souffrances pareilles à celles qu’aujourd’hui tu endures. Panser les cicatrices. Recoudre les blessures qui s’ouvrent. Qui suintent de l’écorchement vif où tu les tiens. Construire déconstruire reconstruire. Ne plus rien espérer derrière les silences. Ni parole ni sens. Faire fi de ce qui a jalonné de vie ta propre vie. Fleurs séchées entre les pages. Photos blêmies abandonnées au fil des jours. Coquillages et cailloux. À jamais perdus dans l’oubli. L’oubli qui prend forme dans la douleur. Il n’est plus temps. Il faut chercher ailleurs cette voix qui s’absente. Qui t’abandonne au deuil. Pauvre Ariane laissée sur les seuils de ta rive. Rivée à ton désespoir.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






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