Étiquette : Caroline Sagot Duvauroux


  • Caroline Sagot Duvauroux | [Baie]




    [BAIE]



    Baie. Quelle

    Baie.

    Limbes et l’Aube à Tanger.
    Deux marges de l’enfer

    bougent

    avec cantos roulés d’oubli des bâtisseurs.

    Le canto.
    Galet roulé de socle — ce fut le temps ! —
    Rien de racine : un souffle

    allié du sable et du sel.

    Le façonnier du canto.

    Vent l’ouragan jusqu’Ici
    l’a rodé d’hier à là-bas
    froissant la voix des roches sous

    la peau liftée d’une mesure.

    Tapon d’Avant.

    Scande le terrible, canto, que le rodado rime.

    Versification du perdu : une voix
    passe au temple chu.

    Le chergui chaule une fin de partie

    verse un boisseau de poussière sur l’irrégularité.

    Le zéphyr et la burle ?
    Tombent au chergui.

    C’est un silence que ramasse l’enfant.

    (La tempête en forêt cachait ce qu’un enfant seul cherchait, ramassait, puis cachait à nouveau dans ses pas pour inventer au rapt un chemin jusqu’à ses rêves empêchés. La tempête ? Intrépide, l’enfant s’offrait au ravisseur. Récit.)

    Délivre-moi des traces où j’ai posé les cantos.

    El dit je suis sans trace. Elle dit mes labours à l’écart.

    Me soient moisson dit El. Non, dit-elle, l’âne et le peu de son.

    […]



    Caroline Sagot Duvauroux, Canto rodado, Centre international de poésie Marseille, Collection ‘‘‘Le Refuge en Méditerranée’’’, 2014, s.f.






    Caroline Sagot Duvauroux  Canto rodado





    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX


    Caroline Sagot Duvauroux 2





    ■ Caroline Sagot Duvauroux
    sur Terres de femmes

    L’eau puissante ? (extrait de Aa Journal d’un poème)
    Caroline Sagot Duvauroux, Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    Mais avant (extrait du Buffre)
    [Être serait-il le reflet d’une hypothèse… ?] (extrait de ’j)
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    Le Livre d’El d’où (lecture d’AP)
    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (un autre extrait du Livre d’El d’où)
    Une source (extrait d’Un bout du pré)
    Le Vent chaule (lecture d’AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur remue.net)
    « L’intime dehors » (une conversation du 23 août 2012 avec Caroline Sagot Duvauroux)
    → (sur Ta résonance)
    Cacophonie vs. polyphonie ou la musicalité de tout dans l’œuvre poétique de Caroline Sagot Duvauroux (par Serge Martin)




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  • Caroline Sagot Duvauroux | Une source




    UNE SOURCE




    J’aurais aimé écrire sur Bernard Noël, bien que ce fut souvent fait, mais je ne sais pas, j’ignore pourquoi. L’urgence de l’écouter voir, peut-être. Le regarder prêter l’oreille à ce qui n’a pas encore parlé, à tout ce dont la langue fut coupée, s’insurger contre l’ordre insupportable du monde, contre le saccage d’une bibliothèque palestinienne par le colon.

    Non, pas envie de parler de lui mais avec lui. Et même de ne pas trop parler mais qu’il soit là près d’une fenêtre avec un arbre au moins derrière la fenêtre et tout l’arpentage de l’arbre jusqu’au feuillage et puis le poitrail rouge de l’oiseau d’hiver pour outrepasser le feuillage et s’enfuir du palais des vents qu’avait pour lui bâti l’arbre patient. Ce serait l’aube. Nous regarderions des métaphores d’arbres et d’oiseaux se métamorphoser dans la petite gorge palpitante en quelques notes qui vocalisent vivre. Nous ne dirions pas c’est trop tard ni levons-nous mais peut-être faut-il couper le rameau mort ou bien : laissons-le fabriquer la forêt. Nous irions juste après la porte d’un jardin regarder s’enfuir les graminées de nos enclos. Et nous boirions un verre pour cesser un instant de compter les blessés. La lumière déchirerait la lumière du vin blanc. L’œil éperdu de beau nous volerions cinq minutes camarades à la faillite du monde.

    Je ne lui dirais pas ce qu’il mit en mes mains d’audace ni de grâce, ni que j’ai suivi lettre à lettre et levées de silence, de l’amour à la dissolution d’être, les cascades que son désir remontait, ni que j’ai recueilli de sa voix la parole que l’arc passe au saut des barricades. Je ne dirais rien pour ne pas troubler l’ignorance de l’aube ni surgir. Je sais qu’il écoute surgir.



    Caroline Sagot Duvauroux, « Retour à la prairie », in Un bout du pré, Éditions Corti, Collection « en lisant en écrivant », 2017, page 84.






    Sagot pré 2






    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX


    Caroline Sagot Duvauroux 2




    ■ Caroline Sagot Duvauroux
    sur Terres de femmes

    Le Livre d’El d’où (lecture d’AP)
    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (extrait du Livre d’El d’où)
    [Baie](extrait de Canto rodado)
    [Être serait-il le reflet d’une hypothèse… ?] (extrait de ’j)
    L’eau puissante ? (extrait de Aa Journal d’un poème)
    Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    Mais avant (extrait du Buffre)
    Le Vent chaule (lecture d’AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site José Corti)
    la page consacrée à Un bout du pré, de Caroline Sagot Duvauroux




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  • Stéphane Korvin | [le vent se bombe]



    [LE VENT SE BOMBE]




    le vent se bombe, tous les oiseaux penchent
    ailleurs se renverse

    je bois très fort

    revenu au centre de ta foulée
    je parle le cyrillique des peu

    je tombe un peu, je t’aime un peu

    et toi larme, pente
    tu inventes un nouveau cours d’eau
    le récit d’une fois qui ne décolère pas



    Stéphane Korvin, bas de casse, Æncrages & Co, Collection Voix de chants, 2015, s.f. Dessins de Caroline Sagot-Duvauroux.






    Basdecasse






    STÉPHANE KORVIN


    Korvin_stephane
    Source



    ■ Stéphane Korvin
    sur Terres de femmes

    [on déplace les muettes] (poème extrait de Noise)



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Stéphane Korvin
    → (sur le site des éditions Æncrages & Co)
    la page de l’éditeur consacrée à bas de casse de Stéphane Korvin





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  • Emily Dickinson | [We learned the Whole of Love]




    [WE LEARNED THE WHOLE OF LOVE]



    We learned the Whole of Love —
    The Alphabet — the Words —
    A Chapter —then the mighty Book —
    Then — Revelation closed —

    But in each Other’s eyes
    An Ignorance beheld —
    Diviner than the Childhood’s
    And each to each, a Child —

    Attempted to expound
    What neither — understood —
    Alas, that Wisdom is so large —
    And Truth — so manifold!






    [NOUS AVONS APPRIS L’AMOUR TOUT ENTIER]



    Nous avons appris l’Amour tout Entier —
    L’Alphabet — les Mots —
    Un Chapitre — puis le grand Livre —
    Puis — la Révélation s’est refermée —

    Mais dans les yeux de l’autre
    Une Ignorance observait —
    Plus divine que celle de l’Enfance
    Et l’un pour l’autre, un Enfant —

    Tentait d’expliquer
    Ce qu’aucun de nous — ne comprenait —
    Hélas, que la Sagesse est si vaste —
    Et la Vérité — si variée !



    Emily Dickinson, Nous ne jouons pas sur les tombes, Éditions Unes, 2015, pp. 26-27. Traduit de l’américain par François Heusbourg. Avant-propos de Caroline Sagot Duvauroux [ouvrage à paraître le 15 septembre 2015].






    ____________________________

    NOTE DE L’ÉDITEUR : difficile d’aborder l’œuvre d’Emily Dickinson, qui n’a jamais composé de recueil, et dont les 1 800 poèmes sont répartis sur une période de 30 ans. Durant cette vaste période, son écriture et ses préoccupations changent, certains de ses proches disparaissent, sa santé s’altère… ce qui rend délicate l’appréhension de cette œuvre qui ne semble pouvoir s’approcher que frontalement.

    L’éditeur a pris ici le parti de présenter un choix de poèmes recueillis dans les limites arbitraires d’une année d’écriture, ici 1863, qui est l’année la plus productive de l’auteur. La sélection publiée, organisée comme un véritable livre et non pas comme une succession de textes, comporte une soixantaine d’entre eux (sur les 300 écrits dans la période) réunis par la proximité de leurs thèmes : la solitude, les limites de la mortalité humaine, la vie quotidienne dans une petite ville de province, et ce dialogue si particulier qu’Emily Dickinson entretenait avec ce qu’on pourrait appeler ses lecteurs invisibles, quelque part entre la confession, le journal et la correspondance. Il naît un trouble au fil de la lecture, comme un rapport d’exclusivité entre l’auteur et le lecteur, la sensation d’une relation de l’un à l’autre ; une voix qui chuchote par-dessus le temps et dont la vitalité intime ne s’altère pas.






    Couverture Dickinson



    EMILY DICKINSON


    Emily Dickinson Guidu
    Image, G.AdC





    ■ Emily Dickinson
    sur Terres de femmes


    10 décembre 1830 | Naissance d’Emily Dickinson
    15 mai 1886 | Mort d’Emily Dickinson
    [As imperceptibly as Grief]
    [Je compte]
    Quatrains
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Emily Dickinson (+ Lettre à Thomas W. Higginson)





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  • Caroline Sagot Duvauroux | [Être serait-il le reflet d’une hypothèse… ?]




    Sagot Des mots un peu vides cherchent un ordre de bataille autour du vide.
    Ph., G.AdC







    [ÊTRE SERAIT-IL LE REFLET D’UNE HYPOTHÈSE… ?]




    Être serait-il le reflet d’une hypothèse qui comprend le toucher la vue ou l’ouïe ? seul je touche et voit puis nous buvons au reflet


    Je fut-il le verbe d’aime dont tu fut le sujet ?


    Et peut-être d’aller car nous allions plutôt que nous n’étions


    Se taire ? je se taisant ne tait pas grand-chose d’autre qu’aller si du moins grand-chose fut aller


    D’œil et d’oreille et d’aventure
    si d’aventure nous fûmes


    Restait un corps, écrit Dumas à la fin de Bragelonne, dieu avait rappelé les âmes


    Des mots un peu vides cherchent un ordre de bataille autour du vide. Serait-ce l’absence ?


    L’absence peut-elle ce que la présence récolte à la syntaxe ?


    Tu, ne sera jamais dit je. Jamais !


    Tu oriente, je va. Tu est un nom je n’est qu’un verbe. Tu implique je qui n’implique pas tu. Tu est un nom, je nomme. Je est un pronom que tu prénomma. Je t’ai nommé tu. Tu ne m’as pas nommée je. Tu est le lieu que je légenderait en disparaissant. En tu j’appareille, en je tu échoue


    Racontait-il

    Tu est le nom de ta mère et de mon fils. Je n’est rien sans naître. Tu existe, je naît

    Racontait-il

    Car je transite jusqu’à tu. Dans la transitivité inversée de tu m’existe d’exister

    J’éclate l’orage mais tu tombes la foudre

    Sinon tombe la foudre

    Racontait-il

    La foudre gouverne

    Reprenait-il

    Faut-il cesser d’écrire quand
    on n’a plus qu’une chose à dire ?
    Non, si tu peux la dire
    Je ne peux pas la dire
    Alors tais-toi
    Non


    Il faut bien épuiser le sujet pour qu’entre 2 soubresauts, un narrateur accueille les tribus d’Omega et même s’il sait que les épreuves sont plus complexes que les éventualités, il faut bien qu’il raconte encore ou alors. Il vient de si loin


    Prends place, narrateur, je l’altéré définitif nous débouche une bouteille à Tanger



    Caroline Sagot Duvauroux, ’j, Editions Unes, 2015, pp. 58-59-60. Vignette de couverture de Claude Royet-Journoud.





    JSagot Duvauroux





    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX


    Caroline Sagot Duvauroux 2




    ■ Caroline Sagot Duvauroux
    sur Terres de femmes

    Le Livre d’El d’où (lecture d’AP)
    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (un autre extrait du Livre d’El d’où)
    L’eau puissante ? (extrait de Aa Journal d’un poème)
    [Baie](extrait de Canto rodado)
    Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    Mais avant (extrait du Buffre)
    Le Vent chaule (lecture d’AP)



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  • Caroline Sagot Duvauroux | L’eau puissante ?



    L’eau puissante ?

    Que sait-elle du fracas qui l’attend ? N’est-elle puissante que pour ce fracas-là si le fracas ne s’attend de la puissance ˙ Mars à fracas le ventre est sourd le mois de mars ˙ La boue remonte champs ardents˙ Toutes les choses sont belles toutes les choses sont loin ˙ Entre elles et moi le malaisé la grande envie d’enlisement ˙ Dans l’eau profonde les rives c’est trop loin ˙ On a roulé le long d’un quai ˙ Pas vu l’enfant décapité sous les brindilles ˙ Tu mens tu t’arranges ˙ Quelle drôle de honte confuse et vindicte ˙ Non pas le pas qui manque le joli pas dont on fait le poème ˙ Non, le loupé le petit truc faux et l’énorme tristesse ˙ Un scrupule dans l’eau puissante ˙ Va-t-elle éternellement se briser sur le même rocher ? que l’écume voudrait remonter pour aller dire à l’eau puissante arrête-toi un barrage est à deux pas ˙ Ça coule de source et ça grossit jusqu’au barrage et se brise ˙ L’énorme ça qu’on barre ˙ On devient barrage que ça submerge et ne renverse pas ˙ On devient barrage maigrissant pour ça qui coule peur puissante et langue emportée qui s’écroule dans une flaque ˙ Le requin si je tends la main ˙ Il faut se taire mais peut-on répéter sans cesse il faut se taire dans le fol enchaînement du torrent ˙ L’âme est la peur augmentée du rêve qui sait que la peur est juste et que le silence est part close de la peur qui ne sait plus déborder jusqu’au défi ˙

    Que dit l’herbe pointue du silence qui annonce
    l’orage ?




    Caroline Sagot Duvauroux, Aa Journal d’un poème, Éditions José Corti, 2007, pp. 95-96.






    Caroline Sagot-Duvauroux, Aa Journal d'un poème, José Corti, 2007.





    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX


    Caroline Sagot Duvauroux 2





    ■ Caroline Sagot Duvauroux
    sur Terres de femmes

    [Baie](extrait de Canto rodado)
    [Être serait-il le reflet d’une hypothèse… ?] (extrait de ’j)
    Le Livre d’El d’où (lecture d’AP)
    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (un autre extrait du Livre d’El d’où)
    Caroline Sagot Duvauroux, Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    Mais avant (extrait du Buffre)
    Une source (extrait d’Un bout du pré)
    Le Vent chaule (lecture d’AP)



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    → (sur le site José Corti)
    la page consacrée à Aa Journal d’un poème de Caroline Sagot Duvauroux
    → (sur remue.net)
    « L’intime dehors » (une conversation du 23 août 2012 avec Caroline Sagot Duvauroux)
    → (sur Ta résonance)
    Cacophonie vs. polyphonie ou la musicalité de tout dans l’œuvre poétique de Caroline Sagot Duvauroux (par Serge Ritman)




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  • Caroline Sagot Duvauroux, Le Livre d’El d’où

    Caroline Sagot Duvauroux, Le Livre d’El d’où,
    Éditions Corti, 2012.



    Lecture d’Angèle Paoli




    PORTRAIT DE  CAROLINE SAGOT DUVAUROUX
    Image, G.AdC







    UNE VOIX, DU PROFOND DU THYMOS



    Ouvrir un livre de Caroline Sagot Duvauroux, c’est se lancer à la rencontre d’une énigme, accepter de « se délivrer de l’étreinte du logos ». Accepter de s’affronter à la multiplicité des formes, des équations déroutantes, des inventions et bifurcations que prend le texte en cours de lecture. Accepter de se laisser dérouter, porter et déporter. Déconcerter.

    Énigme ? Le titre, Le Livre d’El d’où, n’en est-il pas une à lui seul ? Musical ― s’agit-il d’une chanson enfantine, d’un jeu d’onomatopées bondissantes d’un Dé à l’autre ? ― D’El/D’où ―, ce titre est grammaticalement inclassable : s’agit-il d’une affirmation ou au contraire d’une interrogation ? Qui est El, se demande le lecteur ? Est-il une nouvelle épiphanie ? Semblable à celle de ce Dieu caché dans le prénom Emmanuel ou dans celui des archanges Michel et Gabriel ? Est-ce un livre d’inspiration divine, dans la lignée du Livre d’Ezéchiel ? Un prolongement du Livre d’Isaïe ? Ou peut-être de celui de Judith ou de Ruth ? D’où vient El ? D’où vient-elle ? Elle, Caroline Sagot Duvauroux ?

    À feuilleter les pages du livre, on s’aperçoit qu’il est conçu tout d’une traite, sans sections internes qui en ralentiraient la marche, en déstructureraient le rythme, en briseraient le souffle ou en affaibliraient le « thymos ». C’est qu’avec Caroline Sagot Duvauroux, on se trouve en effet dans le souffle. Sa phrase suit à l’écrit la même force que sa parole. Pythique. Rien n’arrête la houle des mots, si ce n’est la ponctuation particulière qui anime les pages, ouvrant sur d’autres perspectives, d’autres traverses et d’autres vagabondages de lecture. Toute une mosaïque de signes ― pyramides de points et virgules, irruption de croches et de silences, sans parler des signes isolés comme « , y ! » ― ponctue la surface de la page et crypte le texte. Différents pavés de textes ayant leur typographie spécifique, bribes grammaticales, listes de conjonctions, locutions, prépositions, amorces d’alexandrins raciniens ― « sans que de tout le jour » ―, diversement espacés, isolant bien les paragraphes, jouent leur propre partition. Certaines expressions sont composées en douces lignes ondulées (« entre l’Afrique et l’Andalousie », p. 155) ; des clapotis de mots hésitants, onomatopéiques, cherchent leur origine lointaine dans les terres arides et aimées du « causse millénaire ». Une réflexion sur la mise en espace dans le périmètre de la page, sur son animation en dehors des mots, préside à l’écriture. Texte pictogramme, texte cryptogramme.

    Dédié à une mystérieuse équivalence : « à = toi », Le Livre d’El d’où s’ouvre sur le pictogramme « d’où », ― que l’on pourrait lire « j’ai » (en raison d’une transcription hésitante ou maladroite). Les premières lignes de l’incipit du récit (ou du poème ? Caroline Sagot Duvauroux n’en est pas elle-même très sûre) livrent la réponse quant à l’énigme posée par ce titre : du tatouage porté sur l’avant-bras gauche de M. naît Le Livre d’El, El, syllabe finale du prénom MichEl.

    Caroline Sagot Duvauroux ancre à Tanger [résidence cipM, en collaboration avec l’Institut français Tanger/Tétouan, septembre-octobre 2011] le point de départ de l’écriture de son dernier ouvrage, « un an après la mort de celui qui incarna » pour elle « la force et la faiblesse d’amour, j’ai d’où, c’est lui. » Tout ce que possède désormais la poète tient dans ce signe « sésame », et c’est à partir de ce signe qu’elle se lance à la recherche d’El, de sa voix et de leur histoire, même si, comme elle le confie :

    « Il faut du temps pour qu’une voix lève d’une
    autre voix qui est sienne pourtant ».

    En amont du Livre d’El, un autre livre, Le Buffre (Barre parallèle, 2010), consacré au pays dans lequel s’origine l’écriture, lieu-dit « battu par les vents », sur le Causse Méjan, auquel se raccroche le travail des femmes. De lui à elle ; d’Elle à El, le lien se tisse du Buffre au Livre d’El :

    « Tanger. J’y suis. Programme de bulbe : dessiccation des feuilles mortes, poche à poussière, sac à dos vissé par l’œil à l’Espagne des châteaux d’autres. Sur la montagne après la mer on voit deux lacs ― verts ― fixes ― dans un paysage de mâchoires. Je dirai les visages aux abords du Buffre. Celui d’après cueillette quand le vent résonne au beffroi. » Beffroi, buffre ? Un même mot pour dire la « langue védique » du vent.

    Et, quelques pages en amont :

    « D’où annonce le livre d’El que le buffre tient relié par ses ruptures à la besogne d’un qui est moi. Ni plus ni moins. » Et la poète de définir en quelques mots, liée à la rencontre de sa vie, l’entreprise qui est la sienne : « Un jour, un homme, la terre, le monde, et raconter. »

    Amour et mort, ― « cette rengaine » contre laquelle Caroline Sagot Duvauroux se rebiffe ―, Le Livre d’El est né de cette blessure, prolonge par l’écriture l’être ensemble de l’un avec l’autre. De baie en baie, comme « par défaut », le livre se construit, qui mêle tout le désordre du présent du passé dans la même métaphore inventive :

              « D’où :

               Buffres, bulbes, baies et baies, la douleur est
                akène. Ai-je dépassé par inadvertance la
               lettre A[nseaume] ? Non, je la retrouve indéhiscente,
               petite drupe roule encore, veux-tu, du ficus
               jusqu’à !

    d’où :

    et

                                                                                        par inadvertance

    non encore



                                                                              oui t’appartient »

    moment d’achèvement du livre, ainsi défini : « Mon année dans la baie de personne. » D’ailleurs, « quel intérêt de raconter tout ça », s’interroge la poète, perdue dans le « piétinement effaré » de ce qui ne parvient pas à se dire ?

    Pourtant, le livre d’où poursuit son aventure, poussé par la nécessité d’assembler, de rabouter une forme à une autre, de pousser plus avant le geste et la voix. « Comment dire ? Cela crie mais ne dit plus rien », écrit Bernard Noël que Caroline Sagot Duvauroux cite en exergue de son ouvrage. Derrière le maître, sous son égide, la poète cherche. Elle égrène sur la page des mots vides de sens – comme jamais / jusqu’à / pourtant / ou bien… –, par respect pour tous ceux qui croient « qu’entre les conjonctions du récit, des choses pouvaient se dire ». Elle prélève dans le texte principal des mots qu’elle dépose sur la page en regard, écho affaibli, « matériaux » épars, disséminés par la tempête du dire.

    Chemin faisant, la poète fait appel à d’autres « bulles », tracte derrière elle d’autres histoires ou d’autres moments de la même histoire, s’abandonne à ses doutes, replace El au centre, langue de douleur et de désespoir :

    « C’est tout qui manque. Je ne peux franchir la chose derrière quoi tout se cache. »

    Avec le retour à Crest, la langue s’enivre de son mystère. La poésie s’élance qui gagne en fureur et en fulgurances.

    « Chaque souffle invente une forme qui en épouse une autre pour les mille et unes nuits de l’oiselle. Au palais des quatre vents chaque histoire invente une autre histoire. »

    Illusoire et trompeuse, la phrase est au cœur de la traque. S’égarant dans ses propres bifurcations, elle s’enroule sur elle-même, semeuse de tant de sens épars qu’il lui faut chercher « sur les terres battues de vent, le silence qui la défera de phrase »… La phrase devient être à part entière, « elle court et s’emballe », pareille à El, « tension vers », « corps accueillant » le cœur de l’âme. « Core soul ».

    Quant à El, tour à tour prince, torero, champion de tennis (« Game Nadal »), El, le héros, l’unique, le pirate devient El Buffre, parfaite symbiose avec le paysage aimé du Causse. Dans ses moments de pure incandescence, Caroline Sagot Duvauroux se lance dans des conversations-dialogues entre El, le torero velu au tatouage d’où qui accueille en lui le taureau, et Elle, la rainette verte. Une voix de gorge sourd alors du profond du thymos. Une voix où être, une fois que le terrible a eu lieu, dans la survivance du prince vaincu. C’est là, dans l’ampleur de ces admirables échanges, que le texte atteint sa plus émouvante beauté.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Sagot Duvauroux Le Livre d'El





    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX


    Caroline Sagot Duvauroux 2




    ■ Caroline Sagot Duvauroux
    sur Terres de femmes

    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (autre extrait du Livre d’El d’où)
    [Baie](extrait de Canto rodado)
    [Être serait-il le reflet d’une hypothèse… ?] (extrait de ’j)
    L’eau puissante ? (extrait de Aa Journal d’un poème)
    Caroline Sagot Duvauroux, Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    Mais avant (extrait du Buffre)
    Une source (extrait d’Un bout du pré)
    Le Vent chaule (lecture d’AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site José Corti)
    la page consacrée au Livre d’El d’où, de Caroline Sagot Duvauroux
    → (sur Ta résonance)
    La douleur, la phrase : le poème d’où (avec Caroline Sagot-Duvauroux)[par Serge Martin]
    → (sur remue.net)
    « L’intime dehors » (une conversation du 23 août 2012 avec Caroline Sagot Duvauroux)
    → (sur Ta résonance)
    Cacophonie vs. polyphonie ou la musicalité de tout dans l’œuvre poétique de Caroline Sagot Duvauroux (par Serge Martin)




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  • Caroline Sagot Duvauroux | [La poésie ne traduit pas]



    Est-ce une énigme.
    Triptyque photographique, G.AdC







    [LA POÉSIE NE TRADUIT PAS]



    La poésie ne traduit pas. Parle avec l’arbre. Protège l’énigme. Est-ce une énigme ? Une courte vue peut-être qui cogne aux choses et ripe. Un mystère. Une ignorance pour mystes. Ne peut sortir de naître. Ne peut quitter n’être. Pleure ou caracole et c’est pareil. Du presque rien qui noie le poisson carnassier le temps qu’on dit qui va. Quand il vient. C’est nous le lieu : maintenant. Puis les poissons cèdent. Main ne peut plus tenir.

    Le verdict.
    Au suivant !




    Caroline Sagot Duvauroux, Le Livre d’El d’où, José Corti, 2012, page 77.





    Sagot Duvauroux Le Livre d'El





    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX


    Caroline Sagot Duvauroux 2




    ■ Caroline Sagot Duvauroux
    sur Terres de femmes

    Le Livre d’El d’où (lecture d’AP)
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    L’eau puissante ? (extrait de Aa Journal d’un poème)
    Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    Mais avant (extrait du Buffre)
    Une source (extrait d’Un bout du pré)
    Le Vent chaule (lecture d’Angèle Paoli)



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  • Caroline Sagot Duvauroux | Mais avant


    Ciel d-vorant un bout du calcaire ou lames de mer recrach-es par les portes min-rales et s-ch-es illico par les vents tranchants.
    Ph., G.AdC






    MAIS AVANT



    Mais avant


    L’apocalypse a tournoyé sur le plateau mais quoi révéler sur une main nue retournée. S’en est allée révéler l’avalanche aux jeunes glaciers. Il n’y a rien à révéler, là, c’est fait. Des simples, et la Vieille posée toute montrée, mamelles et fente, avec dressés très nus des désirs monstrueux. L’épaisse croûte a berné les apocalypses. C’est là que le dragon s’est réfugié. S’est enfoncé parmi les dracs et les saintes. Sous les mains voleuses des chardons baromètres et les cheveux d’ange qui parapentent dans le vent, se tordent et se détordent sur le Buffre et plantent leur légèreté renouvelable de la pointe d’une plume. C’est un fruit de plume. Malin. Le Buffre signifie battu des vents, c’est là qu’on a dégotté la piaule pour qu’elle raconte. Pour que la parole cherche avec nous ce qu’on peut bien chercher ici et elle aussi. S’est enfoncé le dragon dans le Méjan avec la complicité de la Vieille turpide, laissant à l’air libre un trou feuilleté par les nuages. Le livre d’heures de son ermitage. Dans le cul du monde. Dessus le Villaret. Une bibliothèque de pierres tranchées page à page par l’érosion d’un grand récit inutile à redire. Ciel dévorant un bout du calcaire ou lames de mer recrachées par les portes minérales et séchées illico par les vents tranchants. Le tout parfaitement anonyme. L’érigne d’angoisse et les crocs de folie s’émoussent sur l’anonyme. Seul l’anonymat fait des miracles. Quand un petit futé d’église retrouve au XIIIe siècle la tombe anonyme d’Énimie, c’est fini les miracles. Sont remplacés par un nom de sainte et le pouvoir de l’église sur l’économie.

    On écrit parce que tout est là qui dit avec le silence en plus. On écrit parce qu’on n’a plus besoin de dire et que j’écris dit j’y suis. La vie n’est pas en moi je suis en vie, je trace mes bords dans le sens inconnaissable parmi les os blanchis par l’eau trimère, l’adonis d’été comme une goutte de sang venue d’orient, le dompte venin, la grande rue, l’œillet rose et les sépultures. Les filles qui ramassent la lavande autour de ce fracas-là ont les jambes griffées de grimoires. Mais la nuit est trop sombre au retour de lavande pour qu’elles déchiffrent aux griffures le grimoire. Peut-être n’y pensent-elles pas. Elles ont faim. C’est pourtant ce qu’elles cherchent, la trace sur elles de vivre et son étrange amour de mourir.



    Caroline Sagot Duvauroux, « 20 au 20 juillet 2009 », Le Buffre, éditions barre parallèle, Barre-des-Cévennes, 2010, pp. 26-27.







    LE BUFFRE





    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX


    Caroline Sagot Duvauroux 2




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    [Baie](extrait de Canto rodado)
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    L’eau puissante ? (extrait de Aa Journal d’un poème)
    Caroline Sagot Duvauroux, Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    Le Vent chaule (lecture d’Angèle Paoli)
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    Le Livre d’El d’où (lecture d’Angèle Paoli)
    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    Une source (extrait d’Un bout du pré)
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    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (un autre extrait du Livre d’El d’où)



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  • Caroline Sagot Duvauroux, Le Buffre

    Caroline Sagot Duvauroux, Le Buffre,
    éditions barre parallèle, Barre-des-Cévennes, 2010.



    Lecture de Tristan Hordé



    Mejean
    Ph., G.AdC





    REFUSER, MAIS DIRE OUI



          Les titres de Caroline Sagot Duvauroux surprennent toujours — l’avant-dernier Le Vent chaule (Corti, 2009), maintenant Le Buffre —, choisis comme pour rappeler qu’un livre n’a pas à séduire avant que la lecture en soit commencée. On se plaît à rapprocher « buffre » de « buffle », d’une animalité qui évoque les espaces mal définis de la savane, il s’agit cependant d’autres espaces, ceux où a été construit un hameau sur le causse Méjan (entre Sainte-Énimie sur le Tarn et Meyruels sur la Jonte), et son nom signifie, écrit l’auteur, « battu par les vents ». Rien d’exotique donc dans ce livre, ô combien dérangeant par ailleurs.

         Il faut s’attarder sur les premières pages qui se présentent comme fragments d’un journal, daté “juillet 2007”. Il y est d’abord question de la coupe d’un frêne, non décrite mais donnant lieu à un travail jubilatoire de la langue ; on part de la sève de l’arbre pour y associer naissance et mort : « […] Jusque-là nous avons été jusque-là vomir l’urine d’un frêne pleureur. La rendre aux divers deuils, aux divers seuils. Saler les prés du bord des mères. Important. Mourir un peu. Important. Sûr et certain. Son départ chacun. On a fait. L’eau s’est retirée du corps par l’entaille du frêne et des mères. […] » Cela se poursuit par un emportement maîtrisé qui entraîne le lecteur à tordre les mots, ici mot-valise (accroupion) et concaténation (tientiens), à saisir un rythme dans le temps : l’avenir (« On va aimer quelqu’un demain. Mais on n’en sait rien »), le passé (« Avec de l’autrefois plein les mains du jour ci-devant ») et le présent, soigneusement daté : « 11 juillet 2007, 8 heures, on rase la Picharlerie » ; il s’agit d’un hameau que le propriétaire préfère voir disparaître plutôt que de le savoir habité par des « utopistes marginaux ».

         Entre ce premier ensemble et les cinquante pages à venir, un lien reprend les motifs esquissés, la violence (ce qui est vécu en Palestine), les lieux où l’on se reconstruit (« De la déroute à la transfusion. Le Méjan »), le passé, soit l’enfance et les contes à partir des deux premiers vers réunis de la légende de saint Nicolas : « Ils étaient trois petits enfants qui s’en allaient glaner au champ // Sont emportés par l’épervier / Sont déposés sur le Méjan /  », etc.

         Les pages liées au Buffre sont datées, “20 au 29 juillet 2009”. On pourrait les lire comme un journal, puisque des actions y sont rapportées, assorties de réflexions ; on les lit immédiatement comme une longue prose partagée en séquences inégales, coupée par des ensembles en italique — vers séparés par des barres (/) et liés au causse — et par des communiqués en anglais sur les opérations à Gaza. Longue prose : on dirait aussi bien “longue poésie”, la distinction n’ayant guère de pertinence, ici comme chez d’autres écrivains. Au départ de ces pages, il y a une résidence en juillet parmi les femmes qui récoltent la lavande sauvage sur le causse Méjan, diverses plantes à d’autres saisons. Au départ encore, le saisissement d’être dans le paysage du causse : « Il n’y a rien c’est ici. L’admiration s’effare. On a quitté la pensée. Les mots tremblent dans des confins ». C’est ce “rien”, cette nudité que Caroline Duvauroux explore.

         Le causse lui apparaît comme un paysage de mythologie, façonné par le feu et l’eau associés, et la phrase le fait éclater, le rend au vif sans qu’il soit décrit : « L’eau sourd pure, expulsée de mille ans d’ordalie par le feu. Elle se propulse de la forge à toujours pour enfin mourir d’air et de ciel. Elle a emporté l’allure du feu, c’est un torrent, [etc.] ». Pas de description non plus au long des cinquante pages, car comment narrer qu’« on est avec les pierres et les oiseaux, on est dessus, dans, parmi et dessous ». Mais si le refus du récit est évident, n’est pas gommé ce pourquoi les lavandières, ou le berger, sont là, pour un travail difficile, fatigant, mal rémunéré pour ces « pieds de gagne-misère ». Ne sont pas plus oubliés les conflits hors du causse : ce n’est pas un hasard si le livre s’achève par une lettre de Clémentine, rapportant à Caroline un épisode de sa vie en Palestine ; la lettre se termine par une remarque que l’auteur pourrait appliquer au causse Méjan, « je n’arriverais pas à t’expliquer cette atmosphère, ces moments vécus ça et là, c’est inestimable. »

         Parmi ces moments vécus sur le causse, il y a le partage de la vie des lavandières et la très vive attention à ce qu’elles font, à leur manière d’être entre elles sur le plateau, aux épisodes de leur vie qu’elles échangent, elles qui « savent la complexité des relations et que savoir ne change rien qu’attiser le mystère. » Les histoires d’enfance qui resurgissent, celle de l’enfant qui veut aller voir “là-bas”, mais il n’y a rien à voir lui dit la vieille femme : « On a passé l’enfance à convoiter ce rien. On y est. L’enfant c’est moi. Rien est imprenable quelle délivrance. Rien vous tient. » Les légendes autour de sainte Énimie. Une nature qui réduit les hommes à ce qu’ils sont, passagers éphémères, tous dans l’oubli, mais aussi une nature où, pour l’auteur, tout pourrait recommencer, s’inventer tant elle semble autre dans sa nudité, à l’abri du reste du monde.

         D’une certaine manière, le causse symbolise pour Caroline Sagot Duvauroux ce qui, à l’écart, refuse le système marchand et sa violence et, en même temps, l’espoir d’une autre façon de vivre, le oui au vivant. Refuser mais dire oui, cela pourrait résumer ce qu’est Le Buffre. Ce qu’est la poésie : « Éclabousser la langue d’un oui qui refuse, d’une puissance innommable. Le conflit et le gré. Si tout s’articulait de penser, la poésie serait inutile. La poésie cherche à inarticuler l’énigme de parler ». “Programme” d’une grande exigence, celle à l’œuvre par exemple chez deux auteurs présents dans Le Buffre, Novalis, par une citation, et Beckett, par un titre (Malone meurt).


    Tristan Hordé
    D.R. Texte Tristan Hordé
    pour Terres de femmes







    LE BUFFRE







    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX


    Caroline Sagot Duvauroux 2




    ■ Caroline Sagot Duvauroux
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    Mais avant (extrait du Buffre)
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    Le Livre d’El d’où (lecture d’Angèle Paoli)
    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (un autre extrait du Livre d’El d’où)
    Une source (extrait d’Un bout du pré)
    Le Vent chaule (note de lecture d’Angèle Paoli)



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    → (sur remue.net)
    « L’intime dehors » (une conversation du 23 août 2012 avec Caroline Sagot Duvauroux)
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