Étiquette : C’est bien ici la terre


  • Dominique Sorrente, C’est bien ici la terre

    par Laurence Verrey

    Dominique Sorrente, C’est bien ici la terre,
    Éditions MLD, 2012.
    Préface de Jean-Marie Pelt.



    Lecture de Laurence Verrey


    Une fois par éternité on voit surgir un passage lumineux qui nous désigne
    Ph., G.AdC







    UN CORPS QUI TIENT LE PAYSAGE





    Dominique Sorrente est un marcheur d’infini sur la sente des mots. Prendre la route avec lui, c’est s’exposer au vertige de tous les possibles, aux mille tours d’un langage qui toujours surprend. Renoncer à ce qu’on croyait connaître du monde pour s’abandonner à la superbe liberté d’une parole qui semble naître à mesure. Le poète lève des formules secrètes, saute d’une rive à l’autre — avec ou sans passerelle —, il interpelle les lettres qui font signe, cherche une vérité où se poser pour reprendre souffle, et s’en va plus loin sans s’attarder ni s’appesantir. Et voilà l’esprit entraîné. Car le pouvoir de cette poésie est d’emporter. Sur les traces d’un monde perdu-trouvé entre points de rupture, de fuite, et temps d’équilibre fragile, de sérénité provisoire. D’entraîner à voir. Rimbaud disait : « Je travaille à me rendre voyant. » Dominique Sorrente fait apparaître un espace, un temps sauvé, qui est lieu d’exercice du regard.

    C’est bien ici la terre, son dernier recueil poétique, témoigne d’une conscience aiguë de la vitalité et de la précarité des choses. En alliance avec elles, une langue audacieuse et mobile, bondissante et prodigue — vigueur, légèreté, autonomie des images, comme détachées — donne à voir les mouvements incessants de la pensée, attentive à une planète-terre menacée, vulnérable, mais qui remue encore pour qu’on n’enterre pas les vivants dans un destin à bout de souffle. Comme l’annonce le titre, et à la différence de poèmes antérieurs jetés comme des îles en pleine mer, c’est ici qu’est la terre. Cette matière archaïque, inerte, muette en apparence avec ses gouffres, son énergie sombre, ses tragédies et ses consolations, la pleine terre où sont les morts, c’est elle que le poète vient ausculter, dans les rythmes d’une langue sans nom. C’est ici, nulle part ailleurs, dans le balancement immuable du jour et de la nuit, qu’on peut l’interroger, cette grande métisse du dedans qui ouvre au chant vertical :


    « Pour qui danse encore

    cette moitié d’ombre ? »


    Pour retrouver le souffle perdu des commencements, nulle autre arme que celle de la parole, qui coule irrésistible. Que ces mots sans racines, mais qui connaissent la profondeur sous l’écorce. Et quel pays gagné, quel partage, quel avenir pour les Enfants de demain ? N’est-ce pas à eux que nous empruntons la terre, selon les mots de Saint-Exupéry ? Eux qui déjà réclament leur part d’héritiers, puissent-ils être de ces clairvoyants épanouis par l’immense, et qui transmettront à leur tour à leurs enfants le feu et la fleur, le secret au milieu des arbres.

    Recueil de la maturité, souverain et léger, doué d’un feu d’abondance, d’une énergie puisée aux entrailles de la terre. Dans les plis des ombres ou des vents. En neuf chapitres, la voix s’élève et va son chemin inépuisable. Après la « Lettre en rebord du monde », le poète entonne la « Chanson pour une amande ». « Par le point de fuite du cœur, le manuscrit du souffleur de verre, ou par l’enfant à plusieurs voix, quand donc l’amande surgira, ainsi soit-elle ». Voilà le lecteur au cœur du laboratoire secret où les trouvailles de langue dans leur détermination heureuse se mêlent, comme des eaux venues de toutes parts. Et ce courant qui va changeant et résolu, affirmant ses rébus et ses lois, se fraie passage, un mot qui est l’une des clés de l’univers de Dominique Sorrente :


    « Une fois par éternité on voit surgir un passage lumineux

    qui nous désigne. Il ne faut pas le manquer.

    Le temps de nous frôler, il sera reparti. »


    Que ce soient les saisons du bout du monde, le fleuve, le vert en sa seconde vie, ou le printemps beau joueur, toutes choses prennent instantanément vie, l’inéluctable trouve une forme d’espérance, l’instant donne naissance à une respiration, les strophes se succèdent en appels et rencontres pressenties. Et si l’égarement a lieu, dans le dédale des idées, au dernier coude du labyrinthe hermétique, une échappée s’offre, une ouverture sur l’étonnement, une révélation subite. Alors le dissimulé s’éclaire, éclate en une loi simple.

    Le recueil se clôt sur un dernier chant d’entre deux mondes, « Esquisse pour la vivante ». Entre gisants et amoureux, la vivante, terre ou amante, est flamme, et le poète, vie sauve, un corps debout qui tient le paysage.



    Laurence Verrey
    D.R. Texte Laurence Verrey
    pour Terres de femmes





    DOMINIQUE SORRENTE


    Domnique_sorrente
    Source



    ■ Dominique Sorrente
    sur Terres de femmes

    [À défaut de livre, au moins cette promesse de poème] (poème extrait d’Il y a de l’innocence dans l’air)
    C’est la terre
    Écueils
    J’écris comme on décide par fragments
    [je suis celle qui se voue à la flamme] (extrait de C’est bien ici la terre)
    Je t’envoie ma chanson des jours bleus
    Le temps sans rideaux
    [L’humeur est passe-partout] (extrait de Tu dis : rejoindre le fleuve)
    Pays sous les continents
    [Les rideaux] (extrait des Gens comme ça va)
    Le Scriptorium | Portrait de groupe en poésie



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Scriptorium de Marseille)
    un Portrait de Dominique Sorrente





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  • Dominique Sorrente |
    [je suis celle qui se voue à la flamme]




    Je suis un corps debout qui tient le paysage...
    Ph., G.AdC






    [JE SUIS CELLE QUI SE VOUE À LA FLAMME]



    Je suis celle qui se voue à la flamme, dis-tu.

    Et moi,
    dormeur debout
    ou marcheur allongé,
    je me vois pactiser avec le corps du feu.

    Nu parmi les encres sèches,
    avant de retourner à la boue,
    avant que chaque mot me dépossède
    sous sa feuille de verre,

    je me vois
    qui écoute, émerveillé,
    où ton ventre respire,
    dans le magma pur des origines,
    le bruit que fait une chute
    insignifiante.

    Où plus rien ne résonne, tu te lèves, tu es la vivante.

    Sur l’univers de ta peau, je consacre chaque centimètre.

    Et voici,
    dans l’incertain pays, je touche la violence, et la douceur
    de cette violence,
    quand tu dis : désastre de l’enfant intérieur.

    Puis j’imagine le cocotier au doux sexe dans une seule graine,
    et le doreur sur trempe
    qui dit : on a toujours deux vies.

    C’est bien ici. Les amoureux se reconnaissent
    à leur façon de trouver des anagrammes
    aux prénoms de la terre.
    Ils rient pour faire de la conversation une œuvre d’art.

    Sur ce rebord du monde qui nous rendra tous étrangers,
    je suis
    un corps debout
    qui tient le paysage.

    Mes pas
    ne veulent plus être
    qu’aujourd’hui,

    le repos,
    la vie sauve,
    les mots reçus
    du beau témoin tardif.

    La terre est ce grand jour mêlé
    qui sépare les eaux dans les éclats du temps.



    Dominique Sorrente, « IX Esquisse pour la vivante », C’est bien ici la Terre, Éditions MLD, 2012, pp. 88-89-90. Préface de Jean-Marie Pelt.





    DOMINIQUE SORRENTE


    Domnique_sorrente
    Source



    ■ Dominique Sorrente
    sur Terres de femmes

    [À défaut de livre, au moins cette promesse de poème] (poème extrait d’Il y a de l’innocence dans l’air)
    C’est bien ici la terre (note de lecture de Laurence Verrey)
    C’est la terre
    Écueils
    J’écris comme on décide par fragments
    Je t’envoie ma chanson des jours bleus
    Le temps sans rideaux
    [L’humeur est passe-partout] (extrait de Tu dis : rejoindre le fleuve)
    Pays sous les continents
    [Les rideaux] (extrait des Gens comme ça va)
    Le Scriptorium | Portrait de groupe en poésie


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Scriptorium de Marseille)
    un Portrait de Dominique Sorrente





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