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  • 17 décembre 1807 | Delphine de Custine à Chateaubriand

    Éphéméride culturelle à rebours



    Delphine de Custine
    Delphine de Custine
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    Delphine de Custine à Chateaubriand


    Le 17 décembre 1807




    Il faut que je vous écrive, car je ne puis vous parler, votre présence suspend mes idées : ou je souffre de votre air froid et silencieux, ou je souffre plus encore de vous entendre. Il me semble alors que toutes les douleurs de ce monde pèsent à la fois sur ma tête. Mais lorsque cette image douloureuse n’est plus en ma présence, alors je repasse dans ma mémoire tout ce que j’ai entendu, je sens que je n’ai rien dit de ce que j’aurais dû, et je ne puis rester dans le doute que, si vous aviez lu dans mon cœur, vous n’auriez pas été si insensible à mes peines.

    Ce que je puis comprendre, ce qui bouleverse presque ma raison, c’est de vous avoir entendu mettre au nombre des reproches ce que j’aurais cru devoir vous toucher le plus. Vous dites ne me devoir aucune reconnaissance, et n’être lié à moi d’aucune manière. Quoi, c’est l’homme que je croyais le plus délicat et le plus fait pour sentir le prix d’une pareille conduite qui me reproche de n’avoir pas été pour lui une femme ordinaire. C’est lui qui ne me tient aucun compte de mes efforts et de mon sacrifice*, car c’est là le véritable, et le seul que je croyais digne de lui ! Il ne peut pas croire que mes refus fussent manque d’amour, ni crainte de me compromettre (car il avoue lui-même que personne ne pourrait le croire), qu’était-ce donc ? une fausse délicatesse, du moins vous l’appellerez sans doute ainsi. Je vous savais des liens qui semblent proscrire les nôtres. Je n’avais pas vaincu ce soi-disant préjugé, et si je semblais l’oublier près de vous, vous conviendrez au moins que je n’en ai jamais perdu la mémoire, et que mes efforts ont triomphé de mon amour. Vous conviendrez bien aussi que, lorsque vous m’accusez de n’avoir jamais pensé qu’à moi, c’est me dire que vous avez tout oublié. Car, avec bien plus de raison, je pourrais vous adresser ce douloureux reproche.

    Quoi ! Vous ne m’avez pas su gré de n’avoir pas cédé à vos désirs lorsque vous me juriez que vous ne feriez pas votre grand voyage, qu’il ne tenait qu’à moi. Si vous saviez quel combat, quel supplice, comme je me croyais digne de votre pitié, de votre amour, et surtout de votre constance, puisque je sacrifiais le bonheur de ma vie à vos goûts, à vos souhaits, à ce que je croyais utile à votre genre de gloire et de succès. Le ciel m’a protégée et vous êtes parti. Que de larmes, que d’inquiétudes, pas un jour de repos, pas un moment de distraction, vous le savez, et n’en pouvez douter. Eh bien ! Pour tant de larmes et d’amour, vous me dites qu’aucun lien ne vous attache à moi, que si je m’étais conduite autrement je n’aurais pas eu à me plaindre de vous. Vous m’abreuvez de duretés, de récriminations froides et sèches, de projets tous plus faits pour me prouver que je ne suis rien pour vous. Vous expliquez cette conduite par des phrases dénuées de sens commun et surtout de sentiment.

    Je ne m’étendrai pas non plus sur le grave reproche que vous m’avez fait encore. L’homme qui peut croire que le bonheur de ma vie ne serait pas de tout lui consacrer, et de m’avoir rien qu’à lui, ne me connaît pas, et n’en est pas vraiment digne. Votre mémoire ne retient que les choses qui n’auraient pas dû y rester. Vous deviez croire que les circonstances malheureuses qui me forçaient à vous refuser étaient impérieuses et mille fois plus cruelles pour moi que pour vous. Voilà ce que l’homme qui m’aurait aimé et connu aurait cru, et rien n’aurait pu me noircir dans son cœur. Mais vous aimez à me rendre la moins intéressante possible, sans doute vous en avez besoin pour mettre en repos votre conscience. La mienne est pure comme l’amour que je vous porte, je vous ai déifié dans ma pensée, j’ai cru que, s’il y avait un homme digne d’un sentiment céleste et impérissable, c’était vous, que celui qui avait si bien peint les sentiments purs ne se détacherait pas d’une femme qui l’adore, parce que sa conduite sortait de la classe commune.

    Je vous disais hier que je vous aimais sans illusion, mais c’est une erreur. Je vous croyais au moins par le cœur l’homme de votre ouvrage, et si je mérite les reproches que vous m’adressez, c’est à vous qu’il faut s’en prendre. J’ai pris à la lettre tout ce que vous avez écrit et souvent c’est dans votre ouvrage même que j’ai cherché la force de vous résister.

    Maintenant, je suis comme une malheureuse qui se réveillerait d’un rêve heureux, flottant sur une seule planche au milieu des mers. Je me sens dans un état d’angoisse insupportable. Je ne sais où je vais, ni ce que je deviendrai. Je n’ai plus de repos, ni d’espérance, sinon de faire pencher la planche et de guérir enfin des maux qui n’ont pu vous toucher.


    D.


    François de Chateaubriand, Delphine de Custine, Claire de Duras, L’Amante et l’Amie, Lettres inédites 1804-1828, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2017, pp. 130-131. Édition établie et annotée par Marie-Bénédicte Diethelm et Bernard Degout. Préface de Marc Fumaroli.



    ________________________________
    * Le sacrifice de ne pas avoir consenti au « dernier sacrifice ».






    Chateaubriand




    FRANCOIS DE CHATEAUBRIAND


    Girodet_chateaubriand
    Anne-Louis Girodet-Trioson (1767 – 1824)
    Portrait de Chateaubriand
    méditant sur les ruines de Rome,
    1808.
    Huile sur toile, 120 × 96 cm.
    Musée d’histoire, château de Saint-Malo.
    Portrait légué en 1848 par Juliette Récamier
    à la ville de Saint-Malo.






    ■ François de Chateaubriand
    sur Terres de femmes

    4 septembre 1768 | Naissance de François-René de Chateaubriand
    5 mai 1821 | Mort de Napoléon Bonaparte (extrait des Mémoires d’Outre-Tombe)





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  • 5 mai 1821 | Mort de Napoléon Bonaparte

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 5 mai 1821 meurt à Longwood, sur l’île de Sainte-Hélène Napoléon Bonaparte.






    Longwood House
    Source






    CHATEAUBRIAND, VIE DE NAPOLÉON, EXTRAIT


        Vers la fin de février 1821, Napoléon fut obligé de se coucher et ne se leva plus. « Suis-je assez tombé ! murmurait-il : je remuais le monde et je ne puis soulever ma paupière ! » Il ne croyait pas à la médecine et s’opposait à une consultation d’Antomarchi* avec des médecins de Jamestown. Il admit cependant à son lit de mort le docteur Arnold**. Du 15 au 25 avril, il dicta son testament ; le 28, il ordonna d’envoyer son cœur à Marie-Louise ; il défendit à tout chirurgien anglais de porter la main sur lui après son décès. Persuadé qu’il succombait à la maladie dont avait été atteint son père, il recommanda de faire passer au duc de Reichstadt le procès-verbal de l’autopsie : le renseignement paternel est devenu inutile ; Napoléon II a rejoint Napoléon Ier.
        À cette dernière heure, le sentiment religieux dont Bonaparte avait toujours été pénétré se réveilla. Thibaudeau, dans ses Mémoires sur le Consulat, raconte, à propos du rétablissement du culte, que le Premier Consul lui avait dit : « Dimanche dernier, au milieu du silence de la nature, je me promenais dans ces jardins (la Malmaison) ; le son de la cloche de Ruel vint tout à coup frapper à mon oreille, et renouvela toutes les impressions de ma jeunesse ; je fus ému, tant est forte la puissance des premières habitudes, et je me dis : S’il en est ainsi pour moi, quel effet de pareils souvenirs ne doivent-ils pas produire sur les hommes simples et crédules ? Que vos philosophes répondent à cela ! […] et, levant les mains vers le ciel : Quel est celui qui a fait tout cela ? » […]
        Bonaparte, donnant à Vignali*** les détails de la chapelle ardente dont il voulait qu’on environnât sa dépouille, crut s’apercevoir que sa recommandation déplaisait à Antomarchi ; il s’en expliqua avec le docteur et lui dit : « Vous êtes au-dessus de ces faiblesses : mais que voulez-vous, je ne suis ni philosophe ni médecin ; je crois à Dieu ; je suis de la religion de mon père. N’est pas athée qui veut […] Vous êtes médecin […] Ces gens-là ne brassent que de la matière ; ils ne croient jamais rien. » […]

        Le 3 mai, Napoléon se fit administrer l’extrême-onction et reçut le saint viatique. Le silence de la chambre n’était interrompu que par le hoquet de la mort mêlé au bruit régulier du balancier d’une pendule : l’ombre, avant de s’arrêter sur le cadran, fit encore quelques tours ; l’astre qui la dessinait avait de la peine à s’éteindre. Le 4, la tempête de l’agonie de Cromwell s’éleva : presque tous les arbres de Longwood furent déracinés. Enfin, le 5, à six heures moins onze minutes du soir, au milieu des vents, de la pluie et du fracas des flots, Bonaparte rendit à Dieu le plus puissant souffle de vie qui jamais anima argile humaine. Les derniers mots saisis sur les lèvres du conquérant furent : « Tête… armée, ou tête d’armée. » Sa pensée errait encore au milieu des combats. Quand il ferma pour jamais les yeux, son épée, expirée avec lui, était couchée à sa gauche, un crucifix reposait sur sa poitrine : le symbole pacifique appliqué au cœur de Napoléon calma les palpitations de ce cœur, comme un rayon du ciel fait tomber la vague.


    Chateaubriand, Vie de Napoléon (livre XIX à XXIV des Mémoires d’outre-tombe), Éditions de Fallois, 1999 ; Le Livre de Poche, Classiques de poche, pp. 488-489-490. Édition de Pierre Clarac revue par Gérard Gengembre.




    * Antomarchi [Francesco Antommarchi, 1789 – 1838, originaire de Morsiglia, dans le Cap Corse], médecin envoyé à Napoléon par le cardinal Fesch avec deux prêtres.
    ** Arnold, médecin anglais.
    *** Vignali, l’un des deux prêtres envoyés à Napoléon par le cardinal Fesch.





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    15 mai 1796 | Stendhal, Incipit de La Chartreuse de Parme (entrée du Général Bonaparte dans Milan)
    → (sur Terres de femmes)
    7 juillet 1807 | Signature du traité de Tilsit (extrait d’Une haine de Corse de Marie Ferranti)
    → (sur Terres de femmes)
    26 novembre 1812 | La Grande Armée au bord de la Bérézina (extrait de La Guerre et la Paix de Léon Tolstoï)
    → (sur Terres de femmes)
    29 mai 1816 | Emmanuel de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène
    → (sur Terres de femmes)
    Marie Ferranti, Une haine de Corse. Histoire véridique de Napoléon Bonaparte et de Charles-André Pozzo di Borgo (note de lecture d’AP)





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