Étiquette : Christian Garcin


  • Christian Garcin | Lectures vagabondes, du Mexique à Budapest

    par Angèle Paoli

    Christian Garcin, À Budapest,
    éditions circa 1924, 2007, rééd. 2014.

    Christian Garcin, L’Étrange Sérénité des fonds marins,
    éditions circa 1924, 2014.




    Lecture d’Angèle Paoli


    LECTURES VAGABONDES, DU MEXIQUE A BUDAPEST



    Il arrive parfois que, par la voie des airs, me parviennent miraculeusement des petits bijoux de livres. Ainsi de ces livres jumeaux À Budapest (2007, rééd. 2014) et L’Étrange Sérénité des fonds marins (2014), reçus juste avant les fêtes de Noël. Jumeaux parce qu’ils sont tous deux pareillement façonnés, de même format (11 x 11 cm), de même facture — couverture à double rabat et bande pliée de la Collection « accordéon », composés en Baskerville et imprimés en deux tons sur Rivoli blanc par les presses de Dereume en Belgique — et qu’ils sont l’œuvre d’un même auteur. Tous deux appartiennent à une même maison d’édition — Circa 1924, fondée en 2003 par Geneviève Voegelé et Jean-Charles Wolfarth — et comportent des « images pictorialistes » en noir et blanc. On pourrait imaginer que s’arrêtent là les similitudes (j’ai oublié les pochettes plastifiées à rabat !), que l’on peut toutefois élargir au plaisir infini que procure la lecture de l’un et de l’autre de ces mini-ouvrages de bibliophilie. Publiés à sept années d’intervalle, les deux textes se rejoignent dans la belle écriture de Christian Garcin (à l’occasion d’une réédition du premier ouvrage).

    Lequel de ces deux livrets vais-je ouvrir en premier ? Vais-je céder à l’appel du regard tendre (légèrement interrogateur) du portrait de l’élégante qui figure sur la première de couverture d’À Budapest ? Ou bien à l’appel du voyage à l’autre bout du monde que suggère le paysage maritime — avec embarcation à voile — de L’Étrange Sérénité des fonds marins ? Je déplie/déploie l’un et l’autre livre, en alternance. Je m’arrête sur les photos de rues ensevelies sous la neige promenades le long du fleuve (Le Danube) silhouettes emmitouflées lumières de la ville tramways et parapluies solitudes dans les rues sombres et désertes. Les noms des photographes figurent sur le deuxième rabat : Rudolf Balogh, Kàroly Escher, Dénes Rónai. Je n’en connais aucun, même si je sais qu’ils sont mondialement connus et que leurs photos sont archivées au Musée Hongrois de la Photographie de Budapest. J’aime l’atmosphère qui se dégage de ces décors aux lumières glacées. Pourtant, je ne peux m’empêcher de déplier l’autre livret, tout aussi mystérieux. Le titre me séduit. La photo de couverture également. Où situer ce paysage de montagnes aux courbes douces se jetant dans la mer ? Une mer d’huile. La lecture des ouvrages de Christian Garcin m’a accoutumée à sillonner le monde qu’il ouvre pour nous, ses fidèles lecteurs. En y regardant de plus près, je m’aperçois que les hommes qui sont à bord du voilier portent des sombreros. Peut-être l’histoire à laquelle l’auteur nous convie se déroule-t-elle au Mexique ? Cette hypothèse est aussitôt confirmée par d’autres photos — « images pictorialistes » de cathédrales et d’haciendas — du photographe allemand-mexicain Hugo Brehme. Des noms surgissent. Golfe du Mexique. Arthur Cravan. Mina Loy. L’histoire est une histoire d’amour dont j’ai gardé la mémoire (tous les ouvrages de Mina Loy, du moins ceux édités en français, sont dans ma bibliothèque).

    « C’est l’histoire de deux poètes, un colosse aux yeux tristes et une frêle jeune fille, qui cherchent une cathédrale rose. » C’est dans l’une d’entre elles qu’ils se marient. Mais au départ, il y a un décor ébréché, marqué de signes annonciateurs de désastres : « une chambre sans fenêtre », « un lit qui grince », des « montants rouillés », un « mur jaune », « l’émail fendillé » d’un lavabo. Rien n’échappe à Mina, de ces détails ordinaires qui diffractent leurs signes « même sous le ciel noir piqué d’étoiles »… Je dis Mina parce que le texte me semble passer par son regard. Et, derrière son regard, par ses émotions. Par sa sensualité. Il y a pourtant un narrateur extérieur qui suit le couple dans ses déplacements, dans ses gestes ou absences de gestes, ses suspens, ses étreintes aussi ; comme le ferait une caméra cachée silencieuse. Qui s’arrêterait sur les murs. Et sur les couleurs. Rose pour le « flot » « frémissant des paupières baissées », pour la cathédrale inondée de lumière. Jaune pour le mur de la chambre, pour le « ciel délavé », pour le chien « efflanqué » qui dort « le museau dans la poussière ». Le rose, c’est la couleur de Mina. Pour ce qui est du jaune, il draine avec lui toute une série de signes avant-coureurs du drame. Les croûtes sur le corps du chien, les « mouches grasses et bleues », « la purulence de ses plaies » et peut-être « le bruit moisi du jour ». Et le bleu, le bleu bourdonnant des mouches, est-ce le même que « ce bleu presque solide » qui saisit Mina au cœur de son cauchemar aquatique, « dans l’étrange sérénité des fonds marins » ?

    En quelques pages, à partir de quelques détails minutieusement choisis, qui balisent le texte par leur récurrence têtue, Christian Garcin dresse le décor dans lequel s’inscrit pour toujours l’histoire de Mina Loy. Une place écrasée de chaleur ; une atmosphère pesante. Vaguement écœurante. C’est là qu’évolue Mina, toute de sensualité fébrile, de légèreté et de fraîcheur. Le temps de s’offrir à l’homme qu’elle aime, le temps de sentir la vie s’agiter dans son ventre. Le temps d’imaginer qu’elle va bientôt retrouver son colosse « aux yeux tristes et clairs ». Rêves de femme qui avaient pris corps dans la cathédrale rose, avant que celle-ci ne se fendille pour livrer passage à la solitude et à la douleur.

    De la faille laissée béante par la disparition d’Arthur Cravan naîtront les poèmes de Mina Loy. De ce moment choisi de la vie de Mina Loy et d’Arthur Cravan naît le très beau récit de Christian Garcin.

    À Budapest ramène le lecteur dans un tout autre univers. Nous voici en Europe et en plein hiver. Dans le froid glacial de la cité hongroise, Christian Garcin met en place un récit décalé. Un récit hors-temps, à contre-courant. Qui réveille des souvenirs anciens de lectures liées à la littérature d’Europe Centrale. Des paysages, davantage que des souvenirs.

    L’histoire qui nous est contée là est celle d’une résurrection. L’occasion pour l’auteur de confronter avec humour présent et passé ; et de permettre à l’héroïne de cette fable à coloration fantastique d’exercer son esprit critique en dénonçant les travers de ceux qui, momentanément, se trouvent être ses contemporains. Et à ses interlocuteurs du présent de la considérer avec curiosité. De quel côté se situe Das Unheimliche (« L’inquiétante étrangeté  ») ?

    C’est à Budapest, « au début du mois de février », que Mme Esterhàzy se manifesta, de manière particulièrement remarquable, d’autres phénomènes du même genre s’étant déjà produits cette année-là sans retenir outre mesure l’attention. C’est que Mme Esterhàzy possèdait au plus haut degré les qualités de la conversation. Du passé, cette dame distinguée a conservé intacts tous les codes. Langage, us de salons, exigences d’esprit. Talents qui lui valaient jadis la reconnaissance de ses pairs. « Chacun de son vivant louait la qualité de son esprit et la pertinence de ses idées. » Or, son retour parmi les vivants la déçoit. Mme Esterhàzy ne peut s’empêcher de reprocher à ses interlocuteurs leur manque de curiosité et le peu d’intérêt que la plupart d’entre eux lui témoignent. Il lui faut se contenter de quelques plaisanteries sur son accoutrement vestimentaire. À sa soif inextinguible pour tout ce qui concerne les questions de société, de progrès, de religion, d’humanisme répondent l’indifférence la superficialité le désintérêt de ses interlocuteurs pour les choses de l’esprit. De manière générale, pour toute forme de réflexion. On pourrait résumer toutes ces insuffisances et déficiences en un seul terme : médiocrité. De quoi vous dégoûter de vous éterniser. Combien de temps son retour parmi les hommes a-t-il duré ? Il est difficile de le dire. Toujours est-il que, soudain prise d’un malaise, la dame, après s’être livrée à d’ultimes considérations sur le train des choses — « Il était décidément impossible de vivre en un siècle pareil » —, préfère regagner sa tombe et disparaître à nouveau.

    Sous le charme mystérieux de la fable, Christian Garcin se livre avec beaucoup d’humour et de finesse à la critique d’une société victime de sa désinformation et de son inculture. Une société qui s’est défaite de la profondeur qui était la sienne jadis. Comment ne pas reconnaître dans cette peinture la société qui est la nôtre ?

    « Chacun ne lui répondait qu’évasivement, préférant commenter la météo du jour, le dernier bilan de santé du Président ou les résultats sportifs de la veille, plutôt que de s’embarquer dans de fumeuses discussions auxquelles manquait, pour le moins, un socle de connaissances communes. »

    Et comment ne pas reconnaître dans certains traits de comportement ou de caractère des traits qui nous sont propres ? À Budapest rend compte du regard que l’auteur porte sur certains de ses contemporains. Un regard lucide, incisif et sans concession. Il n’est rien en littérature comme la fable qui permette d’établir une distanciation entre le monde et les sujets qui l’habitent. À chacun de tirer par-devers soi les analyses qui s’imposent.

    Très différents dans l’esprit et dans la lettre, ces deux récits se lisent très volontiers dans la continuité l’un de l’autre. Tous deux sont parfaitement aboutis. Dans une écriture en tous points remarquable.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Garcin, Budapest






    Garcin sérénité





    CHRISTIAN GARCIN


    CHRISTIAN GARCIN




    ■ Christian Garcin
    sur Terres de femmes

    La Piste mongole (lecture d’AP)
    Selon Vincent (note de lecture d’AP)
    22 septembre 1882 | Christian Garcin, « Journal d’Augustin Hyades » (extrait de Selon Vincent)



    ■ Voir aussi ▼

    le site des éditions circa 1924
    → (sur le site des Éditions Verdier)
    une notice bio-bibliographique sur Christian Garcin
    → (sur Terres de femmes)
    Mina Loy | L’amour est des corps (+ une notice bio-bibliographique sur Mina Loy)






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  • Christian Garcin, Selon Vincent

    par Angèle Paoli


    Christian Garcin, Selon Vincent,
    Éditions Stock, 2014.




    Lecture d’Angèle Paoli




    « CECI EST PEUT-ÊTRE UNE FICTION »




    Selon Christian Garcin, on chiffre à quatre mille par an le nombre de disparitions volontaires en France. C’est ce qu’apprend Rosario à son ami Paul Who (« Polki »), avant que tous deux ne s’envolent pour le Chili. Il s’agit pour Rosario de tenter de se mettre sur la piste de son oncle Vincent, disparu volontaire, et de retrouver le lieu inconnu où il a vécu, en solitaire, au cours des vingt dernières années de sa vie. Abandonnant soudain femme enfants maîtresses et son métier de professeur d’histoire, l’oncle Vincent a en effet disparu sans laisser de trace. Jusqu’au jour où Rosario, son neveu préféré, reçoit un mystérieux tapuscrit, accompagné d’une lettre manuscrite. Rosario entraîne alors Polki dans une aventure étrange qui conduit le lecteur de Selon Vincent à travers les dédales d’un récit aux enchâssements multiples, jusqu’aux terres des confins de la Patagonie. « Punta Arenas, Puerto Williams, Puerto Eugenia, Laguna Roja.

    L’envers du monde
     ».
    Selon Vincent.

    Le titre du dernier roman de Christian Garcin, Selon Vincent, n’ouvre aucun chemin explicite de lecture. Pas même celui d’une disparition. Tout au plus suggère-t-il que le personnage de Vincent donnera son point de vue sur un certain nombre d’événements survenus au cours de sa vie. Et que d’autres, sans doute, prendront le relais en cours de route et donneront le leur. Paul et Rosario, notamment. La table des matières n’est pas davantage éclairante. Elle offre un parcours déroutant en trois parties, dominé par le duo régulier de Paul et de Rosario. Dans chacune des parties, l’alternance itérative Paul/Rosario | Rosario/Paul est interrompue par un titre qui annonce un récit autre, lequel vient s’emboîter dans les témoignages, analyses et dialogues des deux amis. Le Non-humain (Histoire de Vincent), dans la première partie du roman ; Journal d’Augustin Hyades (extraits/ septembre 1882-janvier 1883) et Histoire de Wilfried La Brea, dans la seconde partie. Le carnet rouge et La confession de Vincent, dans la troisième. L’ensemble est relié au Prologue, récit d’ouverture qui fait entendre une voix qui s’avère être celle de Vincent.

    Ainsi, tout en demeurant le même, le point de vue de Vincent adopte-t-il différentes formes dans le roman : depuis le Prologue, texte en italiques daté du 15 novembre, jusqu’à La confession de Vincent, dans la troisième partie. En passant par le récit initial du Non-humain et par Le Carnet rouge, ensemble de notations non datées, prises sur le vif, et de réflexions qui mêlent intensément présent et passé :

    « Lent silence des baleines.

    Larmes aux yeux hier en voyant émerger soudain face à moi une immense nageoire caudale suivie d’une autre, petite et comme neuve. Les deux regagnent ensuite leur monde bleu et froid. » (p. 240)

    Ou encore :

    « Six mois entre ces lignes et la précédente.

    J’écris depuis une dizaine de jours. Je raconte. J’invente. Je n’invente rien. Il m’aura fallu presque soixante ans, un renard immobile devant moi, une barque derrière, qui s’enfonçait dans l’eau verte, et d’étranges remous sous cette eau pour que le passé soudain fonde sur moi. » (p. 243)

    Quels rapports ces différents récits ont-ils entre eux ? Quels « liens de causalité secrète » entretiennent-ils avec l’histoire personnelle de Vincent, avec les événements qui entourent sa disparition, puis sa mort ? Vers quelle part de vérité nous conduisent-ils ? Le tapuscrit que Rosario a entre les mains ainsi que la lettre qui l’accompagne sont-ils le fruit d’un esprit dérangé ? Réalité ou fiction ?

    « Ceci n’est pas une fiction. Ou plus exactement, ceci est peut-être une fiction, puisque la réalité ne se vit qu’une fois, et que dès lors qu’on entreprend de la retranscrire par le jeu des souvenirs, on la tord, la déforme, la gauchit, l’enrichit parfois, l’appauvrit souvent : on l’invente. Ceci est donc une fiction, mais c’est la fiction réelle de ce que j’ai vécu voici vingt ans, et que je voulais que tu lises »… lit à haute voix Rosario à Paul. Paul, traducteur de manuscrits de Chen Wanglin, un Chinois que Rosario a rencontré en Mongolie.

    C’est ce suspens qui alimente la curiosité de celui/celle qui ose partager l’aventure engagée par Rosario et Paul tout au long de ce récit fascinant. Un suspens admirablement tendu par une « syntaxe générale »* d’une extrême rigueur. Ce n’est que dans le texte final — La confession de Vincent —, une fois dénouée « la grammaire subtile du monde », décryptés les différents emboitements de récits qui ouvrent sur un véritable « jeu de piste », une fois refermés les tiroirs successifs, dont certains renvoient explicitement à d’autres romans de Christian Garcin, qu’est mis au jour le secret de Vincent. Au cœur des glaciers de la Terre de feu, dans les entrelacs de l’architecture complexe du roman.

    Disparition ? Comment cela est-il arrivé ? Quand Vincent Lacépède a-t-il pris la décision de disparaître ? Quelles raisons ont poussé cet homme à prendre cette décision irréversible ? Le puzzle se mettra en place en trois temps, répartis sur les trois parties du roman. Et en quelques jours. À peine un peu moins d’un mois si l’on tient compte des deux dates butoirs : 25 janvier/15 février. Avec des ellipses temporelles intermédiaires de deux ou trois jours.

    Le thème de la disparition est amorcé dès le premier récit — Le Non-humain (Histoire de Vincent) — sous la forme d’une mise en abyme. Vincent évoque en effet dans son tapuscrit le projet de son « vieil ami Louis », projet mis à exécution quelque temps plus tard :

    « —  Je sais chasser, poser des pièges, pêcher. Je sais être invisible s’il le faut. Je ne mourrai pas de faim ni de froid. Et puis, si ça arrive, c’est que cela devait arriver…

    — Je vais quitter le monde, Vincent. Je suis venu te dire adieu. »

    Et Vincent d’annoncer un peu plus loin, sous la forme atténuée de l’éventualité :

    « Bientôt ce serait moi qui partirais. Mais ce jour-là, au moment où je pensais à lui assis face à moi sept ans plus tôt, je ne le savais pas encore. »

    En proie à un mal-être insoutenable — une « tension paralysante » qui se réitère à plusieurs reprises —, Vincent éprouve un sentiment de vide qui l’anéantit. La seule passion qu’il lui reste, c’est celle de l’épopée napoléonienne qu’il revit à travers le récit de Louis Folcher, un rescapé de la campagne de Russie. Dix-huit feuillets en tout, retrouvés ensanglantés sur le cadavre du soldat Folcher tué à Waterloo. Les extraits, donnés en italiques dans des encadrés au bas de chaque page, interrompent le récit principal, sur le plan visuel autant que narratif. Mais si le lecteur ne doute nullement de leur importance, il ne peut s’empêcher de s’interroger sur leur rôle dans les enchevêtrements du roman.

    Du reste, cette curiosité scripturale n’échappe pas à Paul. Qui, dans les pages qui le concernent, datées au 25 janvier, interroge son ami :

    « — Pourquoi avoir inséré cette histoire dans son récit ? » demande-t-il à Rosario.

    « — Il dit qu’elle l’a touché. La souffrance, l’errance, l’éloignement de soi… Va savoir. Il est peut-être un peu fêlé, aussi. »

    Fêlé ? Peut-être. Mais Paul n’en est pas convaincu. Peut-être est-il la proie de quelque possession, comme le suggère Paul à son ami ?

    Assailli par des hallucinations et par des « rêves d’animaux étranges » où s’affrontent serpents et renards, Vincent devient un fantôme parmi les siens. Afin d’échapper à ces visions obsédantes qui le conduisent sur la voie du meurtre — celui de sa maîtresse Mina, « la renarde » —, il décide de consulter son garagiste. Un chaman aux trois-quarts bouriate en qui Lorna, sa première maîtresse, a toute confiance.

    Vingt ans plus tard, dans sa « confession » (troisième partie), Vincent écrira :

    « Djordjé, donc. Il avait parlé plusieurs fois d’« envers du monde ». Mais aussi de « moi en miroir », et à plusieurs reprises, « de lui en miroir de moi ». Entreprise énigmatique, à laquelle Vincent tente de donner forme.

    « J’ai donc pensé que je devais chercher non l’envers de mon monde, mais l’envers du sien. Si nous étions en miroir l’un de l’autre, peut-être devais-je me fier à ce que je savais de lui pour me diriger vers l’envers de son monde à lui, et ainsi me retrouver moi-même, dans le miroir. »

    C’est à ce prix que Vincent pourrait peut-être parvenir à résoudre sa « grave crise existentielle » et retrouver son visage « d’avant ».

    « L’envers du monde ». Vincent entreprend sa quête en suivant les conseils du chaman : pour un bouriate natif de Sibérie orientale, les antipodes se trouvent être la Patagonie chilienne. Et l’Isla Larga se révèle être « le modèle réduit et en miroir » de l’île d’Olkhon, sur le lac Baïkal.

    « Les antipodes, plus la configuration en miroir : j’ai pris cela comme un signe. Cette île serait mon choix », écrit Vincent dans sa « confession ».

    Parvenu au terme de son aventure et au seuil de la mort, Vincent a-t-il retrouvé son visage « d’avant » ? Le visage de l’enfant heureux qu’il était avant le drame de la disparition de Mina Volpini, la petite Mina de son enfance ?

    Sans doute, puisque dans les dernières lignes de sa « confession », quelques heures avant de disparaître définitivement du sol où il a trouvé refuge — la misérable bicoque d’Isla Larga —, Vincent confie à Rosario ses ultimes pensées consignées dans le tapuscrit. Pensées enfin sereines et enfin pacifiées qui s’éloignent du visage meurtri, longtemps tenu enfoui aux fins fonds de la mémoire. Mémoire que sa retraite au bout du monde lui a permis enfin d’exhumer.

    « Rosario, il fait très beau ce soir. Très beau et très froid. Le vent pour une fois est tombé. Rien ne bouge nulle part. Le soleil vient de se coucher. Dans le ciel s’étirent de minces nuages jaunes et pourpres. Je vais sortir, m’asseoir devant ma cabane, et perdre mon regard dans les eaux mauves, presque inquiétantes à force d’être calmes aujourd’hui, du canal de Beagle. Au-dessus, les montagnes d’Harberton sont encore illuminées. La lune est pleine. Je sais bien qu’ailleurs, des bêtes invisibles s’entretuent dans la nuit des forêts. Je sais bien que partout de fragiles créatures meurent dans l’indifférence de tous. Mais je me dis que je verrai peut-être ce soir les eaux soudain agitées de mouvements secrets, puis une forme oblongue crèvera la surface luisante avant de disparaître en silence, et ce sera le dos d’une baleine, suivie de son baleineau. J’en aurai les larmes aux yeux. Ensuite il sera temps. »

    De ce « texte à indices », construit sur des systèmes « d’oppositions, de symétries, de liaisons souterraines » et de signes, Christian Garcin fait un roman très prenant, qui inscrit le lecteur passionné dans la continuité de La Piste mongole.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    ______________________________________
    * « Au-delà du texte écourté, lacunaire, que chacun gribouille comme il peut, dans son coin, la lueur fugace, énorme, de la syntaxe générale. » Pierre Bergounioux in Selon Vincent, exergue, page 7.






    Vincent-christian-garcin-L-g6x3r0






    CHRISTIAN GARCIN


    CHRISTIAN GARCIN




    ■ Christian Garcin
    sur Terres de femmes

    Lectures vagabondes, du Mexique à Budapest (note de lecture d’AP)
    La Piste mongole (lecture d’AP)
    22 septembre 1882 | Christian Garcin, « Journal d’Augustin Hyades » (extrait de Selon Vincent)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des Éditions Stock)
    la page de l’éditeur sur Selon Vincent
    → (sur le site des Éditions Verdier)
    une notice bio-bibliographique sur Christian Garcin






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  • 22 septembre 1882 | Christian Garcin, « Journal d’Augustin Hyades »

    Éphéméride culturelle à rebours




    Onas
    Source







    22 septembre

    Nous voici arrivés à destination : la baie Orange, au sud de l’île Hoste, face à l’île Grevy et, plus loin, à l’île Navarino, à quelques kilomètres du faux cap Horn. L’endroit est particulièrement aride et désolé, lavé par les pluies incessantes m’avait-on dit. Mais aujourd’hui, par chance, il ne pleut pas. Et il y a plus d’arbres que je ne l’imaginais, quoique pas immédiatement autour de l’endroit où nous établirons le campement. Le ciel cependant est bas et lourd. La baie est étroite. De faibles collines plus ou moins pelées s’étagent au nord. A l’ouest elles sont un peu plus hautes et recouvertes de forêts. Au loin, vers le nord-ouest, on aperçoit des montagnes massives et pointues, couvertes de glaciers. Tout autour de nous la végétation est maigre : des buissons, quelques arbustes rabougris, beaucoup d’épineux. Des lichens. Mais un peu plus loin, les arbres abondent jusqu’au rivage. Un ruisseau qui descend des collines se trouve bordé de joncs et entouré de quelques marécages. Tout est gris, vert, immense et froid.

    Je me demande comment des hommes peuvent survivre dans un environnement si hostile. Trois peuplades pourtant se partagent tout l’archipel situé au sud du détroit de Magellan, dont on m’assure que chacune possède des coutumes et un langage particuliers. Il y a les Onas, qui habitent la Grande Terre de Feu. Ce sont de véritables géants, dit-on. Il est difficile de les voir tant ils sont sauvages. Au demeurant ils s’aventurent très peu près des côtes. Ensuite les Alakalufs, établis dans l’ouest et le nord-ouest. Ils se déplacent en pirogues dans la myriade d’îles et de péninsules qui forment la côte occidentale. Ils sont très craintifs parait-il. Enfin les Yahgans, du nom que leur a donné un pasteur anglais établi sur la rive nord du canal de Beagle depuis une vingtaine d’années. Auparavant on les appelait Tekeenikas. Ce sont aussi des marins. Ils occupent les îles du sud, jusqu’au cap Horn, donc précisément la région où nous sommes. Mon projet est d’entrer en contact avec eux, les photographier et recenser le maximum d’informations à leur sujet, autant que faire se peut. Pour cela nous avons un de nos hommes, que l’on appelle Jack quoique ce ne soit pas son vrai nom (que j’ignore, mais il est français, il s’appelle donc peut-être Jacques) : il est déjà venu en Terre de Feu, y est resté longtemps (là aussi, j’ignore quand et pourquoi), il connaît les Indiens et parle leur langue. Il a un bras raide, consécutivement à une blessure reçue lorsqu’il était enfant, dit-il.

    Dès que nous accostons chacun se met au travail. La priorité est de construire assez vite des baraques d’habitation et des abris pour les télescopes et tous les instruments avec les planches, les tôles ondulées, les fenêtres et les poutres que nous avons transportées sur La Romanche.



    Christian Garcin, « Journal d’Augustin Hyades (extraits), septembre 1882-janvier 1883 » in Selon Vincent, Éditions Stock, 2014, pp. 142-143.






    Vincent-christian-garcin-L-g6x3r0






    CHRISTIAN GARCIN


    CHRISTIAN GARCIN




    ■ Christian Garcin
    sur Terres de femmes

    Lectures vagabondes, du Mexique à Budapest (note de lecture d’AP)
    Selon Vincent (note de lecture d’AP)
    La Piste mongole (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des Éditions Stock)
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    → (sur le site des Éditions Verdier)
    une notice bio-bibliographique sur Christian Garcin







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  • Christian Garcin, La Piste mongole

    Christian Garcin, La Piste mongole,
    Éditions Verdier, 2009.


    CETTE MAGIE-LÀ, PRIMITIVE ET PRIMORDIALE





    MONGOLIE
    Source






         Entreprendre La Piste mongole, se risquer, à la suite de Christian Garcin et de Rosario Traunberg ― l’un de ses doubles ― au décryptage des pistes ― narratives, géographiques, oniriques ― qui surgissent au hasard des rencontres dans la lecture de ce roman aux entrées multiples, emprunter jusqu’au fin fond des steppes russes les routes cahoteuses qui mènent de Pékin à Ulaan-Baatar et de Ulaan-Baatar à la « grotte-utérus » du monastère de Tovkhon ou aux rives mystérieuses du lac Baïkal, c’est accepter de se risquer dans un périple labyrinthique complexe tout à la fois déstabilisant et exaltant. C’est s’aventurer sur des zones frontières mouvantes où le réel, illimité, se démultiplie à l’infini. Car, selon Geirg, le jeune bouriate rencontré sur les bords du lac Baïkal, « la réalité est un amalgame d’expériences qui interagissent selon des lois souvent imprévisibles. On ne la décrypte qu’à peine, et toujours selon une grille de lecture extrêmement réduite… ». Et pour s’en saisir tant soit peu, il faut ouvrir les yeux et l’esprit, comme cela advient durant les rêves.

        Conçus comme un langage à part entière, un pont vers le « monde-autre », c’est-à-dire le monde des esprits, les rêves servent de fil conducteur aux intrigues qui se tissent de Mongolie à Pékin et de Pékin à la Mongolie. Abolissant les frontières du temps et de l’espace, du « je » narratif et du personnage, et au-delà, de la naissance et de la mort, les rêves permettent aux esprits initiés de transmigrer et de s’incarner dans d’autres personnes. Ainsi l’on peut suivre La Piste mongole en se fondant dans l’univers truculent de la grosse Pagmajav dont les « fumées divinatoires » conduisent à la vieille « Sürgündü jambes d’os » ; de la vedma redoutée de tous qui « parle aux esprits et chevauche Barük, le grand loup gris des steppes » à la non moins redoutable et puissante tante Gü, de la lignée de Baba-Yaga, de Shoshana la gardienne, de Baubô « la grande ancêtre ». Ou, côté homme, de Shamalyan le passeur et de Chen Wanglin, apprenti chaman et apprenti écrivain.

        Il s’agit au départ, pour le français Rosario Traunberg, de remonter la piste mongole afin de retrouver un ami français disparu. Eugenio Tramonti était lui-même parti sur les traces d’un ami russe ou peut-être ukrainien, Evgueni Smoliensko, disparu, lui aussi, quelque part en Mongolie. Tramonti n’a laissé de son passage qu’un papier sur lequel sont inscrits trois noms : celui de l’ukrainien Smolienko, celui de l’anglaise Shoshana Stevens et celui d’Amgaalan Otgonbayat, « grand jeune homme aux traits fins,… qui avait vécu un temps en Chine, mais aussi en France et en Russie, et parlait cinq langues. » Amgaalan à qui Rosario rend visite dans sa yourte, pour tenter d’en obtenir quelque renseignement. Confronté en direct à une scène de chamanisme imprévue, Rosario pénètre alors dans un univers inconnu dont les clés ne cessent de lui échapper. « Je n’y comprends plus rien », répète Rosario, qui, tant pour poser lui-même sa pensée que pour orienter le lecteur dérouté, perdu dans la forêt foisonnante du roman, se livre régulièrement à des récapitulatifs :

        « Écoutez, fis-je à Amgaalan,… Nous ne nous connaissons pas, je viens à vous parce que sur un bout de papier oublié sur une table était indiqué votre nom, associé à celui d’un Russe que vous avez croisé une fois, d’une Anglaise que vous ne connaissez pas, tout cela écrit par mon ami, que vous ne connaissez pas non plus. Bon. Ensuite vous me faites assister à une transe chamanique au cours de laquelle est prononcé le nom de mon ami, celui que vous ne connaissez pas, bien que son nom et le vôtre soient inscrits côte à côte sur ce papier dont je dispose. Une vieille femme dit qu’elle a croisé cet ami disparu, votre cousin arrive et prétend avoir rêvé de la personne dans la yourte d’à côté, ainsi que du jeune garçon que je dois rencontrer pour retrouver peut-être la trace de mon ami. Honnêtement, je suis un peu perplexe. Pour ne pas dire complètement perdu. » (page 131)

        Et plus loin:

        « Récapitulons: un gamin nomade doit me renseigner sur ce qu’il est advenu d’Eugenio. Il a donc dû le rencontrer, ou rencontrer quelqu’un qui l’a rencontré : c’est l’homme qui a vu l’ours qui a vu l’ours… » (page 139)

        Et le lecteur de La Piste mongole, pareil au lecteur des contes de l’enfance ― qui prend appui sur de menus indices récurrents semés au fil des pages ― de rassembler dans sa besace de multiples cailloux qui jalonnent son chemin de lecture et l’aident à la traversée : le scarabée qui agonise à la surface d’une bassine d’eau claire, devant la yourte ; les objets magiques nécessaires au rituel chamanique de Pagmajav : le miroir, le bonnet, le manteau, le plumeau, le tambour, le tabac ; le bout de papier sur lequel ont été gribouillés trois noms ; et les animaux : Barük, le loup « avaleur-des-steppes »; le yak de l’oncle Omsum-le-septième ; Dianda, l’hermaphrodite « esprit du lac », « à la fois chien mâle et renard femelle » ; et Lelio Lodoli, l’aigle du Baïkal.

        Foisonnant de légendes, le lac Baïkal est « un des endroits de la terre où la distance entre le monde des hommes et celui des esprits est la plus faible ». Et les forêts qui le bordent, peuplées « de frôlements obscurs et de souffles inquiétants ». Un lieu unique en son genre, « un lieu privilégié ».

        Étonnant roman à tiroirs construit comme un jeu d’emboitement de récits gigognes, interrompus puis repris, mais reliés les uns aux autres par de mystérieuses imbrications, correspondances et coïncidences, apparitions et disparitions, La Piste mongole, qui étend ses ramifications en Chine en la personne de Chen Wanglin, travaille à rassembler, par cercles concentriques, les « réseaux souterrains » qui sillonnent l’espace, « rhizomes narratifs » sans lesquels se perdre est inévitable. Seuls le cousin chinois d’Amgaalan, Chen Wanglin, doué du pouvoir de « pénétrer les rêves d’autrui », et le chauffeur mongol Dokhbaar échappent à la peur de se perdre. Tous deux, en effet, ne possèdent-ils pas le don de déchiffrer les pistes ?

        « Nous sommes dans la journée un quatuor muet, deux d’entre nous tout entiers concentrés sur les pistes, géographiques ou narratives, qu’ils arpentent à grande vitesse en prenant garde d’éviter impasses et embûches, accidents de parcours et erreurs de trajectoire, les corrigeant au besoin, les assimilant dans d’autres cas, continuant ainsi d’aller de l’avant, et les deux autres plongés, l’un dans le paysage grandiose qui défile sous ses yeux, l’autre dans celui, peut-être non moins grandiose, de l’espace intérieur qu’il parcourt en dormant. »

        Passionné d’écriture et auteur en herbe de plusieurs récits en cours d’élaboration, Chen Wanglin passe pour un fou : un « barge » qui mêle les histoires et les rêves à la façon de l’auteur de La Piste mongole. Destiné, d’ailleurs, tout comme ses propres personnages ou comme les personnages imaginés par le Chinois à disparaître à son tour dans l’un des récits de Chen Wanglin.

        « C’était comme si, à travers la planète, une épidémie d’enfouissements dans des terriers mortuaires avait contaminé des dizaines d’êtres humains… Alaistair Springfield dans le désert de l’Utah, Shéridan Schann en Écosse du côté de Stirling, Edward Chen en Sibérie orientale, Christian Garcin dans les Alpes françaises… ».

        Ce clin d’œil malicieux de l’auteur à lui-même fait sourire, comme font sourire aussi, sous le regard de Chen Wanglin se regardant dans la glace, les similitudes inattendues qu’il se trouve avec certains acteurs américains :

        « Je me sentis soudain autoritaire et viril. À ce moment précis, je ressemblais sans doute un peu à Bogart dans Casablanca, en plus grand, bien sûr. »

        Ou encore:

        « Je restai impassible et sérieux, ressemblant ainsi quelque peu à cet instant précis, quoique de manière assez furtive, à Clint Eastwood dans Pale Rider. »

        Humoristique et drôle, à la fois épique et réaliste, La Piste mongole est un roman inépuisable : magnifique de beauté, de mystère et de poésie. Une fois refermé le livre, l’esprit des steppes flotte encore, les eaux profondes du Baïkal agissent sur les rêves. Le chamanisme rôde, porteur d’images troubles et envoûtantes. Les momies continuent de vivre leur léthargie fœtale dans les grottes. Et le lecteur, abasourdi de se trouver soudain délesté de la magie de cet univers, n’a qu’un désir : replonger dans la « fiction mongole », retourner aux odeurs âpres de la yourte, se laisser bercer encore aux psalmodies incantatoires de Pagmajav, retrouver Irina et la cabane sous le lac, se fondre à nouveau dans la « forêt obscure », écouter le vent chanter dans les rémiges de Lelio Lodoli. Renouer avec cette magie-là, primitive et primordiale.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli




    LIVRE






    CHRISTIAN GARCIN


    CHRISTIAN GARCIN




    ■ Christian Garcin
    sur Terres de femmes

    Lectures vagabondes, du Mexique à Budapest (note de lecture d’AP)
    Selon Vincent (note de lecture d’AP)
    22 septembre 1882 | Christian Garcin, « Journal d’Augustin Hyades » (extrait de Selon Vincent)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des Éditions Verdier)
    une notice bio-bibliographique sur Christian Garcin






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