Étiquette : Christophe Lamiot Enos


  • Claude Ber | Les mots, le vent, les herbes racontent


    1. VENDREDI 17 AOÛT, 6h, MONASTÈRE DE S.
    LES MOTS, LE VENT, LES HERBES RACONTENT
    (extrait)





    C’est distraitement que je feuillette les pages du carnet en ce début de jour doux de même teinte céladon que le cœur couronné d’épines. Dans ce tendre pastel, il ne souffre plus les mille morts que je lui voyais, enfant, au plafond de l’église, où, brun ensanglanté, il tenait à la fois de l’allégorie de la torture et de l’enseigne de triperie. Ce que je relis pâlit et se corrode à la fraîcheur acide du matin, déblayé par l’aube ménagère et son dépoussiérage minutieux du moindre coin d’obscur.

    Quel ordre et quel désordre se contaminent à l’éclipse de la nuit, au frottement des peaux et des mots ?

    Je songe

    à un bec           à un soc

    à la Pythie répondant à Zénon cherchant une vie meilleure
    « Revêts la couleur des morts. »

    à l’aimer léger au pipeau de sept heures

    à ta nudité précisément

    au vivre vaguement

    dans le flottement des manches autour des bras, enfilant pantalon, chemise, chaussettes du même geste répété qui glisse les membres dans le froissement de l’étoffe, boutonnant la veste d’un mouvement quotidiennement recommencé, sa mécanique machinale inaugurant une connaissance nourrie par la seule attention.


    [Familier toi]. Dos sur le lit, levant
    les genoux jusqu’au visage presque, ôtant
    gymniquement ton pyjama
    tu es toi en toi respirant.
    Deux longues jambes dessinées,
    le sexe entre les cuisses fermes,
    tu es toi chez toi. Respirant.
    Le temps indistinct ouvre
    et ferme une infinité de visages.
    Des yeux internes parcourent
    leur mémoire invisiblement.
    La sérénité, répétitivement,
    à ce ballet de membres est une surprise ordinaire,
    la saveur d’un kiwi colonisé de soies.




    Claude Ber, Mues*, PURH (Presses universitaires de Rouen et du Havre), Collection « To » dirigée par Christophe Lamiot Enos, 2019, pp. 15-16.



    * Récit de la dernière matinée d’une résidence d’écriture au monastère de S., les sept feuillets de Mues croisent trois voix, celles du présent du 17 août en romains, celle du carnet tenu durant le séjour feuilleté en italiques et, en caractères bâtons, celle mue rétrospectivement par l’écriture.






    Claude Ber  Mues




    CLAUDE BER


    Claude-BER  ©-Adrienne-Arth NB
    Ph.© Adrienne Arth
    Source




    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes


    Épître Langue Louve (lecture d’AP)
    Il y a des choses que non (lecture d’AP)
    In memoriam (extrait d’Épître Langue Louve)
    La mort n’est jamais comme (lecture d’AP)
    Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    [Toujours la langue veut dire] (extrait du recueil Il y a des choses que non)
    Vues de vaches (lecture d’AP)
    Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    le miel à la bouche




    ■ Voir aussi ▼


    le site de l’écrivain Claude Ber
    → (sur le site des PURH)
    la page de l’éditeur sur Mues





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  • Jerome Rothenberg | Conversations en maya



    CONVERSATIONS EN MAYA




    Je vais t’apporter quelque chose,
    j’ai envie de parler le maya comme ceci.
    Quand j’aurai fini, je traduirai en espagnol
    et en anglais.
    Pour faire tout cela, tu dois écrire chaque vers sur le papier,
    exactement comme je suis en train de te le dire.
    Je vais parler avec toi de choses qui sont grandes.
    Je vais parler avec toi de choses qui sont petites.
    Il y a des choses étranges ;
    il y a des choses normales.
    Peut-être est-il possible de mettre une petite histoire sur le papier comme ceci,
    voilà qui est bien.
    Ou s’il n’est pas possible d’extraire une petite histoire, voilà qui est bien aussi.
    Ainsi en sera-t-il.
    Peut-être devras-tu écrire vingt pages pour une seule chose ;
    il te faudra le faire.
    Et de même, si tu dois écrire une seule page sur quelque chose,
    je te l’apporterai aussi.
    Je veux t’apporter beaucoup de choses en maya.
    J’ai envie de voir comment sortent les mots.
    J’ai envie d’apprendre comment fonctionnent les mots.
    J’ai envie de comprendre comment on les envoie partout dans le monde.



    Jerome Rothenberg, Secouer la citrouille, poésies traditionnelles des Indiens d’Amérique du Nord (Shaking the Pumpkin, Traditional Poetry of the Indian North Americas, première édition en 1972 par Doubleday Anchor. Réédition en 2014 par SHP Archive Editions), Presses Universitaires de Rouen et du Havre (PURH), Collection « To », 2015, page 188. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne Talvaz, avec la collaboration de Christophe Lamiot Enos.






    Jerome Rothenberg, Secouer la citrouille







    JEROME ROTHENBERG


    Rothenberg-1
    Source



    ■ Jerome Rothenberg
    sur Terres de femmes

    Ancestral scenes (IV)
    Poèmes des carnets du castor
    Visées : Kunapipi



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des Presses universitaires de Rouen et du Havre)
    la fiche de l’éditeur sur Secouer la citrouille
    → (sur lelitteraire.com)
    Jerome Rothenberg, Journal seneca & Secouer la citrouille, par Jean-Paul Gavard-Perret
    → (sur Poetry Foundation)
    une bio-bibliographie (en anglais) de Jerome Rothenberg





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  • Christophe Lamiot Enos, The Sun Brings

    par Sabine Huynh

    Christophe Lamiot Enos, The Sun Brings,
    Corrupt Press, 2013 (en anglais).



    Lecture de Sabine Huynh




    The Sun Brings est le premier recueil en anglais de Christophe Lamiot Enos. Il a été publié en 2013 par The Corrupt Press, une maison qui s’intéresse à la poésie d’anglophones résidant dans des pays non anglophones. Les œuvres en français du poète sont notamment éditées chez Flammarion, Passage d’encres, les éditions de l’Amandier, et les Presses Universitaires de Rouen et du Havre. Dès les premiers vers de The Sun Brings, nous prenons conscience de la puissance de la poésie offerte par le poète, dans une langue étonnamment fraîche, fluide et musicale :

    « Using a freshness in words / with bungalows on campus / provides some hope, the feeling / of notebooks throughout Europe / converging toward change » ― « Employer des mots débordant de vie / avec des pavillons sur le campus / donne un peu d’espoir, comme si / à travers l’Europe tous les carnets / convergeaient vers le changement ».

    Quand on l’entend lue à voix haute par son auteur, cette poésie coule, elle est flots, elle est chant, avec ses séquences et ses refrains, et l’on ne peut s’empêcher de penser à Pessoa, qui parlait d’écriture « qui danse, qui chante, qui se déclame d’elle-même. Il y a des rythmes qui sont de véritables danses, où la pensée se dénude en ondoyant, avec une sensualité translucide et parfaite » (Le Livre de l’intranquillité). Quand on la lit de près sur la page, on constate la force de son aspect formel, et son allure quelque peu claudicante aussi, puisqu’elle semble vouloir nous empêcher de la lire trop vite, nous retenant dans les rets de ses répétitions, de ses ellipses et de ses retournements, nous bousculant avec une langue qui est elle-même bousculée çà et là, syntaxiquement (pas dans ses sonorités), mais pas systématiquement, donnant parfois l’impression que l’anglais (désor)donné à lire n’est pas grammatical et ne fait pas sens. Et pourtant…

    Malgré l’apparente aberration occasionnelle qui interpelle le lecteur, sens et symbolisme sont bien là, avec cette impression que la vie (se) démembre, (se) disloque, et surtout que le chant orphique continuera à résonner, même la tête en bas, car le corps, au centre de ce recueil, s’est enveloppé de mots, sa nouvelle peau, constituée de morceaux de puzzle que le poète déplace inlassablement, créant des variantes, tentant de produire plus de sens, pour épaissir cette membrane protectrice ― le bouleversement syntaxique contribue à cette impression de confusion évoquée plus haut, tout en élargissant les possibilités sémantiques et interprétatives, un peu à la manière du poète américain E. E. Cummings :

    « Around the body, the words / like bungalows on campus / gathering, give a feeling / of freshness » ― « autour du corps, les mots / tels des pavillons sur le campus / se rassemblant, procurent une sensation / de fraîcheur ».

    Aussi, ces poèmes, dont chaque strophe reprend un ou plusieurs mots, « moment » par exemple ― « Give me a moment […] / grounded, the moment […] /stretches this moment […] / pleasant, such moment […] / extends a moment » (« un moment, donne-moi […] / un moment, ne bouge pas […] / un moment, étiré […] / de tels moments, si agréables ») ― distendent le temps, les instants.

    Le poète y loge l’été, le jardin, l’ombre et la lumière, « the big house » et ses silences, le goût du thé, les proches et le soleil, dont la lumière charrie les souvenirs ensauvagés que sa chaleur aide à apprivoiser. The Sun Brings, c’est « le soleil apporte »… les souvenirs perdus, mais aussi le soleil qui ramène par la main, rétablit, fait revenir… à la vie. Ce même soleil qui a probablement accompagné les premiers pas de Christophe Lamiot Enos durant sa convalescence est celui qu’il engage pour veiller sur sa mère, celui qui éclairait les moments heureux depuis les étés de l’enfance jusqu’à cet été de la renaissance trois années après l’accident.

    Ces poèmes sont autobiographiques. Christophe Lamiot Enos a été victime d’un très grave accident de la route en 1981, et l’on devine que la poésie lui a été bouée et hygiène de vie, de par ses contraintes formelles, tout comme elle l’a été pour d’autres rescapés, dont des survivants de la Shoah, comme l’écrivain israélien Uri Orlev, par exemple, alors qu’il était enfermé dans le camp de concentration de Bergen-Belsen à l’âge de treize ans (il y a composé, sur les planches de son châlit puis recopié dans un carnet de poche, des poèmes très matures et rimés. Cf. Poèmes écrits à Bergen-Belsen en 1944 en sa treizième année, éditions de l’éclat, 2011), ou comme l’ethnologue française Germaine Tillion, qui a composé à Ravensbrück, cachée au fond d’une caisse, son opérette Le Verfügbar aux Enfers, inspirée de l’Orphée aux Enfers d’Offenbach.

    Orphée est par ailleurs une figure centrale dans The Sun Brings, notamment à travers ce retour que Christophe Lamiot Enos entreprend vers l’accident qui a failli lui coûter la vie, alors que l’état de santé de sa mère se dégrade. Sa mère serait-elle une autre Eurydice, qu’il perd en retrouvant le monde des vivants ? Il y a aussi cette évocation réitérée des baies et des fruits pour lesquels le Bulbul Orphée, oiseau de l’ordre des Passériformes (les chanteurs et les migrateurs), a un faible. Ces baies sont déposées çà et là dans le texte, comme les cailloux dont se défait le Petit Poucet :

    « I REMEMBER PICKING BLACKCURRANTS » ― « je me souviens avoir cueilli du cassis » (en lettres majuscules dans le texte).

    Cette cueillette de cassis précède un orage qui a marqué le poète. En contrepoint aux poèmes à la langue à la fois souple et retenue ― composée de sonorités qui se font écho au sein de séquences, une langue tout en spirales, langue rênée d’une renaissance, comme étonnée par sa présence au monde, langue aussi belle qu’un cheval sauvage harnaché ― se déploient des notes brèves ressemblant à des entrées de journal intime (« entries in a diary ») et qui forment des bribes de souvenirs introduites par « I REMEMBER » ― « je me souviens », en lettres majuscules pour ne pas se méprendre sur leur importance capitale : elles annexent aux poèmes un autre présent que celui auquel il se réfère, leur rajoutant un cœur battant, et les soutenant comme le feraient des repères ou des légendes, « slowly, like crutches feeling / the ground » ― « lentement, comme des béquilles tâtant / le sol ». Ainsi Christophe Lamiot Enos semble-t-il rejoindre Georges Perec dans sa recherche autobiographique d’images ou de souvenirs fiables. Les plus fiables, ceux qui reviennent sans cesse, sont consignés dans la marge et sont capitaux, car ce sont les plus vifs, ceux qui peut-être gardent en vie ou maintiennent la conscience en éveil, les lignes de force de son histoire et de son existence. À la façon de Perec, le poète de The Sun Brings accueille les souvenirs qui refont surface et les transcrit. Mais, contrairement à Perec, ceux-ci s’inscrivent dans la marge et ne concernent pas forcément des objets, des lieux, des faits, des personnes et des paroles plutôt banals pour lesquels le poète ressent de la nostalgie et qu’il souhaite documenter, accumuler, mais plutôt des événements saillants de son existence (« I REMEMBER MY MOTHER TELLING ME WHAT TO DO WITH HER REMAINS AFTER SHE DIES » ― « je me souviens de ma mère me disant comment disposer de ses restes après sa mort »), des moments-clefs, de résurgence et de récurrence ― ce dernier mot désignant à la fois le fait de se répéter et de revenir… en arrière… chercher sa mère, comme Orphée voulait récupérer Eurydice ? Des souvenirs qui semblent tourner en rond et se mordre la queue.

    Cette poésie exigeante à la syntaxe non conventionnelle est aussi une poésie puissamment incantatoire. Le mouvement ondulatoire qui anime la voix qui la porte suscite une envie irrésistible de se lever, de bouger, de danser même, en s’abandonnant innocemment à l’oubli. Nul ne peut rester immobile en l’entendant car elle est poésie hypnotique du mouvement, du plaisir et du souffle vital (restitués à son auteur trois ans après l’accident ?). Mouvement dans la mémoire aussi, allers-retours infatigables dans les souvenirs et dans leurs interstices, à la recherche d’indices, de signes, et de stratégies pour figer le temps et défier la pesanteur, le crash. En effet, en écho au va-et-vient rythmique et sensuel, porté par la répétition alternée de vers et de sons, qui ralentissent, qui pétrissent le temps, le lecteur est constamment ramené aux mêmes événements, aux mêmes années, dont 1981, 1984, 2011 et 2012. Les répétitions de mots donnent une impression de flux de conscience, de fontaine intarissable, et nous poussent à nous arrêter sur les multiples sens des termes employés. C’est un procédé que Gertrude Stein affectionnait pour élargir l’étendue significative des mots, comme dans une tentative d’épuisement de leur sens (Christophe Lamiot Enos est un familier de la poésie de Stein, pour l’avoir traduite).

    The Sun Brings se déploie comme un récit tissé de vers qui glissent et font des ricochets sur l’étang de la mémoire, pour faire état de corps qui ont eux-mêmes perdu le contrôle (celui du poète et celui de sa mère) et se raccrochent aux mots pour garder leur contenance, pour que leur contenu ne leur échappe pas dans le délitement. En anglais, on parle de garder sa « composure », un mot qui vient de composition et qui, comme le mot « contenance », parle de ce qui est à l’intérieur, ce que nous contenons et dont nous sommes composés. Perdre son calme ou sa « composure » se dit aussi « to fall apart » : se décomposer, se démembrer, se morceler. À cette éventualité répond le côté extrêmement structuré du recueil.

    1981 est l’année du grave accident de la route en Normandie, qui plonge Christophe Lamiot Enos dans un coma dont il ressort avec des troubles de la mémoire, et dans un gouffre duquel il ne refait surface que trois ans plus tard, en 1984, année dont le souvenir le plus fort semble être celui de vacances de Pâques passées à Londres, et d’une balade magique à Hampstead, qui donne l’impression qu’il s’agit des premiers pas du rescapé :

    « I keep running the pavements / Sunny the pavements upward / to Hampstead Heath all the way » ― « je ne me lasse pas de courir sur les trottoirs / Ensoleillés les trottoirs qui montent / directement jusqu’à Hampstead Heath ».

    Dans le recueil, la première évocation de l’accident et du combat contre l’amnésie est immédiatement suivie d’un poème rempli de blancs, de nuages, parmi lesquels les mots semblent flotter comme des essaims d’insectes à la dérive, cherchant origine et sens. 1981 est également l’année de moments heureux passés dans une maison en Angleterre avec la mère du poète et des amis, instants étirés au maximum dans les textes de The Sun Brings, comme nous l’avons vu plus haut, notamment grâce à des procédés tels que l’accumulation, la juxtaposition, l’inversion et la répétition. Le poète se recueille sur des moments d’émerveillement et sur une douceur de vivre révolue.

    2011 est l’année de la menace, où le poète et sa mère prennent conscience que la vie de celle-ci est en danger, année aussi durant laquelle des souvenirs d’enfance du poète ressurgissent, souvenirs d’hiver, de tombes, de serpent. « I REMEMBER “LE PETIT BOIS” » ― « je me souviens du Petit Bois », mais aussi d’un bois plus grand, le « WOOD OF THE TOMBS » ― « le bois des tombes » ; « I REMEMBER THE LANGLOIS-BERTHELOT FAMILY TOMBS, IN A BIGGER WOOD » ― « je me souviens des tombes de la famille Langlois-Berthelot, dans un bois plus grand ». Revenir aux bois de la dryade Eurydice…

    2012 est l’année de l’opération du cœur de la mère, à qui The Sun Brings est dédié (son portrait en noir et blanc orne la couverture du recueil). Et le poète répète « my mother my mother », comme un mantra qui aurait le pouvoir de prolonger sa présence ici-bas. L’un des poèmes les plus touchants qui lui sont dédiés est probablement celui-ci :

    I send you this, my mother      Ceci je t’envoie, ma mère
    this a few words, this a card      ceci ces quelques mots, ceci cette carte
    for you to see, my mother      pour tes yeux à toi, ma mère
    that with some joy, I send you     qu’en joie je t’envoie
    with joy walking, with this card     qu’en joie je marche, avec cette carte
    walking, my walk, this, to you     qui marche, comme je marche, ainsi, vers toi
    it walks to you, my mother     marche vers toi, ma mère
    a walk special to a card     d’une démarche de carte
    as I do walk, my mother      comme je marche moi, ma mère
    through galleries, I send you     à travers les galeries, je t’envoie
    of galleries, this a card     des galeries, ceci une carte
    to put through the mail to you     à poster vers toi
    I send you heart, my mother     je t’envoie du coeur, ma mère
    this from my heart, this a card     ceci de mon coeur, ceci une carte
    my heart from you, my mother.      mon coeur de toi, ma mère.

    « I REMEMBER A SMALL SNAKE I SAW WHEN A CHILD IN THE “PETIT BOIS” » ― « je me souviens d’un petit serpent que j’ai vu dans le Petit Bois quand j’étais enfant », nous dit le poète : la vipère qui mordit Eurydice. « I REMEMBER OF THE STORY YOU TOLD OF HAVING BEEN ONCE UNDER THE THREAT OF A SEXUAL AGGRESSION » ― « je me souviens de l’histoire que tu m’avais racontée concernant une agression sexuelle dont tu avais été menacée » : une nouvelle fois, Eurydice, fuyant Aristée, est victime de la vipère, ce serpent qui « [s]’acharne sur la beauté », comme l’avait définie Apollinaire dans son Bestiaire ou Cortège d’Orphée (1911). « I REMEMBER SOME OF MY CONVERSATIONS WITH ANIMALS WHILE A CHILD AT MY PARENTS’ » ― « je me souviens de conversations que j’avais avec des animaux quand j’étais enfant, chez mes parents » : ainsi le poète parvenait-il à charmer les bêtes tout comme Orphée se faisait écouter des animaux de la forêt grâce à sa lyre et à son chant. Vous l’aurez compris, la langue orphique de The Sun Brings est une fascinante langue à rebours, à la Cummings donc, celle d’une poésie qui retrousse la langue en arrivant à l’écriture, soit à l’inscription de souvenirs-clefs majeurs (souvenirs auxquels le poète semble avoir attaché tous les fils de sa vie) dans une mémoire aussi trouble qu’un étang, à partir de l’effacement. « To wake up / to a pond / like a past » ― « se réveiller / face à un étang / tel un passé », un passé tellement vaseux que l’on ne distinguerait plus ce qu’il contient ? Christophe Lamiot Enos est parti du néant pour arriver à une composition musicale intense et réussie. Son « poème-journal », ou récit en vers impulsifs, à la langue qui décolle, relève du tour de force et de l’acrobatie linguistique.



    Sabine Huynh
    D.R. Texte Sabine Huynh
    pour Terres de femmes






    __________________________
    NOTE : toutes les traductions en français des extraits de The Sun Brings sont de Sabine Huynh.






    Christophe Lamiot Enos, The Sun Brings





    CHRISTOPHE LAMIOT ENOS


    Lamiot-enos-christophe
    Ph. © Olivier Roller
    Source




    ■ Christophe Lamiot Enos
    sur Terres de femmes

    19 mai 2007 | Christophe Lamiot Enos, « Passage le livre »



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Christophe Lamiot Enos
    → (sur le site du Matricule des Anges)
    un entretien de Christophe Lamiot Enos avec Emmanuel Laugier





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  • 19 mai 2007 | Christophe Lamiot Énos, « Passage le livre »

    Éphéméride culturelle à rebours


    La-Lucarne-des-ecrivains1
    Source






    LE SAMEDI 19 MAI 2007, 115 RUE DE L’OURCQ, ARMEL EN CHEMISE



    La chemise les accueille
    avec, façon épaulettes
    symétrique, un motif, vers le haut

    les passants : passé le seuil
    voici, Armel, des assiettes
    en carton à remplir, des gâteaux

    des boissons. Fin comme feuille
    le motif frappe, qui prête
    à la lecture, avec froids et chauds.





    LE SAMEDI 19 MAI 2007, JEUNE FEMME CHERCHANT DES LIVRES EN ANGLAIS



    La voix qui tremble, ce très vrai, très
    pour dire quoi, lentement — que portent
    les émotions, routes à travers

    des livres, que la lumière plaît
    de cette après-midi, que transporte
    nous trouble, le frisson, étrangère

    blonde : tes cheveux rieurs, tes traits
    d’ailleurs ici, nous forment cohorte
    que, frémissements, tu considères.





    LE SAMEDI 19 MAI 2007, 115 RUE DE L’OURCQ TOUJOURS, ROBERT



    Se fait, un endroit, dédié au livre
    peu à peu. La soirée se remplit
    par écoutes

    de ce fait. L’endroit, va, nous enivre
    feuillet à feuillet. Nous font des plis
    comme routes

    ce fait, l’endroit, qu’il fait bon y vivre —
    qu’ainsi, le passé, dans l’aujourd’hui
    s’ouvre, soute.





    LE SAMEDI 19 MAI 2007, 115 RUE DE L’OURCQ, « LA LUCARNE DES ÉCRIVAINS », PHILIPPE



    De lectures des journaux
    non pas pour information
    mais quelque musclée formule

    dont se doter, en appeau
    le sentiment de scansion
    porter, porter tant lunule

    comme cadeau, sur le dos :
    un instrument, ses leçons
    de musique, somnambule.





    Christophe Lamiot Énos, « Passage le livre », (…) sur la ligne, Éditions de l’Amandier, Collection Accents graves / accents aigus, 2015, pp. 136-137-138-139.





    Surlaligne





    CHRISTOPHE LAMIOT ÉNOS


    Lamiot-enos-christophe
    Ph. © Olivier Roller
    Source




    ■ Christophe Lamiot Enos
    sur Terres de femmes

    The Sun Brings (lecture de Sabine Huynh)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Christophe Lamiot Énos
    → (sur le site des éditions de l’Amandier)
    une fiche sur (…) sur la ligne de Christophe Lamiot Énos
    → (sur le site du Matricule des Anges)
    un entretien de Christophe Lamiot Énos avec Emmanuel Laugier





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