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Étiquette : Claudine Bohi
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Claudine Bohi | L’invisible
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Claudine Bohi | [brouillard n’est pas absence]
[BROUILLARD N’EST PAS ABSENCE]
brouillard n’est pas absence
mais totalité de présence
dentelle sur la nuit
voile sur le mystère
paradoxe de la lumière
d’une joie que l’on ne comprend pas
comme si le temps
était devenu espace
non pas visible
mais informant la vision
ouvrant les signes
à ce qui les fait naître
partout cette chair intouchable
partout cette lumière
qui ne se montre pas
et partout le brouillard
cette épaule invisible
qui nous protège
cette joie cette folie
cette certitude incertaine
cette indécision du désir
et ce mot qui fait signe
qui boit tout le brouillard d’un coup
qui le fait nôtre
Claudine Bohi, Éloge du brouillard, Les Lieux-Dits éditions, Collection Jour & Nuit, Strasbourg, 2017, pp. 50-51-52-53.
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Martine – Gabrielle Konorski | Verticale
MARTINE KONORSKI
Ph. D.R. Pascal Therme
Source
■ Martine – Gabrielle Konorski
sur Terres de femmes ▼
→ [Les mots cognent] (extrait de Bethani)
→ Bethani (lecture d’AP)
→ Instant de Terres (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
→ « Un point ouvert » (extrait d’Instant de Terres)
→ un autre poème extrait d’« Un point ouvert » (Instant de Terres)
→ [Au versant de la pierre-écritoire] (extrait de Je te vois pâle… au loin)
→ (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) [Vissée à la plante des pieds]
■ Voir aussi ▼
→ (sur Recours au Poème) une recension d’Une lumière s’accorde, par Isabelle Lévesque
→ (sur Levure Littéraire) des extraits de Je te vois pâle… au loin (+ une notice bio-bibliographique)
→ (sur Les Carnets d’Eucharis) d’autres extraits de Je te vois pâle… au loin (+ une notice bio-bibliographique)
→ (sur le site Robert le Diable, carnet de curiosités littéraires) une notice bio-bibliographique sur Martine – Gabrielle Konorski
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Claudine Bohi | Si ce n’est pas tremblerSI CE N’EST PAS TREMBLER
si ce n’est pas trembler
tout l’or du monde alors renversé dans les mains
ne peut servir
le bleu du ciel dans ses brassées d’écume
si ce n’est pas trembler
et le corps sous le souffle
creusé comme son évidence
la nuit rassemblée entière dans son brasier
et tout cela disparaît qui n’est pas la joie
si ce n’est pas trembler
ce qui s’appelle vivre n’a pas traversé
à sa naissance
n’est pas venu
Claudine Bohi, « Sur l’île de la nitescence », in Pas d’ici pas d’ailleurs, Anthologie poétique francophone de voix féminines contemporaines, éditions Voix d’encre, 2012, page 180.
CLAUDINE BOHI
[brouillard n’est pas absence] (poème extrait d’Éloge du brouillard)
■ Claudine Bohi
sur Terres de femmes ▼
→
→ [Duels de lumière] (poème extrait de La plus mendiante)
→ [L’eau son puits étrange] (poème extrait d’On serre les mots)
→ Le funambule sans son fil (poème extrait de Même pas)
→ Mère la seule (lecture d’Isabelle Lévesque)
→ [je laisse tomber le mot maman] (poème extrait de Mère la seule)
→ Une lumière de terre (poème extrait d’Une saison de neige avec thé)
→ Claudine Bohi | Olivier Gouéry [Voici donc le matin]
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique de la Poéthèque sur Claudine Bohi
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Claudine Bohi, Mère la seule
par Isabelle LévesqueClaudine Bohi, Mère la seule, poèmes
Éditions Le bruit des autres, 2015.
Peinture de couverture de Germain Roesz.
Lecture d’Isabelle LévesqueTête de liste : Mère la seule. À l’entame où, blessé, le poème commence, une marque (cicatrice de naître ?). On dirait une conjuration, mot lancé là, laissé, pour affronter la réalité. L’envisager :
« l’image est noire
à mettre du blancdessus ».
Ce pourrait être un chant d’amour, l’action de grâce de l’enfant à celle qui la porta.Mais.Biffer. On avance en hésitant, on cherche qui, là ? Mère, image-confort de celle qui donne le lait, le doux, la présence. Une femme se refuse à son enfant. Cela attendu n’a pas eu lieu :
« mèreet la douce la douceur tant ».
On peut essayer, en faisant dériver les mots, de donner corps à une réalité, la voici démentie, contredite :
« mère çaon n’a pas eu
jamais
on n’a pas eu ».
La dérivation alors aussi entérine, « le soir est tombé tombant qui tombe », ce qui est, revenant à ce qui ne peut être autrement. Décidément, quelque chose n’a pas eu lieu.
Dire essore l’image idéale réfutée, en une langue simple qui s’articule sur un dévoilement progressif (inéluctable). Complicité repoussée en fin de poème, la proximité, l’unisson du cœur mère-enfant, qui ne fut pas, force le texte : le pronom neutre, « ça », asséné, nie les personnes et ce lien, il manque. Place à une indifférence mise sur le devant, sans émotion exacerbée, qui a marqué la fille portant trace, retrouvant parfois la langue en cours de construction de l’enfant :
« ça tombe partout
n’a pas fermé la portemère
a oublié
pas me mettre derrièrepas pu
dans ce trou-là j’ai peur
depuis »
Sujet avalé par la peine, chagrin d’enfant informulable autrement que par des infinitifs, des tournures orales minimales, ou des structures syntaxiques en cours d’élaboration. L’adulte redevient l’enfant happée par la peur et l’expérience passée, douloureuse comme un poing fermé qui garde les verbes conjugués réduisant le cœur du poème à la négation qui engloutit l’être.
À cet égard, bien des compléments circonstanciels orientent le perçu vers l’émotion négative : entre « dedans le monde » et « dans la terreur » vit la mère dont la force pousse vers ce qui entrave, lamine ou précipite. Le don inversé va vers le terrible, mère-fée qui se penche pour octroyer les mauvais sorts et réactualiser l’image sombre de la marâtre des contes :
« tu donnais de la mort toujoursà tétersentirparler ».
Force qui pousse, face obscure, « mère » à contre-courant de la forme protectrice traditionnelle :
« dans ta poubelle de peurs
jetée avec ».
Fin de poèmes : la narratrice gît là, soumise à l’action exclusive du rejet de celle qui l’a enfantée. Alors l’équivalence s’établit entre le nom (distant, jamais « maman ») et des termes péjoratifs jusqu’à la négation même du lien ou son exclusion du champ de perception comme une construction sans :
« mère peurmère mort
mère pas »
Ce qui manque, ici, traverse le poème en minimes assertions qui ne peuvent se déployer car elles sont conditionnées par le manque (et père « pas là », « sa valise seulement posée partout »). Mot « trou » (ou « peur ») récurrent : celui où tomber, celui creusé par manque :
« la chair est pleine de trousoù ne vient pas l’amour ».
Tomber, le temps le fera glisser vers « je laisse tomber le mot maman », la distance du mot « mère » préférée au nom Maman. Affection recluse en la fille seule (enfermée).
Difficile de définir pourquoi, d’expliciter. Les tournures neutres (« ce qui… ») permettent le constat, sans envisager les causes, et dressent un portrait où chaque vers installe loin l’enfant / la mère jusqu’au déni de statut : « c’est une mère fausse elle est pas vraie », substituant à la douleur forcément éprouvée (force du forceps !), ramenant la personne à « du toc » comme on chanterait faux sur la partition filiale en souffrance, dressant Verlaine / Rimbaud en porte-à-faux de poésie musicienne : le coup de feu, le tapage, le désastre. Les poètes nommés ou suggérés (Apollinaire et le pont) ne laissent couler qu’une eau de source souillée, « un grand détournement d’images ». Mère de glace et poussant sur le bord du vide celle qui, née, est de trop. Des mots « tout froids », évoquant le corps sans vie, obligeant la fille à feindre, jouer dans une parade un rôle qui sonne faux pour être avec alors que sans fatal :
« alors je t’ai coupée au fond de moiun gros morceau de toi je me l’enlève
mère je t’arrache douleur ma chair ».
La voix de l’enfant s’entend à travers celle de l’adulte et le passé n’est plus tout à fait le passé. En cette langue simple, directe, les images ne font pas écran. Elles examinent ou exacerbent : « tuer avec tes mots » à prendre au sens propre ou entendre « tu es », affirmant l’impossibilité pour la mère d’exister à côté de sa fille. Menace réciproque, équivoque car l’aînée ne laisse aucune chance à sa fille sauf à fausser son identité, sa voix charriant une représentation du monde où, repoussée sans cesse, elle voit aussi les autres dans le prisme de la haine (les hommes en particulier) de sa mère. Transfert : léguer à l’enfant ses propres démons, en même temps que le lait nourricier, perversité suprême, « tu me mélangeais petite dans de la mort » :
« toutes tes peursoui toutes
cousues manteau ensemble ».
Alors l’enfant pour (s’en) sortir détache d’elle-même sa mère, sort de son « tombeau », « c’est long ». C’est aussi ce livre qui suit la minutie des attaques, l’obstination de l’auteur à traquer ce mot « mère » pour décrire ce qu’il recouvre et découvre. Ravage : les prépositions (en, dans, dedans, partout) évoquent un processus d’assaut, d’étouffement. Mais la nuit fait sa révolution, enfin le « je » devient sujet : de réflexion, d’action grâce au déploiement de verbes entêtés : « je respire / je tente / je traduis », au présent forcément vrai de qui veut naître enfin, exister « avec » dans une simultanéité concordante et non aliénante. Les loups, ceux du bois du corps infiltrés par la mère, sont chassés. Une fois coupée la peur, la vie commence, « mais pas ensemble maintenant / pas ensemble ». Entre « tu me doutais », « je me savais », un processus : les deux pronoms personnels, chaque complément d’objet direct ici inattendu, affirment enfin l’existence d’un « je » détaché de la mère. La conscience a tout bousculé pour expulser celle qui fit naître, et pourtant dévaste et vide. Ce processus inversant le chemin habituel de la naissance donne enfin une identité propre qui peut se substituer à ce qui est attendu d’une mère :
« depuis longtemps toujoursje me mamame sans toi ».
Ce soin, cette sollicitude, les mots la fondent, doublant la mère réelle de celle qui, espérée, ne vient jamais – n’existe pas. Effort pour tendre la main vers le bleu, le mettre devant ses yeux : sans un point, les vers avancent, dressant ce portrait en pointillés répétés d’une mère refusée et celui d’une enfant qui, marchant sur le fil qu’elle tisse, écrivant, inversant le sort et les liens pour refermer les blessures, même si trop tard impossible :
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Claudine Bohi | [je laisse tomber le mot maman]
Retour au répertoire du numéro de juin 2015
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Claudine Bohi | Olivier Gouéry [Voici donc le matin]
Ph. Olivier Gouéry
Source
[VOICI DONC LE MATIN]
Voici donc le matin et sa brassée de frais qui éponge le ciel on entre dans le blanc comme dans une image elle est enfin collée sur le cahier on peut la regarder en douce elle ne s’efface pas elle ne tombera pas elle n’est pas déchirée on la voit quand on veut c’est sûr on va descendre dans cette permanence dans cette certitude dans cette assise-là tu ouvriras les poings dans ta parole ah oui ! vivre est maintenant posé là sur la route et d’un seul coup on voit les choses en vrai oui c’est là et tu marches à grands pas dans le matin des villes soulevant la blancheur comme un coin de rideau la rue s’invente dans son oubli quelque chose revient qui ne fut pas au monde et que tu portes dans tes bras on a rangé les voitures le long d’une autre rive dans un autre sommeil le corps est plein de blanc le saviez-vous ? il y a en lui cette neige liquide et très heureuse l’air y déplie parfois ses poumons larges et ses flocons cela devient possible de nommer un espace vivant tu te prends par la main tu touches une ouverture la délivrance c’est juste un décalage oui c’est un pas de côté dans les jambes tous les chemins sont inconnus et c’est bien la merveille tu poses ta fatigue à même le sol tu ne crois plus du tout en elle
Claudine Bohi, L’œil est parfois rétif, poèmes, Galerie L’œil écoute | Éditions Le bruit des autres, 2013, page 33. Photographies d’Olivier Gouéry.
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Claudine Bohi | [L’eau son puits étrange]
Ph., G.AdC
[L’EAU SON PUITS ÉTRANGE]
l’eau
son puits étrange
où tombe le jour
une matière crie
vers l’abîme
engendre son obscurité
la nuit a dégrafé le vent
tu cherches
ce qu’elle retient
tu roules
dans ce sillage
tu vas dans le secret
tu vas
plus loin
le ciel soumis
dans cette parenté
du bord
a échappé
la peau toujours
est traversée
par une porosité de la lumière
l’air crie
vers l’horizon
tu es dedans
Claudine Bohi, On serre les mots, poèmes, Éditions Le bruit des autres, 2013, pp. 70-71.
Retour au répertoire du numéro de juin 2013
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Claudine Bohi | [Duels de lumière]
Ph., G.AdC
[DUELS DE LUMIÈRE]
Duels de lumières
élargissant le ciel jetant le rose dans le bleu
roulant du vert au jaune sous la langue
et sur la mer
c’est du coup le dénuement du sens
son vide à l’horizon
voici sa pauvreté sa dilution dans un espace
trop lavé
tu respires mal
tu enfonces tes mains dans le sable
pour éprouver
pour tenir
un désert s’étend dans les mots
tout s’évide et se creuse
il n’y a plus de signes
rien sinon l’implacable fourmillement des choses
du verre sous les paupières un craquement du
silence
mourir dans ces brisements
Claudine Bohi, La plus mendiante, Le bruit des autres, 2007, page 32.
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Claudine Bohi | Le funambule sans son fil
Peinture de Joanna Flatau
(première de couverture de Même pas de Claudine Bohi)
Source
LE FUNAMBULE SANS SON FIL
Le funambule sans son fil
et debout
dans son vide
vivre c’est là
la peau devient loin sur toi
même frottée
rien est si plein
ça envahit
plus grand que le ciel
plus fort
les cris ensemble
sont mêlés brouillés
emportés par les fantômes
c’est oublié
disparu
englouti
loin sous la boue
noyer
respirer pas d’air
toutes les phrases sont perdues
égarées
éparpillées
c’est là rien
mourir partout
avec personne dedans
Claudine Bohi, Même pas, Le bruit des autres, Limoges, 2009, pp. 34-35-36-37.
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