Étiquette : Collection Blanche


  • Philippe Jaccottet | [Considérez le ciel solaire]


    [CONSIDÉREZ LE CIEL SOLAIRE]



    Considérez le ciel solaire
    à l’heure de l’extrême incandescence :
    c’est là qu’il nous faut traverser.

    Des barques croisent dans ce lac de lumière.

    Aiguisez mieux votre regard :
    vous les verrez franchir sans bruit cette brume éblouie
    et, par-delà, s’ancrer dans les eaux de la nuit
    pour y plonger éternellement leurs filets

    dans les profondeurs.



    Philippe Jaccottet, Le Dernier Livre de Madrigaux, II, poèmes, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2021, page 31.






    Philippe Jaccottet  Le dernier livre de madrigaux 2
    feuilleter le livre



    PHILIPPE JACCOTTET


    Jaccottet Poncet
    Ph. © F. Poncet
    Source






    ■ Philippe Jaccottet
    sur Terres de femmes


    Accepter ne se peut (poème extrait d’Airs)
    Tout à la fin de la nuit (autre poème extrait d’Airs)
    [Toute fleur n’est que de la nuit] (autre poème extrait d’Airs)
    [Les larmes quelquefois montent aux yeux] (poème extrait d’À la lumière d’hiver)
    (Tombeau du poète)[The poet’s tomb] (poème extrait de Cahier de verdure)
    1er janvier 1950 | Philippe Jaccottet, Agrigente (poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Sois tranquille, cela viendra !] (autre poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Encore des fleurs ? | Flowers again ?] (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Toute fleur qui s’ouvre (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)
    3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet
    Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
    Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
    26 juin | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la Radio Télévision suisse)
    un entretien avec Philippe Jaccottet (émission En personne du 21 avril 1975)





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  • Jean Marc Sourdillon | On naît


    LUMIÈRE 2
    « … on fait de nous une lumière
    une seule et même lumière hors l’éparpillement des étincelles »
    Ph., G.AdC






    ON NAÎT



    On naît on écrit
    c’est d’un même élan d’une même poussée

    On naît comme on aime
    moitié veillant moitié dormant.

    On s’éveille à l’intérieur d’un rêve.

    *

    On naît on ne sait comment.

    On garde en soi cette poussée, cet appel, comme une trace, un trésor secret, un moment du mouvement perpétuel qui nous entraîne.

    Le long de cet élan, on se déploie, on écrit, on se révèle.

    Mouvement qui fait de nous comme une aurore discontinue, un clignotement dans le temps, une présence de plus en plus réelle.

    *

    On naît on aime on écrit
    parce qu’il y a un toi en face de soi
    qui nous éclaire qui nous appelle.

    *

    On naît on ne sait comment ni pourquoi
    on n’en finit pas de naître
    on est du temps qui s’allume et se déploie.

    *

    On naît on aime on écrit
    on nous éclaire, on fait de nous une lumière
    une seule et même lumière hors l’éparpillement des étincelles



    Jean Marc Sourdillon, « La naissance inachevée », L’Unique Réponse, poèmes, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2020, pp. 86-87.






    Sourdillon



    JEAN MARC SOURDILLON


    Jean-Marc Sourdillon 2
    Source




    ■ Jean Marc Sourdillon
    sur Terres de femmes


    Le milan (autre poème extrait de L’Unique Réponse)
    Comme des frères
    [Cet imperceptible oiseau très loin] (extrait de Dix secondes tigre)
    Au commencement (extrait des Miens de Personne)
    [Deux fois l’an, pendant l’été] (extrait d’En vue de naître)
    Les Tourterelles (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼

    une lecture de L’Unique Réponse par Jean-Michel Maulpoix [PDF]




    ■ Note de lecture de Jean Marc Sourdillon
    sur Terres de femmes


    Isabelle Lévesque, Le Fil de givre





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  • Philippe Jaccottet | [Les larmes quelquefois montent aux yeux]


    [LES LARMES QUELQUEFOIS MONTENT AUX YEUX]




    Les larmes quelquefois montent aux yeux
    comme d’une source,
    elles sont de la brume sur des lacs,
    un trouble du jour intérieur,
    une eau que la peine a salée.

    La seule grâce à demander aux dieux lointains,
    aux dieux muets, aveugles, détournés,
    à ces fuyards,
    ne serait-elle pas que toute larme répandue
    sur le visage proche
    dans l’invisible terre fît germer
    un blé inépuisable ?





    Philippe Jaccottet, À la lumière d’hiver, éditions Gallimard, Collection Blanche, 1977, in Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard, 2014, page 579. Édition établie par José-Flore Tappy, avec Hervé Ferrage, Doris Jakubec et Jean-Marc Sourdillon. Préface de Fabio Pusterla.







    Jaccottet Pléiade




    PHILIPPE JACCOTTET


    Jaccottet Poncet
    Ph. © F. Poncet
    Source






    ■ Philippe Jaccottet
    sur Terres de femmes


    Accepter ne se peut (poème extrait d’Airs)
    Tout à la fin de la nuit (autre poème extrait d’Airs)
    [Toute fleur n’est que de la nuit] (autre poème extrait d’Airs)
    (Tombeau du poète)[The poet’s tomb] (poème extrait de Cahier de verdure)
    [Considérez le ciel solaire] (poème extrait du Dernier Livre de Madrigaux)
    1er janvier 1950 | Philippe Jaccottet, Agrigente (poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Sois tranquille, cela viendra !] (autre poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Encore des fleurs ? | Flowers again ?] (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Toute fleur qui s’ouvre (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)
    3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet
    Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
    Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
    26 juin | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la Radio Télévision suisse)
    un entretien avec Philippe Jaccottet (émission En personne du 21 avril 1975)





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  • Pierre Péju, L’Œil de la nuit

    par Sylvie Fabre G.

    Pierre Péju, L’Œil de la nuit,
    éditions Gallimard, Collection Blanche, 2019.



    Lecture de Sylvie Fabre G.


    L’ŒIL DE LA NUIT


    « Pourquoi ne sommes-nous pas
    restés des enfants ? »



    Tout ce que nous écrivons a ses racines dans le sentiment de la vie qui nous habite. Il trouve sa source plus ou moins heureuse dans le passé et ses forces favorables ou contraires dans le présent. Le romancier qui illustre cette vérité donne à voir et à penser nos destins, singulier et collectif, à travers des visages, des lieux et des temps mais aussi des savoirs qui rencontrent ses obsessions personnelles et quelques-unes de nos interrogations communes. Ainsi le dernier livre de Pierre Péju, L’Œil de la nuit, paru en 2019 aux éditions Gallimard et repris en 2020 en bande dessinée, avec le dessinateur Lionel Richerand, chez Casterman, met-il en scène un personnage réel, Horace W. Frink, dont le parcours nous éclaire sur l’état de la société et de l’être à un moment de son histoire et peut-être aussi de la nôtre.

    C’est après des voyages aux États-Unis en effet que l’auteur a eu le désir de questionner la persistance « du rêve américain » et les effets de « son optimisme de principe ou de façade » confronté aux évolutions de la modernité et du capitalisme. L’arrivée, à l’aube du XXe siècle, de la psychanalyse en fait partie et a infléchi les manières de penser l’homme et sa liberté. Au cours de ses recherches, l’auteur découvre un de ses pionniers en Horace Frink, un adepte, confrère et patient de Freud, dont le rôle lui apparaît étrangement méconnu. N’a-t-il pas tenu une place certaine dans l’implantation de cette nouvelle science de par sa pratique personnelle de médecin et d’essayiste ? Ces éléments, joints à sa fin tragique et au mystère de son effacement dans l’histoire de la psychanalyse, poussent Pierre Péju à s’emparer de son histoire pour en faire une nouvelle figure romanesque : un héros, réinventé, proie de son inconscient et toujours en quête de lui-même dans un Nouveau Monde et un Ancien Monde, troublés par la guerre, ébranlés par les mutations techniques, sociales et humaines que chacun doit y affronter, ainsi que nous l’exposent les premières pages du roman : « L’Europe à feu et à sang. Là-bas sur le Vieux Continent, c’était la guerre ! […] Innombrables étaient ceux, de toutes origines, qui ne songeaient qu’à oublier un vieux monde qu’ils avaient quitté au prix de peines et de souffrances. » […] « Que se passait-il dans les corps et dans les têtes ? Malaises et malheurs. Espérances et naïvetés. Incertitudes et violences. Et voilà qu’on entreprenait de soigner les gens en les invitant à parler de leur sexualité et à reconstituer ce qui avait bien pu leur arriver de funeste, dans leur enfance. »

    L’histoire commence donc un soir de printemps 1915 dans le quartier où vit et exerce le « docteur Frink », psychiatre-psychanalyste reconnu. À trente-deux ans, sa réussite professionnelle et son mariage n’empêchent pas son déséquilibre intérieur perceptible : « Tandis qu’il errait dans Manhattan […] des bribes de phrases énigmatiques […] des images le hantaient. Des rêves faits par d’autres mais qui semblaient mystérieusement décalqués de ses propres rêves. ». L’espace extérieur – la ville de New York de nuit – semble en être contaminé car le narrateur omniscient adopte le point de vue interne pour nous entraîner dans son atmosphère ténébreuse. L’oppression causée par les tours, la fièvre agressive des rues et le visage hanté d’Horace seront habilement traduites dans la bande dessinée par les vignettes expressives, en noir et blanc, de Lionel Richerand. La coloration psychologique et les descriptions hallucinatoires de l’incipit donnent sa tonalité d’ensemble au roman, et mettent l’accent sur le caractère tourmenté du héros. L’auteur nous plonge dans ses errances insomniaques et nous révèle sa tendance à l’alcoolisme qu’expliquent ses conflits existentiels profonds. Le titre, L’Œil de la nuit, dont l’image demande interprétation, s’éclaire : Frink est d’abord celui qui, au sens propre, ne peut pas « fermer l’œil de la nuit » parce qu’il est assailli par des visions cauchemardesques : « la main réduite en cendres, le cheval qui sue du sang ». Les soliloques incessants du personnage tournent vertigineusement sous et dans « l’œil de la nuit », maelstrom de son angoisse et cœur de ses ressassements, comme le font sentir les mots de l’auteur et le crayon de l’artiste.

    Sujet d’une analyse en cours, Frink, qui soigne ses propres malades par l’hypnose et par la parole, semble paradoxalement travaillé de doutes sur sa discipline : « J’ai du mal à considérer la psychiatrie comme une spécialité médicale à part entière », avoue-t-il à son confident Nathan Ashmeyer, un cardiologue victime lui-même d’un mal-être solitaire qui finira par le conduire au suicide. Sorte de double silencieux du héros, celui-ci préfigure ses renoncements, sa défaite et sa mort précoce. Ces hommes jeunes, mais l’un et l’autre désespérés, sont peu convaincus que la cure analytique puisse « soigner les esprits malades à partir de souvenirs ou d’oublis », d’autant plus qu’elle apparaît déjà à Frink impuissante sur sa propre névrose. Victime dans l’enfance de la relation « ravageuse, incandescente » du couple parental, « créature bicéphale », Horace, écrasé par son père et mal aimé par sa mère, a subi une suite de traumatismes, dont plus tard une blessure à la main qui l’empêche d’être chirurgien tel son grand-père, figure tutélaire et aimée. Les parents ont en effet fini par l’abandonner aux grands-parents, pour recommencer seuls le « rêve américain » à l’Ouest, après l’incendie de leur entreprise. Ce drame, suggère l’auteur, où l’enfant a failli périr par oubli, exacerbé ensuite par leur disparition définitive, expliquent les instabilités du héros et sa phobie du feu dont la bande dessinée illustre concrètement les récurrences. Ces failles intérieures, Lionel Richerand, fidèle aux mots du romancier, les pointe à travers les expressions torturées de son visage, ses postures régressives, la consumation de son corps. Horace lui-même, malgré son narcissisme, prend vite conscience des séquelles d’une telle enfance et culpabilise sur son incapacité à aimer ou à s’intéresser véritablement aux autres, à Nathan notamment ou à ses propres enfants. Il sent en lui l’alternance de l’euphorie et de l’abattement, sa bipolarité. Ses relations sont celles d’un homme clivé, faible ou cruel sans l’assumer, en particulier dans l’amour qu’il fuit et qui le fuit : « Vivre selon ses sentiments, Horace aurait bien été incapable de dire en quoi cela consistait pour lui », et dans la reconnaissance de sa légitimité : « Il se sent perdu en tant que père, en tant qu’époux, […], en tant qu’analyste […]. En tant qu’homme ? », écrit Pierre Péju. Le seul moment où il semble en accord avec lui-même, et dans une forme de légèreté, est lorsqu’il se retrouve seul dans le milieu artistique des années vingt à Paris. « Véritable aimant », et lieu de « pur plaisir », le Montparnasse mythique surgit dans les vignettes cinématographiques du dessinateur. Mais ce bonheur n’existe que parce qu’il n’y est alors que de passage, sans attaches ni responsabilités.

    L’intrigue du roman, et ce n’est pas étonnant dans ce contexte, repose pourtant en partie sur la relation du héros à trois femmes. Oscillant entre besoin de reconnaissance, attirance et rejet, elle est l’illustration de ce que la psychanalyse révèle de l’inconscient masculin et féminin au miroir de la société patriarcale et capitaliste de l’époque. C’est à cause d’une emprise sexuelle plus qu’amoureuse que Frink va sombrer. Dans son univers familial bourgeois et puritain, l’apparition d’Angelica Bijur, d’une beauté sensuelle, « d’une indépendance et d’une liberté de conduite que seule son immense fortune, jointe à des manières de reine, rendait acceptables » possède une attraction à laquelle il ne peut résister. Elle devient sa maîtresse, sapant les fondations de son mariage raisonnable avec Doris, son amie d’enfance, et jusqu’à sa déontologie professionnelle. L’une et l’autre de ces deux femmes correspondent à des archétypes de la condition féminine dont l’auteur se plaît à jouer. L’épouse, parfaite et réservée, lui apporte un ancrage par un amour patient, protecteur et inconditionnel où il profite de la sécurité d’un foyer – stabilité qui, malgré ses échappées, le rassure. La seconde, femme fatale et maîtresse ardente, lui fait découvrir la volupté, les affres de la passion et un mode de vie luxueux, étranger à son milieu d’origine. Ensemble ils vont jusqu’à braver, l’un l’interdit du lien entre analyste et patient, l’autre l’autorité toute puissante d’un mari, symbole d’énergie et de réussite. Tous doivent affronter le scandale d’une relation adultère puis un divorce. La bande dessinée de Lionel Richerand, comme les descriptions métaphoriques ou analytiques de Pierre Péju, souligne l’opposition des deux femmes, leurs choix tranchés, leur apparence physique contrastée : visages, vêtements et maintiens symboliques de leurs personnalités. Le réalisme des lieux de fête pour l’une ou du quotidien pour l’autre insiste sur la différence de leurs milieux sociaux respectifs et fait songer à l’univers de Scott Fitzgerald dans Gatsby le Magnifique. Ces deux femmes pourtant vont être mal aimées et délaissées, ballottées entre le désir égoïste et les effondrements psychiques du personnage, ses dérobades et ses scrupules moraux intermittents. On ne peut dire d’ailleurs qu’Horace les ait vraiment choisies ni dans le mariage, ni dans l’adultère, ni dans le divorce. Soumis en quelque sorte à leur désir plus affirmé que le sien, il reste dans l’insatisfaction et l’échec. L’une et l’autre vont en payer le prix, mais Doris bien plus encore qu’Angelica dont l’argent est une aide indéniable. Son amour ne la conduit pas à la mort comme l’épouse mais au divertissement des voyages et des liaisons sans lendemain, et insiste surtout l’auteur, à une lucidité sans illusion sur les pouvoirs de l’analyse et sur le possible étroit qu’offre toute vie, même aux nantis. Quant à la troisième femme, Mary-Ann, dont le rôle est moins important, témoin inquièt(e) et dévoué(e) de son renoncement à toute sociabilité, ville, relation et métier de psychanalyste, elle ne parviendra pas non plus à le sauver. Les dernières images de la bande dessinée montrent un héros lunaire, choisissant l’état de nature. Son suicide solitaire, comme celui de son ami Nathan, le ramène à l’enfance et à Doris, dans la réminiscence des promesses – non tenues – de la vie.

    Le but de Pierre Péju, à travers le récit de la destinée tragique de ce médecin brillant, est de dépeindre une expérience singulière vécue au sein d’une condition humaine universelle et d’une aventure intellectuelle collective : celle de l’implantation en Europe et aux États-Unis de la psychanalyse et ce qu’elle bouscule dans nos vies, thème principal du roman. Il introduit ainsi les débats et les luttes qu’elle suscite dès sa naissance, non seulement dans la société de l’époque en Europe et en Amérique, mais à l’intérieur même de son cercle d’initiés. Et cela n’est pas sans nous ramener aux polémiques actuelles sur ses pouvoirs, leurs limites et leurs méfaits. La narration met en scène ses acteurs principaux, à commencer par Freud lui-même, entouré de Jung et de Ferenczi. Elle saisit Freud dans sa vie quotidienne, intime et professionnelle au cours de son séjour et chez lui à Vienne. Il y apparaît « humain, trop humain », pour certains qui reprochent à l’auteur d’« avoir déboulonné la statue », car sont mises en avant ses angoisses et ses exigences, ses superstitions et ses hantises personnelles. Mais les héros, plus encore que les dieux, ne sont-ils pas tous destinés à « tomber », comme le dit Pavese ? Si, dans la bande dessinée, le Maître fait l’ouverture du récit avec sa prestance et la dévotion qu’on lui porte, subordonnant ainsi la place de Frink devenu son « patient américain », les retours en arrière et l’ironie du narrateur dans le roman permettent de moduler cette image. C’est bien Frink le premier héros qui ouvre le labyrinthe du temps et de l’intériorité en explorant son cas avec Abraham Brill. Analyste et mentor, juif venu d’Europe, donc chargé d’histoire et de pensée, « représentant quasi officiel de Freud, et son traducteur », celui-ci semble même plus clairvoyant que Freud dont les séances d’analyse se soldent par l’échec. À l’origine de leur rencontre, c’est Brill qui annonce à Horace Frink « que le professeur Freud allait venir en personne en Amérique ! Un événement exceptionnel. À peine croyable. » Et qui le choisit pour l’accompagner dans ses déplacements. Plus tard il lui conseille son départ en Europe et son entrée en analyse avec Freud. Grand sceptique, il connaît les abîmes de l’âme humaine et il est persuadé de « manipuler une sorte de dynamite mentale » par sa pratique. Il met donc en garde Frink contre toute illusion de perfection des êtres, contre toute auto-flagellation. L’analyse faisant éclater « les conventions morales et professionnelles », la pureté étant un leurre, chacun, y compris Freud, a « son enfer portatif » dans cette société en mutation. Et si le voyage de Freud est l’occasion, pour le romancier autant que pour le dessinateur, de croquer les avancées techniques de l’époque (paquebot, train), il leur permet aussi de faire prendre conscience aux lecteurs des illusions du « rêve américain ».

    Pierre Péju en profite pour mettre l’accent sur les inégalités de prospérité entre les milieux et le rôle déterminant de l’argent dans le monde des affaires, de l’université et de la psychanalyse, tant en Europe qu’aux États-Unis. Le personnage d’Alexandre Bijur, caricaturé par Lionel Richerand comme un ogre face au maigre et chancelant Horace Frink, montre qui détient la puissance, au moins économique. La venue de Freud, comme plus tard les voyages de Frink puis d’Angelica à Vienne, dépendent de son bon vouloir. Et la faillite de leurs analyses donne raison à la mise en garde de Brill, écornant ainsi le mythe de Freud comparé à « une vieille araignée » : la toile qu’il tisse, « l’obscure clarté qu’il émet », sont parfois des effets de sa propre névrose ou de ses désirs inavouables, comme l’indiquent sa fascination pour Angelica ou son choix de Frink au poste de président de la Société américaine de psychanalyse. Celle-ci ne peut guérir l’homme, murmure l’auteur, au mieux « elle peut soulager parfois la souffrance » et adapter les existences à la réalité de la vie et des névroses qu’elle produit. Dans le cas d’Horace, son échec est total. À son retour, Doris est malade, Alexandre Bijur prépare une cabale contre Freud, « un gourou maléfique », « un charlatan » dont les idées menacent la société et ses valeurs. Et l’Amérique entière a rebasculé du côté de ses démons : prohibition, racisme, peine de mort et misère. « Le rêve américain » s’écroule et l’Europe prépare l’arrivée du nazisme. « La psychanalyse », ironise l’écrivain, « a de beaux jours devant elle. »

    La fin de ce roman et de sa bande dessinée, nous ramène à son commencement, comme Horace Frink, qui à l’heure de sa mort accomplit une remontée vers l’enfance et la jeunesse. L’auteur boucle ainsi dans l’écriture un cycle de vie qui mêle réalité et fiction pour nous livrer une vision du monde. Comme celle de ses deux héros, elle est empreinte d’un pessimisme tragique. Grâce à sa narration descriptive, lyrique et réflexive qui varie les registres, et à travers l’histoire foisonnante de deux personnages de psychanalystes mis en résonance, l’auteur a pu nous ouvrir à la difficulté infrangible des existences. Il a aussi montré le rôle décisif de cette science dans la transformation du regard sur l’homme, tout en embrassant les avancées, les problèmes et les errements d’une époque qui s’étend de la fin du XIXe siècle aux Années folles. Comme la nôtre, nous souffle Pierre Péju, celle-ci tangue funambule sur la passerelle d’un siècle à l’autre. Ce roman, qui s’apparente à une véritable fresque littéraire, sociale et humaine, déborde chronologie ou durée pour s’intéresser à l’humain universel. Son ambition, par-delà la peinture d’une époque et de ses enjeux, est peut-être d’abord de nous rappeler les complexités de toute psyché et le combat intérieur que chacun doit mener, parfois contre lui-même et souvent contre les autres, pour arriver à tenir debout en un monde de désordre, de souffrance et de mort. Comme le dévoilent pour nous le vécu du héros et la pensée du deuxième personnage important du récit, Sigmund Freud, ce combat, quels que soient les espoirs suscités par la psychanalyse, ou plus largement encore par ce que l’on appelle « le progrès », a sans doute plus de perdants que de gagnants. Nos déterminismes sociaux et psychologiques, nos incomplétudes morales et les violences du monde y pourvoient.


    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.






    Pierre Péju  L'Oeil de la nuit
    feuilleter le livre




    PIERRE PÉJU


    Pierre-peju-ecrivain denim
    Source




    ■ Pierre Péju
    sur Terres de femmes



    [Un immense brasier] (extrait de L’Œil de la nuit)
    Enfance obscure (lecture de Sylvie Fabre G.)
    L’État du ciel (lecture de Sylvie Fabre G.)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur L’Œil de la nuit




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Caroline Boidé, Les Impurs
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Pierre Dhainaut, Après
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Alain Freixe, Vers les riveraines
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Pierre Péju | [Un immense brasier]


    [UN IMMENSE BRASIER]




    À la fenêtre de sa chambre, Horace, en chemise de nuit, est hypnotisé par le spectacle. Les hommes qui courent en tous sens sont de petits insectes. L’eau, ils la projettent à l’aide de pompes grinçantes dont les ombres s’allongent sur le sol. Mais les jets n’atteignent le grand feu que par petits crachats dérisoires. L’incendie progresse. Le vent l’attise. L’enfant assiste sans broncher à l’affreux spectacle.

    Brusquement, deux bras puissants l’arrachent à la fascination, le soulèvent, l’emportent dans l’obscurité. Depuis l’atelier le plus proche qui brûle lui aussi, les flammes se sont propagées jusqu’aux bâtiments des bureaux, ravageant tout. Les fenêtres de l’administration de la fonderie Frink sont béantes, les nuages de fumée qui en sortent emportent de noirs oiseaux de papier vers le ciel rougi. Les appartements des Frink risquent de flamber à leur tour. Rester, c’est risquer l’asphyxie. D’un moment à l’autre chacun peut se transformer en torche vivante mais surtout étouffer s’il ne fuit pas assez vite. Horace, solidement entravé par des bras musclés, a l’impression de voler à travers les corridors et les salles du rez-de-chaussée. Il ne crie pas, se débat à peine. L’homme qui est venu à son secours n’est pas son père, mais Tom, un colosse, chauffeur et homme à tout faire de George Frink. Ne voulant pas lâcher l’enfant, il défonce d’un coup de pied la porte-fenêtre du salon, dont la vitre se brise, et se précipite dehors. La chaleur du brasier augmente. Un brouillard chargé de fragments noircis et de cendres blanches plane entre les arbres. Tom dépose finalement le petit rescapé, comme un paquet sur le gazon, près du portique d’entrée dans la fonderie, le plus loin possible du drame.

    Dans leurs dos, à la lueur de l’incendie, Horace a cru reconnaître son père allant, venant, hurlant près des premières charrettes à chevaux, aux grandes roues rouges, surmontées d’un réservoir d’eau doré, d’où les lances gonflées partent tant bien que mal à l’assaut du brasier. Les pompiers, coiffés de ce casque immense qui leur descend sur la nuque et les épaules, actionnent de toutes leurs forces les pompes à bras. Mais le grand récipient de cuivre sur la plate-forme du véhicule se vide en quelques minutes. Il ne fait que refléter la catastrophe. Déjà d’autres charrettes arrivent au grand galop. Et cette silhouette qui tourne en rond, lève les bras au ciel, s’accroupit, se relève et court de plus belle, c’est Henrietta, la maman d’Horace, échevelée dans son déshabillé blanc. Elle ne peut pas quitter son mari. Elle le suit en hurlant. À plusieurs centaines de mètres des flammes, Tom, essoufflé, s’est accroupi à côté du petit garçon. Assise dans l’herbe, la vieille Mary pleure et se lamente en serrant contre elle Henry, le petit frère. Sauvés ! Horace n’appelle ni « papa », ni « maman ». Il finit par s’asseoir dans l’herbe, lui aussi, loin du brasier, le visage contre la poitrine de Mary qui chantonne une autre ancienne chanson, douce et désespérée. À l’aube, le feu n’est pas complètement maîtrisé.



    Pierre Péju, L’Œil de la nuit, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2019, pp. 76-78.






    Pierre Péju  L'Oeil de la nuit
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    PIERRE PÉJU


    Pierre-peju-ecrivain denim
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    ■ Pierre Péju
    sur Terres de femmes


    L’Œil de la nuit (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Enfance obscure (lecture de Sylvie Fabre G.)
    L’État du ciel (lecture de Sylvie Fabre G.)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur L’Œil de la nuit





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  • Jude Stéfan | de mes « Entretiens »



    Jude stéfan l’Univers jamais ne rit
    Ph., G.AdC






    DE MES « ENTRETIENS »



    le Maitre dit :

    le Ciel ne parle pas

    l’Univers jamais ne rit

    rire est d’un porc

    le Maître dit :

    je n’ai d’égard qu’aux choses

    muettes et stables

    pierre ou forêt

    où m’aller prier obscur

    n’admire que les animaux

    leur patiente indifférence

    pas les héros d’escalade

    ni les Bienfaiteurs

    dit le Maître



    Jude Stéfan, « Désespérance », Désespérance, Déposition, poèmes, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2006, page 24.






    Jude Stéfan  Désespérance  déposition





    JUDE STÉFAN


    Jude Stéfan portrait NB
    Source




    ■ Jude Stéfan
    sur Terres de femmes


    trois haï-kou (extrait de Que ne suis-je Catulle)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Désespérance, Déposition
    → (sur le site du Monde)
    La mort du poète Jude Stéfan, par Patrick Kéchichian
    → (sur le site de la revue Esprit)
    Jude Stéfan. Exercices d’exorcismes, par Jacques Darras





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  • Étienne Faure, Et puis prendre l’air

    par Angèle Paoli

    Étienne Faure, Et puis prendre l’air,
    éditions Gallimard, Collection Blanche, 2020.



    Lecture d’Angèle Paoli


    LES CHUTES DU POÈTE-ÉCUREUIL




    Et puis prendre l’air. Le titre choisi par Étienne Faure pour son dernier recueil de poèmes m’a d’emblée fait sourire. Pour sa formulation familière perçue comme une incitation joyeuse à l’escapade. Pour les non-dits qui se cachent sous cette formulation. Et pour l’humour du poète qui déjà pointe sous cette invitation séduisante. Prendre l’air ? OUI. Peut-être et, paradoxalement, commodément installée dans mon fauteuil pendant que je parcours les pages du livre. Cet ouvrage m’encourage en effet à prendre l’air, sourire aux lèvres.

    Répartis en dix sections, où alternent dehors et dedans, fermé et ouvert, ville et campagne, campagne et littoral, proche et lointain, les poèmes en prose d’Et puis prendre l’air offrent un panaché de possibilités, de saisons et de lieux. D’humeurs. Un éventail très diversifié de portraits pris sur le vif, de natures mortes plus que vives et de saynètes drôles à souhait. Et qu’y avait-il donc antérieurement à ce « et puis » ? La vie, sans doute, avec son contingent d’obstacles, de contraintes et de pesanteurs, d’impedimenta quotidiens. Mais nous n’en saurons rien. Presque rien.

    Sortir donc. Pour quoi faire ? Les réponses sont multiples, comme le suggèrent les intitulés des différents chapitres du recueil (dix au total). « Sortir », intitulé de la première section, « Prendre l’air », intitulé de la dernière section. Entre ces deux pôles, le regard vagabonde, captant au passage des mots que tout semble opposer et que l’on pourrait s’amuser à classer par binômes : bancs/mûres, cloîtres/cave, etc. Une composition mouvante, tout en contrastes, pareille aux tableaux d’une exposition. Animée.

    Sortir donc, pour se ménager des « appels d’air ». Ce que suggère le vers de Charles Baudelaire, choisi par Étienne Faure en exergue de la dernière section de son recueil :

    « Oui, c’est là qu’il faut aller respirer, rêver, allonger les heures… » (Petits poèmes en prose).

    Sortir pour « changer de décor », pour mettre le temps au défi, pour résister à toute propension à l’enfermement ; pour voir la campagne défiler derrière la vitre d’un train, lequel « fabrique dans le paysage une écriture par hypallage, télescopage… » ; pour le bonheur de parler oiseau, de se prélasser dans un champ fraîchement coupé ou de s’adonner à un luxueux farniente sous le soleil des tropiques. Prendre l’air pour se livrer à l’observation de la nature, ce en quoi le poète excelle. Et puis, « prendre les airs » pour mieux « prendre ses distances. »

    Le programme — ou plutôt son envers ; voire son absence — est irrésistible. Et le plaisir du texte et des mots, assuré. Cela commence avec le choix des épigraphes. Qui sont à elles seules autant de fins scrupules (dans l’acception de « petits cailloux ») conduisant nos pas vers la liberté. Ainsi de ce vers d’Armen Lubin, cité en ouverture de la première section « Sortir » :

    « Je me suis fabriqué une fenêtre sans rien autour. » Ou cette autre, sur la même page, empruntée à Jacques Vaché :

    « Nous marchons au petit bonheur, et rien ne peut être prévu. »

    Ou encore cette citation empruntée aux Caractères de La Bruyère, qui annonce, me semble-t-il, la pirouette finale, sur laquelle se clôt le recueil :

    « Je descends dans la ville, où je n’ai pas couché deux nuits, que je ressemble à ceux qui l’habitent : j’en veux sortir. »

    Autant de considérations qui préludent à l’esprit du recueil et éveillent l’intérêt du lecteur, ivre à son tour de liberté grande.

    Plutôt concis dans leur ensemble, les poèmes en prose d’Étienne Faure sont autant de portraits croqués sur le vif. Réduits à l’état de passants ou d’éphémères protagonistes, les humains sont saisis dans une écriture marquée par sa vivacité. Ainsi du premier poème de « Sortir », constitué d’une suite énumérative remarquable de célérité. Une seule phrase interrogative, sans pause, avec des relances. Puis, soudain, une chute inattendue. Un mot pour couper court. Un seul. « Printemps ». Dans d’autres poèmes, ce sont les exclamatives qui donnent le tempo, celui échevelé de motardes, chasseresses vrombissantes dont les chevauchées s’harmonisent avec la « verve des oiseaux ». Le poète, tout comme les personnages qu’il montre en action, ne s’appesantit pas. « Dehors, les hommes sont des passants », écrit Joseph Roth cité en exergue de « Sortir ». Tournant la page, le poète fait de même.

    Cette démarche d’homme pressé n’empêche nullement le poète de prendre son temps. Le temps de l’observation et de l’analyse. Voire de la méditation. Mais, quel que soit le moment et quelle que soit l’humeur, le talent d’observateur d’Étienne Faure est toujours aux aguets. Tous sens en alerte, le poète capte les rumeurs de la ville, reconnaissables à leur compacité. Ainsi les bruits de la vie et les cris des oiseaux varient-ils en intensité selon les saisons. Les odeurs, selon les quartiers. Les images ramènent au premier plan une réalité empreinte de son bruitage habituel. Au passage, le Paris d’antan ressurgit lui aussi, avec ses mots anciens et ses jurons, ses vieilles calèches et ses rumeurs oubliées. Et ce projet qui s’énonce sous la plume enthousiaste du poète :

    « Il faudrait faire un livre rien qu’avec des phrases disparues de Paris, et les bruits qui allaient avec… »

    Les « natures mortes » s’animent, teintées d’une noble exaltation dans l’évocation savoureuse des pommes de terre :

    « … des Bintje, des Fontenay, des Charlotte et des Ratte, et des Roseval… Ô rues reconnaissantes à la chair dure et ferme, fondante ou farineuse, en gratin, en purée ou en robe des champs – ou en hachis. Il rôde une odeur de frites dans les rues adjacentes » (in « Sortir »).

    Le temps a passé sur les hommes, sur leurs petites histoires et sur la grande Histoire, mais les clichés du langage demeurent, avec leur accent désuet et cette gouaille d’une autre époque. L’ancien et le nouveau se côtoient et alternent sous la plume alerte et colorée, vive et savoureuse du poète, amoureux des mots et fin analyste de l’humain.

    Au premier volet de « Sortir », tout en mouvement, succède le théâtre des bancs publics, tout en ralentissement, en suspens et en attentes. Le cycle de « L’éloge appuyé des bancs » s’ouvre sur l’expression anglaise : Wait and see, devise de l’observateur patient qui a momentanément délaissé la vitesse urbaine et sa frénésie pour la lenteur qu’offre « l’auberge du banc ». Le cycle se clôt sur l’interjection Go !, signal de prompt départ, qui, en deux lettres et une seule syllabe, invite à une remise en orbite accélérée. En attendant, le poète prend plaisir à décliner toutes les variations qu’offre à son inspiration le banc des squares et jardins. Ici, prendre l’air, c’est avant tout « se tenir hors la pénombre de la cambuse – la turne, la piaule, le cagibi. » Et le banc, contrairement à la piaule, est un lieu ouvert, un lieu « collectif », où toutes les rencontres sont possibles avec les « collègues de planche ». On peut se poser là et se taire ou se lancer dans un discours digne d’un tribun ; on peut s’installer sur « les planches » pour capter sa part de soleil. Squatter pour un temps indéterminé ou, au contraire, ne séjourner que le temps d’un repas pris sur le pouce. Le poète ne craint pas de stationner, l’air de rien, parmi d’autres résidents, ou mêmes gisants, observant les us et coutumes des siégeants, grapillant ici et là des bribes de conversations « dans une langue des jours ouvrables », tendant l’oreille aux propos qui s’échangent et qui, sous sa plume, ne manquent pas de sel. L’occasion pour lui, au passage, de se moquer gentiment de la littérature people qui surgit au hasard de la lecture d’« un magazine oublié » là ; de donner quelques définitions des bancs, « ces noirs récifs que nul regard n’accroche » ; de méditer sur l’osmose qui tôt ou tard se fait entre l’occupant des planches et les planches qui l’hébergent : « Qui sommes-nous ? Pénombre et obstacle ensemble, ombres en peine. Les bancs. »

    Tout un théâtre de passants inconnus s’improvise sur les « planches » des bancs des villes. Échanges qui associent le regard et l’ouïe, ponctués d’exclamations, de jeux sur les mots et sur la polysémie. Chaque poème est un tableau vivant et drôle, dans lequel le poète jongle avec les registres de langue. Le rideau tombe parfois sur un mot unique qui clôt la scène. Ou par une réplique enlevée, à une tonalité inattendue :

    « Puis quittant le banc comme on sort de table, on joue les filles de l’air, salut les mecs, à la revoyure ! ».

    Le lecteur aurait pu imaginer que le Go ! final de la seconde section ouvrirait sur une échappée mouvementée et virevoltante. En réalité, c’est de retour de voyage qu’il s’agit et de retournement de situation. « Changements de saison », changement d’activités, changement d’état d’esprit. L’automne est là. Le voyageur troque son bronzage pour son corps fatigué ; range ses rêves et ses valises et sort son anorak aux poches débordantes de trésors oubliés. Loin des dattiers de Rabat, il renoue avec les natures mortes de l’automne, poires, noisettes et châtaignes :

    « Telle une lecture interrompue — et la pensée qui va avec —, on reprend la tournure d’esprit de la saison où on l’avait laissée : mélancolique. »

    Cependant, l’été indien, chaleureux mais trompeur, ravive les couleurs de l’automne « magnifique de bonté, généreuse saison ». Et rend le poète à ses rêveries enthousiastes. Mais si Étienne Faure, tout au plaisir sensuel de ses observations, se prend au jeu des portraits de l’enfance :

    « Si c’était un tableau — nature morte, je trouverais les couleurs surfaites, trafiquées… »,

    c’est pour revenir, non sans grande modestie, sur son travail d’écriture :

    « Mais ce n’est rien qu’un texte qui donne à voir présentement ce qu’il peut, du haut des mots que chacun utilise, selon sa palette et ses yeux ».

    C’est sans compter avec le grand talent dont le poète fait usage. Car il possède, plus que tout autre, cette « dextérité des mots » qui fait le régal du lecteur. Jouant en espiègle avec le temps, jonglant avec les saisons et les jours, le poète offre au lecteur des tableaux dignes des peintres flamands, lesquels excellaient en natures mortes de « comestibles » … « lièvres, perdreaux… sangliers, viandes faisandées bardées de poils, de plumes, de soies ensanglantées… ». Et le temps s’accélère, les nuits succèdent aux jours, et une saison chasse l’autre. On retrouve l’automne qui fait revenir, avec la chute des feuilles, le temps de l’enfance, « temps des dictées, des clichés, des rédacs, des poèmes, toutes ces feuilles resurgies pâles, jaunes, rousses, qui craquent dans les crânes. Puis le soleil rasant allongeant le pas, les ombres s’allongèrent plus avant. »

    Avec « Claustrales », d’une tonalité toute différente, nous pénétrons dans le monde clos de la méditation, un monde incisé dans la pierre — peut-être à la manière de Callot ou de Rembrandt — et habité par les ombres. Guidé par un vers extrait de Gaspard de la Nuit … « [v]os pas y heurteront sous l’herbe des pierres qui ont été des clés de voûtes », le poète met ses pas dans les pas du poète Aloysius Bertrand et entraîne le lecteur à sa suite dans une promenade au cœur d’un cloître « où l’ombre tourne autour des piliers » (in Gaspard de la Nuit, « École Flamande, Le Maçon »). Ombres et lumières qui jouent sur les chapiteaux ou dans les feuillages du jardin ; ombres des mots anciens qui circulent encore, tel le mot Réfectoire, chargé des souvenirs d’une « vie antérieure de moine ». Les poèmes se conforment aux déambulations du poète guidé par un « il » sans visage confondu avec l’ombre de son corps. « L’ombre de nos corps est moins dense que celle de l’if ou du cyprès, et nous la déplaçons avec nos bures… » confie le « il », soudain rejoint par des « voix aux contours mystiques », avant qu’il ne regagne le silence où règne le seul murmure du ruisseau.

    Un tout autre air succède à l’air révolu et nostalgique des cloîtres. C’est de « l’air du temps » que bruissent les lieux courus de la ville. « Cocktails, vernissages et théâtres ». La vie nocturne a aussi ses adeptes, « les fêtards, les noceurs, les noctambules de toutes plumes qui prospèrent nuitamment dans les caves… ». Le poète reprenant pied dans la vie sociale, in medias res, côtoie les masques qui déambulent, verre à la main, dans les salons à lambris. Il retrouve sa verve et sa langue tant ajustée, suit parfums et regards, observe les accolades amicales et les œillades, attrape au passage des bribes de conversation, suffisamment pour se faire une idée de la belle et de son « charme de butineuse », reprend à son compte — pour varier et agrémenter les tableaux de son prochain livre — les travers du langage à la mode :

    « à cette heure de la soirée le tic le mieux partagé, ce retour régulier d’un mot, d’une expression, tu vois, le mécanisme pendulaire à l’intérieur de soi qui ponctue la phrase, la scande et la relance à nouveau, tu vois, laisse un instant le temps mort des idées se reprendre, respirer puis repartir de plus belle, tu vois… ».

    C’est dans la section « Aux coins du globe » que je retrouve sous la plume d’Étienne Faure le mot « scrupule » employé supra dans le sens de « caillou ». C’est sans doute que je l’avais remisé dans un coin de ma mémoire après avoir lu les poèmes sur la Guyane. « Cayenne, vieux cailloux, faux scrupules » :

    « Disant Cayenne, c’est caillou qui surgit, cassé, roulé, descendu des ravines envahies de lianes, ou alors un oiseau excentrique, exotique, incompris, un cayenne aux plumes d’or et d’argent, rouge et bleu, qui caquette, non, cancane, non carcaille au passage des pirogues… ».

    Les sauts de puce dans les Caraïbes se poursuivent, où l’on croise, outre la Caravelle de Christophe Colomb et sa cohorte de flibustiers, une profusion tropicale, riche en formes et couleurs, mais étouffante. L’occasion pour le poète de s’adonner aux plaisirs de la langue et de tourner autour du participe passé offusqué, en déployant le champ lexical du feu/fournaise/touffeur/étouffement/asphyxie…

    Le retour hors du « bleu outremer » s’accompagne d’une certaine amertume face au côté dérisoire de ce qu’il reste du rêve. Et, sans doute, contrairement à la grande majorité des voyageurs friands d’exotisme, Étienne Faure est-il de ceux qui gardent pour eux leurs souvenirs égotistes :

    « Je ne vous envoie pas ma photographie », écrivait Arthur Rimbaud dans sa Correspondance.

    En revanche, Étienne Faure rapporte dans ses bagages quelques touches assez drôles sur lui-même et une philosophie de la vie exotique ramenée à l’essentiel :

    « Vivre en tongs fut longtemps son rêve…

    La vie envisagée via les doigts de pieds ».

    De retour à la ville, le poète voyageur s’active dans d’autres escapades. Entrer/sortir. Revenir/repartir. Les poèmes d’« Hôtels et retours » déclinent les passages d’un lieu à un autre, d’une région à l’autre. Égrener les noms vieillots des hôtels de France est déjà en soi une invitation au voyage, même si un peu compassée, comme les photos jaunies des albums. Une forme de poème en somme. Dans la chambre qui lui échoit, le voyageur « caméléon » s’adapte aux couleurs du temps et des lieux, observe, fidèle à lui-même, les va-et-vient, les mouvements, les apparitions/disparitions, les changements de rôles. Tout un théâtre de silhouettes prend vie derrière la fenêtre. Zone frontière, limen. Entre dedans et dehors. Lieu idéal d’observation. Tout cela sur fond d’ambiguïtés de sens et de jeux sur les mots. « Courant d’air » / « l’air au piano » / « à l’air libre » / « air fendu ». Il arrive qu’au gré d’une promenade dans les rues de la ville à découvrir, les choses s’inversent. « Tête en l’air », le poète se faufile en imagination derrière jalousies et persiennes. De l’extérieur où il se trouve, il tente une percée dans les intérieurs. Le linge qui flotte aux fenêtres fournit quelques indices, mais rien de ce qui est imaginé n’est assuré. Si ce n’est que les « drapeaux qui […] frémissent » sont « des étendards aux mille patries — aux apatrides. »

    Au hasard des poèmes et de l’écriture d’Étienne Faure, on croise d’autres poètes : André Breton, Charles Baudelaire (de manière implicite), Joseph Conrad, Jules Laforgue, Madame de Staël. Et Oscar Wilde — présent dans le poème sous le pseudonyme de Sébastien Melmoth — mort en 1900 à l’Hôtel d’Alsace (sis rue des Beaux-Arts, à Paris).

    Soudain la grisaille, les criailleries des mouettes et les monticules d’ordures ont raison du poète. Partir devient une urgence. Quitter l’Hôtel de la plage et « fuir fuir foutre le camp, mettre les bouts et jouer la fille de l’air pour quitter la ville avec la pluie sans bruit, sans heurts comme à la cloche de bois. »

    Tout cela qui a fini par s’accumuler et qui a rejoint ce que la mémoire a engrangé au fil du temps, constitue un lot de souvenirs. Souvenirs de voyage et souvenirs d’enfance, menus objets hétéroclites témoins ordinaires d’un temps et d’un lieu qui ont été ceux du poète. Objets exhumés qui ramènent à la surface des moments oubliés, des mots passés de mode, des jeux de vacances aujourd’hui inconnus, garants intemporels qui parent à l’ennui. C’était le temps des « lointaines éternités ». Dont le poète, étonné, recrée l’existence déposée dans les poèmes du « Voyage à la cave » :

    « On grattait les murs, la rumeur de la plage déferlait avec la voix d’un ténor, les variétés, le Tour de France, les échappées d’un pays en vacances, en ce vaste temps mort ignorant qu’un jour on écrit, surpris, serré comme on reprise dix fois un texte ajouré, la rature, laissant passer trop de clarté de soi, cœur à l’étroit, de joie après la peine. »

    Il faudrait que le lecteur prenne aussi le large, abandonne le poète à ses « rêves plumitifs », dégote une chute digne de celles dont le poète a le secret. Et je vois bien que la mélancolie me gagne à l’idée de refermer ce livre admirable. Alors ? Jouer les filles de l’air ? Le temps ne s’y prête guère. Me glisser dans les « jardins d’enfance chez une aïeule ou une voisine antique » pour me livrer à la cueillette des mûres, « membres étirés vers le ciel » ? La saison est passée et les mûres ont depuis longtemps déserté les buissons. Une seule chose à faire. M’en remettre à la plume d’Étienne Faure et boucler ma lecture par le poème de l’écureuil et du poète, section « Prendre l’air ». Et sourire.

    « Fuir, esquiver, changer d’arbre est une manie chez l’écureuil qui s’épargne ainsi la vie, croit-il, en sautant dans les airs, et contre la pesanteur reste en suspens, ne chute jamais, amasse des idées, les oublie, n’en finit pas d’aller de branche en branche ainsi qu’un écrivain — nouveaux chapitres, paragraphes, à la ligne —, ne sachant s’arrêter, s’y résoudre et comment atterrir, s’il faut atterrir, prévoir un rebondissement, craignant le faux mouvement qui terminerait l’aventure par inertie, sans rien qui relance et qui sauve : nul panache, mauvaise chute. »

    Comment ne pas sourire ?



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Faure montage
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    ÉTIENNE FAURE


    Faure portrait
    Source




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    Tête en bas (lecture d’AP)
    sur « Le Poète à tête renversée » (extrait de Tête en bas)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site À la littérature de Pierre Campion)
    une lecture d’Et puis prendre l’air, par Henri Droguet
    → (sur le site Les Découvreurs)
    une lecture d’Et puis prendre l’air, par Georges Guillain
    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Et puis prendre l’air
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure






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  • Jude Stéfan | trois haï-kou


    Les gitanes s'évadent sous la lune 2
    Ph., G.AdC







    TROIS HAÏ-KOU




    Voix des bois le Vent
    du chant ne laisse trace

    Silence d’or

    Oiseaux
    comme l’enfance s’efface
    avez raison de l’Hiver

    Enchevelées de pluie
    les Gitanes s’évadent

    sous la lune



    Jude Stéfan, « III. Les 52 Semaines », Que ne suis-je Catulle | en ces presque 80 poèmes, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2010, page 56.






    Jude Stéfan  Que ne suis-je Catulle 2





    JUDE STÉFAN


    Jude Stéfan portrait NB
    Source




    ■ Jude Stéfan
    sur Terres de femmes


    de mes « Entretiens » (extrait de Désespérance, Déposition)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Que ne suis-je Catulle
    → (sur le site du Monde)
    La mort du poète Jude Stéfan, par Patrick Kéchichian
    → (sur Les Lettres françaises)
    Les caprices de Jude Stéfan, par Omar Berrada
    → (sur le site de la revue Esprit)
    Jude Stéfan. Exercices d’exorcismes, par Jacques Darras





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  • Étienne Faure | Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison


    SORTIR
    (extrait)




    Le harnachement des motardes en juin développe un hippisme léger, une occasion de défiler guillerettes en cuir, casque et robe assortis au scooter, fugace monture chromée qui stoppe au feu rouge, une jambe effilée à terre. Nouvelles chasseresses, crinière au vent, les amazones motorisées soudain accélèrent – vert ! – et filent à toute allure sur le boulevard Diderot puis Voltaire. Hue ! Verve des oiseaux. On dirait la campagne si folâtre au solstice d’été. Herbe et chevaux.


    […]


    ÉLOGE APPUYÉ DES BANCS
    (extraits)




    Usant d’un carnet tête-bêche pour écrire, le remplir à l’endroit de ceci, à l’envers de cela, il sait qu’un jour les deux gageures, vers et prose qui progressent, vont se rencontrer, former un front redouté. L’une gagne du terrain – elle en est presque à la moitié du calepin –, quand l’autre ne hâte pas le pas. Piétine, même, tant l’avancée est mesurée. Prose et poème… Ainsi font les bavards du banc aux côtés des taciturnes – ou des résolument silencieux. Tempos et blancs.


    […]


    Attentifs, les collègues du banc écoutent un des leurs debout, face à eux, qui parle en avançant, recule, fait son théâtre, un bras levé pour asséner son texte, sa certitude. C’est le tribun du jour qui reste en vis-à-vis pour la conversation. Lui parti, les assis poursuivront leur dialogue côte à côte, sans même se regarder, l’œil rivé sur la scène d’en face : une petite fille avec sa maman qui joue à la poupée. « Tu as soif ma chérie ? — Nan. » La poupée parle.



    […]


    CHANGEMENTS DE SAISON
    (extrait)




    En remettant tes fringues d’automne tu retrouves dans tes poches les cueillettes de l’an dernier : trois châtaignes, un gland, deux faines, un colchique fané, et des morceaux de champignons secs. Telle une lecture ininterrompue — et la pensée qui va avec —, on reprend la tournure d’esprit de la saison où on l’avait laissée : mélancolique. Un vrai poème, ce paletot, où traînent encore des mots :

    Sécher ça
    Basse saison
    Sous le pardessus
    Le soleil reviendra
    Qui ne réchauffe rien.




    Étienne Faure, « Sortir » (page 14), « Éloge appuyé des bancs » (pp. 24, 26), « Changements de saison » (pp. 39-40), Et puis prendre l’air des villes et des champs, poèmes en prose, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2020.





    Faure montage
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    ÉTIENNE FAURE


    Etienne Faure  portrait 2
    Source




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes

    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    Tête en bas (lecture d’AP)
    sur « Le Poète à tête renversée » (extrait de Tête en bas)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Et puis prendre l’air
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure






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  • Jean Marc Sourdillon | Le milan


    Milan royal
    Milan royal [filanciu], Corsica
    Source







    LE MILAN



    Il est apparu très haut sous le plafond gris des nuages, un milan.

    Il planait lentement, un seul trait noir, comme s’il voulait nous couver et nous guider, nous faire savoir qu’il était là, lui qui jamais ne se montre, nous rassurer, simple parole sans autre signification que celle-ci : je suis là.

    Et c’était comme si un chuintement glissait dans le ciel mouillé, comme si quelqu’un s’essayait à chanter sans y parvenir mais chantait quand même par cette absence à la place de sa voix, par le glissement mouillé de son vol dans le silence des nuages,
    comme si quelqu’un chuchotait d’à la fois très proche et très lointain, nous suggérait son secret sans vraiment nous le dire et que cela suffisait, nous suffirait pour toujours, nous donnerait assez de courage pour repartir, pour vivre tout ce qui nous restait à vivre,
    oiseau aperçu très haut, dans l’intervalle et la rupture,
    oiseau aimé,
    oiseau lointain.




    Jean Marc Sourdillon, « La déhiscence », L’Unique Réponse, poèmes, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2020, page 11.






    Sourdillon



    JEAN MARC SOURDILLON


    Jean-Marc Sourdillon 2
    Source




    ■ Jean Marc Sourdillon
    sur Terres de femmes


    On naît (autre poème extrait de L’Unique Réponse)
    Comme des frères
    [Cet imperceptible oiseau très loin] (extrait de Dix secondes tigre)
    Au commencement (extrait des Miens de Personne)
    [Deux fois l’an, pendant l’été] (extrait d’En vue de naître)
    Les Tourterelles (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼

    une lecture de L’Unique Réponse par Jean-Michel Maulpoix [PDF]




    ■ Note de lecture de Jean Marc Sourdillon
    sur Terres de femmes

    Isabelle Lévesque, Le Fil de givre





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