Étiquette : Collection Blanche


  • Pierre Garnier | [Dans les fenêtres l’eau tourne]


    [DANS LES FENÊTRES L’EAU TOURNE]




    Dans les fenêtres
    l’eau tourne,

    on voit des mains portées
    au cœur

    pendant que la Vierge monte dans les surfaces.



    Rougeoiement de tes veines
    quand l’hiver parle par le feu
    et que l’herbe
    sous ses trèfles gothiques
    nous souhaite
    bonne chance.



    Dans le ventre
    je fais une étoile
    qui fêle de vitre en vitre
    jusqu’aux yeux.



    Insectes aiguisés
    dans la circulation des poèmes
    (logis des mots insecticides)
    la sauterelle
    s’effare
    pendant que ta robe n’est plus précieuse
    mais profonde.



    L’œil le dernier feu,
    quel trèfle
    nous parle à travers

    Pendant que le gothique
    s’organise
    trouvant son ogive
    dans l’oreille du lièvre.



    Le soleil est toujours au bord de ce géranium :
    il ne le quitte pas — même la nuit.

    L’odeur du géranium me dit
    que l’un ou l’autre va mourir.





    Pierre Garnier, Perpetuum mobile, éditions Gallimard, collection Blanche, 1968 ; rééd. Perpetuum mobile, suivi de Secondes et de Santerre, éditions L’Herbe qui tremble, 64140 Billère, 2020, pp. 40-45.






    Pierre Garnier  Perpetuum mobile  L'Herbe qui tremble




    PIERRE GARNIER


    Pierre Garnier NB
    D.R. Ph. Olivier Engelaere




    ■ Pierre Garnier
    sur Terres de femmes


    [Les soldats sont venus]
    2008 : Année Pierre Garnier




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur Recours au poème)
    Hommage au poète Pierre Garnier
    lecture spectacle Alain Marc lit Pierre Garnier




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  • Anna Ayanoglou | Fleurs séchées


    FLEURS SÉCHÉES




    J’ai dormi une nuit dans ma chambre d’enfant
    Une nuit de passage dans un lit trop étroit

    Sur les rayons des étagères
    S’alignaient les tranchées du souvenir —

    des babioles au vain aplomb de l’université

    Entre deux classeurs j’ai trouvé un cahier

    l’ai ouvert, sans soupçon —
    il débordait de cursives heurtées

    et au détour d’une page, un cri —

    vous n’êtes que des cœurs secs
    des culs serrés et des estomacs pleins


    une rage, qui me rattrape.




    Anna Ayanoglou, « Intermède », Le Fil des traversées, poèmes, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2019, page 41.





    Anna Ayanoglou
    feuilleter le livre



    ANNA AYANOGLOU


    Anna Ayanoglou portrait NB
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Le Fil des traversées
    → (sur le site de Mediapart)
    Libre d’entrer dans le poème: Anna Ayanoglou, par Patrice Beray





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  • Alain Duault | [Il n’est peut-être pas trop tard]


    [IL N’EST PEUT-ÊTRE PAS TROP TARD]




    Il n’est peut-être pas trop tard il faut encore tenter
    De vivre Écarte les fils de la pluie le vent sauvage
    Vient comme un cheval qui se lève quelle beauté

    Tu as froissé la rivière sans doute mais tout coule
    Depuis les eaux noires de l’enfance Ton chagrin
    Ta rage tu dois tout jeter aux égouts et te baigner

    Nu dans les feuilles du ciel enveloppé de nuages
    Tu dois voler comme un ange rire chanter et rire
    Passer dans toutes les chambres écrire un poème

    Que tu liras sur toutes les routes dans tous les lits
    Un poème qui donne mille vies N’abandonne pas
    L’espérance Un abandon c’est un arbre qui meurt




    Alain Duault, « La promenade son panier d’odeurs », La Cérémonie des inquiétudes, poèmes, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2020, page 67.






    Alain Duault  La Cérémonie des inquiétudes
    feuilleter le livre



    ALAIN DUAULT


    Alain Duault
    Source




    ■ Alain Duault
    sur Terres de femmes


    Comprendre la poésie (poème extrait de La Poésie, le ciel, Petite méditation lyrique)
    [Tempêtes tempêtes] (poème extrait de L’Effarant Intérieur des ombres)
    Le dos (poème extrait de Nudités)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur La Cérémonie des inquiétudes
    l’humeur d’Alain Duault (le blog d’Alain Duault)






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Philippe Jaccottet | [Toute fleur n’est que de la nuit]



    Incendie
    « Ce monde n’est que la crête
    d’un invisible incendie »
    Aquatinte numérique, G.AdC








    [TOUTE FLEUR N’EST QUE DE LA NUIT]




    Toute fleur n’est que de la nuit
    qui feint de s’être rapprochée

    Mais là d’où son parfum s’élève
    je ne puis espérer entrer
    c’est pourquoi tant il me trouble
    et me fait si longtemps veiller
    devant cette porte fermée

    Toute couleur, toute vie
    naît d’où le regard s’arrête

    Ce monde n’est que la crête
    d’un invisible incendie



    Philippe Jaccottet, « Oiseaux, fleurs et fruits », Airs, poèmes 1961-1964, éditions Gallimard, Collection Blanche, 1967, page 24 ; Œuvres, éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2014, page 425.






    Jaccottet Montage





    PHILIPPE JACCOTTET



    Jaccottet Poncet
    Ph. © F. Poncet
    Source






    ■ Philippe Jaccottet
    sur Terres de femmes


    Accepter ne se peut (poème extrait d’Airs)
    Tout à la fin de la nuit (autre poème extrait d’Airs)
    [Les larmes quelquefois montent aux yeux] (poème extrait d’À la lumière d’hiver)
    (Tombeau du poète)[The poet’s tomb] (poème extrait de Cahier de verdure)
    [Considérez le ciel solaire] (poème extrait du Dernier Livre de Madrigaux)
    [Sois tranquille, cela viendra !] (poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    1er janvier 1950 | Philippe Jaccottet, Agrigente (autre poème extrait de L’Effraie et autres poésies)
    [Encore des fleurs ? | Flowers again ?] (poème extrait d’Et, néanmoins)
    Toute fleur qui s’ouvre (autre poème extrait d’Et, néanmoins)
    Ponge, Pâturages, Prairies (note de lecture d’AP)
    26 juin [1954] | Philippe Jaccottet, L’Ignorant
    3 décembre 1971 | Lettre d’André Dhôtel à Philippe Jaccottet
    Mai 1977 | Philippe Jaccottet, La Semaison
    Septembre 1981 | Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    Le Grand Prix Schiller 2010 remis à Philippe Jaccottet





    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de la Radio Télévision suisse)
    un entretien avec Philippe Jaccottet (émission En personne du 21 avril 1975)






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  • Olivier Rolin , Extérieur monde

    par Bernadette Engel-Roux

    Olivier Rolin , Extérieur monde,
    Éditions Gallimard, Collection blanche, 2019.



    Lecture de Bernadette Engel-Roux



    Extérieur monde ne sera pas le récit de plus, d’un voyage de plus à travers les steppes orientales, les déserts arabes, les vastitudes latines. Un temps d’arrêt plutôt. Un homme, un écrivain, et cela change les choses, et qui a passé le milieu du chemin de la vie, ici voyage autour de sa chambre. Aux murs et partout (on imagine) les livres lus, beaucoup relus, aimés, marqués de bleu comme la peau des femmes aimées. Et devant soi, des dizaines de carnets bourrés de papiers, couverts de notes, tenus au fil du temps, au cours des voyages, pour garder trace de ce qui eut tant de prix qu’on en voudrait aussi, par ces gribouillis, conserver le fantôme, la chair du monde qui fut aussi un peu la chair de soi, pour se prouver que cela fut vraiment à l’heure où l’on a tout perdu, si l’on venait à douter ? Pour se tenir compagnie aussi – on est si souvent seul. Et enfin la mémoire qui reflue, ramène, mêle sur la grève du présent – où l’on va seul – ses épaves, ses trésors, ses cadavres, ses reliques et qui comme elle (la mémoire) sait le faire merveilleusement, les noie dans sa brume, les trouble, les rend de nouveau infiniment désirables — mais on ne tend jamais les bras que vers une Ombre, simillima somno.

    Entre ces trois points cardinaux : les livres, les carnets, la mémoire, un homme, un écrivain, piétine et ne s’apaisera que s’il parvient à faire de tout cela un autre livre — celui que nous tenons dans nos mains — à cette heure il n’en est pas sûr, ni de quelle forme il aura, ni s’il aura forme. Mémoires, non, rien moins que l’aura d’un siècle autour de soi, à la manière du Vicomte. Recherche, non, ce ne sera pas cette cathédrale du Temps perdu et retrouvé, de si admirable architecture, aux chapelles si ouvragées — on n’est pas esthète à ce point, ni reclus en sa chambre enliégée : le monde est trop beau dehors. Ni confessions : « je n’ai aucun goût pour ». Ni Je me souviens, ni Choses vues, malgré et pour l’admiration émue qu’on en a.

    Digressions, c’est certain. Mais pas en titre, ce qui indiquerait une méthode, un procédé. C’est le monde qu’il faut indiquer, quand il y a eu cette « curiosité » avide (l’une des raisons, mais pas seulement) qui a poussé dehors celui qui écrit. C’est une démarche digressive qui a conduit les pas, qui conduira ce livre, s’il se fait : « Je digresse, c’est ainsi que j’avance ». Mais pas « à sauts et à gambades ». On a perdu l’allégresse du cavalier de la pensée, on n’en a pas le génie.

    Embardées, bifurcations : « Les verres de vin du Chili me font bifurquer vers Chicago » — la mémoire comme ce Jardin aux sentiers qui bifurquent : docilité à ses reflux imprévisibles ses marées noires parfois, à ses remous, à ses dépôts qu’elle remportera — donnent lieu à ces séquences inégales en quantité dont la succession est la seule composition de ce livre non composé.

    On pourrait faire le relevé des incipit de chacune des séquences. Tous font lever des flots un visage un corps (une femme aimée, un ami), un paysage (ville, port, désert), une page de livre, et même une Bibliothèque. Tous sont Choses vues, senties, vécues surtout, et intensément. Mais filtrées par le temps qui a passé, ramenées avec le flou (« ce bougé fait partie du fatras de ma mémoire ») de la mémoire affective qui n’est pas celle de l’ordinateur, accrochées par l’hameçon d’un mot, d’un nom, d’un prénom. À l’entrée des portes cimmériennes, un homme les convoque pour les poser dans les mots de la langue. Une nekuia.

    Un boutre, un ferry-boat, un tarmac, une Toyota, un bimoteur (en attendant la barque de Charon)… on ne monte jamais que sur les embarcations qu’approche la mémoire. Chaque incipit est un embarquement pour le lecteur, peut-être un débarquement pour celui qui écrit et qui repose, illusoirement, le pied sur une plage, une piste, un seuil, un quai : « Je me souviens d’un voyage avec elle dans ce petit train qui longe le Tage… ». Il s’avance dans les salles et les jardins de brume d’un Château de Laze. Chaque incipit ouvre une station, une stase, ce livre pourrait n’avoir pas de fin. Il n’est fait que de l’accueil et de la saisie incertaine, douloureuse parfois, d’Ombres de corps et d’Ombres de lieux, oui, semblables au songe.

    La plupart des livres de Rolin sont ainsi composés, ou plutôt non composés ; ils s’écrivent dans un mouvement spiralé, tournoyant, parfois vertigineux (L’Invention du monde, Tigre en papier), révolutionnaire, au sens cosmique (Jean-Christophe Bailly a parlé de vortex) mais qui ramène toujours au noyau éclaté de l’homme qui a vécu ce qu’il écrit tout en ayant fixé quelquefois des centres géographiques à ses divagations : le Luxembourg est, avec un autre « lieu maritime », « l’autre foyer de mes orbites désordonnées ».

    Alors, se laisser surprendre par les embardées de la mémoire, recueillir pieusement (il y a beaucoup de la pietas antique dans ce livre, qu’on me pardonne de le sentir ainsi) ce qu’elle dépose sur les grèves, en ressaisir par les mots quelques fragments, leur redonner cette vie simulacre que confère l’écriture mais qui grise tout de même et apaise : Da quietud al alma, « comme disait Don Luis » quand tout vient à faillir. L’écriture (graphie et texte) est peut-être l’une des rares choses qui s’affermissent avec le temps :

    « tout ne se déglingue donc pas à mesure qu’on vieillit ».

    L’homme dans sa chambre, l’écrivain avec ses mots, s’arrête et prend la mesure du temps : en amont, le temps qui a passé (humble suggestion : Extérieur monde, moins un récit de voyages-paysages qu’un livre du Temps…), en aval, le temps qui reste. L’inégale balance emplit de mélancolie (la mélancolie est la couleur de ce livre, autre impression personnelle). C’est la conscience aiguë de cette balance irréversible qui est l’« une des mesures du temps qui passe, qu’on nomme désormais : le temps qui reste ». Non qu’on s’afflige tant de devoir quitter la place, vider les lieux, il faudra bien (Montaigne et Ronsard l’ont bien su et dit), mais parce que « ces minutes heureuses… blotti dans tes genoux », ces pays abandonnés loin en arrière, c’est la beauté même de la vie, et que tout ce passé amont a fait ce que nous sommes :

    « Nous sommes tout tramés de passé, qui est aussi la matière même de la littérature ».

    En pause un moment, le temps d’écrire ce livre imprévisible, l’homme entreprend le « déballage », vide son sac. Il en tombe des morts, il en tombe du pain, comme de l’armoire de Guillevic : « cartes postales, timbres, feuilles séchées, tickets de métro ou de bus… », éclats de plâtre… tous billets d’entrée aux vastes salles du passé. Chacune de ces miettes « libère une bribe d’histoire ».

    Mais tant de ceux avec qui il a vécu ces histoires sont morts. Le plus atroce des dons du temps qui passe est la mort qui a emporté tant d’amis. À un moment du livre, le « pius poeta » dresse un obituaire bouleversant. C’est le nom prononcé trois fois selon le rite qui ouvre la convocation des morts. Les amis sont appelés dans leurs beaux prénoms de vifs. Le plus connu est « Bob, le faune de Verdier dont j’ai appris la mort un jour de neige et de solitude, à Moscou ». À Serge qui est en train de mourir, l’offrande d’une trentaine de pages. Ici s’ouvre une séquence magnifique, non : sublime. On peut pleurer à la lire. Le temps qui a passé a pu effacer les êtres aimés et jusqu’aux « violentes émotions » qu’ils ont causées, « mais non l’ombre qu’est leur souvenir ».

    Extérieur monde est aussi un livre d’Ombres. « Car l’amour aussi s’en va », « comme cette eau courante ». C’est souvent le ton, presque le timbre d’Apollinaire, celui de « Zone », qu’on y entend. Avec cette façon de s’y parler à la deuxième personne (Michaux aussi, moins de mélancolie, plus de dérision) pour se mettre à distance. Nostalgie pour le ton, mélancolie pour la couleur, le tout revendiqué : « Je suis, au sens strict, un nostalgique », quand de jeunes abrutis, « maniaques d’un présent frelaté ont fourré dans les petites têtes d’aujourd’hui que ce sentiment qui est celui d’Ulysse, l’inventeur du nostos, était une maladie honteuse ». Critique acerbe ponctuée de cette confession amère et triste infiniment :

    « je n’ai pas d’Ithaque, aucune Pénélope, et ce retour est sans fin ».

    La mort n’a tout de même pas tout pris, pas encore à cette heure. Le temps qui passe a abandonné quelques vestiges. Les villes, les sites, résistent mieux que notre chair périssable. « Le port de Souakim, au Soudan » n’avait pas changé. Mais quels spectacles étonnants elles/ils offrent quelquefois ! « La forme d’une ville change plus vite, hélas… ». Même lorsqu’il arrive que pour tel lieu, ce soit mieux maintenant, l’écrivain garde la nostalgie de ce qu’il a connu. Et combien plus pour les amis ! Les retrouvailles avec eux, vingt ans, trente après — et c’est presque toujours pour les obsèques de l’un ou l’autre, occasion de se dire : à bientôt mon tour — c’est presque toujours la soirée chez les Guermantes.

    Mais… mais il y a les femmes. Les femmes sont le miracle du monde. Il y a des moments, rarissimes d’accord, vraiment heureux, des « capsules » de bonheur pur, fût-ce au prix « d’une opération d’optique magique ». « Vieil amoureux mélancolique », soit, mais Rolin est un amoureux fou des femmes. Pas une seule des Très Aimées ne revient vieille. Dans les pages de l’amant qui écrit, elles ont toutes la jeunesse éternelle. Ou alors, si une deuxième rencontre a lieu, c’est qu’un dieu protège telle amante d’autrefois.

    « J’avais peur que nous ne nous reconnaissions pas, une trentaine d’années avaient passé ».

    Et voici le miracle, le don des dieux :

    « Elle m’attendait, et c’était la même ».

    Joie. Joie. Pleurs de joie.

    « Elle était si environnée d’images d’autrefois que je la voyais à travers elles, le passé en quelque sorte l’enveloppait… » .

    La page est à lire, absolument. Belle à pleurer, comme cette femme.

    Sur soi-même, aucune nuée ou pluie divine qui fasse élixir ou bain de jouvence. Constat général de délabrement : usé, vieilli, gris, ce ne sera jamais un portrait en gloire. Chez les Guermantes, on imagine sans mal ce que les autres voient de soi. Pour lui-même, Rolin est sans complaisance.

    « Deux jeunes, à Shanghai, m’ont offert leur place dans le métro. Il faut s’y faire »…

    ou alors, choisit la dérision :

    « Ulysse au petit pied ».

    Enfin, la discrétion des descriptions de soi ne tient pas au désir de passer sous silence le délabrement, mais à la pudeur. Il y a tellement mieux à dire.

    Si portrait il y a, alors ce sera un portrait en creux. Une image revient : « celle d’un jeune ramendeur de poteries, en Égypte, à Saqqara ». De tessons épars. « À la fin de la journée, il pouvait avoir reconstitué un vase canope » …

    « C’est le même genre de travail que j’entreprends : rabouter, coller des dizaines d’éclats de souvenirs, en recomposer un vase imparfait, fracturé, dont je ne serai que le vide central ».

    Les mille détails « d’immenses paysages parcourus maintes fois en train » sont les mille détails adorables de notre terre de vivants, mais ils servent aussi de toile de fond au reflet d’un visage sur la vitre, ils recomposent un portrait par défaut :

    « comme si tu n’étais pas autre chose que le dessin vide où passent ces arbres, ces baraques, ces marécages, ces fleuves… un portrait de l’artiste en globe terrestre », en quelque sorte. Le « soi » n’est fait que de ce matériau qu’est le monde et que sont les autres.

    « Une vie n’est pas que sa propre petite vie individuelle […] elle est faite de ces innombrables rencontres […] Ces autres vies ont à petits coups forgé la tienne ».

    Bien modeste portrait de soi que ce portrait en creux. Que confortent les lignes de El Hacedor de Borges, mises en exergue. On en revient au point de départ.

    Les êtres aimés, les carnets de notes et les livres lus, les paysages du monde, c’est de tout cela que se compose ce que « je » suis. Rien de moins qu’une glorieuse monade.

    « Chacun a déposé en moi quelque chose que je ne saurais pas nommer, pas une “leçon”, certainement pas, plutôt une très mince pellicule, de savoir, d’émotion, de rêve, et toutes ensemble ont composé à la fin ma vieille écaille jaspée de tortue marine… Chacun fait, sans le savoir, partie de mon immense famille. »

    On se souvient de … « pas d’Ithaque, aucune Pénélope »… Rien de moins, donc, que le prestigieux rejeton d’une lignée généalogique, non, mais la ramification infime et infinie d’une immense famille. Et c’est beaucoup plus beau de « se » voir ainsi.

    Cela interdit le désespoir. Extérieur monde peut avoir par moments le ton d’une affligeante mise au point, d’un bilan négatif. Ce serait peut-être mal lire. Il y a une énergie interne qu’on voudrait dire « l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles », et dans les dernières pages un vrai coup de fouet, une rébellion qui les dynamise. Extérieur monde n’est pas un livre morose ou funèbre.

    « Testamentaire, et quoi encore ? On ne baisse pas le rideau, jamais de la vie ! »

    De la vie, c’est le mot. Vivre est une chose stupéfiante, un don merveilleux qui mérite gratitude. Dum spiro spero.

    « Ces carnets ne seront pas les derniers, c’est donc décidé. »

    Non que l’œuvre importe plus que la vie, comme pour Proust. Il importe de vivre sans que cela soit porté par aucune foi. Il faut croire en l’amour pour tout ce qu’il a donné, l’amour qui rend pourtant « cinglé » : « le moindre moment d’un bonheur souhaité… », dans la version Rolin : quand « on ne souffre même plus, quel ennui ! ». Il faut croire à tout ce que les livres des grands autres nous ont donné, cette richesse des plus belles pages lues, relues, apprises par le cœur. Il faut croire en la beauté vertigineuse du monde :

    « Le monde est tout de même un objet assez vaste et bigarré, qui mérite qu’on y aille voir ».

    Certes, on ne part pas toujours de gaîté de cœur et sans doute y a-t-il eu souvent au principe des départs « une envie de disparaître ». « Quelque chose…comme s’estomper, s’effacer », « une esquive mélancolique ». Mais pas seulement. Partout le monde a déployé son extérieur fastueux, misérable, insolite, éblouissant, fascinant, « spectacle somptueux ». Si vieux, usé, désabusé soit celui qui y a roulé sa bosse, écrit ce livre, il lui reste au cœur « la curiosité », « plus élémentaire encore, plus enfantin, le désir de voir ». Et le désir d’entendre, ici, là-bas, partout la polyphonie du monde dont le Jardin du Luxembourg répercute les échos :

    « Toutes les langues du monde tournent et se mélangent autour du bassin, dans un poudroiement de poussière dorée, se nouent un bref moment et se dénouent. Toutes les langues que j’aime à l’égal de la mienne, qui sont les voix multiples du monde, que j’aimerais tant parler comme je parle la mienne ».

    Le monde aussi comme une vaste langue sonore.

    Alors, dans les dernières lignes du livre, après l’aveu bouleversant : « Désemparé soudain, seul », ce coup de fouet :

    « Qui fait qu’on recommencera, tant qu’on en aura la force — comme on continuera à se laisser étonner, et instruire, et façonner par le monde. »

    Le dernier mot sera le monde. Extérieur monde.



    Bernadette Engel-Roux
    D.R. Bernadette Engel-Roux, septembre 2019
    pour Terres de femmes






    Olivier Rolin  Extérieur monde 2





    OLIVIER ROLIN


    Olivier Rolin NB
    Source.
    Ph. Isabelle Rimbert. Tous droits réservés.






    ■ Voir aussi ▼

    → (sur En attendant Nadeau)
    « Portrait de l’artiste en globe terrestre » (une lecture d’Extérieur nuit, par Norbert Czarny






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  • Olivier Rolin | [Le jardin du Luxembourg, centre de mon zodiaque]




    Jardin du Luxembourg
    Source







    [LE JARDIN DU LUXEMBOURG, CENTRE DE MON ZODIAQUE]



    Toutes les saisons tournent autour du bassin du Luxembourg, celles de l’année et celles de la vie, c’est mon étoile polaire, mon horloge astronomique, le centre de mon zodiaque.

    […]

    Les arbres se teignent à l’automne des couleurs du raisin mûr, les coups de vent en lèvent des vols d’étincelles, la course des nuages fait défiler, dans les flaques laissées par l’averse, comme un ciel souterrain étendu au-dessus d’un autre monde, peut-être meilleur, vu à travers des échancrures de la terre. Une goutte d’eau scintille au bout d’une tige et de ce petit diamant liquide jaillit, inopiné, le souvenir des lignes d’Autres rivages où Nabokov relate comment « son premier poème fusa » à la vue d’une goutte roulant le long d’une feuille de tilleul – et il y a dans cet épisode un peu de l’assurance ostentatoire de son génie qui rend parfois Nabokov irritant (au fait, et sa demeure ?). Une fille en jupe rouge, cuissardes noires, blouson noir, lunettes noires, cheveux noirs avec un crayon vert planté dedans, pianote d’un ongle précis sur son téléphone noir. Les marrons jonchent le sol, petits galets d’acajou poli dont on ne peut se retenir de fourrer un ou deux en poche, avec tous leurs relents d’enfance (mon unique voyage, avec mes parents, aux « châteaux de la Loire »), bogues éclatées, charnues, à l’intérieur d’un blanc satiné. Souvenirs d’enfance, encore, les feuilles de platane qui crissent sous les pieds comme si l’on foulait une très mince pellicule de glace (tandis que celles des tilleuls, jaune acide et gris perle, duvetées, forment un tapis moelleux), et qui rappellent celles qu’on nous faisait dessiner à l’école, il y a une immensité de temps. Les parfaits palmiers sont encore là (bientôt on les rentrera, avec les orangers devants lesquels pose une Japonaise aux jambes Louis XV, en robe noire à col marin), leur ombre au sol dessine une gigantesque araignée (souvenir de L’Île mystérieuse). Sous l’un d’eux j’attendais, il n’y a pas si longtemps, une autre femme, russe, qui fut un amour violent et bref – « Tu me trouveras sous ce palmier, comme un chameau », lui avais-je dit, et souvent ensuite je signais mes messages d’une icône de chameau (de dromadaire, en fait). L’été au Luxembourg est érotique. Robes légères, dont l’ourlet (ô Baudelaire !) bat mollement des jambes bronzées, maillots découvrant des bras fins, shorts minuscules, soutiens-gorge sous la mousseline, seins entr’aperçus, fines sandales, tennis. Multiple crissement des pas sur le gravier. Japonaises à petits chapeaux, à ombrelles, queues-de-cheval, jambes pâles, pépiant. Cheveux qui volent, dansent sur les épaules, relevés sur la nuque, dont une mèche retombe… Taches de rousseur… Seigneur… Toutes les langues du monde tournent et se mélangent autour du bassin, dans un poudroiement de poussière dorée, se nouent un bref moment et se dénouent. Toutes les langues que j’aime à l’égal de la mienne, qui sont les voix multiples du monde, que j’aimerais tant parler comme je parle la mienne.




    Olivier Rolin, Extérieur monde, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2019, pp. 111-114.





    Olivier Rolin  Extérieur monde 2





    OLIVIER ROLIN


    Olivier Rolin NB
    Source.
    Ph. Isabelle Rimbert. Tous droits réservés.





    ■ Olivier Rolin
    sur Terres de femmes


    Extérieur monde (une lecture de Bernadette Engel-Roux)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur En attendant Nadeau)
    « Portrait de l’artiste en globe terrestre » (une lecture d’Extérieur monde, par Norbert Czarny





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  • François Cheng | [Consens à la brisure]




    Haute tour François Cheng
    Ph., G.AdC






    [CONSENS À LA BRISURE]




    Consens à la brisure, c’est là
    Que germera ton trop-plein
    De crève-cœur, que passera,
    Un jour, hors de l’attente, la brise.

    Entre cime et abîme, orage,
    Un faucon guette l’instant de halte.
    À flanc de falaise, une souche
    Lui tend le bras, comme lui hors d’âge.

    Haute tour, tu nous élèves à ta vue, portée
    Par le souffle du soir. Le vol de l’aigle nous rend proche
    L’âme errante des Anciens, mais à l’horizon,
    Ceux qui s’en vont, peu à peu, s’effacent dans la brume.

    Au sommet du mont et du silence,
        rien n’est dit, tout est.
    Tout vide est plein, tout passé présent,
        tout en nous renaît.



    […]




    ENVOI



    Ne quémande rien. N’attends pas
    D’être un jour payé en retour.
    Ce que tu donnes trace une voie
    Te menant plus loin que tes pas.




    François Cheng, Enfin le royaume, quatrains, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2018, pp. 50-53, 153.






    Cheng  Enfin le royaume



    FRANÇOIS CHENG


    Cheng
    Source




    ■ François Cheng
    sur Terres de femmes

    L’appel de la mer
    Longtemps à longer cette eau sans âge
    [Oui, nous suivrons le sentier]
    Rose d’indigo
    [Suivre le poisson, suivre l’oiseau]
    Tango toscan



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de l’Académie française)
    une bio-bibliographie de François Cheng





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  • Paule du Bouchet | Point final





    Truinas
    Chapelle de Truinas (Drôme) au-devant du petit cimetière
    où repose le poète André du Bouchet
    D.R. Ph. angelepaoli (12 juillet 2018)







    POINT FINAL



    Vers la fin de sa vie, il me disait souvent : « Tu verras, le temps se rétrécit de plus en plus. » À l’automne, dans la Drôme, face à la montagne, l’ombre gagnait la maison bien avant le coucher du soleil. Les journées se faisaient courtes. Nous sortions dans le dernier jour. Mon père chaussait ses bottes, mettait une écharpe. Nous remontions le chemin de Truinas. Il y avait ce côte à côte, chargé de tout ce qui avait déjà été dit, de tout ce qui ne le serait jamais. Dans le tournant, lorsqu’il avait plu, il fallait contourner une grande flaque. Ça glissait, nous nous tenions la main. Ensuite, le chemin monte jusqu’à la route. Il prenait son courrier à la boîte aux lettres, souvent nous poussions jusqu’à la mairie, marchant d’un bon pas sur l’asphalte sonore. Il avait sa canne en coudrier, celle avec laquelle il s’amusait à nous poursuivre lorsque nous étions enfants en nous menaçant de nous « bastonner ». Parfois nous faisions halte chez un agriculteur qui offrait un verre de vin rêche. On entrait dans la salle sombre, on s’asseyait autour de la table, on parlait de l’orage, de la chasse, d’une recette de cuisine. Le soir tombait. On allumait le plafonnier qui faisait un rond orangé sur la table. Il y avait des silences, on servait une dernière goutte. Mon père se levait, nous prenions congé. On revenait dans la nuit, sur le chemin je lui tenais le bras dans l’obscurité.


    *


    À l’instant de finir, je repense au « point final » évoqué par lui peu de temps avant de mourir. Sur le moment, je l’avais entendu stricto sensu, le « point » achevant son dernier livre, celui de tous les livres. Il me semble aujourd’hui d’une nature différente qu’au moment de commencer ces lignes. De quel point final s’agit-il, lui pour qui le sentiment de l’essentiel était indissociable de celui de l’inachevé ?

    Dans sa postface, intitulée « L’infini et l’inachevé », au recueil L’Œil égaré dans les plis de l’obéissance au vent consacré à Victor Hugo, mon père cite ce dernier : « La pensée c’est l’illimité. Exprimer l’illimité, cela ne se peut. Devant cette énormité immanente, les langues bégaient. » Et de poursuivre en commentaire : « On sera toujours stupéfait de la facilité verbale inouïe dont dispose ce poète pour qui le propre de l’essentiel est de ne pouvoir s’exprimer et dont le propre du talent est de toujours masquer l’essentiel. La “création bègue”, “l’énigme qui a peur du mot”, cette grande nature qui n’affleure que par lambeaux. » Lorsqu’il écrivit ce texte, il avait vingt-sept ans. C’était l’année de ma naissance.





    André du Bouchet Hugo





    Cette « grande nature qui n’affleure que par lambeaux », c’était aussi lui. Mon père. Il me semble à présent que le « point final » évoqué à l’hôpital ce jour d’avril 2001, mois de sa mort, rendait possible de faire du « lambeau » un tout, d’envisager l’infini et l’inachevé. Et de conclure la proposition qui fut sienne sa vie durant, que nous entendîmes dans sa bouche toute notre enfance : « Je me mets au monde moi-même chaque jour. »

    Et du même coup de se retirer comme on ferme la porte.



    Paule du Bouchet, Debout sur le ciel, récit, éditions Gallimard, Collection Blanche, 2018, pp. 114-116.






    Paule du Bouchet  Debout sur le ciel






    PAULE DU BOUCHET


    Paule du Bouchet
    Source




    ■ Voir | écouter aussi ▼père

    → (sur le site de France Culture)
    Paule du Bouchet : « Écrire, c’était trouver mon en moi » (émission Par les temps qui courent par Marie Richet, 1er mai 2018)
    → (sur le site de France Culture)
    André du Bouchet (émission Du jour au lendemain par Alain Veinstein, 19 avril 2011)
    → (sur le site de Radio Télévision suisse)
    Présence d’André du Bouchet (Entre les lignes, émission du 14 janvier 2013)




    ■ André du Bouchet
    sur Terres de femmes

    19 avril 2001 | Décès d’André du Bouchet
    En pleine terre
    Le moteur blanc
    sur la terre immobile




    ■ Voir encore ▼

    → (sur Terres de femmes)
    20 avril 2001 | Philippe Jaccottet, Truinas
    → (sur Terres de femmes)
    Isabelle Baladine Howald, La Douleur du retour (note de lecture d’AP)





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Georges-Emmanuel Clancier | Ève noire



    Fleur surgie violente du minéral
    Ph., G.AdC






    ÈVE NOIRE



    Pour Lucien Clergue




    Fleur surgie violente du minéral
    tu défies par la pulpe d’ombre et de lumière
    de tes seins collines
    tu défies par l’hymne (cuivre, or, braise)
    qui s’érige des reins à la nuque
    sous le feu, sous le jeu solaires,
    tu défies, ô fleur noire, chair première,
    la partition de mort
    gravée profond aux rocs comme aux os
    de ce désert où défaille le temps.

    Le regard qui te sacre reine
    tu l’arrachas aux vallées éphémères
    pour l’enfouir, le chauffer, le bercer en ton ventre.
    Il te cueille en plein jet, corolle noire
    mais ton sexe l’accueille et de nouveau l’enfante
    lavé de toute souillure, de toute blessure,
    armé de la gloire et de l’éclat originels.




    Georges-Emmanuel Clancier, « Étincelles d’instant » in Vive fut l’aventure, poèmes, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2008, page 20.






    Clancier  Vive fut l'aventure 2





    ________________________
    Note d’AP : le poème ci-dessus a été antérieurement publié (dans une version longue et sous le titre « Laine d’Ariane ») dans un ouvrage collectif (Poésie) de la collection L’Atelier imaginaire, Éditions L’Âge d’homme, 15 juin 1991, pp. 81-84. Voir aussi : CLERGUE, Lucien, Eve est Noir. By Georges-Emmanuel Clancier. Illustrated with colour photographs by Lucien Clergue. 28 Loose leaves each with a 4″ x 6″ colour photographs, plus 1 colour laser-print. Housed in a linen-covered clamshell box. Arles: Privately printed, 2000. Eve est Noir was originally published in 1982, and is here revisited together with a poem by Clancier, reproduced in facsimile, which it inspired, and a 1982 text by Clergue. The photographs all depict a black nude model photographed in various American locations from Point Lobos on the West Coast to Rockport, Maine in the East.






    GEORGES-EMMANUEL  CLANCIER




    ■ Georges-Emmanuel Clancier
    sur Terres de femmes

    [Flaques d’orange lueur] (autre extrait du recueil Vive fut l’aventure)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Gattivi Ochja)
    un autre poème de Georges-Emmanuel Clancier (extrait du recueil Oscillante parole [Gallimard, 1978] et traduit en corse par Stefanu Cesari)
    → (sur Ici & Là)
    une lecture de Vive fut l’aventure par Dan Bouchery





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  • Étienne Faure | sur « Le Poète à tête renversée »




    [SUR LE POÈTE À TÊTE RENVERSÉE]







    Chagall  Le Poète à tête renversée  2
    Marc Chagall (1887–1985)
    Étude pour Le Poète à tête renversée, 1911
    Gouache, plume et encre sur papier,
    27 x 21 cm
    Source







    Cette rose au cœur vert on dirait un chou,
    la tête renversée du poète
    il y a cent ans repeinte avec des paupières
    d’ortie, tout un monde à l’envers revu
    comme on regarde par-dessous celui qui s’annonce
    avers, endroit du décor
    à la vitesse révolue d’une époque
    où coule sans gravité la couleur du vin
    lumineuse, éclairant le verre
    — et la lente impression d’ivresse —
    le vin où plongerait aussi bien la plume
    quand l’encrier est sec, la lampe sans pétrole,
    à lire à livre ouvert sur les genoux, vieil établi,
    le livre ou manuscrit comme à rebours
    entre les pages où furent glissées des fleurs
    ocre, violines, jaune paille,
    les mots semblablement réversibles.


    sur « Le Poète à tête renversée »




    Étienne Faure, « En peinture » in Tête en bas, poèmes, éditions Gallimard, Collection blanche, 2018, page 69.






    Etienne faure  Tête en bas






    ÉTIENNE FAURE


    Etienne Faure




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    Tête en bas (lecture d’AP)
    [Après les rigueurs inhumaines | du gel] (extrait de Ciné-plage)
    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure





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