Étiquette : Collection entre 4 yeux


  • Jacques Ancet | L’âge du fragment



    L’ÂGE DU FRAGMENT
    (extrait)





    J’entre dans l’âge du fragment. Les choses se serrent, éclatent : esquilles, fibrilles, sang sur les doigts. Et la neige, toujours.

    […]

    Dans l’image on n’entre pas. Elle reste en face, comme posée devant les yeux qui lui donnent ses limites et sa profondeur. La beauté est cette distance infranchissable tissée de lumière et de vols qu’on croit toujours pouvoir franchir. La main se tend, la bouche s’ouvre. On touche le murmure.

    C’est un bruissement à peine. Une sorte de vibration fixe venue de là-haut ou d’en bas, on ne sait pas. Avec un ciel de craie et des visages noirs à contre-jour. Et des cris soudain, des rires. Et des phrases qui s’en vont, qu’on n’a pas su comprendre. Ou qu’on a mal entendues. Ou qu’on a oubliées, déjà. Seul est resté le silence et, très loin, comme au bord, ce qui ne se tait pas.

    Ce qui ne se tait pas ou ce qui se tait, c’est pareil. Puisqu’on n’entend rien que le silence de la voix.



    Jacques Ancet, « II L’âge du fragment », La Vie, malgré, chroniques, éditions Lettres Vives, Collection entre 4 yeux, 20213 Castellare-di-Casinca, 2020, pp. 17, 19, 20.






    La Vie  malgré




    JACQUES ANCET


    Jacques Ancet
    Source




    ■ Jacques Ancet
    sur Terres de femmes


    [Le chant du même oiseau n’a pas cessé de me poursuivre] (extrait de Huit fois le jour)
    Dans l’indéfini (extrait de Chronique d’un égarement)
    L’égarement
    L’identité obscure (extrait du chant 9 de L’Identité obscure)
    [Je cherche] (extrait de L’Âge du fragment)
    Image et récit de l’arbre et des saisons (lecture d’AP)
    Je reviens
    [On dit quelqu’un] (extrait des Travaux de l’infime)
    On voit toujours (extrait de Puesto que él es este silencio)
    Oublier l’heure (extrait de Chronique d’un égarement)
    [Mais c’est parce qu’il est tard] (extrait de Voir venir Laisser dire)
    14 juillet | Jacques Ancet, Comme si de rien
    10 décembre 2001 | Jacques Ancet, Un morceau de lumière
    4 novembre 2012 | Jacques Ancet [Sous le bruissement du sang, tweet]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Esprits Nomades)
    une page Jacques Ancet
    Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet





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  • Alexandre Romanès | [Les Tsiganes sont comme les oiseaux]


    Luth noir collage
    Collage, G.AdC







    [LES TSIGANES SONT COMME LES OISEAUX]



    Les Tsiganes sont comme les oiseaux
    qui volent contre le vent.


    Ma femme est une gitane
    hongroise redoutable.
    À la seconde où je l’ai vue,
    j’ai su que c’était l’ange
    qu’on m’avait envoyé.


    Au royaume de l’espoir
    il n’y a jamais d’hiver.


    « Je me souviens » et « il y a longtemps » :
    ce sont les deux phrases les plus
    poétiques de la langue française.


    Je passe souvent du temps
    avec des hommes et des femmes
    qui ne sont rien dans cette société,
    mais qui sont beaucoup pour moi.


    Les deux plus grands poètes
    de la langue française
    ce sont deux femmes.


    Le timbre de la voix et les mots utilisés
    en disent plus sur un individu
    que ce qu’il prétend être.


    La sonorité délicate et somptueuse
    de mon luth me transporte,
    que je le veuille ou non,
    dans le Royaume neigeux de la mélancolie.



    Alexandre Romanès, Le Luth noir, Éditions Lettres Vives, Collection entre 4 yeux, Collection dirigée par Claire Tiévant, 20213 Castellare-di-Casinca, 2017, pp. 11-12-13.






    Alexandre Romanès






    ALEXANDRE ROMANÈS


    Alexandre-Romanès
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Lettres vives)
    la fiche de l’éditeur sur Le Luth noir





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  • #in_memoriam #covid_19 Marcel Moreau | [Corps écrivant et éprouvant]




    [CORPS ÉCRIVANT ET ÉPROUVANT]





    CORPS écrivant et éprouvant à tout instant à quel point les mots qui lui viennent sont des acteurs vivants et spontanés d’un événement en quelque sorte théâtral, les didascalies et les praticables en moins, de telle sorte que le lecteur croit lire un roman qui s’adresse à son esprit alors que c’est un drame historique dont sa chair est l’un des protagonistes, quoi qu’il fasse.

    CORPS qui, au fur et à mesure qu’il écrit et s’écrit, semble se prêter en continu, jour et nuit, aux allées et venues d’une troupe de forains pirandelliens et insomniaques en quête de l’auteur d’un ouvrage pourtant bien là, puisque de lui dépend que les saltimbanques cessent d’être des comédiens irrésolus pour devenir des tragédiens belligérants, chtch chtch chtch

    CORPS VERBAL et CORPS PULSIONNEL d’un seul tenant, ce qui a l’heur de tenir en haleine le CORPS BIOLOGIQUE, en proie à une effervescence de vicissitudes de tous ordres, les mêmes qui en général se retrouvent dans le théâtre antique lorsqu’il est signé par Euripide et Sophocle, ou plus près de nous, Racine et Beckett, ou Tennessee Williams, ou encore quand il est voulu cruel par Artaud.

    Cette PROPRIÉTÉ qu’ont les mots, quand c’est le corps qui les écrit, de se changer tour à tour, mais sans désemparer, en pitres ou en flibustiers, en dépenaillés de la syntaxe ou costumés de grammaire passementée, en vengeurs ou en munificents, en conservateurs de la substance indépassable, tantôt mystique, tantôt forcenée d’un moyen âge de toutes les folies, les bâtisseuses comme les pestiférées, et redécouvrant ainsi leur modernité, une modernité ennemie des derniers cris de l’obscénité universelle se réclamant de leur prétendue nouveauté pour s’autoproclamer avant-garde chtch chtch





    Cette PROPRIÉTÉ qu’ont les mots, dans le corps qui écrit ce livre et d’autres, de se changer en « héros » ou en « anti-héros » d’une pièce injouable ailleurs que dans les profondeurs de sa vie organique, même lorsqu’ils se transportent dans d’autres corps, traversés de mots qui n’étaient peut-être jusqu’ici que les figurants d’un spectacle improbable les privant de l’espoir de tenir, un jour, un premier rôle et d’occuper ainsi le devant de la scène, au moins une fois n’étant pas coutume chtch chtch

    CORPS d’un homme et VENTRE de la femme qu’il aime dont les mots qu’ils se disent avant, pendant et après l’Acte sont des êtres vivants et pensants, passibles des mêmes jalousies et des mêmes trahisons auxquelles n’échappent guère les passions humaines, et procédant des ressorts secrets de leur insatiété de nature. MOTS hardis, même les expectatifs ; éperdus, même les songeurs, mais parfois également si candides qu’ils pourraient récrire Othello à la lumière d’une Desdémone au seul nom de laquelle pâliraient toutes les sonorités du monde, au point que nul Yago ne songerait à en médire, et nul Maure considérable à s’en croire cocufié.

    MOTS imprévisibles, où il suffit parfois que l’un d’entre eux, même bancal, oublié de la poésie combattante (par exemple pultacé), reçoive de la vie organique quelques impulsions fameuses, frappées au coin de ses mouvements en sens divers — notamment les gastro-intestinaux — impulsions qu’il lui retournera aussitôt en prises de parole, humides de bonheur, trop peu toutefois, pour qu’il s’ensuive dans le langage scientifique affecté à la définition des éléments constitutifs du corps et de leurs attributs, un début de doute quant à la réalité de la fonction qu’est censée leur faire tenir l’étymologie convenue.

    MOTS, en cas de logorrhée, tel un hourvari de sonorités inactuelles tournant en orbite autour de la planète Furetière, et c’est ainsi que le corps écrivant se surprend à parler le latin au moment où il croit s’adresser à un borborygme.

    MUSIQUE DES MOTS n’en pouvant plus de la tendance générale de la logomachie au pouvoir à infliger à l’oreille du plus grand nombre les bruits assourdissants de ses prothèses tautologiques.

    MUSIQUE DES MOTS, CORPS d’un homme, avant sa mort, écrivant au corps d’une femme aimée ce qu’il voit et entend de son immensité, CRATÈRE À CORDES, SCANSIONS blasonnées de syncopes chantournées au doigté et autres signes tangibles de transfiguration de la vie intérieure en capitale de tous les possibles de l’être, pointés sur un réalisable censé n’arriver jamais.



    Marcel Moreau, Un cratère à cordes ou La Langue de ma vie, Éditions Lettres Vives, Collection Entre 4 yeux, 2016, pp. 75-76-77-78.






    Marcel Moreau  Un cratère à cordes






    MARCEL MOREAU


    Marcel Moreau
    Source




    ■ Marcel Moreau
    sur Terres de femmes


    27 janvier 1974 | Lettre de Jean Dubuffet à Marcel Moreau




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Le Carnet et les Instants)
    Marcel Moreau. L’écriture comme paroxysme, par Véronique Bergen
    → (sur Mediapart)
    Marcel Moreau, à corps écrivant, par Jean-Claude Leroy





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  • Roland Chopard | [C’est un peu plus compliqué]


    Chopard 2
    « L’œil est toujours dans le même abîme obsessionnel »
    Ph., G.AdC








    [C’EST UN PEU PLUS COMPLIQUÉ]




    C’est un peu plus compliqué : la voix suit ou ne suit pas, n’écoute ou n’écoute pas, cherche aussi une voie, elle laisse mûrir, traîner, elle abandonne, reprend en vain. Un processus de décomposition. Un retour, une reprise semble toujours possible, elle retrouve ses illusions en oubliant souvent le contexte de la matérialisation des phrases. Ces phrases apparemment figées sont au moins des incitations à poursuivre, avec ou non le secours d’autres paroles.

    Des pulsions animent la voix, en même temps qu’un lent travail de rumination lui est nécessaire. Palimpseste continu, l’acte d’écriture est une parodie, un écho de vestiges insaisissables. Le spectacle de la réalité, pas plus que les références culturelles ne sont là pour éclairer vraiment. Elle est toujours en quête de lieux sans limites car il y a tant de repères à fuir, de désastres difficiles à décrypter, de signes involontaires qui rappellent l’impuissance.

    Et les années passent… Quelquefois, avec une approche lente et progressive pour tenter de tordre encore mieux la langue, l’écriture se forme dans un état second (mais il n’y a pas besoin pour cela, d’adjuvants, de paradis artificiels). Fragments d’obscurités jetés au regard, soumis à la sagacité comme si un souffle allait soudain tout transformer en quelque chose d’inouï. Suite à des élans non dépourvus d’agressivité intellectuelle ou au contraire dans un état méditatif proche de la paresse. Ou de la sagesse. Inflexions du hasard et écoute distraite de ce qui émerge du mental. Le regard cherche alors un lieu non encore atteint. Une pureté. L’expression véritable est alors peut-être trouvée. Des bribes deviennent des vérités, du moins au moment où elles naissent.

    Seule réalité tangible, la voix est ainsi confrontée au (re)commencement interminable des livres disparus. C’est dans ce travail décisif qu’elle ne peut qu’exister. Parce que le non-dit est lié à une profonde blessure. S’il y avait une cause ou une vérité à chercher, ce serait dans ce sens.

    L’œil est toujours dans le même abîme obsessionnel, induisant des bribes mais dispersant tout ce qui se trame trop aisément quand les désirs s’obstinent avec les mêmes audaces pour (ac)coucher sur le papier de cette trace inouïe que personne n’attend.

    Mais, continuellement dans l’éphémère, la parole pourrait devenir violente quand elle doit bien reconnaître son incapacité à finalement se fixer. Elle s’arme alors de patience pour ne pas crier son désarroi, pour ne pas incriminer tous les rouages castrateurs du monde qui l’entoure (même s’ils existent). C’est l’équilibre instable, le porte-à-faux qui ferait qu’une décision irrémédiable pourrait intervenir et précipiter la chute et un nouveau retour au silence, cette fois définitif.



    Roland Chopard, Sous la cendre, 6 suites & variations pour voix seule(s), Éditions Lettres Vives, Collection entre 4 yeux, 2016, pp. 65-66-67. Postface de Claude Louis-Combet.






    Roland Chopard, Sous la cendre






    ROLAND CHOPARD


    Roland chopard





    ■ Roland Chopard
    sur Terres de femmes


    [L’œil réécrit constamment ce qui défile] (extrait de Parmi les méandres)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une notice bio-bibliographique sur Roland Chopard





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