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  • Michel Diaz | Ce qui gouverne le silence




    CE QUI GOUVERNE LE SILENCE
    (extrait)





    Le mot est, dans l’eau ronde du puits, ce jus noir de voyelles que vient froisser, comme un caillou, la chute des consonnes.

    Au seuil du souffle, à l’orée de tout bruit, quelque chose soudain se déplace, furtif, que l’on ignorait être là, ou qu’on croyait perdu.

    Et la parole devient geste, s’étire dans l’effort hélicoïdal de s’arracher à sa matrice, s’anime, marche, épouse l’or du jour, s’aventure au-devant de la nuit qu’elle brave, au-delà de ses ombres.

    C’est l’heure d’engranger le bois, les moissons récoltées avant la venue de l’hiver.

    Avant que la parole se dégrade, crispée dans son manteau de givre, ou se recroqueville dans le paysage, arbuste mal nourri de sécheresse, olivier mal inscrit dans le ciel, que le soleil colère parce qu’il a su étirer devant lui quelques rameaux qui saignent et peinent horriblement.

    Il nous faudrait combler tant de distance encore !

    On s’avance alors, tâtonnant, dans un champ de paroles, tout l’alphabet autour du cou, pesante et inutile cartouchière, comme dans un champ de bataille après la défaite.

    À la lumière des étoiles, on reconnaît ses morts.

    Et on se sent mourir aussi, à chaque mot que l’on arrache.





    On avance, de mot en mot, à travers les pages du livre, celui-là qui s’écrit à mesure, comme on erre parmi les tombes.

    Stèles gravées de mots inertes. Pierres de lune sèches que l’on arrose, en vain, de son crachat et de l’aigre sueur de son front.

    La pierre est phrase encore, à l’angle où s’écorchent les doigts. Où l’on peut adosser sa fatigue. Hommage à qui nous prête encore son épaule ! Mais combien de pierres mal transcrites la mort emportera dans son giron de femme enceinte ?

    Que nous restera-t-il alors à déchiffrer quand, du plain-chant du monde, il ne demeurera qu’un silence de neige et pas de place pour un mot de plus ?




    Michel Diaz, « I – Ce qui gouverne le silence » in Comme un chemin qui s’ouvre, L’Amourier éditions, Collection Fonds Poésie, dirigée par Alain Freixe, 2019, pp. 40-41.






    Michel Diaz  Comme un chemin qui s'ouvre




    MICHEL DIAZ


    Michel Diaz
    Source




    ■ Michel Diaz
    sur Terres de femmes


    Comme un chemin qui s’ouvre (lecture d’AP)
    clair-obscur (extrait de Lignes de crête)
    [de tourbe] (extrait d’Offrandes Olivia Rolde)
    Le Verger abandonné (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    la fiche de l’éditeur sur Comme un chemin qui s’ouvre
    le site de Michel Diaz




    ■ Notes de lecture de Michel Diaz
    sur Terres de femmes

    Jeanne Bastide, La nuit déborde
    Alain Freixe, Contre le désert
    Françoise Oriot, À un jour de la source





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  • Alain Freixe, Contre le désert

    par Angèle Paoli

    Alain Freixe, Contre le désert,
    L’Amourier éditions, Collection “Fonds Poésie”, 2017.



    Lecture d’ Angèle Paoli




    DU POÈTE AU MARCHEUR, LES MÊMES ANNEAUX DE SOLITUDE ET DE SILENCE




    Qu’y a-t-il « derrière les étangs », « derrière les cols », « derrière les jours » ? Et qu’y a-t-il, au-delà, derrière les fenêtres avaleuses de ciel, de nuages, sinon le noir béant sur le vide ?

    Puisqu’il faut accepter le gouffre pour pouvoir habiter « l’Abîme de l’existence humaine », il faut entrebâiller les ouvertures, pratiquer l’écart, s’infiltrer dans les interstices laissés apparents derrière « les lunettes d’approche » — expression empruntée par Alain Freixe à une toile de René Magritte (La Lunette d’approche, 1963), et intitulé du poème d’ouverture. Faire reculer sans cesse les étendues toujours plus grandes du désert. Et s’insurger, peut-être, s’il est encore possible de le faire, avec ce peu qui reste « contre ». Contre l’avancée toujours plus prospère de ce qui musèle, et aller voir, avec un œil qui écoute, ce qui murmure encore sous les pierres. Rester en éveil « contre toutes les réquisitions du monde ». C’est ce qu’Alain Freixe invite à faire, à travers les fragments rassemblés dans son dernier recueil poétique — Contre le désert —. Aller chercher, derrière les murs, derrière ce que l’œil à lui tout seul ne peut voir ou se refuse à voir. Solliciter « l’œil au-delà de l’œil ». Aller fureter derrière « [c]e que cache la vue » (Bernard Noël). Pour cela, « jouer de l’oblique, aborder de côté, du côté de la coulisse ». Et tenter, par ces subterfuges — reflets, « emblèmes, « images », « miroirs » —, d’approcher cet insaisissable que le poète travaille au corps (des mots), d’en cerner la substance. Il y a le ciel, ses mouvances liquides, l’eau des ruisseaux et des étangs. Avec, inaccessibles mais toujours présentes, les montagnes, leurs promesses de solitude et de silence.

    « La solitude et le silence. Deux anneaux. Deux ondes. Deux rythmes accordés. Serpent noir qui ondule jusqu’à se cacher dans ma langue. » (« L’automne est sans pitié » in « Reprises »)

    « Les miroirs ?/On les traversera », affirme le poète en conclusion du poème liminaire et en réponse à sa première interrogation-négation : « Les miroirs ?/On ne s’en guérira pas. » Comment ? Et par où traverser ?

    « Dans la nuit des poèmes », écrit Alain Freixe. Et il ajoute : « Ou celles des images ». « Quand l’œil fend les paupières et la langue les secrets. »

    Tant pis si le miroir est « vide ». Pourvu qu’il soit « vivant ». Car que cache-t-il derrière ses reflets ? Rien de sûr, ni de réconfortant. Rien que le fracas du monde et ses eaux tellement noires, tellement désespérées qu’il arrive que le poète, avec d’autres, ait envie « de mettre le ciel des mots à l’orage ». Et « de faire voler en éclats toutes les portes de la réalité. » Le vent de la révolte gronde qui rugit contre ce qui reste. « Ravin noir et mouillères obscures. »

    « Que l’arrière passe devant ! Le dessus dessous !

    Que le rien d’en haut fasse nid ici.

    Que dans les éclats. Les brisements. S’établisse un calme de débâcle »

    s’insurge Alain Freixe.

    Quant aux images, le poète en revendique l’usage, haut et clair :

    « Oui, j’ai besoin d’images

    de prises de sang

    sur le monde

    de prises de vue

    de cadrages

    et leur hors-champ

    des images

    et ce vent

    qu’elles descellent

    dans les murs

    de l’air »

    Les images, comme les miroirs, sont indispensables au poète, car elles font partie du gué. Elles offrent une possible passerelle entre des univers étrangers l’un à l’autre. Associant les contraires, créant échos et correspondances. Couleurs et murmures se fondent, sans transition des unes aux autres. Elles sont aussi expression d’un espoir, lien désirable entre hier et demain :

    « l’avancée toujours possible

    vers d’autres images

    d’autres mots

    d’autres jours »

    (« Le sens le soir les images » in « Reprises »)

    Elles font perdurer la passion, au-delà de ce qu’elle fut, comme il se dit dans cette très belle strophe du poème « Le blanc de l’églantier » :

    « Faudra-t-il ces trous dans la langue, ces images qui au fil tendu du poème font ombre si grande que le désir y risque sa chanson perdue pour qu’au bout ce soit enfin le jour, quelque chose comme un matin et ses braises où suspendu un feu tremble dans l’absence des flammes  ».

    En aucun cas, le poète ne peut se satisfaire des apparences. Il s’agit pour lui de faire rendre à la langue ses forces insaisissables. Ses secrets. Libre est le poète, qui libère les eaux de la rivière et libère les mots. Dès lors, suivre le poète dans les poèmes-jalons qui forment gué, d’une section à l’autre du recueil. Lui emboîter le pas. Avec lui repriser les images du passé avec celles du présent, les reprendre, morceaux de prose, poèmes, les remâcher, revenir en arrière pour relever, reprendre encore et renouveler, d’une forme poétique à l’autre, ranimer la pigmentation des couleurs. Et accepter de se perdre. Dans le labyrinthe des paysages des mots des souvenirs des images. Accepter de se risquer, avec le poète, dans la fusion imprévue des éléments du langage :

    « Main risquée dans l’écart des noms, se cognant parfois aux parois d’un défilé de langue, perdant des eaux dans un labyrinthe de rocs et d’écume ».

    Accepter de se laisser surprendre dans le dernier poème par l’adresse inattendue et mystérieuse « À la belle matineuse », ce motif très Rinascimento étant peut-être ici une métaphore de la langue.

    Le miroir, chez le poète, prend des formes multiples. Ainsi retrouve-t-il son côté inversé dans la combe au fond de laquelle coule la Castellane. De même la rivière dans son miroitement. Qui sépare un présent que n’émaille plus qu’une « ardente et triste lumière » d’un passé où la vie se vivait dans les livres.

    Avec les miroirs, ses feux et ses jeux, s’en viennent la lumière, ses plissés innombrables et changeants sur l’eau des étangs et froissements des feuilles dans les arbres. Pourtant, « [à] regarder, entre hier et aujourd’hui », le poète s’avoue « sans prise/sur ce paysage/debout sur les jours ».

    « c’est d’autres yeux

    dans mes yeux

    qu’il me faudrait voir

    s’ouvrir

    c’est d’autres syllabes

    qu’il me faudrait épeler »

    avoue-t-il, dans le même poème : « J’habite une autre nuit ».

    Les yeux s’attardent sur les couleurs. Hier lumineuses, fanées aujourd’hui. Les couleurs comme la lumière ont pris des teintes passées, progressant vers « la transparence d’un blanc laiteux ». Pour que se produise à nouveau le fusionnement des sensations et que le bleu retrouve l’intensité aveuglante d’un « ciel en majesté », il faudrait faire jouer les « lunettes d’approche ». Peut-être alors, couleurs/rumeurs/formes, toutes pourraient se mettre de la partie. Il faudrait que l’œil écoute afin d’assurer le passage du dehors vers le dedans.

    Il ne reste dès lors qu’à repriser/reprendre/relever les mots d’hier avec ceux d’aujourd’hui pour réconcilier passé et présent, images englouties encore perceptibles mais qui échappent à une emprise heureuse.

    « Je m’endors j’écris

    où les routes sont coupées

    et les pas assurés

    de s’égarer. »

    Que reste-t-il, lorsque le sentiment dominant est celui d’une perte irrémédiable ? Pour un homme tel qu’Alain Freixe, si intensément proche de la nature, de son souffle primordial, de sa puissance, il reste à s’élancer vers les hauteurs. « C’est le moment de prendre le chemin de la montagne, l’heure d’aller vers celle qu’on ne pénètre pas, celle qui entre en vous. Cornes hautes du pic Madres », écrit-il dans le poème en prose « Sans plus attendre ». Car de la montagne le poète connaît le langage. Des signes qui ne trompent pas l’interpellent et le poussent à grimper, toujours plus avant « derrière les cols » ; « à s’enfoncer dans toujours plus de silence ». Non pas pour s’approprier cette part d’elle qui résiste, impénétrable, mais pour se laisser prendre par elle. Inversion des rôles de l’amant et de l’amante. Du poète au marcheur, ce sont les mêmes anneaux de serpents qui structurent l’âme entière, vouée à la solitude et au silence.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Alain Freixe  Contre le désert




    ALAIN  FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes

    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Bleu plié au noir
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)
    Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    À l’étrangère (extrait de Vers les riveraines)
    [on serait à couvert sous les arbres] (autre extrait de Vers les riveraines)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Contre le désert
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours
    → (sur Terres de femmes)
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet, 1918-1939 (lecture d’AP)





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  • Alain Freixe, Contre le désert

    par Michel Diaz

    Alain Freixe, Contre le désert,
    L’Amourier éditions, Collection “Fonds Poésie”, 2017.



    Lecture de Michel Diaz


    Freixe contre
    « [L]a fenêtre qu’ouvre Alain Freixe (ou plutôt qu’il fracture
    en en brisant les vitres) donne […] sur des paysages
    dont les fragments perçus nous arriment à notre raison
    de vouloir exister. »
    Ph., G.AdC








    Dans sa note liminaire du recueil d’Alain Freixe, Contre le désert, et faisant référence à une toile de Magritte, Pierre Legendre écrit (voir aussi La Fabrique de l’homme occidental) :

    « […] La lunette d’approche découvre ce qu’il y a derrière les emblèmes, les images, les miroirs : un vide, le gouffre, l’Abîme de l’existence humaine. C’est cet Abîme qu’il nous faut habiter. La raison de vivre commence là. »

    Elle commence là. Et puisque, dit l’un des textes, « c’est toujours le soir » et « la venue des ombres sur ce que l’on croit », puisque « le monde, ce qu’on en voit, on l’ignore », c’est cet Abîme d’ombre menaçante que la parole d’Alain Freixe s’efforce d’investir. Mais parole qui est présence au plus près de son être et des choses contre l’Abîme de notre existence humaine.

    Car, face à cet Abîme qui s’ouvre devant nous et qui nous cerne de toutes parts, nous n’avons que bien peu de choix : celui de nous y abandonner et de nous laisser engloutir, de nager quelque temps dans sa nuit, nous débattant comme nous le pouvons, entre deux goulées d’air, ou celui de nous y appuyer, comme on peut appuyer son épaule à un mur, ou appuyer son front au miroir obscurci de soi-même, pour ne pas être dans le contre qui oppose, mais bien plutôt pour nous tenir contre ce qui nous résiste et qui nous garde debout dans cet effort d’étreindre nos faiblesses et la lancinante douleur de nos désespérances.

    Cette parole d’homme que rend lisible celle du poète est présence qui sonde le vide et son gouffre, s’avance « sur les bords du monde » *, se donnant tâche de s’y confronter et, pareil au « rôdeur de crêtes, qui se penche ici, chancelle là », prend parti d’habiter son vertige pour mieux l’apprivoiser. Mais si, dans le tableau de Magritte, comme l’écrit encore Pierre Legendre, « [l]e battant qui s’ouvre emporte avec lui le paysage, un ciel et des nuages », la fenêtre qu’ouvre Alain Freixe (ou plutôt qu’il fracture en en brisant les vitres) donne, elle, sur des paysages dont les fragments perçus nous arriment à notre raison de vouloir exister, au désir d’une faim partageable, pour approcher ce que l’on croit saisir du monde. Celui que la réalité sensible nous donne à regarder, à explorer, à déchiffrer, à interroger sans relâche, nous incitant à défier le vide de l’Abîme et à tenir la dragée haute à tout son incompréhensible. Car Alain Freixe est homme de ce monde, et son écriture terrienne mais inspirée, en droite prise avec les éléments, feu et eau parfois confondus dans la même brûlure, en prise avec le minéral, le végétal, ce qui murmure dans les feuilles, ce qui parle dessous les pierres, en prise encore avec le ciel et l’abrupt de son bleu, avec les forges de l’été, les crépuscules de l’automne et « le vent qui balaie les chemins », avec ce qui s’éloigne dans la transparence du jour et ce qui, dans la cécité qui pèse toujours sur nos yeux, témoigne de la nuit dans laquelle s’égarent nos pas.

    « Oui, écrit-il, j’ai besoin d’images

    de prises de sang

    sur le monde

    de prises de vue

    de cadrage

    et de leur hors-champ. »

    Dans cette écriture, il y a le panthéisme qu’on trouve à l’œuvre dans celle de Giono, un monde où quelque chose passe mais demeure dans le même mouvement vital, son élan archaïque, un « évanouissement qui dure » et qui nous renoue avec les vieilles forces de nos origines, les voix des profondeurs du monde et de nos forêts ancestrales. Ce monde-là, vivant, toute notre conscience d’hommes semble s’y être noyée, mais tout y est « comme en réserve », à portée d’yeux, de mains, de mots, mais toujours ailleurs, et plus loin, dans cet écart toujours ouvert au sens mais qui toujours se tient « dans la grande nuit des pages ». Si l’on ignore ce que l’on voit du monde, il en « reste un contour qui se perd dans les clairs de jour ». Le travail du poète consiste alors à s’introduire dans ces « clairs de jour » et à rêver, obstinément, « certains soirs de mettre le ciel des mots à l’orage, d’y sertir la foudre, cet éclair qui n’a de cesse. » La tâche du poète est « de guider cette lumière jusqu’aux serrures des mots et [de] faire voler en éclats toutes les portes de la réalité. » De faire aussi voler en éclats ce miroir obscurci de soi-même dont il est question plus haut, « et s’y voir enfin. » C’est-à-dire accéder aux territoires du réel, qui recule sans doute à mesure qu’on y avance, mais qui est territoire de la parole poétique et de sa vérité. Face à cet au-delà du sens qui règne sous l’apparence des choses, au revers du regard, il faut que « fermer les yeux soit comme déchirer la page, briser la surface, ce piège à regards. » C’est à ce prix « que l’arrière passe devant ! Le dessus dessous ! » Et le travail de l’écriture poétique est de faire en sorte que l’œil voie « au-delà de l’œil ». Car la parole poétique est celle qui jette ce pont du regard intériorisé au-dessus de l’abîme, pour que « le cœur vole au profond. » Habiter ainsi la parole, c’est habiter « la langue des secrets » qui ouvre à l’on ne sait « quel jour », mais dépose sur notre langue « cette saveur de terre », nous permet d’espérer «&nbsp quelques poignées de ciel ». C’est sur ces terres, que les mots défrichent, que le poète installe ses quartiers, pour que le monde glisse depuis sa nuit jusqu’en ses mots et ses images. Terres que la parole fertilise et dont Edmond Jabès nous dit, en y posant ses pierres et y levant ses murs : « J’y bâtis ma demeure. » Mais l’expérience du langage est rude épreuve, la demeure est maison de paille soumise au moindre coup de vent « des ciels bouleversés ». Et les chemins qui y conduisent sont bien plus qu’hasardeux.

    « On s’y égare. Se perd. On a peur, parfois. On remonte. On est vivant. »

    Vivant, voilà l’enjeu. Rester vivant. Avant même de pouvoir nourrir l’espérance de bâtir sa demeure, et peut-être d’y habiter, la première raison de vivre serait de travailler à « rester vivant. » Dans la grâce du temps accordé sur lequel, comme sur un étang d’eau lisse, «  certains jours / la montagne se pose », où « il advient quelquefois, ainsi que l’écrit Marcel Alocco dans son Laërte ou la confusion des temps (L’Amourier éditions, 2002) qu’un matin d’eau pure naisse des sueurs de la nuit. » Une aube claire, semble lui répondre Alain Freixe, «  fidèle comme cette lumière qui a besoin de tous les mots pour porter son miel, l’amertume de sa douceur jusqu’à nous. » Mais à quel prix ?… L’inlassable répétition, l’inlassable tourment du recommencement, l’usure des minutes, du retour inéluctable au même point d’incertitude, toujours forçat de son inépuisable inaccomplissement et du doute perpétuel, puisque tout recommence, toujours, quand on croit que cela continue. Puisqu’il est vrai qu’en poésie on marche seul, on se cogne à sa solitude, on s’écorche à ses ronces, qu’à mesure le but s’estompe. Qu’il nous faut rester là,

    « à attendre

    dans le muet du monde

    les mots

    qui portent le soleil

    et se rient de tous les froids. »

    Il faut pourtant continuer, toujours, et s’incorporer au chemin que seul, toujours, génère son inachevé. Puisque, sur les chemins de poésie, on n’avance qu’en se perdant, qu’en ne sachant rien du pays de leur destination. On sait juste qu’on est plus loin quand « l’étoffe des mots se déchire » et « quand se dérobent les pas. » Il faut aller pourtant « contre le vide, le gouffre, l’Abîme de l’existence humaine », pour reprendre une fois encore les mots de Pierre Legendre. Rester vivant et s’attacher à cette faim, comme les ongles de la vague creusent le rocher solitaire. Faim si essentielle «&nbsp que le désir y risque sa chanson perdue », et faim de ce désir « pour qu’au bout ce soit enfin le jour, quelque chose comme un matin et ses braises où suspendu un feu tremble dans l’absence des flammes. » Aller alors. Creusant sa voix. Traçant ses rides. « Avant », comme l’écrit Alain Freixe dans les dernières lignes du recueil, « avant de tomber. À genoux. Comme on tombe comme on est amoureux. » Oui, tomber. Mais pour se relever encore. Se relever. Toujours. « Et dans la marche qui s’en suit saluer du coin des yeux le passage du cœur. Cela suffit pour une joie ! » Rester vivant ! Les poèmes d’Alain Freixe nous y invitent, plus même, nous y incitent. En dépit de la pluie et du soir qui tombent sur ces pages, et de l’ombre portée qu’y jettent nos détresses et les sombres étoiles du ciel, il y a l’espérance toujours de ces joies fugitives que nous réservent les chemins du cœur et notre acquiescement au monde. Cette insistance d’une lumière à se glisser sous la paupière et sous l’apparence des choses. Comme une lumière de résistance, la clarté d’un volet qui s’entrouvre ou le rai de lumière qui tombe à travers un vitrail.



    Michel Diaz
    D.R. Michel Diaz
    pour Terres de femmes
    5 octobre 2017




    _____________________________________
    * Titre d’un poème in le recueil Comme des pas qui s’éloignent.






    Alain Freixe  Contre le désert




    ALAIN  FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli




    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes

    Contre le désert (lecture d’AP)
    Bleu plié au noir
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)
    Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    À l’étrangère (extrait de Vers les riveraines)
    [on serait à couvert sous les arbres] (autre extrait de Vers les riveraines)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Contre le désert
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours





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  • Patricia Cottron-Daubigné, Ceux du lointain

    par Angèle Paoli

    Patricia Cottron-Daubigné, Ceux du lointain,
    L’Amourier Éditions,
    Collection Fonds Poésie
    dirigée par Alain Freixe, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli



    AINSI SE VIT AINSI SE CONSTRUIT L’HISTOIRE DES HOMMES




    Ils ont pour nom ESHANI HAMID SEYOUN RITA NOUR ZEINAH RAGIL… Ils ont pour nom BRIKA et Æneas de Syrie. Ils ont pour ancêtre commun Ænéas de Troie. Comme Énée de Troie fuyant la ville en flamme, ils sont des milliers à fuir la guerre les massacres la destruction massive de leur peuple, la terreur la famine. Comme jadis le héros troyen vaincu, les errants d’aujourd’hui, nos contemporains, arpentent les routes hantent les régions qu’ils traversent se heurtent aux barbelés que l’on érige contre eux aux frontières. Ils sont Ceux du lointain, Syrie, Érythrée, Balkans… à qui Patricia Cottron-Daubigné, poète, consacre son dernier ouvrage. Dans cet ouvrage, deux volets : « Ceux du lointain » et « Écrits du rivage ». « Ceux du lointain » sont les migrants,

    « im-migrants accueillis nulle part

    é-migrants venus de nulle part »

    ils sont ces

    « [p]auvres gens à qui nous enlevons même

    la petitesse d’un pré-fixe comme un bout de terre

    un petit pré qui ne serait pas carré

    mais à vivre … »

    Ils sont ceux à qui nous refusons d’être, jusque dans les mots que nous employons pour les désigner. Patricia Cottron-Daubigné n’a pas peur de DIRE ce qui l’obsède. Elle consacre du temps aux exclus qu’elle rencontre, temps partagé auprès de Brika la Roumaine et de sa famille in « Ceux du Lointain », section IV. Elle dénonce les « silences meurtriers » qui accompagnent les errances des migrants rejetés par notre mare nostrum ainsi que par nos lâchetés nos lassitudes nos abandons. La poète s’en prend à notre bonne conscience puisque, écrit-elle dans le 4e chant de « Honte et puis » (in « Écrits du rivage »), « nous ne décapitons personne ». Cependant le lointain se rapproche. Il a nom Lampedusa « allumée sur nos lamentations égoïstes ». Il se nomme « la jungle », du « nom de notre sauvagerie ». Il est « [d]ans le paysage à l’écart banlieue de la banlieue », il est à Paris, dans les bidonvilles (autre dénomination bannie) improvisés, à deux pas du centre-ville.

    L’histoire de Brika la Roumaine — « Brika de Roumanie » in « Ceux du lointain », section IV — se déroule en vingt-deux rencontres, vingt-deux poèmes pour dire la boue et l’engluement de la pensée qui l’accompagne, pour dire les décharges, pour dire la misère. La narratrice marche à la rencontre des camps, « là-bas », là-bas où sont relégués ceux dont personne ne veut. Elle marche et s’aventure au cœur des baraquements de carton d’amiante, de tôle et d’infortune au cœur des vies. « Je regarde »/« Je comprends »/Elle découvre.

    « J’arrive, je vois, je ne baisse pas les yeux, je serre mon cœur au-dedans, je regarde ce qui est chez nous, l’impensable, face,

    bidonville… »

    Les poèmes sont des proses brèves qui disent l’essentiel de ce que le regard saisit : « J’espère que mon regard n’est pas une insulte », écrit la poète. Poser les yeux sur la misère des exilés n’est pas chose aisée. Écrire sa propre honte non plus. Pas davantage la honte qui se lit dans leurs yeux lorsqu’on les chasse. Mais, grâce à Brika et grâce à ses enfants, l’échange existe, qui se construit dans le partage. Au-delà de la langue qui sépare, ce « fleuve vaste nourri de soleil et d’espace », la langue s’invente. Ce qui rapproche, ce sont les regards lumineux et sombres, les sourires et les rires, les poèmes et les jeux. « Leurs sourires sont mes réponses », écrit la poète. En réponse à ces « salves d’amour et de rires » qui ont accueilli la narratrice, Patricia Cottron-Daubigné offre son poème. Brika en est le centre. C’est aussi sur elle que se clôt le dernier chant de ces rencontres, un très beau chant, d’un lyrisme tendre et admiratif. Un hommage :

    « dans la misère qui s’est accrochée à ton corps

    Brika tu ris

    tu m’accueilles

    ô fleur gitane même froissée poème du lointain,

    tu portes les voyages dont tu es le nom… »

    La première section de « Ceux du lointain » s’intitule « Énée de Syrie ». Les sept chants qui composent cette ouverture s’inscrivent dans le prolongement de l’Énéide de Virgile. Patricia Cottron-Daubigné invente une Énéide d’aujourd’hui qui entre en résonance avec l’épopée virgilienne. La poète ouvre le premier chant en reprenant le légendaire vers de Virgile « Arma virumque cano » / « Je chante les armes et le héros… », établissant dès l’incipit une parenté entre les deux hommes, et expose ainsi son projet :

    « les armes et l’homme

    Énée de Syrie

    dans mon poème je les raconte

    Énée de Syrie c’est son nom

    l’homme que les armes

    ont chassé ont fait fuir

    ont fait venir

    ici… »

    D’Énée de Troie à Énée de Syrie, l’histoire n’est qu’une longue et même litanie de tragédies humaines. En reliant l’Énée d’aujourd’hui à celui de Virgile, Patricia Cottron-Daubigné fait du héros troyen l’archétype de l’exilé et d’Énée de Syrie la figure de tous les exilés de « tous les siècles de tous les lieux ». Exilé parmi tant d’autres, Æneas de Syrie représente tous les errants, de la terre et de la mer, quel que soit leur pays d’origine, quel que soit leur nom :

    « dans mon chant je dis

    Ahmed Enée Najah Ali

    je dis l’homme en lambeaux

    et du plus haut courage. »

    Ce chant de l’exilé devient un chant d’accueil. Il s’écrit en même temps que la poète se livre à la relecture de Virgile. C’est dans la lecture de l’Énéide qu’elle cherche un appui pour comprendre. Et c’est au travers des migrations anciennes qu’elle tente d’appréhender le présent. C’est ainsi qu’elle émaille son poème d’extraits évocateurs de l’épopée troyenne. Et rebondit pour poursuivre son propre chant :

    « c’est chez Virgile que je lis ce que je cherche dans mes mots depuis des mois. Je lis, je regarde, je cherche, je pleure, j’ai honte
    j’écris… »

    Poursuivant sa lecture du poète latin, la poète découvre que les causes des tragédies sont toujours les mêmes. Le parallélisme entre hier et aujourd’hui se confirme aisément :

    « par le destin chassé

    dieux et Mycéniens jadis

    prenant les terres riches d’Asie mineure

    dieux et dictateurs aujourd’hui

    se nourrissant du sang des hommes… »

    De sorte que le poème de Virgile est d’une grande actualité. De même le terrible constat qui vaut pour tous les temps :

    « les siècles n’y changent rien

    il faut partir ».

    ou encore :

    « je prends chez Virgile cette leçon des temps

    son présent éternel

    cette histoire la même… »

    Par-delà cette identité, ce qui frappe Patricia Cottron-Daubigné, ce sont les conséquences paradoxales de cette errance. Le renversement de situation sur lequel celle-ci débouche. Car ce que nous apprend Virgile, c’est que la naissance de Rome, la fondation de Rome, c’est à Énée le Troyen en fuite qu’on la doit. Elle lit dans l’Énéide

    « l’errance du héros

    accueilli. »

    Ce renversement de situation, on le retrouve dans la manière à elle qu’a la poète de présenter la fuite et d’insister sur ses versants positifs. Patricia Cottron-Daubigné met en effet l’accent sur les valeurs qui président à cette fuite. Non pas la lâcheté, mais tout au contraire le courage. Vertu majeure de celui qui part et qui, par cette errance, « affronte le monde ».

    Chemin faisant, la poète fait du lecteur son complice, son ami. Elle l’implique dans un « nous » d’accueil qui s’oppose au rejet et à la violence, au mépris et à la fermeture, à la clôture imposée par les murs et par les barbelés :

    « nous t’accueillons

    Aeneas Syriacus

    Ali d’Erythrée

    Najah de Syrie

    Ahmed du Soudan

    nous vous accueillons

    vous et vos compagnons : »

    Les deux points [:] ci-dessus ouvrent sur l’appel des exilés à la poète. Une autre façon de poursuivre le renversement de situation. Le chant des exilés est une injonction forte qui s’appuie sur la répétition anaphorique des verbes déclaratifs :

    « chante poète ma détresse

    clame ta honte

    clame l’égoïsme de tes maîtres

    chante poète dans mon pays on aime les chants… »

    Le chant d’Aeneas d’Érythrée reprend l’image virgilienne de la marche d’Énée le Troyen et avec elle celle du fils portant son vieux père Anchise sur le dos. L’épopée se poursuit avec la séparation du vieillard et de son fils, et l’ordre du vieux père qui enjoint son fils de poursuivre sans lui sa route vers les terres idéalisées d’Europe afin que son petit-fils puisse vivre :

    « nous marchons tous

    pour nos enfants

    loin de la guerre. »

    Un chant douloureux mais empli d’espoir, qui serre la gorge et qui noue le ventre. Les larmes ne sont pas loin que l’on retient en poursuivant la lecture de la geste d’Aeneas d’Érythrée, qui, lui, poursuit sa marche solitaire en tenant son enfant par la main. Du jeune Érythréen le lecteur apprend deux choses. La première concerne l’intime. La seconde la relation qu’il entretient avec le rite qui doit le relier à sa terre d’accueil. Les deux dimensions se rejoignent dans cette poignée de sable qu’il a enfouie dans la poche, symbole de la terre qu’il a abandonnée pour échapper au massacre. Symbole aussi de la confiance qu’il a dans la terre future qui l’accueillera :

    « j’ai pris le sable en pleurant

    mes Pénates

    je le caresse

    je le mêlerai à une autre terre. »

    La nouvelle aède termine son chant sur des mots qui dénoncent nos hypocrisies :

    « Après

    nous écrirons des oraisons funèbres

    si belles

    avec chœur

    et profonde musique

    ô si profonde venue

    du profond de la misère humaine

    et la mort dedans […] »

    « quand nous n’aurons pas offert nos mains

    quand nous aurons laissé la mer

    vous avaler

    nous écrirons. »

    Ainsi se vit ainsi se construit l’histoire des hommes : sur nos satisfecit et nos hypocrisies. Sans attendre l’heure des bilans et des certificats de bonne conscience, Patricia Cottron-Daubigné offre ici une poésie bouleversante et un recueil généreux, d’une noble humanité.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Ceux du lointain





    PATRICIA COTTRON-DAUBIGNÉ


    Patricia_Cottron_Daubigne-2





    ■ Patricia Cottron-Daubigné
    sur Terres de femmes


    [Je marche seul avec mon fils] (extrait de Ceux du lointain)
    Femme broussaille, la très vivante (lecture de Gérard Cartier)
    Visage roman (lecture de Sylvie Fabre G.)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une fiche bio-bibliographique sur Patricia Cottron-Daubigné
    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    la fiche de l’éditeur sur Ceux du lointain






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  • Patricia Cottron-Daubigné | [Je marche seul avec mon fils]




    [JE MARCHE SEUL AVEC MON FILS]



    Je marche seul avec mon fils
    mon vieux père s’est arrêté
    en Macédoine a posé là
    sa fatigue
    je le portais
    sur mes épaules si vieux
    des os déjà pour la terre
    une très vieille femme très pauvre
    lui a montré la maison le champ
    la vache il s’est assis
    a pleuré Pars mon fils
    je vais mourir ici
    je ne te reverrai pas
    ni ici ni dans une autre vie
    celle-ci aura tellement limé
    tout de nous qu’il ne restera rien


    je suis Énée de Syrie je ne verrai pas
    mon père dans le séjour des morts
    il ne déroulera pas pour moi
    comme Anchise le fit pour Énée de Troie
    les fastueux destins des dieux


    je viens pour vivre doucement
    de Syrie on marche
    on a son cœur et rien d’autre
    pour tenir la route
    Va pour mon petit-fils
    marche pour lui vers les terres
    d’Europe


    nous marchons tous
    pour nos enfants
    loin de la guerre




    Patricia Cottron-Daubigné, « Énée de Syrie, mars 2015-mars 2016 », 3, in Ceux du lointain, L’Amourier Éditions, Collection Fonds Poésie dirigée par Alain Freixe, 2017, pp. 20-21.





    Ceux du lointain





    PATRICIA COTTRON-DAUBIGNÉ


    Patricia_Cottron_Daubigne-2





    ■ Patricia Cottron-Daubigné
    sur Terres de femmes


    Ceux du lointain (lecture d’AP)
    Femme broussaille, la très vivante (lecture de Gérard Cartier)
    Visage roman (lecture de Sylvie Fabre G.)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une fiche bio-bibliographique sur Patricia Cottron-Daubigné
    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    la fiche de l’éditeur sur Ceux du lointain






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  • Alain Freixe | [on serait à couvert sous les arbres]



    [ON SERAIT À COUVERT SOUS LES ARBRES]




    on serait
    à couvert sous les arbres
    dans un sous-bois
    où souriraient
    de sombres violettes



    soudain
    rompant le silence
    monterait le chant
    d’un oiseau inconnu
    passereau de l’âme
    un instant renouée



    ainsi passe le nom
    dans le vent implacable
    d’un regard d’encre
    parfum et musique
    voix silencieuse du poème




    Alain Freixe, « Vers les jours noirs » in Vers les riveraines, Éditions L’Amourier, Collection Fonds Poésie, 2013, page 107.








    Vers les riveraines







    ALAIN FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes

    Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    À l’étrangère (autre extrait de Vers les riveraines)
    Bleu plié au noir
    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Contre le désert (lecture d’AP)
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Vers les riveraines
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Alain Freixe, Vers les riveraines

    par Sylvie Fabre G.

    Alain Freixe, Vers les riveraines,
    Éditions L’Amourier, Collection Fonds Poésie, 2013.



    Lecture de Sylvie Fabre G.



    Sur un fil de mots tendu entre lumière et nuit
    Ph., G.AdC







    CE QUELQUE CHOSE QUI APPELLE



    Si le langage échoue toujours à nommer ce quelque chose qui appelle par-dessus « les murs » du monde, il nous aide pourtant à mieux approcher ce que le regard nous en accorde et à toucher sa part d’inconnu. Car ce quelque chose, qui vient du monde et y retourne, parfois un bref instant nous en écarte. Et pour le dire, nulle voix autre que la nôtre qui reste une promesse à tenir. Vers les riveraines, le dernier livre d’Alain Freixe, paru aux Éditions L’Amourier cet automne 2013, le tente en frayant, en quatre étapes successives, un véritable parcours initiatique pour habiter le monde en ce « cœur d’absence » et dans les « merveilles » qu’il nous offre de la présence. Comme Rimbaud, le poète avance sur un fil de mots tendu entre lumière et nuit et, comme Perceval, il s’immobilise sur « l’autre versant » où s’oublier est « ne pas dire adieu ».

    Mais avant d’y parvenir, le chemin pour sortir du labyrinthe reste à accomplir. Dans le texte en prose liminaire, la personne employée par l’auteur est le « nous » réunissant significativement celui qui écrit et celui qui lit dans une même quête. « Quand le monde fait la roue entre torpeur et hypnose dans la nuit du sens », « que peuvent les mots ? », se (et nous) demande Alain Freixe, au seuil de son entreprise. La réponse est déjà une manière d’orientation. Les mots, assure-t-il, nous accordent une avancée « en enjambées risquées, courses poudreuses, écarts et pas » et « des échappées réfractaires ». Malgré leurs limites et nos incertitudes, ils peuvent donc nous aider à condition que nous soyons prêts à accomplir une traversée et à habiter l’intervalle. Pour aller avec eux « vers ces riveraines » que nous annonce le titre, deux nouvelles questions restent à se poser. Elles ferment l’invitation et ouvrent la voie à suivre. Elles sont cette fois-ci adressées au lecteur sur le ton de l’interpellation comme si le poète voulait l’entraîner à prendre conscience individuellement de son rapport au temps, et plus largement à celui de la vie et de la mort : « Comment portez-vous le temps qui vous porte ?// Comment parlez-vous des morts ? ».

    Ce « vous » nous convie donc au dialogue silencieux, impulsé par la parole poétique qui va suivre dans son alternance de proses ou de vers. Le retour sur soi rejette tout divertissement et abruptement nous confronte à la vérité de notre condition humaine. Le poète va s’employer lui-même dans les deux premières parties du livre à se placer face à l’énigme de l’homme en ce monde, en n’accordant aucune concession à la transcendance. Si ses mots « cherchent la brèche » et « traversent parfois », s’ils font passer « dans le vent implacable/d’un regard d’encre/parfum et musique/ », ils nous ramènent toujours à une expérience ancrée ici et ne nous promettent nulle autre demeure que le chant du poème, tel celui de l’oiseau « passereau de l’âme ». Ce chant, source d’un appel, est le fruit d’une habitation.

    Dans Parler des morts, première partie autobiographique, Alain Freixe effectue une remontée dans son propre passé à partir d’un pays natal, le pays catalan où il a vécu son enfance, où vit encore en partie sa famille et où leurs morts sont enterrés. Cette visite sur leurs traces se fait dans le souffle des vents, les « veines du noir », le bruit de la mer et sur fond de paysage à « l’olivier de Bohême » et de maisons éboulées. Lui-même est, comme tous les autres, « l’homme qui passe » « au nom envolé ». Il marche « parmi des os » et « des paroles lointaines » et écrit la « fiction d’oubli » dont il vient. De l’enfance, il ne reste à l’âge mûr déjà « envoûté d’hiver » que l’ombre et la solitude, que des cendres et « des paroles-gravats ». Le poète refuse la nostalgie pour penser les cœurs pétrifiés, la misère, le malheur ou décrire les figures tutélaires comme « Marie la noire /aux émois », toutes les femmes qui saignent, sorcières ou mères. Le long poème lyrique, Qui appeler, construit sur une série d’images et d’anaphores, se termine sur le constat du vide, et l’ensemble de la seconde partie sur celui de « personne n’est là ». Il faut bien alors seul « porter le temps » et espérer comme Apollinaire « que tombe la neige » et la misère, et que vienne, « perdue derrière ses cheveux noirs, une femme » ou « quelque chose » pour que s’arrête la chute. Retrouver un visage, marcher pour rencontrer l’inconnu devant soi, même si nous sommes sûrs de la perte. Il n’y a « pas de paradis », nous dit le poète, mais il y a peut-être une « passerelle de lumière au-dessus du vide » et sûrement « un homme qui-cherche-à-voir » et écrire.

    De cet espoir et de sa soif, mais aussi de la blessure et de la fente, de l’espace désencombré de l’enfance et des morts, du voyage entrepris dans la vie « disjointe », la troisième et la quatrième partie du recueil nous montrent ce qui naît : un pari pour « la dorveille ». Après Le baiser du noir, c’est contempler et accueillir, donner une place à ce qui surgit de la présence et dans la présence. C’est entrer dans la couleur « ni rouge ni blanche » mais « rose, couleur nouvelle » et, à la manière de Perceval, ouvrir un instant la clôture du temps pour pénétrer le perdu. Les deux grands poèmes qui constituent la troisième partie, en vers libres, au présent, au futur et au conditionnel, unissent, dans cette expérience, le passé au devenir, mêlent le vécu et le rêvé dans un même élan lyrique.

    L’hymne à la nuit de la dernière partie, Vers les jours noirs, est le point d’orgue où la voix du « on » résonne avec le « nous » du texte liminaire. Élargissant le singulier à l’universel, reliant le silence à la parole, elle va rejoindre le chant. Ce chant, qui a pour nom Poésie, redonne un nom à « l’homme au nom envolé ». Et, avec lui, à tous ceux qui l’accompagnent dans l’écriture du passage.


    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.







    Vers les riveraines







    ALAIN FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes


    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    À l’étrangère (extrait de Vers les riveraines)
    [on serait à couvert sous les arbres] (autre extrait de Vers les riveraines)
    Bleu plié au noir
    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Contre le désert (lecture d’AP)
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Vers les riveraines
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours
    → (sur Terres de femmes)
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet, 1918-1939 (lecture d’AP)




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Pierre Dhainaut, Après
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, Enfance obscure
    Pierre Péju, L’État du ciel
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)





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  • Alain Freixe | À l’étrangère



    Une robe rêvée rouge avec dans l'oil ma lumière d'hier quand il faisait noir
    Ph., G.AdC







    À L’ÉTRANGÈRE



    une nuit toujours rôde
    par les terres du jour
    une obscurité fantôme
    un sombre cadencé
    un noir de sous terre
    couleur de caverne humide


    où je vois des flammes
    d’avant les flammes
    se balancer
    où j’entends une neige
    d ’après la neige
    se perdre


    c’est là
    comme un printemps
    suspendu
    dans mes yeux
    ouverts pour ne pas voir
    pour tracer
    cette lueur
    qui sous mes doigts
    entre mes mots
    commence


    silence
    d’avant tous les silences
    attente
    d’après toutes les attentes
    qui va au rythme
    de la main
    des lignes
    des images qui tournent
    de la spirale qui refuse
    de rendre au temps
    ses origines


    à remonter ce désordre
    on sent l’air
    une fraîcheur de pente
    qui s’impatiente


    le jour
    se prendra-t-il
    à ce fil
    de clarté
    sans bord






    plus tard
    quand il sera l’heure
    de retourner
    aux assiettes
    entrebâillées sur les noms
    aux verres
    à vider sous les images
    aux piqûres
    de lumière pour le sang
    aux buées sur la vitre
    au monde
    à son tournis
    sans autre visage
    que celui de cette toupie
    qui hoquette
    au milieu d’une rue
    entre les flaques
    et le ciel

    je chercherai l’enfant
    sur l’asphalte
    où traînent
    les restes de l’ombre
    d’une robe rêvée rouge
    avec dans l’œil
    ma lumière d’hier
    quand il faisait noir




    Alain Freixe, « Porter le temps » in Vers les riveraines, Éditions de L’Amourier, Collection Fonds Poésie, 2013, pp. 51-52-53-54.







    ALAIN FREIXE


    Alain Freixe par Marc Monticelli





    ■ Alain Freixe
    sur Terres de femmes

    Vers les riveraines (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Vers les riveraines (lecture d’AP)
    [on serait à couvert sous les arbres] (autre extrait de Vers les riveraines)
    Bleu plié au noir
    Contre le désert (lecture de Michel Diaz)
    Contre le désert (lecture d’AP)
    Septième pas (extrait de Comme des pas qui s’éloignent)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de L’Amourier éditions)
    une page sur Vers les riveraines
    → (sur Terres de femmes)
    Alain Freixe & Raphaël Monticelli | Chère
    P/oésie, le blog d’Alain Freixe : La poésie et ses entours
    → (sur Terres de femmes)
    Serge Bonnery et Alain Freixe, Les Blessures de Joë Bousquet, 1918-1939 (lecture d’AP)





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  • Sylvie Fabre G., Frère humain

    Sylvie Fabre G., Frère humain,
    L’Amourier éditions, Collection Fonds Poésie, 2012.
    Préface de Pierre Dhainaut.
    Prix Louise Labé 2013.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Après le deuil la lumière est nue, sans traces qui nous fondent
    « après le deuil la lumière est nue,
    sans traces qui nous fondent »
    Ph., G.AdC







    VOIX DE SILENCE SUR LA PAGE




    Recueil dédié à son frère Jean-Louis, décédé durant la nuit d’un 31 décembre, le dernier recueil de Sylvie Fabre G., Frère humain, placé sous l’égide de François Villon, est « prière d’énigmatique souffle ». Énigme de la mort, énigme du poème. Souffle en retrait chez celui qui quitte ce monde, souffle de vivant qui anime la page.


    Composé de trois parties, à la fois distinctes et proches ― En bas, l’en-haut, Quelle parole n’est pas voix d’extinction, Neige la mort ―, Frère humain est suivi de L’Autre lumière, recueil publié par Jean-Pierre Sintive, bien des années auparavant (1995) aux Éditions Unes (aujourd’hui disparues). Sans doute cette remontée vers le temps de L’Autre Lumière était-elle nécessaire à Sylvie Fabre G. pour renouer avec sa propre vie, avec sa vérité profonde, car « après le deuil la lumière est nue, sans traces qui nous fondent », et parce qu’il faut bien, après la disparition d’un être cher, reprendre place. Retrouver la ferveur qui porte vers la lumière. Mais ce retour vers « l’autre lumière » n’est possible que si la poète parvient à restituer la voix du frère défunt, à la faire entendre et résonner en soi, au delà de l’absence, par delà le silence. « Elle » cherche la voix du frère dans la sienne, « brode » sous ses mots le prolongement de la voix de l’absent.


    « Quelle est ta voix », questionne Sylvie Fabre G. s’adressant au frère disparu. Parfois « l’abeille de sa voix encore / bourdonne au suc de l’inachevé ». Alors se produit le miracle :


    « Ta voix brille dans mon oreille

    vive comète, elle n’a plus mal à la vie

    étoile morte »…

    « Ta voix trouve trace dans la mienne », écrit-elle encore.


    Et c’est l’enfance qui surgit sous les mots du poète, enfance rebelle du « moineau étranglé » qui ouvre le recueil. Car déjà, au cœur de l’enfance, solaire pourtant, gît la mort. Au cœur de la lumière se dit la poussière, annonciatrice des cendres disséminées à la volée vers le ciel. La vie ne comblera pas la soif d’absolu qui habite le frère aimé, ce « moineau du refus ». Mais comment comprendre que sous le visage du défunt se cache « l’enfant blond de malice » ? Sous l’asphyxie de la mort, la flamboyance de l’enfant ? Puisque, au-delà de la mort, la vie continue, que la nature indolore poursuit sa route et que le temps aveugle oublie l’absence. Le mystère persiste, de l’homme changé en cadavre, du « poème qui fuit maintenant / l’altitude d’une parole ».


    « Perdu visage de vie coulé en visage de mort ».


    Tout au fil du recueil se dit la quête obstinée du poète jusqu’à effacement du « je ». Quête qui se poursuit « d’un visage l’autre », de l’enfance à la mort ou qui tente de faire revivre, sous le « masque du mort », le visage de l’enfant d’hier. Travail de mémoire qui se heurte à l’énigme de l’incompréhensible dont l’écriture cherche à se saisir :


    « Elle cherche le mort
         le trouve sur la page ».


    Jusque dans l’intime des choses ― gel, pierre, herbe rase ―, le vide est partout insondable. L’espoir semble avoir déserté la vie. L’univers du poète et de son frère baignent pourtant dans une même lumière ― neige, ciel, sapins, montagnes, flocons, nuages. Mais que peuvent ces « floconnements » contre la disparition ? À l’errance du frère qui glisse sous le froid se lie l’impuissance des mots à rattraper la vie, à en recréer l’espace, à rendre à la neige sa consistance. Et les mots du poème, quel sens en attendre, pour quelle résurrection ? Ils trébuchent eux aussi sur le vide, rupture et rejet qui mettent le sens en suspens.


               « Le poème telle l’urne
               s’ouvre et se ferme
               n’attrape rien ».


    Chaque poème est donc cette « urne » où recueillir ce peu qui reste de l’autre, images d’extinction qui gagnent la parole et les vers, « quelques braises / où le sens asphyxié s’émiette ».


    Le titre du recueil cogne à la mémoire ― Frère humain ―, se heurte et interroge, qui cherche à mettre en résonance sens individuel et sens collectif. Car, derrière le frère aimé et défunt, n’est-ce pas l’homme universel qui puise ici sa source, et que la poète interpelle ?


               « Peut-être as-tu vécu, frère humain
               comme tous les tiens avant toi
               sans jamais savoir
               quelle est ta voix et où elle va »…


    Il faut pourtant trouver les mots pour comprendre l’expérience de la fêlure et l’accepter. Poème après poème, la poète interroge le frère, le questionne, unique moyen pour elle de poursuivre le dialogue sous l’absence. En amont de la mort, en effet, bien après qu’eurent été atteints les « sommets de l’enfance », se lit la fêlure de la vie. Les poèmes rassemblés sous le titre « Quelle parole n’est pas voix d’extinction » évoquent l’alcoolisme, mal dont s’est épuisé le frère. Par trois fois répété de manière anaphorique, le vers « Ton corps buvait » scande le poème d’ouverture. À la « soif jamais étanchée » de l’enfance, l’adulte que la mélancolie originelle laisse inconsolé, répond par l’ivresse de l’alcool. Mais l’alcool ne tient pas sa promesse et, si « chaque gorgée est d’espérance », le pays où vivre n’existe pas. Le poème lui-même est impuissant à porter secours et à apporter réponse à l’être en perdition :


               « Poème dépose les armes
               la parole en lieu d’échouage
               où va l’homme ? »


    Parfois l’en-haut et l’en bas se rejoignent dans l’infini de l’immobile et du silence. La nature, la neige, la montagne sont autant de forces qui raccrochent l’être à la vie. Et le néant ― le rien ―, sublimé par le monde dans lequel évoluent l’un et l’autre enfant, baigne chacun ― le frère et la sœur ― dans le souvenir de ce qui fut. Qui aide à vivre. Et c’est sans doute par la montagne que se crée le lien ; c’est par elle que filtre un espoir dans la relation que celle-ci entretient avec l’« irrévélé », c’est par elle que s’abolissent les extrêmes et que se rejoignent l’en bas et l’en-haut :


               « Telle la mort, la montagne
               s’accorde à l’irrévélé
               elle relie adieu et lumière
               l’en bas et l’en-haut »


    Troisième partie de Frère humain, « Neige la mort » est une mélopée constituée de quelques poèmes, lallations par dessus la douleur. Comment traduire le lent floconnement, régulier, impalpable, sinon en suscitant la litanie de la neige. « Neige la neige » ramène avec elle les espiègleries de l’enfance hors d’atteinte, sa forme figée désormais par le froid hivernal. Derrière la mort revient l’hiver, d’« une neige l’autre » et c’est toujours la même énigme des mots impuissants à joindre les espaces, à apporter réponse et apaisement :


    « la délivrance
    n’est pas dans le poème », confie Sylvie Fabre G. Pourtant les mots sont là qui, à leur tour, tirent la langue à la mort, « un souffle de neige / engendrant les mots », « voix de silence sur la page ».


               « Neige la neige

               dans le poème

               la mort neige


               et la voix ».


    Ce « lent égrènement » du chant « nous ouvre à l’autre lumière ».




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Frère humain






    SYLVIE FABRE G.


    Sylvie Fabre G.
    Source



    ■ Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes

    Frère humain (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [La pensée va, et vient à ce qui revient] (poème issu du recueil Frère humain)
    [À l’orée] (poème issu du recueil L’Intouchable)
    L’Intouchable (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [C’est un matin doux et amer](poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Sylvie Fabre G. par Sylvie Fabre G. (auto-anthologie poétique comprenant plusieurs extraits de L’Approche infinie)
    Dans l’attente d’un prolongement qui se meurt (note de lecture d’AP sur Corps subtil)
    Corps subtil (poème issu du recueil Corps subtil)
    La demande profonde
    L’Approche infinie (note de lecture d’AP)
    Celle qui n’était pas à sa fenêtre (extrait issu du recueil Le Génie des rencontres)
    Lettre des neiges éternelles (extrait de La Maison sans vitres)
    Piero, l’arbre (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Retournement du chant [hommage à Maurice Benhamou] (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Le rêveur d’espace [hommage à Claude Margat] (autre extrait de La Maison sans vitres)
    Pays perdu d’avance (note de lecture d’AP)
    [Plus forte que la forêt] (poème issu du recueil Tombées des lèvres)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’AP)
    Tombées des lèvres (note de lecture d’Isabelle Raviolo)
    [Bien sûr le chant s’apaise dans le soir] (poème issu du recueil La Vie secrète)
    Quelque chose, quelqu’un
    Trouver le mot (autre poème issu du recueil L’Autre Lumière)
    Maison en quête d’orient (poème issu du recueil Les Yeux levés)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait de Sylvie Fabre G. (+ poème issu du recueil L’Approche infinie)
    Caroline Boidé, Les Impurs, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre par Sylvie Fabre G.
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Dhainaut, Après, par Sylvie Fabre G.
    Alain Freixe, Vers les riveraines, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle, Ici en exil, par Sylvie Fabre G.
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Angèle Paoli, Lauzes, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, Enfance obscure, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’État du ciel, par Sylvie Fabre G.
    Pierre Péju, L’Œil de la nuit, par Sylvie Fabre G.
    Fabrice Rebeyrolle, un peintre gardien du feu, par Sylvie Fabre G.
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer, par Sylvie Fabre G.
    Roselyne Sibille, Entre les braises, par Sylvie Fabre G.
    Jean-Marie de Crozals & Sylvie Fabre G. | [La montagne bascule]
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    L’au-dehors
    → (dans les Chroniques de femmes)
    L’Amourier | Le Jardin de l’éditeur par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Anne Slacik par Sylvie Fabre G. : Anne, la sourcière
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Ludovic Degroote | Retisser la trame déchirée, par Sylvie Fabre G.
    → (dans les Chroniques de femmes)
    Une terre commune, deux voyages



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature) une
    fiche bio-bibliographique sur Sylvie Fabre G.
    → (sur le site des Éditions L’Amourier)
    une fiche bio-bibliographique sur Sylvie Fabre G.
    → (dans la Revue de presse du site des Éditions L’Amourier)
    une recension de Frère humain, par Yves Ughes (Basilic, N° 42, septembre 2012)






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