Étiquette : Collection Poésie


  • Emmanuel Moses, Tout le monde est tout le temps en voyage

    par Angèle Paoli


    Emmanuel Moses, Tout le monde est tout le temps en voyage,
    éditions Al Manar, Collection Poésie, 2020.
    Peintures de Tereza Lochmann.



    Lecture d’Angèle Paoli


    VERS UN REGAIN DE LUMIÈRE / LE VOYAGE SOTÉRIOLOGIQUE D’EMMANUEL MOSES




    Tout le monde est tout le temps en voyage. Sauf peut-être le poète, qui, « le nez collé au crépuscule », contemple, de haut, de loin, de derrière sa fenêtre, ce que lui offre la vie. Peut-être est-il cet homme chenu qui, depuis le balcon de la première de couverture, se penche pour regarder la vie qui passe ? Ou cet autre, plus loin, « accoudé à la rambarde », qui « fume et regarde les ronds qu’il fait se / mélanger à l’air bleu »… N’est-ce pas là une manière originale de voyager, l’air de rien, entre intérieur et extérieur, dans la mémoire et dans les songes ?

    Tout le monde est tout le temps en voyage. Sous ce titre aux accents familiers, empreints d’une bouderie enfantine qui fait sourire, n’est-ce pas tout l’humour d’Emmanuel Moses qui se profile, entraînant dans son sillage une invitation au voyage immobile ? Car chacun des poèmes qui composent ce recueil est à lui seul une invitation vers l’ailleurs. Souvent sur/en quelques vers à peine. Un ailleurs multiple, secrètement abouché au temps, fait de souvenirs heureux, liés à l’enfance, de généalogie familiale douloureuse, exils errances « enfer des camps » ; de cérémonies festives « aux parfums de Terre Sainte », de déambulations au Louvre qui conduisent le poète vers les cinq grandes réalisations bibliques de Nicolas Poussin, de séjours au bord de la mer, de visions déroutantes et de rêves. De réflexions sur l’après-vie.

    « Tout allait bien jusqu’au moment où tu es mort ;

    C’est alors que les choses se sont compliquées… ».

    Car, derrière l’humour, pointe le sérieux des réflexions, lequel ouvre sur les abîmes philosophiques qui habitent le poète. Ainsi, de la pensée du « hasard » et de « la nécessité », héritage de Démocrite ; de ce verset de la Genèse, illustrant l’aveuglement des hommes ; ou encore de ce rêve où se pose la difficile question du pardon.

    Il arrive que le monde extérieur se révèle agressif et violent. Le poète se replie alors, fenêtres closes, pour échapper à la destruction. L’espace réduit en « cendres de silence ». Les poèmes sont une étoupe dont il faut tirer les fils, l’un après l’autre, pour se rapprocher du centre et peut-être en cerner le secret. Les questions se pressent, qui interrogent le travail entrepris. Quel en est le but et le sens ?

    « Les fils ramassés en écheveau

    Tout ce travail de la pensée vain comme le mouvement des vagues et des nuages

    Quel est cependant son secret ?

    De quel voyage est-il le but ignoré ?

    Comment trouver le sens de sa peine perdue ? » .

    Le poème peut se poser en énigme où s’affrontent, en quatre vers, infiniment grand et infiniment petit. Le poète n’a pas son pareil pour pirouetter entre absurde et fantaisie. Puis, tournant le dos à son constat premier, laisser ses auditeurs à leur perplexité:

    « Un moustique a dépassé Dieu

    Mais peu importe au fond

    Je ne sais pas pourquoi je vous annonce cette nouvelle

    De toute façon il n’y a rien à voir. »

    Derrière la fenêtre, paupière qui ouvre et ferme sur le rêve, les voyages, multiples, prennent des voies inattendues. Des sirènes séductrices entraînent le dormeur dans des espaces nimbés d’érotisme imprévu. Ailleurs, les extrêmes se rapprochent comme dans la Bethléem « flamande », souvenir de l’univers de Brueghel. Le dernier vers qui clôt la section « Tardives » — « Oiseau, poisson de l’éternité » — fait résonner en moi ces deux vers de Bestiaire d’Apollinaire :

    « Est-ce que la mort vous oublie

    Poissons de la mélancolie ».

    L’oubli ? Présent dans les poèmes d’Emmanuel Moses, il l’est jusque dans la peinture de Tereza Lochmann en hors-texte dans la partie médiane du recueil. L’artiste en propose une interprétation personnelle. La toile représente un homme en pleine réflexion, les yeux bandés. Devant lui, sur un carton, sont inscrits ces mots : « Our sensuality is a longing for oblivion » / « Notre sensualité est un désir d’oubli ». Tirée du Guépard (œuvre de Tomasi di Lampedusa), cette phrase est adressée par le Prince Salina — dernier représentant d’un monde ancien en train de disparaître — au sénateur Chevalley. La sensualité est chez le prince perçue comme un remède pour oublier que l’homme est mortel ; pour oublier que tout ce que l’homme entreprend et à quoi il reste attaché est voué à l’effacement et à la disparition.

    Fidèle à ce qui l’habite en profondeur, Emmanuel Moses décline pour notre plus grand plaisir ou notre tout aussi grande perplexité, nombre de paysages et de récits qui façonnent son arrière-pays culturel et sentimental. Lequel ouvre, à la manière des poupées russes, sur des perspectives inédites et des interrogations nouvelles :

    « Je me rends compte – autre découverte — que ce texte a pour sujet secret l’abréviation graphique « etc. », comme si son thème souterrain était cela : et ainsi de suite ce qui correspond finalement à son idée première : je suis la suite de mes ancêtres et après moi mes descendants prendront ma suite. Etc. » (in « Une tombe dans la plaine »).

    Il inclut dans cette suite son fils Jonas, à qui il lègue ce lourd patrimoine et à qui il dédie le second texte en prose de cette même section qui n’en comporte que deux :

    « Mon fils, en caressant du doigt leur absence [l’absence des objets] chuchotait quelque chose comme on murmure à l’oreille d’un mort ce que l’on veut qu’il emporte avec lui comme message pour son dernier voyage. La cage d’escalier baignait dans une lumière irréelle, celle de l’enfer, sans aucun doute, un enfer qui ne serait pas au-delà de cette vie mais en retrait d’elle, dans son dos. »

    Semblable à l’ange de la mélancolie — peinture de Tereza Lochmann —, ailes repliées et visage reposant entre les bras croisés, le poète veille. Perdu dans la « selve obscure des rêves », il s’offre cet inconnu que le cœur lui réserve, palpitant entre diastole et systole.

    « Le cœur s’ouvre et se ferme

    Il est une fenêtre rouge

    Qui donne sur l’inconnu. »

    Un inconnu palimpseste, qui, bien souvent, gît dans le nombre 3.

    Trois vers, comme dans le Mardi des « Quatre jours » (première section du recueil) ; ou comme les 3 nom(bre)s de Promenade : « Ton ombre » / « Ton nom » / « tes chagrins » ; lesquels complètent les trois mots clés du premier poème de cette même section : « Ma langue » / « Mes souvenirs » / « Mes chagrins » ; ou encore comme les trois rêves présents dans « Une collection de rêves » ; ou dans « trois syllabes » — « de son prénom » — « qui se sont dissoutes dans l’air/bleu du jour » (dans la section « Fougeroles »).

    Tout un décor crypté se dessine dont l’on pressent qu’il est parfois difficile de se séparer tout comme il est difficile pour le poète de se défaire de ses propres contradictions. Ainsi en est-il de semer « les moineaux » (« langue » / « souvenirs » / « chagrins ») qui l’assaillent et que pourtant il ne cesse de nourrir ; ou d’échapper aux symboles qui toujours le poursuivent. Quant au temps, si difficile à cerner, il l’est tout autant à définir. Seules des comparaisons inattendues permettent d’en approcher les contraires ;

    « Le temps s’enfonce de plus en plus dans son contraire

    Comme l’aiguille d’acier dans la peau tendre

    Comme les bêtes noires dans les buissons enneigés ».

    Le lecteur pourrait penser qu’avec les poèmes rassemblés dans « Fougeroles », dernière section du recueil, le voyage entrepris gagnerait en légèreté printanière. Il n’en est cependant rien. Même si le renouveau de la nature se manifeste par éclats de beauté et de lumière, l’esprit du poète demeure le même. Meurtri par les séparations, hanté par les ombres, rivé à l’obsédante « attention aux signes du passé », le poète est toujours habité par la pensée fidèle de la mort :

    « Parvenu au seuil

    Dépose les insignes de la vie

    Montre, clés, lunettes

    Et franchis-le d’un bond

    Entre

    Une fois dépassée la fin — enjambée —

    Dans l’éternel entretien. »

    Des fragiles fougeroles, il ne restera entre les amants que « le souvenir / des

    fougeroles

    fixées, frôlées, foulées, froissées. »

    Rien d’étonnant dès lors que le recueil d’Emmanuel Moses se close sur le plus étrange des poèmes. « Extraterrestre ». Un hommage singulier — détourné peut-être — au « grand poète victorien » Gerard Manley Hopkins. Poème visionnaire « irrévérencieux » dans lequel Emmanuel Moses associe et assemble ce qui, en poésie, et plus encore dans un « envoi », peut passer pour une remarquable inconvenance. De ce mélange des tons et des genres, le poète fait un cocktail macabre dérangeant et néanmoins drôle. Ce qui n’est plus vraiment pour nous surprendre. Ainsi peut-on lire dans le même poème (le plus long du recueil) l’admiration sincère que voue le poète français à son homologue britannique, et la marque de son ludique irrespect :

    « Je pense sincèrement qu’Hopkins était un ange

    Il a vécu en ange, il est mort en ange et lire ses

    poèmes c’est entendre parler un ange.

    […] C’est irrévérencieux d’associer dans un même poème

    Hopkins et un rectum, j’en conviens.

    Je n’y peux rien. »

    Ainsi Emmanuel Moses, pour qui « les mots sont des revenants/[a]uxquels nous donnons une nouvelle vie », fait-il revenir par les siens, sur les devants de sa scène poétique, le nom de ce poète « ardu » qui influença les plus grands : T.S. Eliot, Wystan H. Auden et Dylan Thomas. Et peut-être même, plus près de nous, Emmanuel Moses lui-même.

    Un « revenant », Hopkins, sous la plume d’Emmanuel Moses ? Un « élu » plutôt, promis à la Rédemption ? Peut-être faut-il lire sous les mots de la poésie de Moses un tremplin pour accéder au salut ? Même éphémère, même ludique, le salut respire sur la page.

    Dans le vers de Léon-Paul Fargue choisi par Moses en exergue à ce recueil : « Il fait si doux qu’on est sauvés ». Puis dans le premier poème de « Spectatrice de l’océan » :

    « Ici, voyageur, tu seras

    un homme nouveau,

    Et toi qui l’accompagnes

    Silencieuse, âme cachée,

    Tu seras récompensée d’un regain de lumière. »

    Par ce « regain de lumière » et pour cet « homme nouveau » qui se fraie un passage entre les vers, le voyage sotériologique d’Emmanuel Moses ouvre une fenêtre sur l’espoir. Et, pour cette raison même, vaut la peine d’être entrepris.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Emmanuel Moses   Tout le monde est tout le temps en voyage 2




    EMMANUEL MOSES


    Emmanuel Moses
    Ph. © Jean-Luc Bertini
    Source




    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes


    Tardives (poème extrait de Tout le monde est tout le temps en voyage)
    [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    Dona (lecture d’AP)
    [La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
    Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    [Derniers feux](extrait d’Ivresse)
    [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    Quatuor (lecture d’AP)
    [Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
    [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Tout le monde est tout le temps en voyage





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  • Emmanuel Moses | Tardives


    TARDIVES
    (extrait)




    Tout allait bien jusqu’au moment où tu es mort :
    C’est alors que les choses se sont compliquées :
    Personne ne t’avait appris à te débrouiller

    sans tes cinq sens,
    À voler hors de l’espace ni à nager hors du fleuve

    du temps.
    Et pourtant, tu t’en es sorti,
    Oiseau, poisson de l’éternité !




    Emmanuel Moses, « Tardives », Tout le monde est tout le temps en voyage, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2020, page 32. Dessins de Tereza Lochmann.






    Emmanuel Moses   Tout le monde est tout le temps en voyage 2





    EMMANUEL MOSES


    Emmanuel Moses
    Ph. © Jean-Luc Bertini
    Source




    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes


    Tout le monde est tout le temps en voyage (lecture d’AP)
    [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    Dona (lecture d’AP)
    [La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
    Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    [Derniers feux](extrait d’Ivresse)
    [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    Quatuor (lecture d’AP)
    [Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
    [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)




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    → (sur le site des éditions Al Manar)
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  • Bernard Bretonnière | [Je suis cet homme à la triste figure]


    [JE SUIS CET HOMME À LA TRISTE FIGURE]



    Je suis cet homme à la triste figure
    je suis cet homme étonné d’avoir pu
    je suis cet homme qui peut écrire pour ne pas mourir
    je suis cet homme qui se rappelle l’homme
    entreprenant qu’il fut
    je suis cet homme mort depuis plusieurs années
    je suis cet homme saisi par la joie d’écrire et le
    désenchantement d’avoir écrit
    je suis cet homme qui écrit pour sauver sa peau
    je suis cet homme qui écrit pour ne pas tirer dans
    le tas
    je suis cet homme que le sourire d’une inconnue
    peut remettre debout
    je suis cet homme dont les mots disent trop et pas
    assez






    Fleaca 4
    Dessin de Jean Fléaca
    in Bernard Bretonnière,
    Je suis cet homme, fiction suprême, page 30.







    Je suis cet homme à vous pareil et dissemblable
    je suis cet homme ecce homo
    je suis cet homme qui écrit ce poème aujourd’hui
    est-ce un poème ?
    je suis cet homme qui lui reste-t-il à aimer ?
    je suis cet homme dérisoire
    je suis cet homme en exil avec quelques noms
    quelques verbes
    je suis cet homme qui sait que l’écriture est grave
    je suis cet homme qui va payer
    je suis cet homme que je regarde trop
    je suis cette humanité crucifiée – la poésie, pardon
    madame, me fait exagérer.




    Bernard Bretonnière, Je suis cet homme, fiction suprême, éditions L’œil ébloui, collection pœsie, 2021, pp. 29 et 31. Dessins de Jean Fléaca.






    Bernard Bretonnière  Je suis cet homme





    BERNARD BRETONNIÈRE


    Bernard Bretonnière  Guidu
    Source




    ■ Bernard Bretonnière
    sur Terres de femmes


    Ça m’intéresse de savoir (extraits)
    Inoubliables et sans nom (extraits)
    [Mon père mon héros] (extrait de Pas un tombeau)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions l’œilébloui)
    la fiche de l’éditeur sur Je suis cet homme, fiction suprême
    → (sur le site des éditions l’œilébloui)
    une notice bio-bibliographique sur Bernard Bretonnière





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  • Isabelle Pinçon | [Les mots frappent | Les mots sonnent]


    [LES MOTS FRAPPENT | LES MOTS SONNENT]



    Les mots frappent

    Les mots sonnent

    À cause des fenêtres ouvertes
    Vous n’avez pas idée

    L’amour que je vous porte

    Un amour fraternel

    Le cœur plein qui allège la peine

    Soulage le dos de vos images

    Le vent perd son souffle

    À cause des volets grand ouverts
    Vous êtes près de moi

    Si près de nos souvenirs
    Vous tendez la main

    Pour prendre un mot

    Un seul d’abord

    Avec prudence

    Vous découvrez qu’il y en a tant

    Chacun est pour vous





    Ce poème se passe ailleurs

    Dans une maison trempée de glycines

    Les tourterelles mes amies

    Un âne augmente le son

    Et la nuit un hérisson cherche son nid
    Aura-il su que nous avions rendez-vous




    Isabelle Pinçon, Ici Algérie, Cinquante fois un poème, 50, 51, éditions La passe du vent, Collection Poésie, 2020, pp. 54-55.






    Isabelle Pinçon  Ici Algérie 2





    ISABELLE PINÇON


    Isabelle Pinçon portrait denim
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La passe du vent)
    la notice de l’éditeur sur Ici Algérie, Cinquante fois un poème
    → (sur le site de l’espace Pandora)
    une fiche bio-bibliographique sur Isabelle Pinçon





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  • Eliza Macadan | [Je tire ici les fils du mot]


    [JE TIRE ICI LES FILS DU MOT]




    Je tire ici les fils
    du mot
    je halète sous le poids des ombres
    je me sauve sur des allées peu fréquentées
    où je peux compter mes pas
    d’après une formule prédéterminée
    soigneusement calculée
    pour l’accomplissement exact des désirs
    restés tabous pour moi
    les seuls qui me restent
    je tresse la lumière autour des balustrades métalliques
    qui descendent jusqu’au lac
    je vois le filigrane d’une nuit
    de sexe, alcool et vitesse
    restée dans mon passé à côté
    du kilo de bijoux en or arabe
    travaillés de sueur et de sang mélangé au pétrole
    je souffre encore du trauma des symbolistes
    desquels j’ai appris à regarder ma propre vie
    comme une charade
    je tresse les fils des mots dans un exercice
    d’abstinence or sexe et alcool
    la vitesse reste constante




    Eliza Macadan, « Le printemps finit à l’Est », Lettre de Bucarest, éditions La Passe du vent, Collection Poésie, 2020, page 41.






    Eliza Macadan  Lettre de Bucarest 8





    ELIZA MACADAN


    Eliza-MACADAN
    Source




    ■ Eliza Macadan
    sur Terres de femmes


    [je rêve de nouveau qu’il neige] (extrait d’Au nord de la parole)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La Passe du vent)
    la fiche de l’éditeur sur Lettre de Bucarest
    → (sur le site de la revue Phœnix)
    une notice bio-bibliographique consacrée à Eliza Macadan





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  • Isabelle Junca | L’île-mer


    L’ÎLE-MER
    Photomontage, G.AdC







    L’ÎLE-MER
    (extrait)





    Mon père l’affirmait : il y a des îles-mer et des îles-terre.

    La Corse et la Sardaigne seraient des îles-terre et Chypre, une île-mer.

    Un carrefour, aussi. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est là que je vais.

    Peut-être pour la Vénus de Botticelli ; ou peut-être simplement, pour aborder aux rivages de l’île d’une Aphrodite écumant de désir. Engendrée par Aphos, née de l’écume marine, portée par Zéphyr jusqu’à son rivage,

    la belle posa les pieds sur un rocher.

    Au commencement étaient le Ciel et la Terre,

    était l’infini du désir.

    Crépuscule rougissant d’un monde embrasé, comme ceux dont les soirs du sud tapissent nos ciels de lits.

    Puis vint le temps et son recommencement.
    Et le ciel et la mer eurent le bleu en partage, et

    l’horizon comme fusion.

    Tout homme qui regarde la mer regarde peut-être vers Chypre et l’immortalité.

    Chypre, aérée et bienheureuse.
    Chypre, entre Orient et Occident, saluée par Homère comme « l’île au large ».

    Chypre, cette île où le soleil donne, brillant d’un éclat cuivré ondulant surs ses mèches échappées.

    Mon échappée.

    La tienne : le ciel.



    Isabelle Junca, « III. L’île-mer », La Pier de C. ou La mer regarde, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2020, pp. 20-21. Peintures d’Abdallah Sadouk.






    Isabelle Junca  Le Pier de C




    ISABELLE JUNCA


    Isabelle Junca
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Isabelle Junca





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  • Anne-Marie Zucchelli | [Sûrement un ciel s’éveille dans mes yeux]


    [SÛREMENT UN CIEL S’ÉVEILLE DANS MES YEUX]




    Sûrement un ciel s’éveille dans mes yeux
    quand mes yeux s’ouvrent.
    Et ce ciel élève au-dessus du jardin
    les cartes de territoires
    tous inconnus.


    Di certo un cielo si sveglia nei miei occhi
    quando si aprono.
    E questo cielo, sopra il giardino, alza
    mappe di territori
    totalmente sconosciuti.




    ***



    L’heure la plus haute
    improvise un refrain
    et nous métamorphose
    en pulsations.
    Nous voilà traversés,
    rendus à notre densité.

    Ainsi, les deux notes chantées par un oiseau
    remuent dans l’air la matière.


    L’ora più alta
    improvisa un ritornello
    e ci trasforma
    in pulsazioni.
    Eccoci attraversati,
    tornati alla nostra densità.

    Così, le due note cantate da un uccello
    muovono nell’aria la materia.




    ***



    Une pie tourne sur le toit.
    Elle jacasse en haut du cerisier.
    Cris et bonds
    Portent les nouvelles du monde.

    Je crie aussi

    et

    je

    m’envole.


    Una gazza gira sul tetto.
    strida in cima al ciliegio.
    Gridi e salti
    portano le notizie del mondo.

    Grido anch’io

    e

    volo

    via.



    Anne-Marie Zucchelli, « Mouvements », Espace d’un instant | Nello spazio di un istante, éditions Pourquoi viens-tu si tard ?, Collection Poésie n°30, 2020, pp. 52, 53, 56, 57, 58, 59. Traduction en italien : Marilyne Bertoncini. Textes et photos : Anne-Marie Zucchelli.





    Anne-Marie Zucchelli 2



    ANNE-MARIE ZUCCHELLI






    ■ Voir aussi ▼



    → (sur le site de l’Agence régionale du Livre Provence-Alpes-Côte d’Azur)
    une fiche sur Espace d’un instant





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  • Lydia Padellec | Dans la nuit profonde du jour


    DANS LA NUIT PROFONDE DU JOUR
    (extrait)





    Tu graves sur la pierre
    l’empreinte de l’insecte
    tes peurs d’enfant
    prises dans la toile
    te hantent encore
    au fond d’un tiroir
    mais confiante tu guettes
    les pas de la lune
    sur ton chemin



    Assis contre la nuit
    tu feuillettes un livre
    aux pages blanches
    petite fille aux allumettes
    les poèmes défilent
    sous tes yeux ébahis
    un air de brume
    te prend par la main
    et les mots transis
    palpitent dans tes oreilles



    Dans l’épaisseur
    d’un mur opalescent
    lumière et ombre
    chuchotent –
    tu as beau vouloir
    gommer les rides
    – rictus du temps –
    la mer te laisse l’empreinte
    indélébile
    de l’enfant sur ta peau




    Lydia Padellec, « I. Dans la nuit profonde du jour », Cicatrice de l’Avant-jour, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2018, pp. 18-20. Gravures de Marie Alloy.






    Lydia Padellec  Cicatrice de l'Avant-jour



    LYDIA PADELLEC


    Lydia Padellec portrait
    Source




    ■ Lydia Padellec
    sur Terres de femmes


    [C’est dans l’intimité du brin d’herbe…] (autres extraits de Cicatrice de l’Avant-jour)[+ une notice bio-bibliographique]
    Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire) [extraits]
    « Île muette » (extrait de Mélancolie des embruns)
    [Ma chambre, c’est mon sanctuaire] (extrait de Mémoires d’une enfant dérangée)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La mère [extrait d’Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire)]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Cicatrice de l’Avant-jour
    Sur la trace du vent, le blog personnel de Lydia Padellec
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique (+ des extraits)





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  • Louis Aragon | Le Discours à la première personne


    DISCOURS, 4
    (extrait)




    Je peux me consumer de tout l’enfer du monde
    Jamais je ne perdrai cet émerveillement
    Du langage
    Jamais je ne me réveillerai d’entre les mots
    Je me souviens du temps où je ne savais pas lire
    Et le visage de la peur était la chaisière aux Champs-Élysées
    Il n’y avait à la maison ni l’électricité ni le téléphone

    En ce temps-là je prêtais l’oreille aux choses usuelles
    Pour saisir leurs conversations
    J’avais des rendez-vous avec des étoffes déchirées
    J’entretenais des relations avec des objets hors d’usage
    Je ne me serais pas adressé à un caillou comme à un moulin à café
    J’inventais des langues étrangères afin
    De ne plus me comprendre moi-même
    Je cachais derrière l’armoire une correspondance indéchiffrable
    Tout cela se perdit comme un secret le jour
    Où j’appris à dessiner les oiseaux

    […]



    Louis Aragon, « Le Discours à la première personne », 4, Les Poètes, poème, éditions Gallimard, Collection Blanche, 1960 ; Collection Poésie/Gallimard, 1976, pp. 193-194. Texte revu et corrigé par l’auteur en 1968 et 1976.





    Aragon  Les poètes



    LOUIS ARAGON

    Aragon 2
    Source




    ■ Louis Aragon
    sur Terres de femmes


    → (sur Terres de femmes)
    Le Voyage d’Italie




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    8 avril 1973 | Mort de Pablo Picasso (+ poème « La Belle Italienne » de Louis Aragon)





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  • Philippe Denis | [Il est des pages qui nous expriment]


    [IL EST DES PAGES QUI NOUS EXPRIMENT]




    Il est des pages qui nous expriment.
    Certaines – témoins de nos fatigues –
    resteront blanches ; d’autres – témoins
    de notre paresse – seront celles où,
    par négligence, nous aurons triomphé.



    Journée de grand vent.
    On peut prendre toutes les directions.

    *

    Sur ces chemins habitués à nos pas,
    à nos précautions, nous nous sommes surpris
    à saluer une idée qui allait en sens inverse.



    […]



    Sortir pour vérifier que le monde est là,
    sur le chemin du retour faire comme s’il
    n’avait jamais été

    s’en remettre, une fois pour toutes, à la
    rêverie.




    Philippe Denis, Nugæ, éditions La Dogana, Collection Poésie, 2003, pp. 32, 33, 36. Avant-propos (« La pauvreté, le surcroît ») d’Yves Bonnefoy. In Chemins faisant, poèmes 1974-2014 choisis par l’auteur, éditions Le Bruit du temps, 2018, pp. 210, 211, 214.





    Philippe Denis  Nugae




    PHILIPPE DENIS


    Philippe Denis
    Ph. Violaine Lison
    Source





    ■ Philippe Denis
    sur Terres de femmes


    [Ici, où je vis, en attente] (poème extrait de Cahier d’ombres)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du cipM, centre international de poésie Marseille)
    une notice bibliographique sur Philippe Denis
    → (sur Wikipedia)
    une notice bio-bibliographique sur Philippe Denis





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