Étiquette : Collection Poètes d’aujourd’hui


  • 2 octobre 1959 | Mort du poète Jean-Pierre Duprey

    Éphéméride culturelle à rebours



    Je suis allergique à la planète bis
    Image, G.AdC






    Le 2 octobre 1959, le poète et sculpteur Jean-Pierre Duprey met fin à ses jours dans son atelier de la rue du Maine. Deux jours auparavant, il avait déclaré au téléphone à un ami : « Je suis allergique à la planète ». Il venait tout juste de renouer avec la poésie et d’écrire, dans l’enthousiasme, La Fin et la Manière. À la misère sociale et au désarroi sentimental qui était alors le sien était venu s’ajouter un séjour en prison (le poète fut violemment malmené par la police pour avoir uriné, en signe de protestation contre la guerre d’Algérie, sur la tombe du soldat inconnu, à l’Arc de Triomphe). Séjour suivi, du 7 au 30 juillet 1959, d’un séjour à l’hôpital Sainte-Anne. Le poète Alain Jouffroy, qui lui rend alors visite, rapporte ce témoignage :


    Les hurlements qui lui parvenaient la nuit, dans la chambre particulière qu’on lui avait donnée à Sainte-Anne, l’empêchaient de dormir. Quand je venais lui rendre visite, l’après-midi, il se tenait, un immobile sourire aux lèvres, debout à côté de son lit. Je lui tendais des livres sur le vaudou, sur la magie, que ses yeux ne voyaient pas. À mes questions, il répondait évasivement par des « peut-être », des « oui, c’est possible ». Et puis, brusquement, il éclatait de rire, et pendant quelques secondes nous retrouvions une complicité sans nom, sans phrases. En tuant le dialogue, il préservait le surgissement de la vie. Au-delà des mots, tout devenait merveilleusement brûlant, phosphorescent.


    Dans la préface du recueil Un bruit de baiser ferme le monde (le cherche midi éditeur, 2001, pp. 11-12), Sylvain Goudemare écrit :


    Il est grand temps de sortir Duprey du rôle de poète-maudit, maudit par son temps et son époque. Lui donner sa place de « Chevalier Sagittaire », l’évader d’un bazar littéraire où les poètes sont statufiés, tout à la fois poreux et pierreux. Lui qui nous questionne, ne cède pas devant le chantage à la beauté, mais demande, à sa façon : Que cherchez-vous ? Bien plus qu’un exemple, une voix fulgurante, pandémoniaque et angélique, d’un engagement qui se moque de toute autorité.

    Pour le plaisir d’être libre,

    « Et d’être libre comme est libre celui qui est libre alors même qu’on le croit en prison,

    Et qui refuse jusqu’à son nom bien mérité d’homme libre pour en garder le bénéfice. »

    Ceci pour un dictionnaire futur :

    « Dupreyer : v. tr. (XXe siècle, dérivé de Duprey). S’éprendre de l’absolu. »








    ENTRE



    Entre le ballon noir et l’épine du blanc
    Ce qui est, ce qui fait : je suis au balancement
    Ce qu’est l’horizontale à la verticale.
    C’est l’Epineuse noire au gonflement du blanc.

    Chimère, machine au bloc de la mer
    C’est ici que se courbe
    Le serpent lié au mât
    Par un soleil au verbe rouge.
    Voici alors qu’un bleu étale
    Comme un pétale sans fin
    S’est creusé d’une fleur
    Qui n’est ni bleu ni rouge.
    Qui n’est ni blanche ni noire.

    C’est l’Epineuse de voir, l’Effeuillement-fermoir
    La bouche s’est fermée : c’est un rire éclatant.

    (Poème non daté).


    Jean-Pierre Duprey in Jean-Pierre Duprey par Jean-Christophe Bailly, Collection Poètes d’aujourd’hui, numéro 212, Éditions Seghers, 1973, page 153.






    Jean-Pierre Duprey par Jean-Christophe Bailly





    JEAN-PIERRE DUPREY


    Jean-Pierre Duprey
    Ph. Luc Joubert. Doc. “Soleil noir”.
    Source




    ■ Jean-Pierre Duprey
    sur Terres de femmes

    Naufrage
    [Que cherchent les regards]



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans L’Art d’aimer, revue d’essais critiques)
    La Vierge du Néant, Sur les premiers poèmes de Jean-Pierre Duprey, par Alexandre Secher
    → (sur Mediapart)
    Une main, demain, billet de Patrice Beray sur Jean-Pierre Duprey (11 mars 2009)
    → (sur le site de la revue Les Hommes sans Épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Pierre Duprey, rédigée par Christophe Dauphin (Cahiers Littéraires n° 11)
    → (sur LaFreniere&poesie)
    une page sur Jean-Pierre Duprey (incluant une notice bio-bibliographique sur Jean-Pierre Duprey, rédigée par Marc Bloch pour l’Encyclopædia Universalis)





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  • Federico García Lorca | La nonne gitane

    «  Poésie d’un jour  »




    LA NONNE GITANE Les_sept_oiseaux_du_prisme



    Silence de chaux et de myrte.
    Mauves dans les herbes fines
    Sur une toile jaune paille
    la nonne brode des giroflées.
    Volent dans le lustre gris
    les sept oiseaux du prisme.
    Tel un ours panse en avant
    loin de là grogne l’église.
    Comme elle brode ! Quelle grâce !
    Sur la toile jaune paille
    elle aimerait bien broder
    des fleurs à sa fantaisie.
    Quel tournesol ! Quel magnolia
    de faveurs et de clinquant !
    Quels safrans et quelles lunes
    sur la nappe de l’autel !
    Cinq oranges en compote
    cuisent dans l’office proche :
    ce sont les plaies du Christ
    cueillies près d’Almeria.
    Dans le regard de la nonne
    galopent deux cavaliers.
    Une rumeur dernière et sourde
    lui décolle la chemise,
    la vue des monts et des nuées
    dans les lointains arides
    fait qu’alors son cœur se brise,
    son cœur de sucre et de verveine.
    oh, quelle plaine escarpée
    sous l’éclat de vingt soleils !
    Quelles rivières soulevées
    entrevoit sa fantaisie !
    Mais à ses fleurs elle s’applique
    tandis que debout dans la brise
    l’éclat du jour joue aux échecs
    par les fentes de la jalousie.



    Federico García Lorca, Romancero gitan, Seghers, Collection Poètes d’aujourd’hui, 1973, pp. 135-136. Traduction d’Armand Guibert.







    À José Moreno Villa


    LA MONJA GITANAQuels_safrans_et_quelles_lunes




    Silencio de cal y mirto.
    Malvas en las hierbas finas.
    La monja borda alhelíes
    sobre una tela pajiza.
    Vuelan en la araña gris,
    siete pájaros del prisma.
    La iglesia gruñe a lo lejos
    como un oso panza arriba.
    ¡ Qué bien borda ! ¡ Con qué gracia !
    Sobre la tela pajiza,
    ella quisiera bordar
    flores de su fantasía.
    ¡ Qué girasol ! ¡ Qué magnolia
    de lentejuelas y cintas !
    ¡ Qué azafranes y qué lunas,
    en el mantel de la misa !
    Cinco toronjas se endulzan
    en la cercana cocina.
    Las cinco llagas de Cristo
    cortadas en Almería.
    Por los ojos de la monja
    galopan dos caballistas.
    Un rumor último y sordo
    le despega la camisa,
    y al mirar nubes y montes
    en las yertas lejanías,
    se quiebra su corazón
    de azúcar y yerbaluisa.
    ¡ Oh!, qué llanura empinada
    con veinte soles arriba.
    ¡ Qué ríos puestos de pie
    vislumbra su fantasía !
    Pero sigue con sus flores,
    mientras que de pie, en la brisa,
    la luz juega el ajedrez
    alto de la celosía.





    FEDERICO GARCÍA LORCA


    Lorca_par_aguijarro
    Source



    ■ Federico García Lorca
    sur Terres de femmes

    Croix (poème extrait de Suites)





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