Étiquette : Collection présent (im)parfait


  • Erwann Rougé | [même si cela ne sert à rien]


    [MÊME SI CELA NE SERT À RIEN]





    à deux heures de lundi


    elle et lui : deux silences à même la table.



    même si cela ne sert à rien
    quelque chose murmure retient l’oubli
    quelque chose veut combler l’absence
    là où ils ne sont jamais allés
    quelque chose ne peut plus
    ne demande rien
    quelqu’un est plus lourd que le vide.

    il y a dans la pièce
    des bruits qu’on ne comprend pas.
    on entend les coups de pluie contre la porte.

    la beauté d’un nuage mendie le ciel
    le cœur en attente
    quelqu’un brûle l’unique lettre d’amour
    et part en plein milieu d’une phrase.

    là             le cri du sirli
    s’attache à la lueur du désert
    et à ce qui tient de légèreté
    dans le passage ou le revers
    du sable entre les jambes
    pour que la phrase indéchiffrable
    s’efface lentement
    dans la courbure de la dune.

    ils ne reviendront pas.

    et si l’orage vient de refermer la porte
    ce n’est pas sans les mots d’abandon
    d’un corps à l’autre leur ombre mêlée
    deux ailes oubliées sur le linge blanc.


    est-ce donc cela le déliement l’espace sans appui de corps
    le calme qui n’a plus peur d’en rester là.




    Erwann Rougé, Proëlla, éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2020, pp. 46-47.






    Erwann Rougé  Proëlla




    ERWANN ROUGÉ


    Erwann Rougé
    Ph. Michel Durigneux
    Source





    ■ Erwann Rougé
    sur Terres de femmes


    Proëlla (lecture d’AP)
    [la brûlure a une odeur de fleuve] (extrait de L’Enclos du vent)
    [on ne fait qu’écrire] (extrait de Voa, Voa)
    Passerelle, Carnet de mer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [quand le ciel est ainsi] (extrait d’Étais de Jean-François Agostini)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Proëlla d’Erwann Rougé
    → (dans la poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Erwann Rougé





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  • Isabelle Baladine Howald | [Je pense à toi qui n’a plus de corps]


    [JE PENSE À TOI QUI N’A PLUS DE CORPS]




    Je pense à toi qui n’a plus de corps     je te sens pourtant
    encore contre moi
    je sens tellement ton corps qui n’existe plus       je te vois
    dedans les yeux fermés        je ferme les yeux pour te voir
    et te sentir contre moi revient
    ton  odeur ta douceur ton souffle        tout ce que j’aimais
    tant
    la sensation d’opacité, peau, carrure, contours, tessitures

    ce chatoiement de toi en moi

    nous fermons les  yeux  quand  il  n’y  a  plus  rien  à  voir
    se souvenir est « mémoire d’aveugle »

    tu n’as plus les yeux ouverts

    je te vois dedans  et je pense  tout le temps  mon âme qui
    est ton âme




    Isabelle Baladine Howald, Fragments du discontinu, éditions Isabelle Sauvage, collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2020, page 53.





    Howald Fragments du discontinu



    ISABELLE BALADINE HOWALD


    Isabelle Baladine Howald
    Ph. © Vincent Muller
    Source





    ■ Isabelle Baladine Howald
    sur Terres de femmes


    [Je — court à la mort] (extrait d’Hantômes)
    La Douleur du retour (lecture d’AP)
    Mouvement d’adieu, constamment empêché (lecture d’AP)





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Fragments du discontinu
    → (sur Poezibao)
    une lecture de Fragments du discontinu par Anne Malaprade





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  • Laurine Rousselet | [franchir la porte]





    [FRANCHIR LA PORTE]




    franchir la porte       stupéfaction
    l’odeur du désir collé à nos bouches
    bloquer le thorax démesurément
    fenêtre sombre
    plein soleil se cache
    s’entendre griffonner       strier
    déborder du rectangle de la pièce
    nos embardées pour nous quitter plus

    vrombissements      impulsions       précisions
    s’accoupler       fouetter       galoper

    le corps passionnément
    dans un soulagement partagé
    additionne le trouble à l’insensé
    chargées de nos manques
    les cuisses même y répondent

    l’intensité explose aux flancs
    sur ta peau des lettres de passage
    accidents       ailes       foudroiements
    ruine balance
    qui dira quel est son sens ?

    remplir présent
    impose au cœur de se fixer
    s’enfler de la mort pour ouvrir chemin
    les marches rouges pour nous enraciner
    attendre soir d’été
    l’avancée dans le corps toujours
    pour balayer secrets

    l’horreur te quitte, le temps d’une virgule
    délire de l’immensité pulvérisant l’espoir
    à l’intérieur ruine balance
    transport       dévoration       les yeux roulent
    se perdre dans la vitesse       s’ancrer
    horizon avalé       pliure       tremblement
    claquement d’eau       déformation
    à l’assaut de l’océan le silence éclate

    éprouver forces opposées
    quand l’œil se dégage de l’encrier
    pour rapidement replonger
    quarante et un ans carillonnent
    à la fréquence d’un trait par brassage

    assis à la table le sens
    désir       crâne       doigt       coïncidence
    le danger dans la vision de l’enjambée
    l’absence souffre de résidus
    d’odeurs repêchées sur la rade
    intense avalée de lumière blanche

    le galop vers l’explosion
    l’infirmité au-dessus du manifeste
    lundi couvre noyade
    l’écriture minuscule se gonfle
    de petits signes tourbillonnent
    s’avancent à vide dans le soir





    Laurine Rousselet, Ruine balance, éditions Isabelle Sauvage, Collection « Présent (im)parfait », 2019, pp. 37-38.






    Rousselet_couv-Ruine






    LAURINE  ROUSSELET


    Laurine Rousselet par Hubert Haddad
    Hubert Haddad,
    Portrait de Laurine Rousselet, 2006





    ■ Laurine Rousselet
    sur Terres de femmes


    [le concret s’avance au creux de la main] (extrait de Nuit témoin)
    [la débâcle vient du réel] (extrait de Journal de l’attente)
    [en haut du temple] (autre extrait de Journal de l’attente)
    Nuit témoin (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [illisibilité afflux soulèvement]



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Laurine Rousselet
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une lecture de Ruine balance
    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Ruine balance par Jean-Paul Gavard-Perret
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Ruine balance de Laurine Rousselet
    → (sur Levure littéraire 12)
    Laurine Rousselet, Syrie, ce proche ailleurs (lecture d’AP)





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  • Brigitte Mouchel | à tenter de voir dans la nuit ‒ un homme ?



    À TENTER DE VOIR DANS LA NUIT ‒ UN HOMME ?
    (extrait)




    L’’île est un plateau calcaire avec, au nord, une impressionnante falaise, tandis qu’au sud, la côte est très découpée, formant des promontoires et des anses profondes qui abritent de petites plages de sable. Les habitants vivent de pêche et de tourisme. L’intérieur de l’île, aride et caillouteux, a un aspect désertique.

    Certains parlent d’une île-sentinelle.

    Ils tentent la traversée dans des embarcations de fortune. Chaque fois, ils racontent. Après quelques heures de navigation, un autre bateau s’approche, le passeur saute à bord et le bateau disparaît. Ils sont abandonnés, pertes humaines, dommages collatéraux aux guerres, à la misère.


    Et ta carcasse raide, le froid au creux du dos, cette rencontre tactile contre la nuit
    où tu ne perçois rien, monochrome ‒ palpite
    parfois apparaît une trouée
    un faible éclat de jour ‒ ou de vie, de terre et d’humains ‒ qui fait comme un voile
    une sorte de visage ‒ la trace d’un visage ‒ à peine un éclat, même pas, faible, et rien ne peut désemparer l’éclatante noirceur ‒ l’attente, le temps à peine ‒ ne passe
    une vague lumière, des traces voilées comme buée ‒ ta bouche ? ‒ il n’y a personne




    Brigitte Mouchel, « à tenter de voir dans la nuit ‒ un homme ? » (extrait), in Et qui hante, éditions Isabelle Sauvage, collection « présent (im)parfait », 2018, pp. 67-68.






    Brigitte Mouchel  Et qui hante






    BRIGITTE MOUCHEL




    ■ Brigitte Mouchel
    sur Terres de femmes

    exil (extrait d’événements du paysage)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une fiche bio-bibliographique sur Brigitte Mouchel
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Et qui hante





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  • Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II

    par Gérard Cartier

    Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II,
    Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2018.




    Lecture de Gérard Cartier


    LE « 8½ » DE DUBOST




    Ce second volume de & Leçons & Coutures ne se distingue du premier (Isabelle Sauvage, 2012), que par la taille réduite (du fait de l’absence des notes marginales qui donnaient le sens et les emplois de certains mots archaïques ou régionaux) et par la forme des prosains – l’auteur s’est ici plié à une mesure, d’ailleurs assez libre : neuf lignes (ou, plutôt, huit et demi…). Il m’a aussi semblé que le ton était encore plus libre, l’écriture plus débridée, la syntaxe plus chahutée que dans le premier volume de ce Grand Livre de Dettes. Il s’agit, à nouveau, d’un hommagier de 99 poèmes, chacun dédié à un écrivain, majeur ou lare, prosateur ou poète, de toute esthétique (Jaccottet voisine avec Zanzotto), de toute origine et de toute époque, ce que revendique l’un des exergues, emprunté à Jude Stéfan : « On écrit […] généalogiquement, c’est-à-dire tout au long de l’arbre poétique des siècles ».

    La langue de Jean-Pascal Dubost est fortement mâtinée d’ancien français, tant dans son lexique que dans sa graphie (« griphé en grafie réjouissante »), mais pas seulement : tous les idiomes y concourent, des patois régionaux aux parlers populaires d’aujourd’hui – n’y manque peut-être que le vocabulaire scientifique –, sans compter les néologismes, nombreux et souvent savoureux. L’auteur est un lexicolâtre et un logophile ; son esthétique est proche de celle de Rabelais ; il joue sur l’excès, l’accumulation, la distorsion, les allitérations, jongleries, exclamations, etc. – tout ce qui fait que les mots rythmiquement insinués dans l’oreille provoquent un plaisir quasi charnel. Y concourent, pour le plaisir de l’esprit, proverbes et expressions détournés (le feu de dieu, à propos d’Artaud) et les jeux de mots – quitte à les emprunter à un autre, si l’emportement de l’écriture le réclame : « il faudrait inventer quelque nouveau langage qui n’langage que soi » (à propos de… Théophile de Viau).

    Chaque poème est fait d’une phrase unique, ponctuée, d’une grammaire souvent malmenée jusqu’à la faute et au style télégraf. On pense à ces dragons qui s’enroulent spasmodiquement sur eux-mêmes en formant de multiples anneaux, si bien que, malgré la brièveté de ces textes, il arrive qu’on en perde le fil. L’auteur aussi, semble-t-il, qui court avec jouissance vers la neuvième ligne où, que le sens se soit ou non formé, tombe le couperet du quadratin final. Poèmes que l’on ne comprend parfois que par flambées, sans en être totalement éclairé, mais assez pour en être échauffé ; et qui parfois, au contraire, se donnent de façon presque fluide :
    PHILIPPE JACCOTTET

    Très belles matières et moult delictables choses à revoir et pardurables instantanément comme le vol insaisissable d’un roipêcheur surgissant sur dailymotion après beaucoup d’années (sur la Loire) et bam « la mort d’une mésange dans la maison » écrite au crayon papier sur la dernière page d’un livre achevé d’imprimer le 6 octobre 1975 sur vergé, mais c’est une petite prose de vie pour reprendre terre —

    Il n’est pas nécessaire de connaître tous les écrivains de la Table des matières (qui a lu Hélisenne de Crenne ?) pour apprécier les neuvains qui leur sont consacrés. Ce sont rarement des portraits ou des évocations, et jamais des pastiches (sinon – mais comment résister à la tentation ? – pour Charles Reznikoff, évoqué par un extrait de l’ordonnance de Villers-Cotterêts). Le lien aux auteurs est plus subtil et plus distendu : une citation de quelques mots, parfois non signalée ; une allusion à leur œuvre, ou à leur style (ainsi, sur François Cariès : « Par le chant royal, la grande chanson, le sonnet de cour, le pastiche sioux, le sermon de noce, l’oraison rance, etc. »), ou une simple image, voire un sentiment vague (sur Jean-Claude Pirotte : « Une pluie d’une exquise désuétude… »). On reconnaît souvent le noyau initial du poème à sa justesse. L’auteur, du reste, s’en émancipe ordinairement assez vite pour en venir à ce qui fait le fond de son projet.

    Ces prosains, en effet, parlent le plus souvent d’autre chose que du dédicataire : ils explorent les multiples formes d’existence de ce qu’on nomme poésie. Rien ici de didactique, c’est une pensée en acte, un corps à corps avec la langue, dans le but (si but il y a) de la pousser à bout, de lui faire rendre gorge. Ce qui n’empêche pas Jean-Pascal Dubost de nous faire passer en douce quelques petites leçons ; ainsi de cet aphorisme : « la poésie est là où n’est pas la poésie » ; ou bien, à propos d’Hugo enlégendant le monde, cette adresse à « la moqueuse french poetry de la modernité à bras raccourcix » : « faites en autant », qui me réjouit. Au total, ce recueil, plus encore que le premier, constitue une manière d’art poétique – ce qu’est la poésie, ce qu’elle peut et ne peut pas –, délivré par bribes, au milieu d’un flot joyeux et incohérent.

    Il est des recueils dont rendre compte est une pénitence car, malgré leur originalité, leur intérêt ou leur beauté, ils échappent à la saisie critique. Celui-ci, c’est plutôt le contraire. Il faut se réfréner, tant la matière vous sollicite. Sainte-Beuve définissait ainsi l’écriture de Jean-Baptiste Rousseau : baroque, métaphysique, sophistiquée, sèche, inextricable… Cela va comme un gant à Jean-Pascal Dubost, sous réserve d’ajouter : bouffonne, forcenée, profuse, biscornue, espiègle, éperdue, excentrique…



    Gérard Cartier
    D.R. Gérard Cartier
    pour Terres de femmes







    Couv_dubost_18




    JEAN-PASCAL DUBOST


    Dubost-jean-pascal
    Source




    ■ Jean-Pascal Dubost
    sur Terres de femmes


    « prosains » (extrait de & Leçons & Coutures II)




    >■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Pascal Dubost
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur & Leçons & Coutures II




    ■ Autres lectures de Gérard Cartier
    sur Terres de femmes


    Patricia Cottron-Daubigné, Femme broussaille, la très vivante
    Alain Guillard, Quête du nom
    Cécile Guivarch, Vous êtes mes aïeux
    Emmanuel Moses, Ivresse
    Muriel Pic, Élégies documentaires





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  • Anne Malaprade | Négatif, inspiration | Tirage, expiration




    Négatif, inspiration





    […]





    6. Femme incertaine



    Elle scotomise, petits arrangements avec le réel, bifurcations vers l’impossible, l’art et la diplomatie, maladresses, résistances : elle contraint la langue à ne pas voir, elle cache l’oubli dans le vaste palais, elle ment sur les chiffres (elle confond les chiffres dans les nombres), de même elle ne saura jamais expliquer la différence entre métonymie et synecdoque. Son père l’a giflée au nom d’homère depuis elle ne retrouve plus le visage d’ulysse : il se confond sur terre avec celui du prince de h[o]mbourg.

    Elle en reste à l’évidence. Elle se fâche. C’est à la fois simple et compliqué. Elle croit savoir ce qu’elle veut dire mais elle ne trouve plus les références, elle perd les pages, elle cherche des heures dans les romans jaunes, elle lit les notes et les appendices, elle recopie les préfaces, elle se promène autour du livre, elle le visite rarement, elle multiplie les croisements en mont et en aval, elle ouvre ses yeux dans leurs yeux mais rien n’y accède personne ne cède. Les autres avec pondération organisent leurs pensées en phrases. La forme classique éconduit les doutes : ils ont l’art, l’intelligence, la manière, ils composent, ils exposent, ils paraissent satisfaits, ils dorment ils mangent ils baisent ils enseignent.

    Elle prend la tangente. Voyage géométriquement, emprunte les diagonales, construit des hauteurs, tombe toujours de plus haut, tourne avec circonférence, heurte les rayons. Elle copie elle recopie elle photocopie elle entasse les malles sont pleines elle écoute elle répète c’est une prof perroquet. Elle ne cesse de perdre ses vélos, elle crève sur du verre, elle pressent le choc, un piéton une voiture quelque chose fait qu’on glisse, déjà son corps ne vibre plus. Pavés. Elle a tellement peur de perdre ses jambes et la tête. Elle trouve des clés mais les serrures sont montées à l’envers, les poignées, les poignets, le corps et les choses, mais que faire de tous ces signes serpents sifflés. Lorsqu’elle doit expliquer elle tourne auprès mot clé le mot sur le bout d’une langue, elle ne sait pas si elle peut entrer dans le concept elle essaie un conte. Elle a très peur de barbe-bleue. Elle est l’une de celles qui veulent découvrir le secret derrière la porte. Elle est celle qui est morte, qui pourrit, celle que personne ne pleure, la sœur de, la sœur qui, la sœur à venir, la sœur menacée menaçante. Sœur participe, le passé le présent, dans une langue autre on inventerait le participe futur l’épouvante du siècle.






    […]





    Tirage, expiration





    […]





    6. Femme incertaine



    copines au café rouge clair, écoute transversale
    rideaux en bois velours vocal        ne suis qu’appel
    rues dangereuses : laurel et hardy voisins hypocrites
    auraient trouvé une pantoufle de verre sur l’escalier hlm


    les corps travaillent les mains trient les gestes précis
    envoyer écrire poster dans l’urgence flèches et lettres
    empoisonnées, dit-elle, [ricine], enveloppées
    test positif : l’encre réagit sur la peau — elle est donc coupable
    si secrète


    à l’envers les familles s’éteignent, province, pendant que les enfants
    apprennent à l’endroit ce qui au cœur n’est pas centre — paris ?
    continuité du brouillage, corps plein déjà se vide
    vers ce quartier berlinois, il s’exile, dans son ventre à elle
    ça        saigne


    donnez-vous aux fables qu’accomplit le temps




    Anne Malaprade, Parole, personne, éditions isabelle sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2018, pp. 27-28-87.






    Malaprade_18 2




    ANNE MALAPRADE


    Anne Malaprade 2
    Source




    ■ Anne Malaprade
    sur Terres de femmes

    Lettres au corps (note de lecture d’AP)
    Au conditionnel, dans la ferveur, quoique lente (extrait de Lettres au corps)
    Une presqu’île. Presqu’elle, presqu’il (extrait de Notre corps qui êtes en mots)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions isabelle sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Anne Malaprade
    → (sur le site des éditions isabelle sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Parole, personne d’Anne Malaprade





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jean-Pascal Dubost | « prosains »




    ARIANE DREYFUS



    Il fut une fois la mise en danse sensuelle et sacrée d’une nue-bête-poète dans tout le grand bruit grammatical pris dans la bouche des autres où tout parle, le brin d’herbe, la fleur, le germe, l’élément, où tout est plein d’âmes (oui oui oui !) de doulce fureur et en transe de tous les termes afin, afin de jouir au souverain degré des contentemens suprêmes d’écrire au-dessus des mots, pour retomber sur ses mots —





    PERNETTE DU GUILLET



    Par cette imitante prose vite et clerement ne nous excusons point d’avoir le stylo tant fluant, et prenant grand soulas à ce, pour les vertus honorer de celle Gente Dame d’âge certes, beauté durable au malheur fidèle mais très-courtisée jusque dans la haainne de, jusqu’au décri public et jusqu’à l’orthographic déni, ja chi ja, ne nous excusons point, non mais puis quoi, d’écrire de la poésie —





    ANTJIE KROG



    Comme la liberté ça n’existe balle, ordonc, passer à l’acte poétique et que quelquement cela se fasse, faire que les poème soit une rafale de mots, et un acte utile de combat, et utile comme la pluie, et une arme d’assaut, et de défense contre les attaques, et d’attaques contre les défenses, et une arme de persuasion subliminale, car la poésie, hé, bien visée, ça peut faire mal —





    NATHALIE SARRAUTE



    Un café ; puis-je avoir un café s’il vous plaît ?; café !; café s’il vous plaît ; si vous m’apportez un café , je serai le plus heureux des hommes de cette planète ; un kawa ; ce sera un café ; auriez-vous l’amabilité de m’apporter un café ?; un café, ça ira ; si vous avez le temps, apportez-moi un café ; café, merci ; si ce n’est l’effet de votre bonté, servez-moi un café ; allons pour un café —





    LAMBERT SCHLECHTER



    Vinzou vas-y va, et va pas mou, fais-le fais, le murmure en proserie brute et toute et du sexe dans la plume à la main claviée du charroi vivant de l’écriture toujours sans rime ni réson mais comme un chien fou, va, va-moi, branle ta vieille grammaire, vide la question vide du sens, endélice-toi l’âme, et fais-en l’essay de toi-même en conte grivois, c’est-à-dire : pénètre le monde —



    Jean-Pascal Dubost, & Leçons & Coutures II, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2018, pp. 34-35-51-79-83.






    Couv_dubost_18




    JEAN-PASCAL DUBOST


    Dubost-jean-pascal
    Source




    ■ Jean-Pascal Dubost
    sur Terres de femmes

    une lecture de & Leçons & Coutures II, par Gérard Cartier



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Pascal Dubost
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur & Leçons & Coutures II





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  • Hélène Lanscotte | [pas seulement le nombre la multitude]


    [PAS SEULEMENT LE NOMBRE LA MULTITUDE]



    pas seulement le nombre la multitude qui juxtapose
    pareillement

    pas seulement les tournesols à face noire la dessiccation
    de leurs tiges l’abandon résigné

    mais l’absorption dans la surface le laminé clinquant
    la disparition des vivants l’obéissance des œillères dans
    les yeux

    seulement la solitude qui s’en va vers tout ce qui est seul
    vers ce qui jamais ne s’unira à elle

    encore la clandestine




    pas seulement déjouer l’évidence en revenir stupéfaite
    chaque fois infléchir la tête la fleur dans son œuvre

    mais encore se laisser aller à la joie pour ne pas mourir




    pas seulement le lapidaire précieux comparable étonnement

    mais la reprise fine le raccommodage de fils par-delà la
    béance des rompus enjoints de poursuivre chevauchées
    d’allées et de venues pour l’épaisseur de l’histoire en son
    nom

    encore le choix d’unir les nœuds



    Hélène Lanscotte, Ajours, 43 ouvertures pour commencer le jour, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 2017, pp. 21-22-23.






    Lanscotte.jpg 3






    HÉLÈNE LANSCOTTE


    Helene Lanscotte




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Hélène Lanscotte
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Ajours d’Hélène Lanscotte





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  • Lou Raoul | [dans les maisons détruites abandonnées]



    [DANS LES MAISONS DÉTRUITES ABANDONNÉES]




    dans les maisons détruites abandonnées celles où personne ne serait revenu où les débris de vaisselle jonchant le sol de l’ancienne cuisine où des mots peints en grand sur les façades les maisons en ruine les traces intactes de la guerre tout cela la guerre ce dont Kim aurait entendu parler bien sûr à la fois proche à la fois lointaine les traces là palpables sous la main dans les yeux les maisons détruites abandonnées en ruine voisines d’autres maisons où la vie aurait ramené les bûches de bois devant les portes le linge à sécher sur les fils les moutons dans les prés alentour les parcelles plantées de choux




    et à Brač les terrains plantés d’oliviers à Brač où Mladen et Tea debout sous un caroubier qu’enfin Kim verrait Kim découvrirait le port de cet arbre les fruits à même les branches et dans l’herbe au pied de l’arbre jonchée de caroubes brunes sur les échoppes du marché vert aussi et Tea la vendeuse un jour glisserait une cosse dans le sac en plastique rempli de mandarines le sac de plastique léger entre les mains de Kim entre ses mains




    le silence Kim le boirait sur la route devant l’église orthodoxe près de la retenue d’eau si claire où la rivière Cetina aurait sa source loin en profondeur où l’eau claire de la Cetina commencerait les cent cinq kilomètres vers la mer son voyage deux Tea s’étreindraient longuement à la gare routière puis l’une d’entre elles monterait dans le car à destination de Makarska, Međugorje, Mostar et la fête foraine battrait son plein en ce dimanche après midi des enfants souriant




    feuilles et pigeons se mêleraient Mladen traverserait la rue portant deux gros sacs entiers de citrons des paroles s’échangeraient dans l’ambiance feutrée des cafés théières faïence blanche Kim assise dans un canapé brûleraient les bougies plus loin serait la Riva serait toujours en kermesse des jeunes Mladen finalement ivres




    les mains dans la crypte continueraient à toucher la statue de Sveta Lucia celles de femmes seraient sur les vêtements et les draps étendus sur maints fils au-dessus des ruelles et sur les balcons l’eau de la Cetina serait tellement claire qu’elle laverait les yeux la tristesse toute la souffrance et le silence serait juste plein de la laine des moutons traversant la petite route accompagnés d’une femme âgée de noir vêtue seraient ici inhumés des personnes serbes le cimetière entier et leurs noms en cyrillique Kim verrait ce serait décembre la forteresse de Klis sous le soleil lumineux toute blanche et au nord-ouest du mont Dinara la Cetina prendrait sa source […]



    Lou Raoul, Otok, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2017, pp. 41-42-43.






    Lou Raoul, Otok





    LOU RAOUL


    Lou raoul
    Ph. ©Lou Raoul




    ■ Lou Raoul
    sur Terres de femmes

    [galope le printemps] (extrait de Traverses) [+ une notice bio-bibliographique]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Otok
    → (sur Ce qui reste)
    d’autres extraits du recueil Traverses
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Lou Raoul
    → (friches et appentis)
    le blog de Lou Raoul






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  • Sofia Queiros | [je à la pointe du jour]



    [JE À LA POINTE DU JOUR]



    je à la pointe du jour traverse la ville en solitaire lueur matinale éclaire les maisons closes me questionne sur les bruits qui enflent qui ronflent sur mon goût pour les pénombres les greniers les ruines les pierres tout ce qui de guingois les gens désarticulés suis cette femme qui se trient devant la foule fière et décidée ou cette autre qui ramasse des cailloux qu’elle enveloppe dans un mouchoir en tissu écossais comme si précieux se reconnaît




    elle noue ses cheveux sur la nuque accroche à ses oreilles des boucles à plumes et paillettes traverse un nuage de parfum fait des ronds avec sa bouche des ronds de fumée comme une actrice noire et blanche se perche sur un tabouret comme au cabaret des talons aiguilles rouges des bas le grand jeu pour son miroir pour un soir demande à ce qu’un homme lui décroche la lune très premier degré




    […]




    je dénoue mes cheveux longs filasses mes paupières s’affadissent et s’affaissent mes joues bajoues se coupent de rose les pattes d’oie aux coins de mes yeux se creusent mon menton se décroche en galoche je suis une vieille dame prête à renoncer à mon corps mais pour le reste je réfute je tempête et je houspille je manie le parapluie le cabas et le caddie et j’inventorie



    Sofia Queiros, Sommes nous, Éditions Isabelle Sauvage, Collection présent (im)parfait, 29410 Plounéour-Ménez, 2017, pp. 19-20-22.






    Sofia Queiros, Sommes nous.jpg 2








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