Étiquette : Collection recueil


  • Jean-Claude Pinson, Pastoral

    par Angèle Paoli

    Jean-Claude Pinson, Pastoral,
    De la poésie comme écologie,

    éditions Champ Vallon, Collection recueil,
    01350 Ceyzérieu, 2020.



    Lecture d’Angèle Paoli


    POUR EN FINIR MUSAÏQUEMENT AVEC LE MONDE





    Poésie et écologie peuvent-elles aller l’amble ? La poésie est-elle concernée par la catastrophe écologique qui guette notre humanité ? Pour quelles raisons la poésie devrait-elle se préoccuper d’une menace dont nous sommes les auteurs responsables / irresponsables ? Quelle place la Nature occupe-t-elle aujourd’hui dans l’espace poétique ?

    Telles sont les questions ouvertes, nourries de réflexions et lectures multiples, que Jean-Claude Pinson soulève et aborde dans Pastoral. Dans cet essai philosophique, qui comporte en sous-titre De la poésie comme écologie, Jean-Claude Pinson interroge – tout au long des six chapitres qui composent son ouvrage – les liens que la poésie entretient de longue date avec la Terre et avec la Nature. C’est ce « pacte pastoral » que l’auteur se propose de revisiter avec nous. De découvrir ou de redécouvrir en suivant à ses côtés le cheminement d’une pensée affutée qui fait son miel de la fréquentation fertile de poètes d’écrivains et de philosophes qui ont jalonné l’Histoire de la littérature tout au long des siècles. Une réflexion qui guide la lecture depuis les origines, depuis l’« Écologie première » et ses « affinités électives » jusqu’à l’ultime, l’« Écologie dernière », aux confins de notre disparition. Imminente et comme programmée. Chemin faisant, d’un fragment à l’autre (chaque chapitre se subdivise en plusieurs fragments dont chacun est l’objet d’analyses), nous croisons nombre d’écrivains – Pierre Michon, Jean-Jacques Rousseau, Michel Serres, Giorgio Agamben – et de poètes. Mallarmé, Baudelaire, Rimbaud, Bonnefoy, Schiller, Hölderlin, Nerval, Jaccottet, Trassard, Pouchkine, Leopardi, Hocquard, Bouquet (Stéphane), Foglia (Aurélie), Jean-Paul Michel, Prigent, Vinclair… et tant d’autres. Chemin faisant aussi, Jean-Claude Pinson aborde de multiples concepts de sa propre facture, depuis la « zoopoétique » et la « musaïque » jusqu’au « pastoraliat » …en passant par le « pacte pastoral », l’« hantologie », « le luxe et le potlatch », le balnéaire et la beauté, le politique, « la solastalgie » et le « féminariat ». Pour en arriver à la question ultime, celle de notre disparition : comment habiter poétiquement le monde des temps ultimes ? Entre temps, ou en attendant, Jean-Claude Pinson invite à une prise de conscience forte qui rejoint le rêve pastoral des origines : « la poésie demeure porteuse d’une indéconstructible promesse d’habitation poétique de la Terre. »

    Jean-Claude Pinson part d’un constat qui puise ses racines dans l’examen précis de tout un panel d’œuvres. Entre poésie et Nature, il existe depuis toujours une étroite connivence. En atteste l’omniprésence de la Nature comme thème dominant et récurrent des cultures, quelques origines qu’elles aient. Ce constat ne porte pas seulement sur la poésie. Il porte aussi sur le roman (dont, au XVIIe siècle, L’Astrée d’Honoré d’Urfé est en France le phare le plus éminent). Les différences entre l’un et l’autre genre, dans le rapport que chacun entretient avec la Nature, viennent de ce que la poésie décrit d’autres manières d’être au monde. Là où le roman cherche à rendre compte de « la vérité du monde social », la poésie, elle, fonde sa vérité sur « l’expérience sensible ». Nature et poésie sont liées par une affinité élective millénaire. De ce lien naît un mode d’expression propre à la poésie. Lui-même en lien étroit avec un mode d’être. La poésie comme ontologie en quelque sorte.

    Mais, interroge l’auteur de Pastoral, qu’entendre par le mot « Nature » ? Jean-Claude Pinson fait d’emblée référence à la phusis des Anciens. Ce concept des philosophes grecs – traduit par natura chez les Romains – englobe les idées de naissance, de croissance et de génération. Dans sa relation avec la poésie, la Nature est à considérer dans une acception très large, qui prend en compte le cosmos, ses espaces infinis, la Terre, la nature, l’ensemble de l’espace habitable. L’Oekumène.

    Cependant, cette vision qui a inspiré tant de poètes a aussi été décriée par d’aucuns, jusqu’à vouloir la faire disparaître. Ainsi de Mallarmé qui déclare : « La Nature a eu lieu, on n’y ajoutera pas ». Avec Mallarmé, la nature devenue inutile, la poésie entre dans la « modernité ». À la Nature, délestée de tout ce dont elle était porteuse, succède l’artifice et son règne triomphant. En dépit des résistances que la Nature a engendrées, notamment au XIXe siècle, une forme de « sauvagerie » refait surface, qui se répand et qui réaffirme ses droits. Ainsi la philosophe Virginie Maris réhabilite-t-elle – dans La Part sauvage du monde – la toute-puissance de la Nature face aux nombreux prédateurs qui n’ont de cesse de l’anéantir aux fins d’exercer librement leur pouvoir sur l’écoumène. De même le poète Jean-Christophe Bailly réaffirme-t-il la résistance exemplaire de la Nature. Laquelle, « par-delà les hommes… est et continue d’être l’habitacle et le lieu, la somme déployée des espaces où les formes de vie viennent s’inscrire ».

    Et Jean-Claude Pinson de conclure son propos par cette assertion :

    « Entre les trois (Cosmos-Terre-Vie), Nature se déploie comme un continuum. Et c’est bien, phénoménologiquement du moins, ce continuum que nous habitons. »

    Ne voulant pas me risquer à trop disserter sur la somme d’analyses dont Pastoral est constitué – l’entreprise, du reste, relèverait d’un défi quasi intenable –, je me contenterai ici de reprendre certains des noms ou des mots cités ou parsemés supra, lesquels constituent aussi des têtes de chapitres ou de paragraphes de l’ouvrage.

    Ainsi du terme Zoopoétique.

    Qui dit Nature dit aussi « biotope ». Et qui dit poésie dit aussi « chant ». Entendons par là logos comme « régime d’énonciation », prosodie – et donc musique –, rythme. Ainsi le « pastoral » est-il intimement lié à la poésie, comme l’est le chant à tous les sons du biotope. L’ensemble de ces liens rend compte d’une « façon d’habiter la langue », de se mettre « à l’écoute de la nature (Nature) et d’en répercuter la vibration, l’écho de harpe éolienne (ou l’illusion d’un tel écho), sans pourtant que puisse être comblé l’abîme qui sépare le langage du réel. » Une « façon » aux résonances archaïsantes qu’il faut cependant distinguer du logos, « vecteur de l’entreprise moderne d’appréhension scientifique et de mise à disposition technique du monde ». Une disjonction qui accentue l’écart entre Nature et Culture.

    L’un des grands précurseurs de l’« écopoétique » est Jean-Jacques Rousseau qui met en avant « l’hypothèse d’un lien presque organique, corporel du langage et de la Nature ». Entre cri, chant animal et langage humain, la parenté existe, qui permet d’établir un lien étroit entre « écopoétique » et « zoopoétique ».

    Certains écrivains éprouvent plus que d’autres ce sentiment de continuum entre poésie et Nature. Un sentiment d’appartenance tellement puissant qu’il peut s’apparenter à une formulation du sacré. C’est le cas de l’œuvre de Pierre Michon portée par une dimension pastorale forte. Dans les Vies minuscules ou Le Roi du bois, certains récits mettent « en scène un sentiment extatique de la Nature comme totalité englobante et sacrée. »


    Du pacte pastoral

    Pour bien appréhender le « pacte pastoral », c’est vers Thoreau qu’il faut se tourner, Thoreau pour qui l’être humain fait partie « intégrante de la Nature ». Pourtant, selon Michel Serres, le « contrat social » l’emporte pour la majorité d’entre nous sur le « contrat naturel ». Mais, ajoute Jean-Claude Pinson, Michel Serres affirme que « la Terre nous parle en termes de forces, de liens et d’interactions, et cela suffit à faire contrat. »

    Loin en amont de Michel Serres et de son Contrat naturel, le critique américain Paul de Man – à qui l’on doit l’idée et l’expression même de « pacte pastoral » – écrit dans la revue Critique (juin 1956) que « le thème pastoral est le seul thème poétique, qu’il est la poésie même ». Parce qu’il est « la problématique même de l’Être ». La dimension ontologique de la poésie renvoie ainsi à la dimension ontologique du pastoral.

    Pour autant, il ne faudrait pas s’imaginer que cette conception résout les conflits inhérents à la nature humaine. À commencer par celui qu’engendre la distinction entre langage commun et langage poétique. De cette réconciliation improbable, le poète sort fragilisé. « La conscience poétique est une conscience malheureuse qui aspire à la réconciliation avec la Nature, quand le langage, en sa négativité, signifie pour l’homme la séparation d’avec cette même Nature. »


    Le langage musaïque

    La crise du langage, à corréler avec nombre d’autres crises, me conduit à prêter toute mon attention à l’analyse du « musaïque ». Ce néologisme (musaico), on le doit au philosophe italien Giorgio Agamben. Pour Agamben en effet, le drame du langage vient de ce que nous avons oublié l’expérience du « musaïque ». Que nous avons effacé le rapport de l’homme à la Muse. Que nous avons disjoint la parole de ses origines. Au langage « musaïque », devenu inaccessible, incompréhensible, s’est substitué un bavardage proliférant dont sont accablées nos sociétés. Un langage « sans marge, ni frontière ». Le langage bavard n’est pourtant qu’un leurre qui masque la perte ancienne de la voix originelle. De sorte que le poète « tourné vers un lieu originaire de la parole hors d’atteinte », « célèbre et commémore la voix qu’il n’a plus ».

    Jadis accordées autour de l’expérience musaïque, aujourd’hui oublieuses de leur relation à la Muse, les sociétés contemporaines se sont désintégrées. Et l’homme, emporté dans le tourbillon de la logique de l’hybris, « oublie de prêter l’oreille à l’étrangeté a-logique qui murmure depuis ce lieu « musaïque » (et hors d’accès) de la parole. »

    Dans ce contexte, le poème est et demeure le seul langage à même de restituer le lien perdu avec la Nature. Le seul susceptible de remonter à la source, en amont du logos. Le seul susceptible de renouer avec l’expérience originelle, de faire entendre encore un chant « animiste » « où trouve à se dire, sensoriellement, affectivement, musicalement, « animalement », un sentiment inoublié de la Nature. » Aussi appartient-il à la poésie de renouer avec le « pacte pastoral » dont elle était détentrice. « Aux poètes, aux artistes échoirait ainsi d’être les hussards verts de la Terre ».

    Ainsi donc, même si elle est déchirée par la double tension qui la secoue – « l’archi-événement du langage » (lequel permet d’établir la distinction homme / animal) / « l’archi-mouvement de la Nature » –, la poésie demeure « bien écologie première, pulsion en direction de cette introuvable origine « musaïque » dont le sentiment d’appartenance à la Phusis continue de lui parler. »

    Loin d’être un essai qui conduirait à une forme d’abattement ou de dépression, Pastoral est un livre qui revitalise la pensée, la renouvelle, la dépoussière et la désenglue. La régénère. La réflexion très vaste et très diversifiée que cet ouvrage propose touche à de multiples univers poétiques : par exemple, celui, en pleine ébullition « carnavalesque », de Prigent, ou celui, prônant la révolution, de l’univers « politico-explosif » de Stéphane Bouquet ; parmi eux, d’aucuns voient dans le poème le moyen de contrer « la lumière aveuglante d’un biopouvoir (celui du capital) s’insinuant au plus intime de la vie ». Ainsi des mots-lucioles que la poète Aurélie Foglia fait circuler dans son recueil Grand-Monde. D’autres, se tenant éloignés de la tentation nihiliste, voire anarchisante, continuent de célébrer la beauté et le don. Ainsi les proses de Philippe Jaccottet, soucieux de « rétablir dans ses droits » « le beau naturel ». Un « parti pris de la beauté » qui culmine chez le post-hölderlinien Jean-Paul Michel qui opte, par la médiation de l’hymne, pour « une incessante surrection d’être ». Quant à La Sauvagerie de Pierre Vinclair, grande épopée de plus de cinq cents pages, elle rassemble autour du poète toute une communauté de poètes. Communauté de « voix singulières », que fédèrent ici « non seulement la force d’une intention (la commune préoccupation d’une action poétique en faveur de Gaïa) », mais aussi « la force d’une forme, celle du dizain ».

    Face à une ouverture de si large empan, le lecteur est emporté, quelles que soient ses propres affinités, sur les voies vivifiantes de la Nature et de la poésie, les deux étant in fine indissociablement liées.


    Vers une écologie dernière

    « Le monde va finir », écrivait Baudelaire dans Fusées. La prophétie est-elle en train de se précipiter ? De devenir réalité ? « Que faire alors du poème »  ? Comment en finir « musaïquement » avec le monde ?

    Pour Jean-Claude Pinson, « un poète peut nous aider à penser la poésie en tant qu’écologie dernière », à en « habiter poétiquement la très sombre teneur, sans renoncer pourtant ni à l’élan « résurrectionnel » de la poésie […] ni à l’idée d’une vie poétiquement « joyeuse » ». Le poète dont il est ici question est Giacomo Leopardi. Poète « physicien ». Poète « chanteur de blues ». Il n’est que de relire L’Éloge des oiseaux pour se convaincre que, de la saudade qui diffuse en chacun de nous ses notes mélancoliques, peut surgir un concert « joyeux ». Un concert qui accompagnera les derniers vivants jusqu’aux abords du néant.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Pinson Pastoral





    JEAN-CLAUDE PINSON


    Jean-Claude Pinson
    Source





    ■ Jean-Claude Pinson
    sur Terres de femmes


    (lecture d’AP)
    [Bucoliques feuillées] (extrait de )
    Gagarine de la marine (extrait d’Alphabet cyrillique)
    Poéthique (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    le site officiel de Jean-Claude Pinson






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  • Sophie Loizeau | [Moabi quand tout va bien]



    [MOABI QUAND TOUT VA BIEN]



    Moabi quand tout va bien
    mille ans / soixante-dix mètres
    à la façon du sang dans les corps caverneux l’eau
    propulsée

    après quoi le soleil
    dont se gave Moabi par les feuilles
    retourne sous la forme de sève aux racines





    Moabi quand tout va bien
    mille ans / soixan-te-dix mètres
    à la façon du sang dans les corps caverneux l’eau
    propulsée

    après quoi le soleil
    dont se-gav Moabi par les feuilles
    re-tou-rne sous la f[ɔ]-rme de sève aux racines





    on lève la tête sur Moabi et voit le ciel ajouré
    les déplacements du grand ocelot

    l’ocelot à travers les feuilles si les feuilles bougent





    on lèv la tê-te sur Moabi et voit le-ciel ajouré
    les dépla[s]ments du grand o[s]lot

    l’o[s]lot à travers les feuill si les feuill bougent






    sa limite à Moabi / le jour où il ne pourra plus
    faire monter sa sève brute
    Moabi-chan — cher arbre et le plus haut
    chez lui le plus éclairé
    ira rejoindre l’ombre du sous-bois

    le soleil se ruera en son absence





    sa limite à Moabi /le jour où il ne-pourra plus
    faire monter sa sèv brute
    Moabi-chan — cher arbre et le plus haut
    chez lui le plus éclairé
    ira rejoin-dre l’om-bre du sous-bois

    le soleil se-ruera en son absence




    Sophie Loizeau, Ma maîtresse forme, Ma maîtr[ɛ]-sse forme, Naturewriting, édition bilingue écrit/dit, Éditions Champ Vallon, Collection Recueil, 01350 Ceyzérieu, 2017, pp. 9-10-11.






    Sophie Loizeau, Ma maîtresse forme



    SOPHIE LOIZEAU


    Sophie Loizeau
    Ph. © Adrienne Arth
    Source




    ■ Sophie Loizeau
    sur Terres de femmes

    Bergamonstres (note de lecture d’AP)
    vendredi (extrait de Bergamonstres)
    caudal (extraits)
    [L’œil persiste aux lisières] (extrait du Corps saisonnier)
    les rêves les mieux ouvrés (extrait de La Femme lit)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    le bain de diane [extrait du roman de diane, paru en mai 2013 aux éditions Rehauts]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur fr.calameo.com)
    d’autres extraits de Ma maîtresse forme
    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    la fiche de l’éditeur sur Ma maîtresse forme
    le site personnel de Sophie Loizeau
    → (dans Levure littéraire n° 7)
    un entretien de Sophie Loizeau avec Rodica Draghincescu
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique consacrée à Sophie Loizeau
    → (sur le site de l’écrivain Claude Ber)
    une bio-bibliographie de Sophie Loizeau





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  • Étienne Faure | [Après les rigueurs inhumaines | du gel]



    [APRÈS LES RIGUEURS INHUMAINES | DU GEL]




    Après les rigueurs inhumaines
    du gel qui tout saisit, met sous verre
    et fige les distances entre les corps,
    dans le feu de l’action se reprend
    à vivre un mouvement — marcher,
    d’ardent désir rester sur le qui-vive
    qui fait la force même des oiseaux
    réunis en V dans le ciel ou dans le lac glacé,
    à remuer pour garder l’eau libre, fendre l’air
    contre le froid qui congèle
    tout paysage où n’aurait passé
    un seul mouvement d’oiseaux en pointillés
    qui marchent, non volent, non nagent,
    laissant dans le tableau leurs empreintes
    inscrites, tels en hiver les livres où par chance
    la neige n’a pas tenu, parcourue de signes
    au charbon qui sont cause de sa perte, la fonte
    au feu des yeux qui les poursuivent.



    contre le froid



    Étienne Faure, « La sève attend » in Ciné-plage, Éditions Champ Vallon, Collection de littérature recueil, 2015, page 98.






    Cine-plage-





    _________________________
    NOTE de l’éditeur :

    Ciné-plage renoue avec la forme en vers.

    Ciné-plage, qui emprunte son titre à l’une des parties, se déroule en quatorze séquences. Il commence avec des lettres d’amour sur du papier (juste avant la dématérialisation des mots et des correspondances qui vont avec…) et se termine par un seul texte qui vient clore le recueil en forme de salut aux poètes, hommes et femmes parvenus jusqu’à nous par le fil de l’écrit, et qui nous lient comme autant de mailles et maillons, en une invitation à poursuivre : continuons.

    Le film entre-temps chemine à travers les amours, la plage, les vies aux fenêtres, les souvenirs dits de l’enfance, l’immuable émotion d’automne puis de la sève qui reprend, contre le froid les rencontres humaines — rapprochements —, les lieux d’Europe et de mémoire, l’histoire encore, saluant Kafka, Venise et son théâtre, la langue perdue puis retrouvée sans cesse, vieux fil.





    ÉTIENNE FAURE


    Etienne Faure




    ■ Étienne Faure
    sur Terres de femmes


    Et puis prendre l’air (lecture d’AP)
    Sortir, Éloge appuyé des bancs, Changements de saison (extraits d’Et puis prendre l’air)
    Les soirs d’été au pas des portes (extrait d’Horizon du sol)
    sur « Le Poète à tête renversée » (extrait de Tête en bas)
    Tête en bas (lecture d’AP)
    La Vie bon train, proses de gare (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    les pages consacrées à Étienne Faure, dont plusieurs poèmes extraits du recueil Ciné-plage (« Du courrier sous la porte », pp. 11-16)
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Étienne Faure






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  • Corse_3 Jean-Louis Giovannoni | [Troisième voyage à Saint-Maur]





    [TROISIÈME VOYAGE À SAINT-MAUR :
    “Corse. Été 56 – été 63”]


    Automne 1981



    Impossible de sortir de chez moi. Je n’insiste pas. M’allonge. Me relève. Resté en suspens au sixième étage sous les toits.

    Le petit garçon sur la barque ; une multitude d’histoires fixée sur papier sensible. Certaines photos n’ont plus d’habitants. Celle prise avec ma cousine Pierrette, près de la maison familiale en Corse. Été 56. Esquintée. À la moindre éraflure… Non je n’ai pas pu.

    Pourtant, je me suis glissé près d’elle.

    Le corps immobile


    Mais tu as fait un faux mouvement

    dans un sous-bois

    un soir de décembre…

    et ces corps-là, tu sais, ont des faux mouvements

    cachés en eux

    qui attendent

    et qui savent toujours effacer.


    Je n’ai jamais retrouvé cette photo.

    Ai fouillé partout. Une autre de Pierrette dans un groupe de communiants sur la place du village. U Carognu (Caroneo) été 63.

    Après la cérémonie, le soleil est haut ; les enfants yeux mi-clos. Éblouis. Les corps sont surexposés. Blancs trop éclatants et pâleur des gris. Pour fond, un ciel inexistant d’un bleu uniforme. Nous sommes serrés les uns contre les autres dans la partie basse. Je suis à l’arrière figé. Petite cravate fine et brassard. On ne respire pas. Elle, elle est devant avec les plus petites. Robes immaculées et cerceaux dans les cheveux. Toutes ont leurs gants blancs dans une main et un missel dans l’autre. Graves. Elles regardent fixement l’objectif.

    Son corps ne semble pas, pas encore.

    Je suis sur une photo en parfait état de conservation. Même époque que Le corps immobile. Prise avant ou après ? En toile de fond, notre maison avec ses murs en pierre. Identiques à la première. Avec sa petite placette devant l’entrée. Le crépi de l’église sur la gauche. Le sol pavé. Je suis au centre, vêtu d’un pantalon trop grand et d’une chemise canadienne à manches retroussées. Un lacet défait. Léger sourire. Dans une main, un pistolet de cow-boy — l’arme du crime — tenu sans grande conviction. Le soleil frappe fort.

    Les pierres retiennent la chaleur jusqu’à très tard dans la nuit. Et nous, dos allongés sur les rochers, dans la respiration des châtaigniers, comptons les étoiles sans que jamais aucune ne manque.



    Jean-Louis Giovannoni, Voyages à Saint-Maur, récit, Éditions Champ Vallon, Collection recueil, 2014, pp. 37-38.






    Jean-Louis Giovannoni, Voyages à Saint-Maur, Champ Vallon, 2014.



    JEAN-LOUIS GIOVANNONI


    Giovannoni
    Ph. © Fabienne Vallin
    Source





    ■ Jean-Louis Giovannoni
    sur Terres de femmes


    [Ne me laisse pas ici parmi les ombres !] (extrait de L’air cicatrise vite)
    [Aucune sortie possible] (extrait d’Envisager)
    Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
    Envisager (note de lecture de Tristan Hordé)
    [Vue imprenable] (extrait de L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare)
    [Huitième voyage à Saint-Maur]
    Îles circulaires
    [Il faut si peu de chose]
    Issue de retour (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Issue de retour (note de lecture d’AP)
    [Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant] (extrait de Journal d’un veau)
    [Le jour se lève] (extrait de Sous le seuil)
    Mère
    [Notre voix] (extrait de Ce lieu que les pierres regardent)
    [Nous venons d’un pays qu’on ne peut plus toucher] (extrait de On naît et disparaît à même l’espace)
    [Pourras-tu encore témoigner…] (extrait des Mots sont des vêtements endormis)
    Sous le seuil (note de lecture d’AP)
    [toujours cette envie de t’ouvrir]
    [Tout se cicatrise] (extrait de Garder le mort)
    [Troisième voyage à Saint-Maur]
    Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (note de lecture d’AP)
    Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (note de lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    la page de l’éditeur consacrée à Voyages à Saint-Maur
    → (sur Eden Livres)
    un autre extrait de Voyages à Saint-Maur
    → (sur Terres de femmes)
    Sylvie Fabre G., La demande profonde (poème dédié à Jean-Louis Giovannoni)
    → (sur Terres de femmes)
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    → (sur Secousse-08)
    un entretien de Jean-Louis Giovannoni avec Anne Segal & Gérard Cartier (novembre 2012)





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  • Jean-Louis Giovannoni | [Huitième voyage à Saint-Maur]




    La Varenne - Baignade03








    [HUITIÈME VOYAGE À SAINT-MAUR, EXTRAIT]



    Une casquette est un toit et bien plus. Je ne peux m’en séparer. Je l’utilise comme paratonnerre dans les rues où il faut courir. À sa vue, les chiens s’étranglent dans leurs aboiements. Je l’agite comme un chiffon pour exciter le molosse de la rue Jean-Bart. Je fais de grands gestes, par le portail ajouré, et plus il saute en l’air, plus violemment il est ramené à terre par ses chaînes. Après un quart d’heure de rage et de chutes, je m’en vais sourire aux lèvres. Je n’ose rire franc. Peur que ses liens ne cèdent.

    Un peu plus loin, les oiseaux me remercient. Leurs chants accompagnent chacun de mes pas. Au loin, la colère du chien devient houle, simple écume venant mourir sur la proue de ma casquette baissée, frayant vers d’autres aventures.

    Pourquoi ai-je retiré ma casquette sur la photo du muret ? Derrière moi, on distingue l’îlot-d’Amour, en amont de l’île-du-Moulin-Bateau. L’eau y est plus claire, dit-on. Je n’ai jamais vu une seule barque y accoster, encore moins quelqu’un s’y promener.

    Ça doit se faire la nuit ? En tout cas, personne n’y réside. L’îlot-d’Amour est livré aux seuls oiseaux, écureuils et peuplades d’insectes qui s’y réfugient pour passer leur vie. Les arbres sont des ormes ou des frênes de haute taille ; quelques saules pleureurs.

    Combien de temps pourrais-je survivre sur cette île minuscule ? Les crues la font disparaître. Il existerait, un peu plus à l’est, du côté de La Varenne, une île-d’Amour, lieu d’une ancienne guinguette où l’on dansait. Il paraît que Charles Trenet aurait habité une villa en face de cette île. J’en doute.

    Je préfère, de très loin, cet îlot isolé où personne ne viendra se promener. Oublié de toutes les cartes, l’îlot-d’Amour reste tourné à jamais vers la barque engloutie, la tenant dans son regard pour que les crues ne l’emportent pas.

    J’ai remis ma casquette. L’air a repris sa circulation autour de ma tête. Ce matin, un cygne a glissé devant l’îlot. Rien, aucun badaud ni car de touristes n’a troublé sa venue. Il est resté, entre les rives, un long moment, puis il a disparu.



    **




    On ne voit jamais, sur les photos, les personnes qui les prennent. Une ombre, parfois. Guère plus. Ils ne s’imprègnent pas dessus. Sont derrière.

    En attendant, je fixe l’objectif, juste avant que son doigt n’appuie. Déclic.

    Temps effacé. Plus rien devant moi, qu’un trou vide. Que regarde une photo ?

    Tu n’oses y penser. Le froid s’insinue. Devrais bouger.

    Un garçonnet en culotte courte, chemise en pilou, pull tricoté main et sandales aux pieds, continue à s’accrocher au paysage. Quelques pliures çà et là fragilisent l’état général. Elles sont devenues des pièces de musée, d’un musée sans visiteurs.

    On les compte par milliers aux puces de Saint-Ouen ou de Montreuil, jetées en vrac dans des paniers en osier, des boîtes à chaussures. Des milliers remuées par des mains inattentives, sans trouver acheteur. Qui voudrait encore s’y investir.

    C’est un enfant rêveur. Dans son regard se lit un mélange de tristesse et d’ironie. Ses sandales ne touchent pas terre. Perché sur un muret, à peu près à 1m10 du sol, il attend. Dans son dos, les arbres et la Marne se retiennent. Pas un souffle. La photo sera nette.

    Sur les photos de la passerelle, son inquiétude est palpable. Il fixe l’objectif, n’est pas certain du résultat. Ma sœur dans ses bras a du rose aux joues, un teint de bébé.

    Elle n’a tenu que six mois. Pourtant, les bras n’ont jamais cédé. J’en suis certain. Elle est partie. Mais par où ? La photo est restée intacte dans son cadre. Ses vêtements tricotés au crochet sont légers. Confortables. Rien ne l’incommode. Ma mère près de son visage nuit et jour.

    […]



    Jean-Louis Giovannoni, Voyages à Saint-Maur, récit, Éditions Champ Vallon, Collection recueil, 2014, pp. 71-72-73.







    Jean-Louis Giovannoni, Voyages à Saint-Maur, Champ Vallon, 2014.



    JEAN-LOUIS GIOVANNONI


    Giovannoni
    Ph. © Fabienne Vallin
    Source





    ■ Jean-Louis Giovannoni
    sur Terres de femmes


    [Aucune sortie possible] (extrait d’Envisager)
    Voyages à Saint-Maur (lecture d’AP)
    [Troisième voyage à Saint-Maur]
    Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
    L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare (lecture d’AP)
    [Vue imprenable] (extrait de L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare)
    Envisager (note de lecture de Tristan Hordé)
    Îles circulaires
    [Il faut si peu de chose] (extrait de Variations à partir d’une phrase de Friedrich Hölderlin)
    Issue de retour (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Issue de retour (note de lecture d’AP)
    [Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant] (extrait de Journal d’un veau)
    [Le jour se lève] (extrait de Sous le seuil)
    Mère (+ notice bio-bibliographique)
    [Notre voix] (extrait de Ce lieu que les pierres regardent)
    [Nous venons d’un pays qu’on ne peut plus toucher] (extrait de On naît et disparaît à même l’espace)
    [Pourras-tu encore témoigner…] (extrait des Mots sont des vêtements endormis)
    Sous le seuil (note de lecture d’AP)
    [toujours cette envie de t’ouvrir] (extrait de Derrière la vitre)
    [Tout se cicatrise] (extrait de Garder le mort)
    Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (note de lecture d’AP)
    Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (note de lecture d’AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Champ Vallon)
    la page de l’éditeur consacrée à Voyages à Saint-Maur
    → (sur Eden Livres)
    un autre extrait de Voyages à Saint-Maur
    → (sur Terres de femmes)
    Sylvie Fabre G., La demande profonde (poème dédié à Jean-Louis Giovannoni)
    → (sur Terres de femmes)
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    → (sur Secousse-08)
    un entretien de Jean-Louis Giovannoni avec Anne Segal & Gérard Cartier (novembre 2012)
    → (sur le site grande menuiserie de Nolwenn Eulzen)
    « Que peut (encore) l’écriture ? », enregistrement d’un entretien entre Jean-Louis Giovannoni et Gisèle Berkman (19 avril 2013)





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  • Olivier Barbarant | Une vie




    Elle était en façade fort peu versée vers le passé
    Ph., G.AdC






    UNE VIE



    Aura-t-elle eu le temps de feuilleter des souvenirs ? Elle était
    en façade fort peu versée vers le passé ; il y aurait alors eu
    l’odeur d’étable et de cuisine à la ferme natale,
    des pains frottés d’huile d’olive l’été dans les monts du Lyonnais,

    des bals de promotion, des cafés à Dijon noyés de cigarettes,
    les nuits à lire à l’internat, une lampe cachée sous les draps,
    un triste rendez-vous en Suisse, quand seule et mineure,
    elle avait en vain tenté d’avorter – l’aube blanche en Champagne,

    toutes les teintes d’une terre arpentée par goût revanchard du voyage,
    la mort d’un frère au fond d’un ravin, la souffrance
    ordinaire de ce qu’on perd : parents, vieux amis, un mari

    diminué qu’on s’obstine un temps à sortir, puis en dernière image
    au loin entre les cils brûlés de sel et de soleil sur fond tremblant de mer
    à jamais j’en suis sûr le profil d’un enfant.



    Olivier Barbarant, « Une vie », Élégies étranglées, Champ Vallon, Collection recueil, 2013, page 51.



    ______________________________________
    NOTE d’AP : Élégies étranglées fait partie de la sélection du Prix des Découvreurs 2013-2014.



    OLIVIER BARBARANT


    Barbarant
    Source




    ■ Olivier Barbarant
    sur Terres de femmes


    La nuit d’avril (extrait d’Un printemps divers)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une notice bio-bibliographique sur Olivier Barbarant





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