Étiquette : Collection Verticales


  • Claudine Galea, Les Choses comme elles sont

    par Jeanne Bastide

    Claudine Galea, Les Choses comme elles sont,
    éditions Gallimard, Collection Verticales, 2019.



    Lecture de Jeanne Bastide



    Il est coutume de considérer Claudine Galea comme une dramaturge. Elle l’est, c’est sûr. Tout en écrivant des albums pour enfants et des romans pour adolescents. Auteure de théâtre, elle est aussi romancière. Depuis son premier roman : Jusqu’aux os (2003).

    « Je n’écris pas des romans ou des pièces de théâtre, je n’écris pas pour les enfants ou pour les adultes, j’écris des livres », dit-elle.

    Claudine Galea est donc tout à la fois une auteure dramatique et une romancière : « L’écriture est ce qui me structure », dit-elle. Les images arrivent, deviennent le corps des mots. « Je n’aime pas beaucoup les catégories qui enferment et scindent », avoue-t-elle auprès des éditions L’Amourier.

    Les Choses comme elles sont est un roman qui parle d’une enfant curieuse, singulière, qui va grandir sous nos yeux, dans un huis clos familial. Mais Les Choses comme elles sont, c’est d’abord un lieu : Marseille. Et surtout une écriture. Sensorielle et incisive. Une écriture brillante, céleste qui porte tout le livre.

    « Ce que je cherche dans l’écriture c’est la peau des gestes, aller à l’extrême tactilité ».

    C’est bien à un livre sur la transmission, l’héritage et la filiation que nous sommes conviés (on ne guérit jamais de son enfance) dans un quotidien empli de sensations, d’émotions, de troubles, de voix, de prescience peut-être. Une occasion pour l’auteure de recréer un monde à domestiquer, à conquérir, ou à pacifier ?

    « Écrire, c’est donner de la mémoire aux souvenirs », énonce Claudine Galea dans l’émission Par les temps qui courent (France Culture, 15 janvier 2019).

    On l’aura compris, Les Choses comme elles sont s’apparente à un travail de mémoire. Nous n’avons jamais fini de naître de notre histoire. Il y a toujours ce qui se cache derrière l’apparence. Une traversée qui demande vigueur et énergie, car il y a nombre de « trous noirs » à traverser. À cet égard, une trouvaille que cette scène du père qui repeint un plafond d’une couleur bleu-nuit, faisant ainsi entrer le sombre et la nuit du ciel à l’intérieur de la maison. Nous n’avons jamais fini de repeindre le passé.

    « La substance ne suffit pas, il faut aussi une enveloppe », explique Matisse. C’est bien ce à quoi s’attache Claudine Galea dans ce roman. Un livre dans lequel le lecteur retrouve des voix qui se sont tues. Cela parle et nous parle. Cette ferveur contenue dans les petits gestes, nous la recevons.

    Enfants, nous ignorions alors ces cris qui vont se loger en nous. Ces voix qui déchirent et ouvrent des sentiers obscurs. Ces voix qu’entend la narratrice de Claudine Galea et qu’elle nous restitue.

    Les Choses comme elles sont, un roman qui frappe fort et nous touche.



    Jeanne Bastide
    pour Terres de femmes
    D.R. Texte Jeanne Bastide






    Claudine Galea  Les Choses comme elles sont






    CLAUDINE GALEA


    Claudine Galea photo Louis Monier
    Ph. photo Louis Monier
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Les choses comme elles sont
    → (sur le site de la mél [maison des écrivains et de la littérature])
    une notice bio-bibliographique sur Claudine Galea





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  • Février 2012, Oran | François Beaune, La Lune dans le puits

    Éphéméride culturelle à rebours



    ORAN, FÉVRIER 2012



    En 2001, me raconte Abdeslam dans un restaurant de poissons vide, je suis rédacteur en chef de La Voix de L’Oranie, un petit canard sans prétention.

    Ce jour-là, on m’annonce qu’il y a eu un massacre dans le village de Granin, près d’Arzen. Je m’y rends de très bon matin, et je prends avec moi un appareil photo, car je fais aussi des photos pour le journal.

    On arrive au village. Les gens m’embrassent pour les condoléances. Ils me disent tous que leurs fils ne sont pas morts égorgés, mais par balles. Et on sent qu’ils veulent s’en convaincre. Pour éviter la culpabilité, par déni, pour ne pas penser à leurs souffrances. Des couteaux aiguisés ont pu faire souffrir la victime, et plus elle souffre, plus elle est lavée de ses péchés.

    Je me rends au carrefour où selon mes sources dix personnes ont été égorgées. Les terroristes ont établi un faux barrage et ont tué les passagers d’un Karsan Peugeot, un genre de minibus. En effet le Karsan est bien là, ainsi qu’une voiture et une moto. Il y a du sang partout, une casquette, un paquet de cigarettes ouvert. Les gens ont été massacrés à la pioche, à la hache et ensuite au couteau. Ceux qui n’ont pas résisté ont été sacrifiés comme des moutons. Les autres ont tenté de lutter. Deux gars d’Arzen, qui allaient assister à un mariage, ont été éventrés et énucléés. Je fais des photos.

    Arrive une 4L. Deux jeunes hommes devant, et une femme à l’arrière. Elle a un certain âge. Les jeunes lui montrent une tache de sang, entre deux palmiers nains : c’est ici, expliquent-ils.

    Elle plonge sur l’endroit et se met à embrasser la flaque séchée. Ses doigts s’enfoncent dans la terre. Elle relève la tête, le soleil passe à travers les aiguilles du tamaris, et là je rate la photo de ma vie, mais je n’ose pas, la douleur de cette dame, dans le sang de son fils, me touche au fond du cœur, et j’ai peur de m’en prendre à son âme.



    François Beaune, La Lune dans le puits, Histoires vraies de Méditerranée, éditions Gallimard, Collection Verticales, 2013 ; éditions Gallimard, Collection folio, n° 6289, 2017, pp. 350-351.






    François Beaune  La Lune dans le puits






    FRANÇOIS BEAUNE


    François Beaune
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur La Lune dans le puits de François Beaune




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