éditions Æncrages & Co, Collection Voix de chants, 2020.
Encres de Caroline François-Rubino.
Lecture de Sabine Dewulf
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Source [SILLONS DES DUNES SILLONS DES COUS DES FEMMES] Sillons des dunes sillons des cous des femmes l’une frotte sa paume graisse la peau et le sillon se perd dans l’épaule cachée ce n’est pas tout à fait l’été Un homme allongé dans les rochers noirs il attend il est encore dans sa nuit odorante et pourtant la lumière tire les rideaux la roche est découverte et restent ses pieds rouges crevassés sales les ongles jaunes striés sur le sable ils dépassent En haut de l’escalier certains écrasent le pied sur le bitume dans l’attente empressée la valse des pissotières l’un entre l’autre sort léger la jambe agile […] Près du port dans les étals du vide-grenier on voit des camées profils de femmes au nez aigu front dégagé boucles emprisonnées par la morsure d’un peigne comme je les aime ces femmes baignant dans un liquide corail nimbées d’un ovale majestueux pas le rond des vulgaires pièces de monnaie mais l’ovale des portraits qu’on garde tressautant près du cœur quand la course vous coupe le souffle et qu’il faut tenir le pendentif pour ne pas l’avoir claquant au menton ravi d’une promenade sautant par-dessus l’épaule L’un somnole déjà une fois le stand monté dans une chaise en toile imprimée de fleurs des tropiques hibiscus ou autres pétales flamboyants il croise ses bras et réchauffe ses mains à ses aisselles le nez dans son col comme un oiseau s’endort debout deux sourcils noirs et blancs surmontent ses yeux et semblent leur tenir chaud l’un se soulève pour laisser à l’œil tout le soin d’observer l’homme qui s’avance vers les corbeilles d’osier qui s’amoncellent sur le devant du stand tournées et retournées par des mains qui hésitent il met la main à la poche atteint de démangeaisons en laissant aller son regard au ciel à gauche et laisse quelques pièces dans une des corbeilles le sourcil s’abaisse en signe d’apaisement hiberne enfin Cling Laura Tirandaz, Sillons, Æncrages & Co, Collection Voix de chants, 2017, s.f. Linogravures de Judith Bordas. |
| LAURA TIRANDAZ Source ■ Laura Tirandaz sur Terres de femmes ▼ → Guayasamín (extrait de Signer les souvenirs) → Signer les souvenirs (lecture de Philippe Leuckx) ■ Voir aussi ▼ → le blog de Laura Tirandaz → (sur le site des éditions Æncrages & Co) la fiche de l’éditeur sur Sillons → (sur lelitteraire.com) une lecture de Sillons par Jean-Paul Gavard-Perret → le site de Judith Bordas |
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TRAVERSÉE DE LA TRAGÉDIE Trois mouvements sont nécessaires à François Heusbourg pour tenter d’endiguer les eaux qui ont envahi sa vie. Trois temps de poésie pour dire, avec une grande économie de mots, l’effroi causé par un déluge qui a duré quelques heures — un jour d’octobre 2015 — et qui, en quelques heures à peine, a anéanti les certitudes d’une vie jusqu’alors réglée, raisonnée, ancrée dans la solidité d’un temps imperméable que rien ne semblait devoir altérer. Trois épisodes numérotés, trois numéros balises sans appels de titres, pour cerner la Zone inondable, objet du dernier recueil de François Heusbourg. L’ensemble constitue une « suite » de tableautins à la fois autres et semblables, délimités par trois dessins de Jean-Michel Marchetti. Bleus noirs et gris se diffusent en taches clairement cernées ; bulles et évidures, nappes de couleurs qui se noient dans des fondus qui s’enchaînent, rideaux de pluie et fissures. On entre de plain-pied dans un espace liquide qui s’infiltre entre les trois sections. On pressent le drame, on pressent la catastrophe qui va choir et se répandre sur la page. Le lecteur se trouve d’emblée entraîné dans une dérive dont la mémoire gardera sans doute longtemps l’empreinte : « le jour d’après on pense oublier
on oublie le moment pas l’empreinte » Tout commence dans la lenteur. Une lenteur anonyme qui enveloppe toute chose : « Lentement
tout se déplace on croyait tenir la réalité
lentement au milieu… » Et la réalité se métamorphose, soumise au délitement, rues transformées en fleuves, appartement en rivière. Et cette submersion qui fait se confronter les extrêmes, objets flottants dans les rues, chaussures engluées dans la pesanteur. Puis vient le temps de la solitude, vient la pleine conscience d’être là, confronté à l’impensable. Contre cet impensable noyé dans la montée lente et inexorable d’une eau qui progresse à son rythme, tenace, sans apparente effraction, le poète fait barrage avec les mots. Ses mots. Inaugurée dans un tempo lent, la première « suite » laisse sa pleine place aux gestes. Et les gestes s’inscrivent dans la répétition. L’itération. Comme une hébétude. Déplacement dérive courant, les gestes sont là, perdus au milieu des eaux qui s’infiltrent qui montent et envahissent. Rues, voitures, appartement, le poète se découvre. Et découvre en lui ce qu’il ne soupçonnait pas : « jusqu’aux chevilles et
jusqu’au cou
j’aide l’eau à passer
je fais le courant
dans la rivière de mon appartement » Il découvre une temporalité autre, synchrone avec l’invasion de l’eau : « là-debout
dans l’eau qui passe le temps
qui ne passe plus » Porosité des lignes de démarcations ordinaires, rien ne ressemble plus à ce que l’on croyait. Face à cette réalité nouvelle qui impose sa force aveugle, son irrésistible ampleur, sa progression inexorable, les certitudes s’ébranlent. « Éclusier sans écluse », le poète ressasse. Il ressasse sa solitude. Qui se réduit à un geste unique lequel épouse cette solitude : « un seul geste
l’eau passe la fatigue les orteils
je n’ai plus
qu’un seul geste seul
des gestes
seuls » ou encore : « je suis seul
dans la nuit qui éclate
je suis seul à dormir » Dans ce monde dévasté, que devient l’ordinaire ? Comment dormir ? Et où ? « j’ai fini par dormir
dans l’eau passée
à l’intérieur » L’intérieur ? Tout l’intérieur. L’appartement la chambre le lit. Jusqu’au corps tout entier, en passant par la bouche, jusque dans le sommeil. Les poèmes progressent par « narrations » successives, économes en mots, dépouillées de subjectivité. Les mots, comme les objets en flottaison dans la lenteur, se répètent. Le réel se réduit s’amenuise au fur et à mesure que l’eau monte. La résignation succède à l’angoisse, celle de se découvrir comme « un humain poreux/en zone inondable ». L’angoisse gagne aussi le lecteur. La peur étreint, qui s’immisce se dilue entre les pores, suspend la respiration. Et l’on attend la suite. Quelle suite pour une nuit diluvienne qui heurte aux fenêtres et quelle réalité pour un réveil sous les eaux ? Il y a les images qui se succèdent sur l’écran de télévision, avec ses morts et ses disparus, les chiffres, le bilan provisoire de la catastrophe, les yeux qui cherchent à comprendre, à se raccrocher. À quoi au juste ? À la banque d’images, qui sans cesse ressasse, elle aussi, tourne en boucle sur le désastre ? Les images abolissent le réel. Elles en gomment les nuances. Elles sapent les frontières. Elles nient l’existence des autres. Et au final, elles avalent tout. Les vivants et les morts : « au fond nous n’y étions pas
nous étions seuls
dans nos limites
dans nos gestes tasse vide sur la table tout sèche dans les images
nous sommes
disparus. » La traversée de la tragédie se clôt sur le bilan personnel du poète pour qui « ce qui n’est pas perdu
est bouleversé pour longtemps » Au milieu du désastre, une minuscule réalité rassurante fait irruption : |
| FRANÇOIS HEUSBOURG
→ d’autres extraits d’Hier soir → Anaïs Bon | François Heusbourg | [ Le chemin qui passe par la forêt et par les champs ne varie guère](extraits de Seul/double) |
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| FRANÇOIS HEUSBOURG
→ extraits d’Hier soir publiés chez Æncrages & Co → d’autres extraits d’Hier soir → Anaïs Bon | François Heusbourg | [ Le chemin qui passe par la forêt et par les champs ne varie guère](extraits de Seul/double) |
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| ARMAND DUPUY Source ■ Armand Dupuy sur Terres de femmes ▼ → Mieux taire (lecture d’Isabelle Lévesque) → [On cherche avec les yeux] (extrait de Par mottes froides) → Présent faible (lecture d’Isabelle Lévesque) → Une première fin des questions → 8-12 février [2017] | Armand Dupuy | [je m’entends parler du temps qu’on serre] (extrait de Selfie lent) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site d’Æncrages and Co) la page de l’éditeur sur Ce doigt qui manque à ma vue d’Armand Dupuy → (sur Recours au poème) une page sur Armand Dupuy |
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| STÉPHANE KORVIN Source ■ Stéphane Korvin sur Terres de femmes ▼ → [on déplace les muettes] (poème extrait de Noise) ■ Voir aussi ▼ → le site de Stéphane Korvin → (sur le site des éditions Æncrages & Co) la page de l’éditeur consacrée à bas de casse de Stéphane Korvin |
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| DÉBORAH HEISSLER Image, G.AdC ■ Déborah Heissler sur Terres de femmes ▼ → Les Nuits et les Jours (lecture d’AP) → Je ne peux oublier (poème extrait des Nuits et des Jours) → « Des pas dans la neige » (poème extrait de Sorrowful Songs) → La protection des pierres (poème extrait de Près d’eux, la nuit sous la neige) → Près d’eux, la nuit sous la neige (lecture d’AP) → sur l’herbe sèche ce jour (poème extrait de Chiaroscuro) → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes) loin (poème extrait de Comme un morceau de Nuit, découpé dans son étoffe) → (dans la galerie Visages de femmes) le poème « Errance » ■ Voir aussi ▼ → (sur Wikipedia) l’article consacré à Déborah Heissler → le blog de Déborah Heissler |
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CLAUDE LOUIS-COMBET ![]() Eric Toulot, Portrait de Claude Louis-Combet Source ■ Claude Louis-Combet sur Terres de femmes ▼ → Bethsabée à jamais → Celle par qui la ténèbre arrive (note de lecture d’AP) → Depuis le temps que la chair s’épure → Hiérophanie du sexe de la femme → Isula, insula → « J’écris du désir comme du désert » → Mala Lucina → Noyau central → Le Nu au transept (note de lecture d’AP) → Radeau de la première femme, III (extrait de Dérives) → Résurgences → Suzanne et les Croûtons (note de lecture d’AP) ■ Voir aussi ▼ → (sur le site Æncrages & Co) la page de l’éditeur sur Dichotomies |
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