Étiquette : Collection


  • Lydia Padellec | [Ma chambre, c’est mon sanctuaire]



    [MA CHAMBRE, C’EST MON SANCTUAIRE]



    Ma chambre, c’est mon sanctuaire. Sur la porte j’ai mis un écriteau : « Défense d’entrer – Ne pas déranger l’enfant qui rêve ».

    J’invite qui je veux. Même la fourmi, le scarabée, le ver de terre et le papillon de nuit sont les bienvenus. Mon thé au pissenlit, aux pétales de marguerite, aux ailes de mouche, est délicieux.

    Tous les chemins mènent à ma chambre. Une petite musique dans mon cerveau me guide au cas où j’oublierais la clé. Je crois bien que vieillir c’est oublier la clé.

    Pourquoi n’est-il pas possible de rajeunir ou de rester enfant ?
    Qui a décidé que ça devait être comme ça ?

    […]

    Qu’on me laisse gribouiller mes poèmes sur les murs de ma chambre. Je ne fais rien de mal. Si les murs sont blancs, c’est forcément pour écrire dessus. Mes cahiers sont trop petits et les lignes me font mal aux yeux. Moi je préfère voir le poème en grand.

    J’aime la pluie quand elle frappe à ma fenêtre. C’est difficile de la faire entrer entièrement dans ma chambre. Sa mélodie d’eau m’aide à apprendre le poème de René Guy Cadou : « Odeur de pluie de mon enfance… »



    Lydia Padellec, Mémoires d’une enfant dérangée, éditions Lunatique, collection « Les mots cœurs », 35500 Vitré, 2020, pp. 43-49, 53-55.





    Lydia Padellec  Mémoires d'une enfant dérangée



    LYDIA PADELLEC


    Lydia Padellec portrait
    Source




    ■ Lydia Padellec
    sur Terres de femmes


    [C’est dans l’intimité du brin d’herbe…] (extraits de Cicatrice de l’Avant-jour)[+ une notice bio-bibliographique]
    Dans la nuit profonde du jour (extrait de Cicatrice de l’Avant-jour)
    Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire) [extraits]
    « Île muette » (extrait de Mélancolie des embruns)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La mère [extrait d’Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire)]




    ■ Voir aussi ▼


    Sur la trace du vent, le blog personnel de Lydia Padellec
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique (+ des extraits)
    le site des éditions Lunatique





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  • Mai 2011 | Frédéric Jacques Temple, De la musique avant toute chose

    Éphéméride culturelle à rebours


    DE LA MUSIQUE AVANT TOUTE CHOSE
    (extrait de Divagabondages)





    La musique a bercé ma petite enfance. Le violoncelle de ma mère envoyait à travers les murs de ma chambre des notes dont la nature m’était inconnue et qui accompagnaient les ombres chinoises projetées au plafond par la lanterne magique des stores vénitiens. Le violoncelle de ma mère n’en finit pas de jouer en moi.
    Je me surprends aujourd’hui à fredonner des chansons d’un autrefois toujours présent : Jean de la Lune, Le temps des cerises, Le bon roi Dagobert, Il pleut, bergère, ou encore la mélodie que chantait ma tante Claire en faisant sa toilette du matin :

    Si j’étais hirondelle

    que je puisse voler

    à l’île Sainte-Hélène

    j’irais le retrouver.

    Non qu’elle fût bonapartiste ; simplement, elle aimait cet air nostalgique qui alternait souvent avec celui de Mignon : Connais-tu le pays où fleurit l’oranger ? Elle m’avait aussi appris la Romance de Chateaubriand, que je chante, lorsque je vais à Combourg, en montrant le triste escalier de pierre qui mène au porche du château :

    Combien j’ai douce souvenance

    du joli lieu de ma naissance !

    ma sœur, qu’ils étaient beaux les jours

    de France…

    Ma jeunesse, à l’école de la campagne et des marais du littoral, s’est enrichie d’un répertoire de chants d’oiseaux qui, de l’aube à la nuit, accompagnaient mes rêveries. À chaque oiseau sa musique : le gazouillis de la rousserolle effarvatte, le rauque et sonore basson du butor, le pipeau de la grive musicienne, les trilles de l’alouette, les vocalises du pinson, les roulades du rossignol, le sifflement modulé des courlis cendrés, la flûte aiguë du petit-duc. Je ne connaissais pas encore Olivier Messiaen.

    Les années ont passé. Pensionnaire dans un collège où régnait la musique, j’ai pendant six ans chanté du grégorien et me suis nourri de Josquin des Prés, Monteverdi, Bach, Haendel, Mozart, Beethoven, Poulenc et Honegger. J’en suis sorti avec la certitude que la vie ne pouvait exister sans la musique et je suis resté fidèle à cette forme de religion.

    Mes poèmes et mes proses n’ont cessé de la courtiser. Je suis sensible à la musique des mots, à la cadence et au rythme des phrases ou des versets. On dit que Dieu, comme Verlaine, se complait à l’impair, d’où, peut-être, la Trinité : Numero deus impare gaudet. Ce qu’un cancre ou un facétieux, a pu traduire par : « Le numéro deux se réjouit d’être impair. » À la marche militaire (un-deux, un-deux, un-deux) je préfère la valse à trois temps, plus légère, même si la danse n’est pas mon fort.

    Tout en écrivant, je recharge mes batteries à l’écoute de ce que les hommes, capables du pire, ont pu créer de meilleur.

    revue Confluences poétiques,
    n°4, mai 2011



    J’aurais dû mentionner aussi le jazz, que j’ai découvert et vécu dans la cave de l’Original Jazz Gang, à Montpellier, animé par Jean-Pierre Suc, où j’ai entendu Louis Amstrong, Albert Nicholas, Sydney Bechet, parmi tant d’autres devenus mythiques.




    Frédéric Jacques Temple, Divagabondages, Actes Sud, Collection « un endroit où aller », 2018, pp. 317-319.






    Temple montage 2





    FRÉDÉRIC JACQUES TEMPLE (1921-2020)


    Frederic Jacques Temple Ph. ©Pierre Bolszak
    Ph. © Pierre Bolszak
    Source





    ■ Frédéric Jacques Temple
    sur Terres de femmes


    L’Oregon Trail (poème extrait de Foghorn)
    Un clou pour voyager (extrait de Par le sextant du soleil)
    Méditerranée (poème extrait de Phares, balises et feux brefs)
    Été (poème extrait de Profonds pays)






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  • Franck Venaille | San Giovanni, Trieste



    Egon Schiele  Gerti Schiele  1909 detail
    Egon Schiele, Portrait de Gerti Schiele (détail), 1909







    SAN GIOVANNI
    (extrait de Trieste)





    C’est vrai que Trieste n’accepte pas son déclin. C’est vrai qu’elle tente, et désespérément, de devenir différente. Comment la blâmer ? Et c’est peut-être à cet instant que je me suis mis à l’aimer davantage.

    Plus tard, sur le môle, regardant le Bressana, le Borino, l’Orion, tous ces bateaux en partance pour les ports grecs et yougoslaves, j’ai songé à la singulière destinée de cette ville. Car c’est ici, justement, sur ce quai, que l’expressionniste viennois Egon Schiele venait régulièrement peindre des barques et des navires. Je l’imagine. Il n’a pas encore vingt ans. Je retrouve en lui la beauté singulière qui fut celle d’Antonin Artaud. Il vient à Trieste depuis longtemps. Il s’est rendu ici pour la première fois, accablé de douleur et de haine par la mort de son père. Pour se venger du mal d’origine vénérienne qui frappe en famille, il refait avec sa sœur le voyage de noces triestin de ses parents. Il a alors seize ans. Gerti Schiele en a douze. Ils s’enferment toute une nuit dans un hôtel de la ville. Plus tard, ils reviendront, et dans une auberge il dessinera sa sœur, nue. Toute sa courte vie il dessinera des jeunes filles nues, ce qui lui vaudra de se retrouver en prison. Là, il écrit qu’il « rêve de Trieste, de la mer, de l’espace largement ouvert. Désir, j’en ai un désir torturant ». Voilà à quoi je pensais en marchant sur le môle.

    Je voulais savoir ce qu’était vraiment Trieste. Cette même soirée je me suis interrogé sur cette réaction d’auto-cannibalisme qui poussait cette ville à se dévorer, et beaucoup de ceux qui l’aiment à se détruire. Maintenant il me semblait la tenir dans la main. Je la sentais bouger, souffrir et vivre. Je savais que, de tout temps, elle avait cherché à se comprendre et à se reconnaître. La preuve ? « Plus qu’un courant, c’était un cyclone qui, dans les premières années de l’autre après-guerre, descendit à Vienne pour conquérir l’Italie : je veux parler de la psychanalyse », se souvient Giorgio Voghera. Weiss y traduit l’Introduction à la psychanalyse. Saba, sortant de ses séances chez ce psychanalyste, est capable d’en parler « des centaines d’heures ». Oui, de tout temps Trieste et ses habitants se sont interrogés sur eux-mêmes et sur les raisons profondes de leurs névroses communes, l’exploration de ce malaise étant particulièrement bénéfique pour Saba dont les deux courtes années de cure changèrent sa vision du monde « comme l’aurait fait une opération de la cataracte ».

    Il n’est donc pas étonnant que la transmission de la pensée de Freud (qui séjourna par trois fois dans la ville) se soit faite par ce port. « Vous parlez de la route de la psychanalyse comme de celle de la peste », me dira Franco Basaglia. J’ai senti qu’il en était ravi. Mais soudainement j’ai froid ! Je m’arrête un instant devant le Canale. Là-bas une barque passe doucement sous le pont et s’en va pour la pêche. Il fait gris sur Trieste. Les mots sauront-il exprimer cette sensation de solitude dans le territoire de l’infini ? […]



    Franck Venaille, « San Giovanni », Trieste, éditions du Champ Vallon, collection « des vignes » dirigée par Luc Decaunes, 01420 Seyssel, 1985, pp. 51-54.





    Franck Venaile  Trieste (montage 2)



    FRANCK VENAILLE


    Franck Venaille  portrait
    Source




    ■ Franck Venaille
    sur Terres de femmes


    [J’avais mal à vivre] (extrait de Ça)
    [Ce que je suis ?] (extrait de C’est à dire)
    Dans le sillage des mots (autre extrait de C’est à dire)
    Un paysage non mélancolique (extrait de C’est nous les Modernes)
    [On marche dans la fêlure du monde](extraits de La Descente de l’Escaut)
    [Quand la lumière née de l’estuaire] (autre extrait de La Descente de l’Escaut)
    [J’attendais] (extrait de Tragique)




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  • Jean-Marie Barnaud | [Main accordée à l’autre main]


    [MAIN ACCORDÉE À L’AUTRE MAIN]



    Main accordée à l’autre main
    le regard ne sait rien
    des yeux d’en face
    ni leur couleur
    ni l’arrière-monde
    sauf la présence au bout des doigts
    qui se dérobe
    Main accordée à l’autre main
    l’autre chaleur
    réduit le monde à la caresse




    Jean-Marie Barnaud, Fragments d’un corps incertain, IV, 1, Cheyne éditeur, 2009 in Jean-Marie Barnaud, Sous l’imperturbable clarté, choix de poèmes 1983-2014, Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2019, page 218. Préface d’Alain Freixe.





    Barnaud Fragments 2





    JEAN-MARIE BARNAUD


    Jean-Marie Barnaud
    Source




    ■ Jean-Marie Barnaud
    sur Terres de femmes


    Passage de l’étranger (poème extrait d’Allant pour aller)
    Le dit d’Olivier de Serres (poème extrait de Sous l’écorce des pierres)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Sous l’imperturbable clarté
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien avec Jean-Marie Barnaud
    → (sur P/oésie)
    Jean-Marie Barnaud : Les enjeux du poème (conférence prononcée en 1983 lors du Festival international de poésie de Taipei)






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  • Carino Bucciarelli | Couleurs inouïes


    COULEURS INOUÏES
    (extrait)








    COULEURS INOUÏES
    Aquatinte numérique, G.AdC









    Le bus de minuit devait nous ramasser tous
    il ne vint jamais
    nous attendîmes donc un siècle
    puis un autre
    et un siècle encore

    Nous offrait-on l’éternité ?

    Jamais nous ne pourrions atteindre nos foyers
    ni l’heure de notre mort

    La cohabitation s’avérait difficile
    nous n’osions parler
    pour nous entretenir d’une possible rédemption
    car seuls des inconnus se croisent aux arrêts de bus
    et chacun ici avait de l’éducation

    Notre culpabilité – c’était indéniable –
    était à la source de notre attente

    Aucun crime ne pouvait nous être attribué
    nous attendions alors notre délivrance
    le visage tourné au loin vers le bout de la route




    Carino Bucciarelli, « Couleurs inouïes (janvier 2019) », Singularités, éditions L’herbe qui tremble, Collection « D’autre part » dirigée par Thierry Horguelin, 2020, page 116.






    Carino Bucciarelli  Singularités 2






    CARINO BUCCIARELLI


    Carino Bucciarelli
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de L’association des écrivains belges de langue française)
    une notice bio-bibliographique sur Carino Bucciarelli
    → (sur le site des éditions L’herbe qui tremble)
    la fiche de l’éditeur sur Singularités





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  • Muriel Pic | La neige


    XI LA NEIGE



    Réveillez-vous ! Tout est blanc !
    Les ruches sont pleines de neige.
    Nulle trace, tout est possible encore
    la dictature du temps
    de l’histoire
    rompue comme les rails des chemins de fer.
    Plus rien ne passe et tout se tait.
    Réveillez-vous ! Un folio attend
    votre réveil éblouissant.
    Pour vous seul sans limite
    le blanc sans fin à couvrir.
    Réveillez-vous ! le jour point comme un stylet.




    Muriel Pic, Élégies documentaires, éditions Macula, Collection « Opus incertum » dirigée par Jean-Christophe Bailly, 2016, page 44.






    Muriel Pic





    MURIEL  PIC


    Muriel Pic NB
    Ph. © éditions Macula
    Source





    ■ Muriel Pic
    sur Terres de femmes


    Élégies documentaires (lecture de Gérard Cartier)
    Janvier 2001 | Muriel Pic, Affranchissements




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Macula)
    la fiche de l’éditeur sur Élégies documentaires
    → (sur CCP, Cahier critique de poésie)
    une lecture d’Élégies documentaires, par Jérôme Duwa
    → (sur le site de France Culture)
    Muriel Pic, décrire ou hanter
    → (sur Diacritik)
    Les montages documentaires de Muriel Pic : En regardant le sang des bêtes, par Laurent Demanze
    → (sur etudiants.ch)
    Muriel Pic: Lire est un acte critique, un acte civique (Fragments d’entretien avec Muriel Pic)
    → (sur Babelio)
    une notice bio-bibliographique sur Muriel Pic






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  • Jan Wagner | koalas


    KOALAS



    so viel schlaf in nur einem baum,
    so viele kugeln aus fell
    in all den astgabeln, eine boheme
    der trägheit, die sich in den wipfeln hält und hält

    und hält mit ein paar klettereisen
    als krallen, nie gerühmte erstbesteiger
    über den flötenden terrassen
    von regenwald, zerzauste stoiker,

    verlauste buddhas, zäher als das gift,
    das in den blättern wächst, mit ihren watte-
    ohren gegen lockungen gefeit
    in einem winkelchen von welt: kein water-

    loo für sie, kein gang nach canossa.
    betrachte, präge sie dir ein, bevor es
    zu spät ist – dieses sanfte knauser-
    gesicht, die miene eines radrennfahrers

    kurz vorm etappensieg, dem grund entrückt,
    und doch zum greifen nah ihr abgelebtes
    grau –, bevor ein jeder wieder gähnt, sich streckt,
    versinkt in einem traum aus eukalyptus.




    Jan Wagner, Regentonnenvariationen, Hanser Berlin | Carl Hanser Verlag, München, 2014.





    Jan Wagner  Regentonnenvariationen







    KOALAS



    un seul arbre et combien de somnolence,
    combien de boules de fourrure
    en ses ramures, une romance
    d’indolence qui tout là-haut se tient si sûre,

    tient bon, au bout de quelques griffes
    pour tout crampon, anonymes alpinistes,
    premiers en haut des toits où flûte et siffle
    la forêt tropicale : hirsutes stoïcistes,

    bouddhas à épouiller, plus forts que le poison
    qui dans les feuilles court, vois leurs oreilles d’ouate,
    remparts aux tentations, dans ce buisson
    perdu de l’univers : pour eux, nul wa-

    terloo, pas de voyage à canossa,
    regarde-les tant qu’il est temps, de peur
    d’oublier : retiens ces doux traits cadenassés,
    leur rictus de meilleur grimpeur

    vers la victoire d’étape, à l’aplomb de la terre,
    mais toujours à portée, leur poil gris décati –,
    avant que de nouveau chacun bâille, s’étire,
    pour retourner à son rêve d’eucalyptus.




    Jan Wagner, Les Variations de la citerne, Actes Sud, collection « Lettres allemandes » dirigée par Martina Wachendorf, 2019, pp. 26-27. Poèmes traduits de l’allemand et présentés par Julien Lapeyre de Cabanes et Alexandre Pateau.





    Jan Wagner  Les Variaations de la citerne





    JAN WAGNER


    Jan Wagner
    ©Alberto Novelli – Villa Massimo
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Actes Sud)
    la fiche de l’éditeur sur Variations de la citerne (+ un autre extrait)






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  • Ananda Devi | [En apnée]


    [EN APNÉE]



    En apnée

    Parce qu’il m’est trop lourd de respirer ce qui n’existe plus
    Parce que ce ne sont pas les poumons mais la mémoire
    qui respire

    Les souvenirs ne nourrissent pas leur femme – ils
    la dessèchent – la font de paille et d’orge – un pain
    quotidien d’amertume

    Ne me buvez pas : le goût frelaté de la mort rôde.



    En apnée

    Parce qu’il arrive que l’air oublie son rôle, se raréfie

    Comme s’il se croyait au sommet de l’Annapurna ou de
    la Nanda Devi

    Hélas je grouille plus bas que l’air, plus bas que la terre,
    plus bas que la mer


    L’île est une presqu’île rattachée par les pieds à une barre
    de fer rouillée
    qui traverse nos douceurs pour nous dire : souvenez-vous.



    En apnée

    Comme si au bord du Gange ou du Grand Bassin tu
    aspirais les chants liturgiques

    qui promènent dans ton corps l’indécence des croyances,
    celles qui, toujours, te trahissent

    te font croire aux grandes puissances des mères et des
    pères

    avant de les dissoudre en poussière


    Tu sais que respirer c’est t’emplir de la suie des vies

    dont il ne reste plus rien que la langue des flammes

    corps qui se disloquent, chœurs entonnés par les cloches

    vêtus de jaune vêtus de noir vêtus de blanc

    le Gange ne s’arrêtera nulle part, ni pour les prieurs ni
    pour les mourants

    encore moins pour les absents

    remonter le Gange c’est remonter à la source du vivant

    avant n’était que chant – ils ont chanté avant que de savoir

    et ils sont oublié avant que d’être

    et ils sont morts avant que de devenir

    et ils ont disparu lorsque

    la dernière cloche a sonné.




    Ananda Devi, Danser sur tes braises suivi de Six décennies, éditions Bruno Doucey, collection « L’autre langue », 2020, pp. 40-42.





    Ananda Devi  Danser sur tes braises





    ANANDA DEVI


    Ananda Devi 3
    Source





    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la notice de l’éditeur sur Danser sur tes braises
    → (sur YouTube)
    Ananda Devi, 5 Questions pour Île en île
    le site officiel d’Ananda Devi






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  • Kiki Dimoula | La pierre périphrase


    Η ΠΕΡΙΦΡΑΣΤΙΚΗ ΠΕΤΡΑ



    Mίλα.
    Πες κάτι, οτιδήποτε.
    Μόνο μη στέκεις σαν ατσάλινη απουσία.
    Διάλεξε έστω κάποια λέξη,
    που να σε δένει πιο σφιχτά
    με την αοριστία.
    Πες:
    «άδικα»,
    «δέντρο»,
    «γυμνό».
    Πες:
    «θα δούμε»,
    «αστάθμητο»,
    «βάρος».
    Υπάρχουν τόσες λέξεις που ονειρεύονται
    μια σύντομη, άδετη, ζωή με τη φωνή σου.

    Μίλα.
    Έχουμε τόση θάλασσα μπροστά μας.
    Εκεί που τελειώνουμε εμείς
    αρχίζει η θάλασσα.
    Πες κάτι.
    Πες «κύμα», που δεν στέκεται.
    Πες «βάρκα», που βουλιάζει
    αν την παραφορτώσεις με προθέσεις.
    Πες «στιγμή»,
    που φωνάζει βοήθεια ότι πνίγεται,
    μην τη σώζεις,
    πες
    «δεν άκουσα».

    Μίλα.
    Οι λέξεις έχουν έχθρες μεταξύ τους,
    έχουν τους ανταγωνισμούς:
    αν κάποια απ’ αυτές σε αιχμαλωτίσει,
    σ’ ελευθερώνει άλλη.
    Τράβα μία λέξη απ’ τη νύχτα στην τύχη.
    Ολόκληρη νύχτα στην τύχη
    Μη λες «ολόκληρη»,
    πες «ελάχιστη»,
    που σ’ αφήνει να φύγεις.
    Ελάχιστη
    αίσθηση,
    λύπη
    ολόκληρη
    δική μου .
    Ολόκληρη νύχτα.

    Μίλα.
    Πες «αστέρι», που σβήνει.
    Δεν λιγοστεύει η σιωπή με μια λέξη.
    Πες «πέτρα»,
    που είναι άσπαστη λέξη.
    Έτσι, ίσα ίσα,
    να βάλω έναν τίτλο
    σ’ αυτή τη βόλτα την παραθαλάσσια.




    Κική Δημουλά, Από τη συλλογή, Το Λίγο του κόσμου, εκδόσεις Νεφέλη, Ἀθήνα, 1971, in Ποιήματα, Ίκαρος, Ἀθήνα, 2005.





    Kiki Dimoula poiemata







    LA PIERRE PÉRIPHRASE



    Parle.
    Dis quelque chose, n’importe quoi.
    Mais ne reste pas là comme une absence en acier.
    Choisis ne serait-ce qu’un mot,
    qui te liera plus étroitement
    à l’indéfini.
    Dis :
    « en vain »,
    « arbre »,
    « nu ».
    Dis :
    « on verra »,
    « impondérable »,
    « poids ».
    Il y a tant de mots qui rêvent
    d’une vie brève, sans liens, avec ta voix.

    Parle.
    Nous avons tant de mer devant nous.
    Là où nous finissons
    la mer commence.
    Dis quelque chose.
    Dis « vague », qui ne tient pas debout.
    Dis « barque », qui coule
    quand trop chargée d’intentions.
    Dis « instant »,
    qui crie à l’aide car il se noie,
    ne le sauve pas,
    dis
    « rien entendu ».

    Parle.
    Les mots se détestent les uns les autres,
    ils se font concurrence :
    quand l’un d’entre eux t’enferme,
    un autre te libère.
    Tire un mot hors de la nuit
    au hasard.
    Une nuit entière au hasard.
    Ne dis pas « entière »,
    Dis « infime »,
    qui te laisse fuir.
    Infime
    sensation,
    tristesse
    entière
    qui m’appartient.
    Nuit entière.

    Parle.
    Dis « étoile », qui s’éteint.
    Un mot ne réduit pas le silence.
    Dis « pierre »,
    mot incassable.
    Comme ça, simplement
    pour mettre un titre
    à cette balade au bord de mer.




    Kiki Dimoula, Le Peu du monde [Το Λίγο του κόσμου, Ἀθήνα, 1971] in Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2010, pp. 99-100. Traduit du grec par Michel Volkovitch.





    Kiki Dimoula  Le Peu du monde





    KIKI DIMOULA (1931-2020)


    Kiki_dimoula-2
    Source





    ■ Kiki Dimoula
    sur Terres de femmes


    Autoconservation (extrait du Peu du monde)
    Temps allongé (extrait de Mon dernier corps)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de Michel Volkovitch)
    d’autres poèmes de Kiki Dimoula
    → (sur Poetry International)
    dix poèmes de Kiki Dimoula
    → (sur Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet)
    un article de Jacques Ancet (« Tristesse de fond ») sur la poésie de Kiki Dimoula
    → (sur YouTube)
    Kiki Dimoula lisant Φωτογραφία 1948. Pour lire la traduction cliquer ICI
    → (sur le site du Σπουδαστήριο Νέου Ελληνισμού/Center for Neo-Hellenic Studies)
    trois poèmes de Kiki Dimoula (dont Ο πληθυντικός αριθμός) dits par elle-même
    → (sur YouTube)
    Ο πληθυντικός αριθμός, de Kiki Dimoula, dit et interprété par Τάνια Τσανακλίδου. Pour lire la traduction, cliquer ICI
    → (sur books.google.fr)
    Anthologie de Kiki Dimoula, par Eurydice Trichon-Milsani






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  • Nathalie Riera | [Trame blondoyante la prairie des mots]



    [TRAME BLONDOYANTE LA PRAIRIE DES MOTS]




    Trame blondoyante la prairie des mots après l’érosion. Toujours avec le poème faire bain de langue. La ciselure de ce que nous écrivons. Jusqu’à la transparence. La musique de ce que nous écrivons est le bois noir d’une basse de viole. Le bruissage d’un drap. Nous souvenir que c’est août, l’ectasie des syllabes jusqu’à l’étoilement venue la nuit. Nous redire Turin à partir du même canevas.

    L’œil photographique pour rendre grâce. Le corps même de ce que je suis, un détroit d’ombre et de lumière sur la chair franchie, affranchie jusqu’au secret d’une pierre de lune. Ne meurent pas les images, j’entends d’elles encore leur musique, des éclats dedans nos yeux.

    La violette ou la rose ou l’iris se rappeler l’amour un long poème sa terre de bruyère ou corne en forme de lyre ou cachemire son tissu de lumière ou serge de laine ou treillis de mille petites fleurs la Violette ou la Rose ou l’Iris des finesses inattendues.

    L’œil photographique pour rendre grâce. Tous ces visages : de Cardinale à Loren à Antonelli à Vitti à Mangano. Giorno & notte, sempre amore. Nous ne connaîtrons de Turin que la Mole Antonelliana qui s’érige comme un bétyle.

    18/04/2016




    Nathalie Riera, Instantanés des géographies de l’amour… [2014-2016], II, L’Atelier Les Carnets d’Eucharis, Collection « Au pas du Lavoir », 2020, page 18.





    Nathalie Riera  Instantanés




    NATHALIE  RIERA



    Nathalie Riera Gudu
    Image, G.AdC





    ■ Nathalie Riera
    sur Terres de femmes


    [elle a pleuré imploré la main absente] (extrait de Paysages d’été)
    Carnet de campagne II (extrait de Puisque beauté il y a)
    [dévêtue la main] (extrait de Feeling is first)
    Là où fleurs où flèches (extrait de GPU 6 | ground power unit)
    Variations d’herbes (note de lecture d’AP)
    in angulo (extrait de Variations d’herbes)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    page aphone où tout est voix (poème inédit)




    ■ Voir aussi ▼


    Les Carnets d’Eucharis (le site de Nathalie Riera)






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