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  • Marie-Claire Bancquart | [Qu’avez-vous fait]




    Marie-Claire Bancquart Guidu
    Ph., G.AdC






    [QU’AVEZ-VOUS FAIT]





    Qu’avez-vous fait, sinon
    marcher sur terre énergumène.

    Chercher un lieu

    mais le voyage était sans fin.

    Chercher quelqu’un. Mais c’était
    à qui chercherait, sans prendre une autre main.

    Même l’extrémité des branches
    aurait été une patrie.

    Perdus, vous vous en alliez avec la galaxie
    mais vous serrez un mot qui vous est resté,
    entendu par hasard au seuil d’une porte
    comme reçoit une caresse un cheval solitaire.

    Un mot
    devenu
    soleil et lieu.




    Marie-Claire Bancquart, « Dépaysages », Terre énergumène, Le Castor Astral, 2009 ; éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2019, page 313. Préface d’Aude Préta-de Beaufort.






    Bancquart montage Terre énergumène





    MARIE-CLAIRE BANCQUART


    Marie-Claire Bancquart
    Image, G.AdC





    ■ Marie-Claire Bancquart
    sur Terres de femmes


    Intervalle (poème extrait d’Avec la mort, quartier d’orange entre les dents)
    Buis
    Liturgique (poème extrait de Dans le feuilletage de la terre)
    Ressac (autre poème extrait de Dans le feuilletage de la terre)
    [Ces gants anciens] (poème extrait de De l’improbable)
    [Habiter l’herbe et le trèfle] (poème extrait de Figures de la Terre)
    Figures de la Terre (lecture d’AP)
    Impostures (lecture d’AP)
    [Comment vivre dans une maison sans jardin] (poème extrait de Qui vient de loin)
    [Il y a du jeu] (poème extrait de Tracé du vivant)
    [Une ville aimée luit et crie] (autre poème extrait de Tracé du vivant)
    [Toi, l’herbe] (poème extrait de Violente vie)
    Violente vie (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    En Angleterre (poème inédit)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    portrait de Marie-Claire Bancquart (+ un poème issu du recueil La Mort, quartier d’orange entre les dents)




    ■ Voir aussi ▼


    le site personnel de Marie-Claire Bancquart
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Marie-Claire Bancquart, vers une incertitude sereine, par Roselyne Fritel





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  • Roselyne Sibille, Entre les braises

    par Angèle Paoli

    Roselyne Sibille, Entre les braises,
    éditions La Boucherie littéraire,
    Collection « La feuille et le fusil », 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « À LA PÉRIPHÉRIE DE LA MORT »




    Il est des livres que l’on aime à regarder, dont on se plaît à effleurer la texture, à palper le grammage, à longtemps feuilleter avant que de se lancer dans la lecture. C’est le cas des livres édités par Antoine Gallardo pour sa maison d’édition La Boucherie littéraire. Le dernier ouvrage, Entre les braises, qui vient tout juste de me parvenir, appartient à la collection « La feuille et le fusil » dont l’intitulé à lui seul appelle un cheminement poétique singulier, loin donc des sentiers battus. Le noir et le vermiglione (cinabre/vermillon) s’invitent sur l’Ochre soutenu de la première de couverture. Vermillon le titre du recueil Entre les braises | Noir le nom de la poète Roselyne Sibille. Le texte courant alterne sur pages vermiglione et pages ochre du papier de l’illustre papeterie de Vérone que fonda il y a plus d’un siècle Giuseppe Antonio Fedrigoni. C’est osé et c’est incitatif. Cela donne envie de basculer entre les brandons et de s’engager « dans l’épaisseur du poème ». Cela suscite aussi le désir de s’approprier l’ouvrage et de laisser courir son crayon de bois sur les pages laissées vierges par l’éditeur.

    Qu’y a-t-il « entre les braises » de la poète ? L’exergue emprunté à Roberto Juarroz par Roselyne Sibille met d’emblée le lecteur sur la voie d’une expérience extrême dont il n’est pas pensable de revenir : « J’ai atteint mes insécurités définitives ». En effet le poème d’ouverture laisse à penser qu’il en sera ainsi et pour longtemps pour celle qui nous entraîne dans le récit poétique des funérailles de son enfant. La mère, appelée en hâte, découvre le corps de son fils aîné dans le cercueil, cerné par les mélopées des Indiens très nombreux dans l’enceinte du funérarium parisien. Poème de l’adieu à l’enfant trop tôt disparu et ôté violemment à l’amour de sa mère.

    Commence alors la longue descente vers le gouffre. Et sa cohorte d’interrogations. Où trouver les mots pour dire l’indicible ? Pour dire l’insoutenable ? Où qu’elle se tourne, la mère se heurte à l’incompréhensible, à l’effroi que cette incompréhension suscite en elle, qui n’est peut-être qu’une manière de définir le mystère de la mort. La violence de cette mort inattendue, la nouvelle de son invitation dans la vie de la poète conduit Roselyne Sibille à s’interroger. Que faire de l’intruse qui s’est emparée de son fils et qui s’empare de sa propre vie ?

    « Clouée au canapé », incapable de bouger et d’agir, la mère s’exhorte par ses prières et par ses injonctions à tenir la mort en respect. Dépersonnalisée, privée de sa propre voix, la mère s’enjoint, au fil d’un long monologue intériorisé, à poser ses actes qui pourraient être ceux de tout un chacun :

    « On marchera sans les jambes, par habitude, jusqu’à l’évier. On remplira la bouilloire. On écoutera chauffer l’eau. Être seule avec l’eau qui chantonne son travail d’eau qui frémit dans une bouilloire. Seule avec l’eau qui lutte. On ouvrira le placard. On attrapera le bocal. On enlèvera le couvercle de liège… »

    Jusqu’au pensement/pansement final :

    « Mais on marchera vers le salon en portant le plateau, en sachant que l’on sait et que tous les demain sans lui ont commencé. »

    Ainsi, se contraindre à s’accrocher à l’énumération de gestes à accomplir – en automate – semble-t-il être un moyen de ne pas sombrer, de ne pas avoir à penser cette phrase vertigineuse qui tourne en boucle dans la tête : « il est mort » et c’est pour toujours.

    Le temps a passé entre les pages. Trois semaines déjà à vivre comme un petit animal lové sur sa blessure. Le fils a emporté avec lui tout ce qui faisait la beauté du jour, tout ce à quoi tenait l’essentiel de la vie de sa mère ; le ciel et la lumière n’ont soudain plus aucun sens. Face à pareille douleur, face à la brèche qu’a ouverte la mort et où le vide s’est engouffré, la vie est là, méconnaissable. Sans force, sans projet et sans mot. Les mots de la douleur et du déchirement sont pourtant là, eux aussi, qui s’étirent sur les pages vermillon, disjoints par de longs espaces et souffles d’interlignages. Ce souffle, il faut le reprendre. Tenter de retrouver un ordre dans le désordre affectif qui terrasse et qui pétrifie. Le fil conducteur a été rompu : « Je ne sais plus où est la suite ». Comment vivre avec ce terrible aveu ?

    « Ce deuil

    être orpheline de mon enfant ».

    Il arrive un moment où la mère endeuillée parvient à se convaincre qu’il lui faut mettre de la distance entre elle et la mort :

    « Vie et mort

    à parts égales

    de chaque côté de la lumière »

    Se pose alors la question de l’écriture.

    « Pourrai-je encore écrire si je ne pose pas un peu plus loin ce qui prend toute la place, à tel point que tout devient secondaire… ».

    Et comment écrire ? Sous quelle forme mettre en place les mots sur la page ? Sans que se manifeste tout aussitôt comme une évidence l’absurdité d’une telle entreprise :

    « Les larmes collées dans la gorge, je voudrais continuer à écrire, à donner ce qui m’habite, toute cette gravité aussi désormais. Je ne sais pas comment se fera l’alchimie, passer de la panique, du manque, du vide, de la conscience aussi de sa présence impalpable, à l’écriture. Je ne sais même pas si cette alchimie aura lieu. »

    Aveugle est la mère, aveuglée est-elle de chagrin et d’affolement. Pourtant, alors même qu’elle est aux prises avec ses incertitudes, survient l’ouverture :

    « Je reçois

    du ciel

    le mode d’emploi

    en braille ».

    L’alchimie aura-t-elle lieu ? Et si l’alchimie a lieu, l’écriture ne pourra pas être écriture « sur lui ». Elle ne pourra être qu’écriture alentour, écriture « autour » de lui.

    « Autour, à la périphérie de ta mort. »

    À la périphérie de la mort, alors même que celle-ci reste difficile à situer et à définir, et donc à cerner, ce qui continue de rayonner à l’infini, c’est le sourire du fils tant aimé. Et ses yeux verts :

    « Je porte en moi, et pour toujours ancré, un regard vert.

    De ce vert-lumière que donne le soleil à la transparence des feuilles. »

    Le recueil de Roselyne Sibille, poète et amie, me bouleverse. Son désarroi de mère me touche immensément. La poésie qui porte ce désarroi, tout en profondeur et tout en finesse, ne peut être que salvatrice. Et je ne peux qu’acquiescer et consentir les yeux fermés à sa prière :

    « Laissez-moi le temps de la parole morte

    des mots hannetons à la patte cassée

    Offrez-moi le temps de ne savoir rien

    d’être incluse dans le temps

    Accordez-moi l’expiration des marées basses ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Roselyne Sibille  Entre les braises





    ROSELYNE SIBILLE

    Roselyne Sibille
    Source




    ■ Roselyne Sibille
    sur Terres de femmes


    Entre les braises (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Les Langages infinis (extrait)
    [Pose ton visage dans une brèche] (extrait de Lisières des saisons)
    Lisières des saisons (lecture de Florence Saint-Roch)
    Ombre monde (lecture de Marie Ginet)
    Roselyne Sibille | Liliane-Ève Brendel, Lumière froissée (lecture d’AP)
    Nuit ou montagne (poème extrait de Lumière froissée)
    [L’ombre est une ligne de crête] (poème extrait d’Ombre monde)
    La tendresse me racine (poème extrait du recueil Versants)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le souffle des mondes
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions La Boucherie littéraire)
    la page de l’éditeur sur Entre les braises






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  • Cécile A. Holdban, Toucher terre

    par Angèle Paoli

    Cécile A. Holdban, Toucher terre,
    éditions Arfuyen, Collection « Les Cahiers d’Arfuyen »,
    n° 238, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli





    HOLDBAN Cécile
    « Au commencement était l’O de mon nom »
    Ph. : Yvon Kervinio
    Image, G.AdC







    « C’EST LE VENT QUI NOUS MEUT »



    «  Il y a des pierres dans sa langue, de l’eau et des cailloux. » Il y a aussi des oiseaux, beaucoup d’oiseaux, des fleurs, des étoiles et des papillons, la nature entière, mer et cosmos. Et la terre et les saisons. Il y a de l’aile et de l’eau dans son nom, l’O d’Ophélie, l’O du sommeil et l’O de l’oubli.

    « Au commencement était l’O de mon nom

    une aurore liquide jaillissant de la nuit

    l’ovale encerclé de mon visage

    émergeant de l’eau. »

    L’O qui surgit ici, au détour d’un poème, c’est celui de la poète Cécile A. Holdban. La terre que le regard foule et l’esprit qui la traverse, c’est la terre poétique de son dernier recueil. Toucher terre. Pour accompagner ce titre, la poète a choisi un détail d’un dessin de Nicolas Dieterlé : Pays secret de poésie. Le paysage, de montagne et d’arbres baignés de lumière, est traversé par un cycliste aérien et solitaire courbé sur son vélocipède. À la fois malicieuse et inattendue, l’illustration de la première de couverture fait sourire. Et intrigue. Sans doute parce qu’elle renvoie le lecteur à l’enfance, à la magie qui parfois s’en dégage encore, par le détour de la mémoire, au monde onirique qui la nimbe. Elle renvoie aussi à l’univers propre de la poète et au lien étroit qu’elle revendique avec le poète Nicolas Dieterlé.

    Mais l’enfance de la narratrice-poète est loin désormais. Il ne reste de ce temps que les ritournelles de quelque comptine, d’un air ancien, le souvenir d’une « robe bleue pendue à un cintre ». Elle est ce qui « demeure » dans la mémoire d’un passé heureux et que l’eau tremblée du miroir ne peut ramener à la surface. La vie depuis longtemps a changé de sens, changé d’espace. Partout autour de soi des murs se sont dressés. La nuit est devenue « une soupe épaisse tournant autour du gouffre ». Nul ne sait d’où vient le mal. Le fait est qu’il est à l’œuvre. La mort engendre la mort. Et les « corps sont des corps vides qui demeurent et nourrissent une terre lourde de ses ombres ». Le passé semblait pourtant devoir durer toujours, ayant précieusement gardé secrètes ses promesses de bonheur.

    « Nous avions des mains fraîches au logis

    des mains pleines de mémoire

    des mains pleines de saisons.

    C’est un mal qui nous rend invisible. »

    S’ouvre ainsi le recueil Toucher terre, sur un monde dévasté. La présence quasi contiguë d’un poème de Paul Celan (extrait de Grille de parole), fournit la clé de l’alphabet muet auquel poète et lecteur se trouvent confrontés :

    « Est venu, venu.

    Est venu un mot, est venu,

    est venu par la nuit,

    voulait luire, voulait luire. »

    Les liens de Cécile A. Holdban avec le monde de la poésie sont nombreux. Cécile est une authentique lectrice de poésie. Elle est aussi une traductrice. Un aspect de son travail qui n’est pas négligeable. Certains poèmes qu’elle a traduits — hongrois et américains — avoisinent ici ses propres poèmes. Ainsi établit-elle des parentés explicites avec les poètes qu’elle côtoie, qu’elle fréquente et qu’elle aime. Howard McCord, Linda Pastan, Janos Pilinszky, Sándor Weöers dont elle s’inspire pour créer, en écho au sien, son propre poème « Xénie ». D’autres poètes surgissent sous sa plume. Alejandra Pizarnik, Edgar Poe, dont les vers apparaissent en italiques. Des emprunts, qui appartiennent désormais à chacun d’entre nous, se glissent parfois à l’improviste dans le poème. Ainsi ces quatre vers parmi lesquels le lecteur reconnaît le titre d’un ouvrage de Christian Bobin :

    « pourtant nous durons

    dans cette obstination à chercher

    l’étincelle, la part

    manquante. »

    D’autres fois, certains vers en italiques ne sont pas identifiables. Sans doute s’agit-il de traductions inédites à partir de comptines hongroises ou de poèmes puisés à la source originelle de la poète : la Hongrie.

    « Le sud n’est rien, elle est fille de l’est, des Pâques et des septentrions.

    Les oiseaux de ses mains rappellent la clarté et le froid de l’enfance. »

    écrit la poète dans « Le figuier » (in « Voix »).

    Quant à l’épigraphe qui ouvre la section « Labyrinthe », il est emprunté au poète et ami Jean-Pierre Chambon. Le lecteur en retrouve un écho dans le poème À travers (in IV, « Toucher terre »)  :

    « on frotte ses paumes contre le miroitement des glaces

    en espérant les traverser ».

    La présence d’Arthur Rimbaud se révèle essentielle. Suivant le chemin de son aîné, Cécile A. Holdban se veut voyante. Dans un monde labyrinthique devenu illisible, un monde hérissé de murs, où la mort l’emporte sur le vivant, il y a grande nécessité à ouvrir les yeux et à percer les ombres :

    « on doit tenir droit

    les mots nous guident. Il faut y planter les ongles

    si on ne voit pas au-delà

    des yeux. » (in L’alphabet, I, « Labyrinthe »)

    Plus loin, dans le poème intitulé L’O, la poète, Ophélie rimbaldienne, écrit :

    « Diapason : dans le ciel un vaisseau

    soulève, précis, la paupière du monde

    dans sa mue, devenus voyants

    nous observons en silence

    déchiffrons les strates du visible

    nos doigts tremblent

    devinant les traces à demi effacées

    de la blessure d’eau. »

    Enfin survient le titre — C’est la mer allée avec le soleil —, en écho à Rimbaud et à son poème « L’Éternité » (in « Demeure », II).

    Se faire voyant est nécessité, car la fêlure est profonde qui brise l’équilibre originel, et la folie guette. Mais se faire voyant n’est pas simple. Voir clair dans l’opacité qui englobe le monde est chose malaisée, car « illusion et vérité sont structure et moelle d’un même paysage. ». Aux augures de jadis, la poète oppose sa lucidité et s’adresse cette injonction :

    « Sois l’espace entier, la fenêtre où voir est sans limite. »

    Et d’ajouter ce vers :

    « L’horizon : on le mesure à ce qui tremble

    Par-delà les lignes possibles. Le temple est transparent. » (in Templum, « Voix », III)

    Parfois un simple geste suffit, qui joue comme une respiration :

    « Les yeux clairs

    elle se lève pour regarder le temps

    frapper à la fenêtre »

    Ce geste simple, le lecteur le retrouve dans le très beau poème final, ce « Toucher terre » qui donne son titre au recueil :

    « Toucher terre lentement, à l’abri des sous-bois,

    des cyclamens mauves, des lianes de ronces

    les flammes des bruants voletant

    entre l’ombre des haies

    simplement toucher terre ».

    Poème après poème, la poète s’exerce à redonner vie au langage. Il y a en elle quelque chose de Déméter :

    « je te sème de mes doigts d’équinoxe.

    Je te disperse ».

    Il faut, selon la poète, délivrer les mots des gangues qui les enserrent ; il faut se désencombrer ; ouvrir grand l’espace mémoriel ; accepter de désenclaver la langue. Jusqu’à « divaguer la mer et l’inverser ». C’est le conseil que la poète adresse au prophète Jonas. Pourtant, même si le regard s’exerce à considérer l’envers du monde, le labyrinthe ne cède pas. Qui brouille jusqu’au silence. La poète persiste malgré tout à penser et à croire que « quelque chose résiste encore », que demeurent les choses simples :

    « Rondeur du fruit

    lustre d’une feuille

    volupté de l’espace

    le ruissellement de l’eau et le vent dans les branches

    qui les délivrent. »

    Mais qui est donc la poète Cécile A. Holdban ? Au détour d’un quatrain apparaît une très belle définition ; une définition qui se décline en exact contrepoint à Jonas :

    « berger sans bâton ni carte

    je marche en moi-même

    pour puiser ce qui me constitue

    sans l’aide du miroir ».

    Elle est aussi ce vaisseau clair qui ouvre devant lui/devant elle des espaces infinis. Invisibles et insaisissables. Des espaces de beauté pure. Comme le sont ces trois vers. Magnifiques :

    « Ce ne sont pas les pierres

    Ni les os qui demeurent,

    C’est le vent qui nous meut. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Holdban Toucher terre






    CÉCILE A. HOLDBAN


    Cecile A. Holdban




    ■ Cécile A. Holdban
    sur Terres de femmes

    Îles (poème extrait du recueil Toucher terre)
    À la fenêtre (poème extrait du recueil Ciel passager)
    Ciel passager (présentation publique de Thierry Gillybœuf)
    Hiéroglyphes (poèmes extraits du recueil L’Été)
    [Il n’est pas d’autre lieu que celui de l’absent] (poème extrait de La Route de sel)
    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Emmanuel Merle)
    [Suspendre ma voix] (poème extrait du recueil Un nid dans les ronces)
    Xénie
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Je ne tuerai point]



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Nouveau Recueil) une lecture de Toucher terre par Jean-Marc Sourdillon
    → (sur Recours au Poème) une lecture de Toucher terre par Pierre Tanguy
    → (sur le site de la mél [maison des écrivains et de la littérature]) une notice bio-bibliographique sur Cécile A. Holdban





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  • Isabelle Garron | [On est toujours là]




    [ON EST TOUJOURS LÀ]



    On est toujours là.

    Les marcheurs, des chiens, des joggeurs font bouger l’immobilité de la dune.
    Seule une haie de pieux en bois la sépare de la ligne parfaite du ciel.
    On dirait une arête de poisson      échouée depuis des siècles
    enfin     pas exactement mais un peu.
    Elle ramasse un os de seiche.

    Rouler avec la rumeur des vagues de l’autre côté de la dune est possible.

    Et mêler la rumeur au crissement des cailloux sous les roues du vélo
    sur le parcours de santé,      c’est écrire : le réel
    une bande littorale ou zip inversé
    du réel sans autre appui
    que la lande

    qui va et vient sous les apparitions du soleil.

    Il est     des réels où traîner, où rouler loin     des vieilles
    dames avec leur cabas     avec leurs histoires
    d’édredon     de chimères d’océan     loin
    de la mémoire de leurs marins
    et tout     et tout


    Et tout ; et rien.




    […]



    Isabelle Garron, « Le vent » in Bras vif, Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2018, pp. 54-55.






    Isabelle Garron





    ISABELLE GARRON


    Isabelle Garron





    ■ Isabelle Garron
    sur Terres de femmes

    Ce schiste sur les hauteurs, 4
    Suite 4 (extrait de Corps fut)
    ]. la position du soleil (extrait de Qu’il faille + une notice bio-bibliographique)





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  • Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit

    par Marie-Hélène Prouteau

    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit,
    éditions la Boucherie littéraire, Collection Sur le billot, 2018.
    Prix CoPo 2019.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau




    BLASON D’AMOUR



    Il y a des livres de cinquante pages qui, en peu de mots, ouvrent tout un monde. Où vont les robes la nuit est de ceux-là. Le livre se présente comme un poème en prose transparent et fluide. Il prend la forme d’une lettre écrite à la femme aimée, datée d’un 14 février, une nuit de la Saint-Valentin.

    Ce qui reste de cette femme ? Sa petite robe noire dans l’armoire de la maison. À lire les premières pages, il y a une hésitation, un doute discrètement entretenus sur cette femme qui n’est plus là. Est-elle partie ? Quelques signes pourraient le laisser penser. L’état d’esprit du poète pris d’une fatigue de vivre chaque printemps. L’évocation de la maison du couple rappelant la première « rencontre » avec la femme aimée. La présence de sa petite robe de soie si sensuellement vivante :

    « Mon souffle a défait une à une les boucles de tes cheveux. J’ai savouré tous mes manques dans le creux de ta nuque et j’ai senti ton sourire ouvrir ta joie de l’autre côté. »

    Le mot « mourir », imprononçable, ne peut qu’être différé à la trentième page du livre. Cette Lettera amorosa, Dominique Sampiero l’adresse à une morte.

    Mais dans la chambre vide, l’aimée n’est pas morte puisque le poète lui écrit :

    « Mon recueillement sera une conversation avec toi ».

    À chaque page se joue une bouleversante célébration. Cette écriture du tressaillement entre absence et présence livre un entrelacs d’émotions auxquelles on ne s’attend pas. « Chagrin » et « joie ». « Tendresse » et « fatigue sans fond », « Mourir » et « jouir ». Un chemin inattendu s’ouvre. Un souffle. Une danse. Car le livre n’est pas voué au malheur et au deuil.

    Il est empli de l’évidence d’une mystérieuse incarnation. Tant est forte « l’apparition » de l’aimée que le poète amoureux arrache à la nuit et à la disparition. Un corps de femme désirable, suggéré dans sa féminité sensuelle : « au bas de ton ventre », « Fleur de ton dos/syncope dévêtue de ta chair ». Le poète nomme sans fausse pudeur tous les gestes de l’amour, la caresse, le front qu’on pose sur l’autre, le baiser, la robe serrée contre soi, l’étreinte physique des corps. « J’ai fait l’amour à ton parfum ».

    Dans la lignée de la poésie d’amour du douzième siècle, c’est un blason du corps féminin qui s’écrit ici. Et Dominique Sampiero s’en fait l’ardent troubadour.

    Au fil de la coulée poétique du texte virevolte la petite robe noire, métonymie vive de la femme aimée. Objet d’élection et de fascination. Elle est le talisman qui, in absentia, permet au poète de renouer avec la disparue. Il nous semble la voir, cette robe de soie noire. Et, par là même, celle qu’elle habillait : le poète réussit le tour de finesse de mettre en scène ce qu’il appelle leurs « retrouvailles ». Manière de consacrer, de ritualiser ce lien à l’absente, par cette lettre, par le choix de cette fête symbolique.

    Un bonheur dans la grande lumière crue des corps épris, en cette nuit des amoureux. Écrire a ce pouvoir de ramener à la vie dans ce qu’elle a de plus intense.

    L’intime, le chagrin, le manque se disent sans pathos, avec une grande simplicité de moyens. C’est toute l’élégance de ce texte. L’émotion est là, mais déplacée. Exprimée indirectement dans les projections mentales de celui qui écrit. Telles « le corps froid de ma solitude dans le lit ». Ou le superbe final qui clôt le recueil sur ce cri : « l’âme des femmes / endormie dans le cri de l’herbe ».

    La mort, ces retrouvailles avec l’aimée ne l’effacent pas. Par moments, elle se loge dans le sujet poétique avec une fulgurante brutalité :

    « Ta lumière est restée debout dans mes yeux. Et c’est comme si je te voyais pour la première fois. Ta beauté s’est couchée sur moi pour réchauffer mon corps. J’ai su que j’étais mort depuis longtemps ».

    Mais le trajet d’un chagrin a eu lieu :

    « Je me suis épuisé à penser à toi, à te parler jusqu’à m’apaiser ».

    La merveille dans ce recueil, c’est la petite robe noire, son glissement soyeux d’entre les pages. Elle finit par devenir personnage du récit sans que l’on s’en étonne. Elle nous fait entrer de plain-pied dans un monde à la Lewis Carroll. Où les objets parlent, la chaise vide de la cuisine, la petite robe. Le « nuage animal » et l’herbe qui crie complètent le tableau. La petite robe noire s’est effondrée au sol. Signe que l’apparition a eu lieu. Ne reste plus que « ta nudité restée dans la maison ». Aussi surréaliste que le sourire sans le chat d’Alice au pays des merveilles.

    Tout est possible dans la veille irréelle de cette nuit. La chambre mentale de Dominique Sampiero se nimbe de l’esprit d’enfance. Avec ses peurs, avec ses formules conjuratoires :

    « C’est éprouvant de jouer à croire que tu es morte ».

    Avec ses rituels, ainsi l’enterrement de la petite robe, accompagné de ce voeu :

    « Si tu laisses la robe

    dans le lit d’herbe de ton jardin

    elle va germer

    et les contours du paysage

    lui dessineront

    des seins

    des hanches ».

    Devant des images telles que « blotti comme un enfant au ventre des mères », comment ne pas associer les circonstances et penser aux émotions premières et lointaines de l’enfance ?

    L’interrogation apparemment légère du titre est reprise dans les tout derniers vers du recueil. Magnifiquement dédoublée en une variation sur ce qui touche à la condition humaine :

    « Où vont les robes la nuit […]

    Où va l’âme des femmes ».

    Quelque chose de l’insondable s’invente là. Comme si résistait une sorte de butée du sens. Dans ce subtil glissement de la petite robe singulière au pluriel, le poète embrasse l’universel. Des éléments simples, non situés, comme la maison du couple, la chambre, le lit, le jardin nous parlent de nous. C’est simple, terriblement simple. L’écriture a cette façon de poser ce qui est immanquablement le lot de tous. Le questionnement sur l’après, l’impossible savoir.

    Voici les fragments d’un discours lumineux et tout un monde se déploie. Le regard que Dominique Sampiero pose sur les êtres fait de ce livre un chant, sensuel et charnel. À la visiteuse du soir en robe noire à qui il fait sa déclaration. Un chant à la vie chaude, reconquise sur le vide.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes








    Dominique Sampiero  Où vont les robes la nuit




    DOMINIQUE SAMPIERO


    Dominique Sampiero
    Source




    ■ Dominique Sampiero
    sur Terres de femmes

    [Certains livres se souviennent] (extrait du Maître de la poussière sur ma bouche)
    Chante-perce (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Nos lèvres et leurs baisers (extrait de La vie est chaude)




    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes

    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même





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  • Michel Butor, Jeux de dames (extraits)




    JEUX DE DAMES
    (extraits)






    4

    Mouvement de sortie des vagues
    la déesse naît de l’écume
    roulant doucement sur le sable
    avant d’envahir les rochers
    et s’exposer au grand Soleil
    ruisselante de sel et d’iode
    avant de replonger dans l’onde
    à la rencontre des tritons



    […]



    11

    Tu es si jeune tu ne sais
    que je ne veux que ton approche
    sentir tes lèvres sur les miennes
    ta poitrine écrasant mes seins
    mes mains sauront bien te guider
    après cela viendra tout seul
    et quand tu te reposeras
    je boirai ta respiration



    […]



    18

    Un peu de repos entre deux
    journées de recherche et d’affaires
    on a quitté tous ses colliers
    ses bagues et boucles d’oreilles
    quant aux joyaux intellectuels
    il suffit d’un peu de silence
    pour qu’ils fleurissent dans la nuit
    sensibles par leur seul parfum




    Michel Butor, Jeux de dames, Æncrages & Co, Collection Écri(peind)re, 2018, s.f. Lavis de Colette Deblé. Postface de Bernard Noël.






    Michel Butor  Jeux de damesMICHEL BUTOR


    Michelbutor Marc Monticelle
    Ph. © Marc Monticelli
    Source




    ■ Michel Butor
    sur Terres de femmes

    À fleur de peau
    Et omnia vanitas
    Ferments d’agitation
    Géographie parallèle, XV et XVI
    Mallarmé | Pli selon pli (extrait de Répertoire II de Michel Butor)
    Vergers d’enfance
    20 mai | Michel Butor, L’Emploi du temps
    15 septembre | Michel Butor, L’Emploi du temps



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Jeux de dames de Michel Butor





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  • Élisabeth Chabuel | Je



    JE
    (extrait)




    Une main
    sur la poignée du portail


    Vert






    Cela est
    On est

    C’est tout



    Je dis ON
    Cela est On est
    Je suis ON
    Difficile de dire JE

    Dire

    Plutôt que j’existe

    On existe

    Car en un autre temps

    Un autre a existé
    Et puis un autre Et un autre Et un autre

    Il Existe ON

    Pour qu’existe

    JE



    Le portail
    grince

    Pour s’ouvrir




    […]



    Élisabeth Chabuel, « Je » (extrait) in Le Veilleur, Créaphis Éditions, Collection Format Passeport, 2018, pp. 7-8-9.






    Chabuel  Le Veilleur






    ÉLISABETH CHABUEL


    Chabuel-526x640.jpg 2





    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Veilleur (lecture d’AP)
    Et ils sont (extrait)
    Intime violence
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Le Moment




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  • Cécile A. Holdban | Îles



    ÎLES



    Ses yeux sont plus vieux que son corps.
    Elle les cache, les plonge dans les profondeurs, alors l’enfance demeure
    seule sur les îles.

    Les îles ont des yeux. Elle le sait, les abrite dans son nom.
    Elles ont des yeux sous l’eau, immergés dans le sel, qui a coulé
    dans les rivières et la dissolution des roches venues jusqu’à la mer.

    Les îles ont des yeux, elle a nagé longtemps dans les eaux de leur ventre
    Sirène muette, échouée au rivage du souffle elle a ouvert ses paupières,
    grand sa bouche et recraché l’eau.

    Les îles se touchent entre elles par le faisceau des yeux
    dans la lucidité des fonds elles forment des archipels,
    des volcans sous-marins
    dorment, respirent et s’aiment parmi les tellines et les praires
    elles se meuvent sans mouvement
    elles ne connaissent ni l’âge ni la mort ni le temps.

    Elles effacent dans leurs yeux
    les lettres claires de son nom.




    Cécile A. Holdban, « II Demeure » in Toucher terre, Éditions Arfuyen, Collection « Les Cahiers d’Arfuyen » n° 238, 2018, pp. 42-43.






    Holdban Toucher terre






    CÉCILE A. HOLDBAN


    Cecile A. Holdban




    ■ Cécile A. Holdban
    sur Terres de femmes

    Toucher terre (lecture d’AP)
    À la fenêtre (poème extrait du recueil Ciel passager)
    Ciel passager (présentation publique de Thierry Gillybœuf)
    Hiéroglyphes (poèmes extraits du recueil L’Été)
    [Il n’est pas d’autre lieu que celui de l’absent] (poème extrait de La Route de sel)
    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Poèmes d’après suivi de La Route de sel (lecture d’Emmanuel Merle)
    [Suspendre ma voix] (poème extrait du recueil Un nid dans les ronces)
    Xénie
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Je ne tuerai point]





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  • Frédéric Tison | [Eaux grèges]




    GREGE
    Ph., G.AdC







    [EAUX GRÈGES]



    EAUX GRÈGES, baves, lumières sales
    Où tu t’en vas. Silhouette grave,
    Tu sais les amitiés de sable, tu sais
    Les buées — Tu sais les portes tristes,
    La ville cybernétique, les rues
    De glace et les vitrines où pâles
    Les silhouettes sont fables ;
    Et tes mains sont des îles,
    Nefs tes sueurs rouges et tes traces :
    Tu es sous les masques, tu es
    Le passant à l’écume de zinc et de miroir.




    Frédéric Tison, « Cinquième heure, Sexte, » III, in Aphélie suivi de Noctifer (2015-2017), Collection Les Hommes sans Épaules, Librairie-Galerie Racine, 2018, page 53.






    Tison 2018





    FRÉDÉRIC TISON


    FTison





    ■ Frédéric Tison
    sur Terres de femmes

    Le Dieu des portes (lecture d’AP)
    [Est-ce là moi cette tête détachée… ?] (extrait du Dieu des portes)



    ■ Voir aussi ▼

    le blog de Frédéric Tison
    → (sur Les Hommes sans Épaules)
    une notice bio-bibliographique sur Frédéric Tison (+ un entretien de Jean de Rancé avec Frédéric Tison)





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  • Christiane Veschambre, ‘Écrire’ Un caractère

    par Angèle Paoli

    Christiane Veschambre, ‘Écrire’ Un caractère,
    éditions Isabelle Sauvage, collection singuliers pluriel, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli


    «ÉCRIRE NOUS TRAVAILLE »




    Qui est « Écrire » ? Qui et non pas Qu’est-ce qu’« Écrire »… « Écrire » est bien le personnage qui occupe le terrain de l’écriture. La totalité du terrain. Jusque dans les recoins les plus personnels, les recoins les plus familiers de l’auteure chez qui « Écrire » a élu domicile. Plus encore qu’un personnage, « Écrire » est Un caractère. C’est ainsi que Christiane Veschambre définit celui qui s’est imposé à elle, prenant ses aises pour l’habiter, elle, tout entière investie par lui, de fond en comble. « Écrire » est donc une entité particulière, endogène, qui vit sa vie propre à l’intérieur de celle sur qui ce caractère a jeté son dévolu sans lui demander son avis. « Écrire » est libre et n’en fait qu’à sa tête. C’est un fichu caractère. Il s’invite quand il veut comme bon lui semble. « Écrire » a ses fantaisies, ses humeurs, ses appétences. « Écrire aime le cinéma » / « Écrire n’aime pas qu’on en parle » / « Écrire aime le chemin des Brûlards. » « Écrire n’est pas une mignonne créature ». « Il est sans pitié ». « Écrire » est exclusif. Il ne transige pas. Il pousse son hôte jusque dans ses derniers retranchements et ses ultimes contradictions. Jusque dans « la solitude par laquelle il nous met en (sa) demeure. » C’est ce que la poète découvre au fur que se profile son compagnonnage avec « Écrire », cet hôte étrange qui la travaille de l’intérieur.

    De ce compagnonnage exigeant, Christiane Veschambre fait un livre. Un livre unique en son genre. Car Écrire n’est ni un essai ni une biographie, ni un traité ad usum Delphini (à l’usage d’écrivains en herbe). Écrire Un caractère se défausse. Écrire échappe. Rejette toute définition.

    « Écrire n’a pas de biographie.

    Il n’a pas de dates de naissance et de mort : n’arrête

    pas de naître et disparaître. »

    Écrire est bien au-delà de tout classement, de toute étiquette. C’est sa grande force en même temps que son originalité : « il » est écrit de l’intérieur de celle qu’il occupe. Toujours en ébullition, jamais définitivement achevé.

    Chaque nouveau texte (les plus longs d’entre eux occupent deux pages) est introduit par une phrase qui met en scène la nouvelle lubie d’« Écrire » :

    « Écrire parfois fait le mort » / « Écrire aime marcher » / « Écrire n’apprend rien »…

    La première entrée en texte donne le ton. Et, plus encore que le ton, l’esprit, l’état d’esprit qui gouverne cet injonctif qu’est « Écrire » :

    « Écrire ne veut pas travailler.

    Écrire nous travaille ».

    Ou encore, un peu plus loin : « Comment Écrire revient — ce n’est pas nous qui revenons. »

    Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Qu’il s’agit de dire. Dire comment « Écrire » se faufile à travers failles et mailles, et dire comment cet « Écrire » prend ses aises, dans l’intime corps-à-corps avec celle qu’il habite. Et comment il la tenaille jusqu’à ce que cèdent les résistances. Autant dire qu’il est actif cet « Écrire ». « Il sécrète son monde, qui n’existe pas avant… »

    Même s’il est formulé au masculin, « Écrire » n’a pas de genre. Un humain, « Écrire » ? Pas vraiment. Même s’il présente tous les traits de caractère d’un humain, il ne faut pas se leurrer :

    « Écrire n’est pas un humain, il s’invite chez des humains et des humains, sous des formes qui parfois (souvent) leur sont étrangères (celles de leur disposition subjective infiniment secrète). Ainsi Lucy Muir écrit-elle en capitaine Gregg, Gustave Flaubert en saint Antoine, Franz Kafka et Clarice Lispector en cloporte, Stéphane Mallarmé en ours, Arthur Rimbaud en autre, et Emily Dickinson en Emily Dickinson (étrangère qui écrit en étrangère). »

    Plutôt qu’un humain, « Écrire » est un « organisme vivant » qui se joue des vivants qu’il choisit d’habiter ; il se moque bien de leurs règles, de leurs usages, de leurs manies de vouloir que la chose écrite entre dans telle case ou dans telle définition. « Écrire » s’impose. Il fait la loi. En être autonome, indépendant. Un brin contestataire. Un tantinet anarchiste aussi.

    Avec le temps et avec la fréquentation assidue, plus ou moins opportune, plus ou moins agréable d’« Écrire », s’établit non pas un dialogue mais une relation fondée sur l’observation. À le fréquenter de près cet « Écrire », « on » finit par le connaître, voire le comprendre. Car sa présence insistante et ses agissements, parfois inattendus, conduisent à la connaissance de soi. Du soi écrivant. Un soi qui remet en question son « je » singulier. Le partenaire pronominal idéal de « il » sur la page, est le « on ». L’impersonnel :

    « Écrire cherche à me traverser d’une puissance — « la puissance d’un impersonnel qui n’est nullement une généralité, mais une singularité au plus haut point », comme l’écrit Gilles Deleuze. Aussi, moi délogé (il est là, à côté), je peux dire on… ».

    Parfois, au détour d’un texte, « je » sort de sa coquille et s’invite, qui relate une expérience particulière :

    « J’avais proposé d’écrire un poème de choses qu’on sait, un poème de choses qu’on ne sait pas… ».

    Mais le « je » qui se dit là s’est momentanément départi d’« Écrire ». « Écrire » s’est éclipsé, qui est absent de ce texte, lequel est introduit par « LES ENFANTS ». « Les enfants avaient écouté la lecture du dialogue entre Ernesto et sa mère » (in Les Enfants, Marguerite Duras). Le « maître d’apprentissage » qu’est « Écrire » a changé de forme, de travail. Il a quitté le corps de la poète qui se fait passeuse en écriture auprès d’enfants, dans un atelier d’écriture. La relation est autre, qui relie l’adulte à l’enfant ou inversement. Pendant ce temps-là, « Écrire » se tient coi.

    Dans le travail d’observation qui se joue de la distanciation instaurée par « Écrire », on énonce tout ce qu’« Écrire » impose de contraintes, impose de doutes, de combinaisons, de compromis avec soi ou contre soi. Tout ce qu’« Écrire » induit suscite révèle. Zones de petits arrangements avec soi et zones d’ombres. On connaît bien tous les atermoiements et tergiversations qu’on s’invente pour repousser le moment de se mettre au travail dans un tête-à-tête avec « Écrire ». Mais on finit par débusquer « Écrire » ; et l’on se moque de lui à son tour. On a appris. Il est désormais possible de déjouer les entreprises d’« Écrire » et de lui lancer des clins d’œil moqueurs, à l’image de ce dernier :

    (« Écrire est moqueur. Se moque des livres écrits avec un moi confortablement logé, bien meublé, accueillant et séduisant, ayant à sa disposition toutes sortes de ressources, culture, habileté, expérience technique, idées, musicalité, ou tout autre capable de composer un livre à son tour bien logeable. Si Écrire passe devant, il regarde son costume et rit. »)

    C’est un portrait d’« Écrire » plein d’humour, vivifiant et « incarné », que propose Christiane Veschambre dans cet ouvrage. Une réussite. Un vrai bonheur.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Christiane Veschambre  Ecrire Un caractère






    CHRISTIANE VESCHAMBRE


    Christiane Veschambre 2
    Ph. Olivier Roller
    Source





    ■ Christiane Veschambre
    sur Terres de femmes


    dit la femme dit l’enfant (lecture d’AP)
    [Nous sommes à l’intérieur du temps] (extrait de dit la femme dit l’enfant)
    [Écrire n’a pas d’objet] (extrait d’’Écrire’ Un caractère)
    Basse langue (lecture d’AP)
    Une Hôtesse minuscule (extrait de Basse langue)
    [Cela s’est passé lundi] (extrait d’Ils dorment)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Christiane Veschambre
    → (sur En attendant Nadeau)
    un entretien avec Christiane Veschambre, par Gérard Noiret
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur ‘Écrire’ Un caractère





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