Étiquette : Collection


  • Pierre Dhainaut | [Sortir sous l’averse]




    [SORTIR SOUS L’AVERSE]




    Sortir sous l’averse, sous la brise, une voix
    nous l’ordonne, la plus intime, la matinale :
    « avril », les yeux ont encore à prouver
    ce qu’affirment les lèvres. Honte à qui parle
    avec prudence et ne progresse pas de tout son être !
    Le mot allègre, notre unique repère
    au long des routes, nous ne suivrons aucune route,
    les fleurs du forsythia viennent d’éclore.
    Elles raniment pleinement le désir de beauté,
    de l’admiration sans orgueil,
    nous n’y consentirons qu’en allongeant le pas,
    en associant notre haleine, leur lumière,
    lorsque du jaune au vert s’épanouissent
    l’instant initial, la durée ardente.




    Pierre Dhainaut, « Trois poèmes offerts », in « Vents et lumières », Et même le versant nord, éditions Arfuyen, volume 236 de la collection Les Cahiers d’Arfuyen, 2018, page 44.



    __________________________________________
    NOTE d’AP : Et même le versant nord est disponible en librairie le jeudi 3 mai 2018.






    Pierre Dhainaut  Et même le versant nord






    PIERRE DHAINAUT


    Pierre dhainaut profil 3




    ■ Pierre Dhainaut
    sur Terres de femmes

    Voir de face (poème extrait d’Après)
    Ici (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Que respirent avant tout les mots] (poème extrait d’Ici)
    [Ce qu’est devenue la couleur] (poème extrait de Progrès d’une éclaircie)
    [Dès le seuil remercie] (poème extrait de Voix entre voix)
    Horizons, fontanelles… (poème extrait de Vocation de l’esquisse)
    [Nous étions seuls, de trop, dans nos miroirs] (poème extrait de De jour comme de nuit)
    [Ne nous en prenons pas à l’invisible] (poème extrait d’État présent du peut-être)
    [Orage, tempête, séisme] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Pour voix et flûte (lecture de Sabine Dewulf)
    D’abord et toujours, 4 (poème extrait de Pour voix et flûte)
    [Où que tu ailles] (poème extrait de Rudiments de lumière)
    Passerelles
    Printemps dédié (poème extrait de L’Autre Nom du vent)
    Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Soudain la tête se redresse] (poème extrait de La Nuit, la nuit entière)
    Rituel d’adoration (poème extrait de Transferts de souffles)
    Vocation de l’esquisse (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Voix entre voix (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino, Paysage de genèse, 10
    Pierre Dhainaut | Caroline François-Rubino | [Laissons les mots sourdre d’eux-mêmes] (autre extrait de Paysage de genèse)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque | L’origine de l’écriture | [Si léger… tu cours] (extraits de La Grande Année)
    Pierre Dhainaut | Isabelle Lévesque, La Grande Année (lecture d’AP)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page consacrée à Pierre Dhainaut
    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    la fiche de l’éditeur sur Et même le versant nord de Pierre Dhainaut
    → (sur Eurobabel)
    une page sur Pierre Dhainaut





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  • Christiane Veschambre | [Écrire n’a pas d’objet]




    [ÉCRIRE N’A PAS D’OBJET]




    Écrire n’a pas d’objet.
    À la question : « qu’est-ce que vous écrivez ? », on ne sait pas répondre. On répond n’importe quoi, et on pourrait répondre : « n’importe quoi ». Il n’importe le quoi d’Écrire, qui n’a pas d’objet identifié à saisir pour se compléter : il secrète son monde, qui n’existe pas avant. Écrire n’est pas intransitif mais ce à quoi il permet la traversée n’est pas déjà répertorié. N’est pas un objet — même inédit. C’est un accès de vie, en langue, qui file entre les doigts de qui veut le rapporter — le rapporter aux lieux connus du stockage : thème, genre, sujet, histoire.



    Écrire n’a pas (besoin) de moi.
    Il passe par moi pour me déloger. Pousse-toi de là que je m’y mette.
    Ou peut-être est-ce quand on a déjà fait de la place qu’il se pointe. Par exemple, sous irruption de l’Émotion, ça déménage. Et dans ce tremblement de force majeure, les couches superficielles se fissurent, s’ouvrent des crevasses, ou un puits, un tunnel de taupe (on s’est retrouvé cul par-dessus tête sur la motte soulevée), par où guette Écrire qui n’apparaît qu’avec l’exercice du plus singulier, du rigoureusement subjectif — ceux du sujet, de solitude, qui échappe lorsque j’écris avec moi.



    Écrire cherche à me traverser d’une puissance — « la puissance d’un impersonnel qui n’est nullement une généralité, mais une singularité au plus haut point », comme l’écrit Gilles Deleuze. Aussi, moi délogé (il est là, à côté), je peux dire on. On peut aussi dire je, qui n’est plus la parole de l’individu repérable, il est, par exemple, la voix d’une « disposition subjective infiniment secrète » — c’est encore Gilles Deleuze qui l’écrit.



    (Écrire est moqueur. Se moque des livres écrits avec un moi confortablement logé, bien meublé, accueillant et séduisant, ayant à sa disposition toutes sortes de ressources, culture, habileté, expérience technique, idées, musicalité, ou tout autre capable de composer un livre à son tour bien logeable. Si Écrire passe devant, il regarde son costume et rit.)





    Christiane Veschambre, ‘Écrire’ Un caractère, Éditions Isabelle Sauvage, Collection singuliers pluriel, 2018, pp. 22-23-24.






    Christiane Veschambre  Ecrire Un caractère






    CHRISTIANE VESCHAMBRE


    Christiane Veschambre
    Ph. Pier Paolo Iagulli
    Source





    ■ Christiane Veschambre
    sur Terres de femmes


    ‘Écrire’ Un caractère (lecture d’AP)
    Basse langue (lecture d’AP)
    Une Hôtesse minuscule (extrait de Basse langue)
    dit la femme dit l’enfant (lecture d’AP)
    [Nous sommes à l’intérieur du temps] (extrait de dit la femme dit l’enfant)
    [Cela s’est passé lundi] (extrait d’Ils dorment)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Christiane Veschambre
    → (sur En attendant Nadeau)
    un entretien avec Christiane Veschambre, par Gérard Noiret
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la page de l’éditeur sur Écrire Un caractère





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  • Avril 1947 | Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle

    Éphéméride culturelle à rebours



    [EN AVRIL 1947]



    En avril 1947, on a quitté nos quartiers d’hiver. On n’avait pas de but précis. On s’est simplement mis en route et on faisait pour le mieux. À partir de maintenant, les routes de campagne, les champs et les bois étaient notre maison.

    Les hommes savaient toujours où il y aurait le prochain marché aux bestiaux où ils pourraient vendre ou échanger leurs chevaux. Dans les années après la guerre, il n’y avait pas encore de tracteurs et les gens de la campagne étaient contents de pouvoir échanger ou acheter un bon cheval de trait bien costaud.

    Pendant que l’homme s’occupait des affaires, la famille attendait à la lisière d’un bois où il y avait aussi un ruisseau. Les femmes profitaient de cette journée. Elles cuisinaient, nettoyaient leurs roulottes et les préparaient tranquillement pour la suite du voyage. Si le soleil le permettait, on faisait la lessive, et les beaux duvets colorés prenaient l’air ; et s’il ne faisait pas trop froid, on lavait aussi les enfants.

    L’hiver suivant on l’a passé, Maman, son compagnon et moi, à Fischamend, en Basse Autriche, près de Vienne. Dans une grande auberge, le mari de Maman nous avait trouvé deux chambres avec une cuisine. L’appartement situé dans l’arrière-cour était très confortablement meublé, et en plus, clair. Les chevaux étaient logés dans les écuries où il y avait aussi ceux du propriétaire de l’auberge. Ils y étaient au chaud. Maman et moi, on a nettoyé notre appartement et on s’est senties chez nous.

    C’est dans cette chambre de plain-pied que j’ai trouvé un petit livre vert. C’était un roman champêtre écrit assez simplement, sur la couverture une jeune fille avec de longues tresses souriait. Il y était question du propriétaire d’un domaine et de la jeune servante. Au début c’était très difficile pour moi de le lire. Si je lisais doucement en silence, je pouvais comprendre le sens. Mais si je lisais à haute voix, je bégayais et n’y comprenais pas un mot moi-même. J’ai donc renoncé à la lecture à haute voix et me suis contentée de savoir lire tout court. A chaque minute de libre, je sortais le petit livre de ma cachette. J’aimais plus que tout lire quand j’étais seule et quand personne ne m’observait. C’était merveilleux. Je remarquais que je saisissais de mieux en mieux le sens et le contenu.

    Dans la petite chambre à un lit avec un fauteuil branlant, je laissais libre cours à mes pensées. Tout en regardant le très vieux poêle placé dans un coin de ma chambre, tant de souvenirs me traversaient la tête. Au milieu du tuyau, un anneau manquait et le soir, la lueur du feu éclairait le plafond de ma chambre. Des fois je pensais que je ne faisais que rêver tout ça. Je ne pouvais pas mettre le passé de côté comme mon livre, toujours il me rattrapait. Entre les pensées et la réalité, je me perdais pas mal. Alors je me levais et je touchais tous les objets. Je décrochais du mur la petite nature morte et je la frottais jusqu’à ce qu’elle brille.



    Ceija Stojka, Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle, suivi de deux entretiens et un essai par Karin Berger, Éditions Isabelle Sauvage, Collection chaos, 2018, pp. 84-85. Traduit de l’allemand (Autriche) par Sabine Macher.






    Ceija Stojka  Nous vivons cachés 2






    CEIJA STOJKA


    Ceija Stojka 3
    Source




    ■ Ceija Stojka
    sur Terres de femmes

    15 avril 1945 | Libération du camp de Bergen-Belsen (lecture de Je rêve que je vis ? de Ceija Stojka)




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    une notice bio-bibliographique sur Ceija Stojka
    → (sur le site des éditions Isabelle Sauvage)
    la fiche de l’éditeur sur Nous vivons cachés, Récits d’une Romni à travers le siècle de Ceija Stojka
    → (sur En attendant Nadeau)
    Le manteau de Ceija Stojka, par Gabrielle Napoli
    → (sur remue.net)
    Nous vivons cachés, de Ceija Stojka
    → (sur Mediapart)
    «Nous vivons cachés», récits d’une Romni à travers le siècle: Ceija Stojka, par Jean-Claude Leroy
    → (sur France Culture)
    Un chant Tzigane – Ceija Stojka (1/4) Auschwitz est mon manteau



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  • Mazin Mamoory, Cadavre dans une maison obscure

    par Angèle Paoli

    Mazin Mamoory, Cadavre dans une maison obscure,
    Éditions LansKine, Collection Ailleurs est aujourd’hui,
    Domaine irakien, 2018.
    Traduit de l’arabe (Irak) par Antoine Jockey.



    Lecture d’ Angèle Paoli



    « NE T’INQUIÈTE PAS, MÈRE, NOUS NE FAISONS QUE MOURIR »



    Il est des livres qui surgissent comme des obus dans nos intérieurs calmes et douillets. Qui ne vous lâchent plus et qui vous fouaillent le corps et le cœur. Sans répit. Ainsi de ce Cadavre dans une maison obscure, qui a fait irruption avec la violence d’un souffle venu d’ailleurs, et qui tire la lectrice que je suis des tempêtes rageuses qui sévissent sur mon île, vers un univers calciné où les cadavres, bannières déchiquetées, pendent aux fenêtres. Où les corps se disloquent sous la fureur des coups tortionnaires tandis que les explosions achèvent de semer le chaos. Nous sommes en Irak et la guerre fait rage. Odeurs de TNT et de C4, submergeant la puanteur des corps vidés de leur sang et des chairs livrées aux charognes. Nous voilà ramenés sans ménagement, au fil des pages, plusieurs années en arrière, au cœur d’un carnage, dans la « braise sournoise » allumée par « le facteur américain ». Premier épisode, 1999. Puis 2003. « La guerre n’aura pas de fin ». C’était hier. Et c’est encore aujourd’hui.

    Les textes qui composent ce recueil sont l’œuvre du poète irakien Mazin Mamoory. Le narrateur, ce « je » qui décline ses actes et ses pensées tout au long des poèmes, victime des carnages et des crimes perpétrés dans son univers désossé, en est aussi le témoin abasourdi. Face à l’absurde qui règne en maître, face à l’incompréhension que celui-ci fait naître, et à la folie qu’il engendre, seule l’énonciation permet de survivre au désordre. Un désordre que revendique le poète dès le poème d’ouverture : « Mes sorcières fêlées » :

    « Ce désordre représente mes hantises éparpillées

    La noirceur de mes rêves

    Mes arbres calcinés par le soleil

    Le bruit des explosions et la suie de leur fumée colorée ».

    Avec la mise en mots, une forme d’humour, parfois grinçant et âcre, souvent à la limite du joke, se fraie un passage. Il maintient la juste distance pour ne pas sombrer. C’est que Mazin Mamoory est un poète. Un grand poète. Qui sème avec lui les trouvailles au plus fort de l’horreur. Ainsi de l’interrogation faussement naïve formulée dans « Braise ». Interrogation qui ne laisse pas de surprendre, voire de faire sourire :

    « Tout cela est très simple et compréhensible, mais ce que je ne comprends pas c’est comment la braise est passée de l’Amérique à l’Irak. Est-ce possible qu’elle ait ouvert une brèche dans l’océan et atterri dans ma maison ? »

    Chaque poème — c’est de textes en prose qu’il s’agit — est constitué d’une succession de tableautins séparés par des interlignages. Les enchaînements d’actions se font par ricochets de manière itérative (par reprise de termes identiques). Et comme dans les films comiques que dominent les gags, on assiste à des réactions « boule de neige » qui, en roulant, vont crescendo. Ainsi dans « Chute » :

    « Le jour où je suis tombé de vélo, le cœur de ma mère a chuté et a roulé comme une boule de billard

    Le jour de mon mariage, je suis tombé de son cœur

    Et le jour où la guerre l’a fait pleurer, le monde s’est écroulé »

    Le sourire un instant esquissé s’efface pour laisser place à la douleur. L’un et l’autre adret des émotions se jouxtent, simultanément, dans un espace et son contraire, immédiatement réversibles. C’est là, me semble-t-il, une des caractéristiques prédominantes de l’écriture de Mazin Mamoory, qui fait sa force.

    Au demeurant, même si un lien subsiste d’un énoncé à l’autre, il y a toujours quelque part une incohérence qui se glisse. Parce que, écrit le poète, « nous sommes toujours irrationnels » et que, « [d]evant la porte des autres, la raison est une occasion de fuir la réalité. » Si bien que le décalage est permanent entre une réalité et la perception parfois fantaisiste qui en est transmise. Le glissement se fait le plus souvent par la confrontation inattendue abstrait/concret ou par le passage du général au particulier (ou inversement).

    Ainsi de ce constat :

    « L’usage de la mort ressemble à l’usage d’une vieille paire de chaussures ».

    Et dans le même poème où il est fait allusion aux combats de 2003 :

    « Il m’a dit : il ne reste que le sang, et il est froid et bleu depuis 2003

    Tout ce que j’ai vu dans la ville est bleu

    Et de plus en plus froid

    Ma voiture aussi est bleue. Quelle coïncidence que mon sang en soit le carburant »

    De même pour cette image terrifique engendrée par le rapprochement inattendu entre le sort du poisson et celui de l’épouse :

    « Lui a fini dans la cuisine, et moi dans les bras de ma femme ou de ce qui en restait pendant la guerre. »

    Et le poète de peaufiner le tableau par cette affirmation féroce :

    « Chacune aura un poisson pour mettre au monde des enfants invalides de guerre » (in « Identité pour personne »)

    L’enchaînement logique qui est à l’œuvre d’un paragraphe à l’autre échappe à la discursivité d’occidentaux cartésiens. Chaque poème apporte son contingent d’images terrifiantes, — « visages défigurés qui ressemblent à des pièces détachées », visage du narrateur évidé de sa chair et collé à un mur —, difficiles à imaginer, difficiles à soutenir ; en même temps que son pesant d’impuissance :

    « Scotché au mur, mon corps fume une cigarette, voit les gens se

    rassembler et pleurer

    je tente de le détacher du mur pour marcher dans la rue »

    et de désespoir :

    « Nulle main à la maison ne tient ce que je désire

    Nul objet ne m’aide à te toucher à la fin de la nuit »

    Malgré les abominations auxquelles il faut faire face, chacun s’adapte à la situation et la vie continue :

    « Ma tête est devenue écrou fixé au bord du fleuve autour duquel le monde tourne »

    Quant aux germes de cette effroyable boucherie, c’est au sein de la religion qu’il faut les chercher. Les allusions au tandem guerre/religion sont récurrentes. De sorte que si la guerre est confessionnelle, la femme du poète l’est tout autant. Mais, qu’il s’agisse de l’épouse ou de la guerre, les raisons sont irrecevables car rattachées à des mobiles futiles ou à des interdits absurdes. Que l’on soit chiite ou sunnite, ce qui compte, c’est l’aspect extérieur, seul à même de « démontrer » une identité :

    « En 2003, je devins chiite car j’habitais une ville sous contrôle de milices chiites. Si j’avais vécu dans la ville de Ramadî, je serais certainement devenu sunnite, sans que personne ne demande mon avis »

    Ou encore :

    « On dit que c’est une guerre confessionnelle et cela justifie tout

    N’importe quel sunnite peut tuer n’importe quel chiite »

    Et le poète d’ajouter un peu plus loin :

    « Ma présence en Irak signifie que je suis en conflit avec les autres  »

    Face à l’irréductible vérité et à l’étau qui broie les peuples dans les rouages de la mort, quelle issue possible ? Le poète, lui, s’en remet à cet humour indéfectible qui lui fait dire :

    « Ne t’inquiète pas, mère, nous ne faisons que mourir »

    Pour tenter de colmater les brèches qui le labourent, le poète opte pour une forme de légèreté obstinée :

    « Il ne me reste qu’à trouer mon corps, à avancer contre le vent

    puis à planer au-dessus de la corde à linge »

    Dérisoire, la « corde à linge » est la constante colorée et légère de ce qui reste lorsque tout s’effondre autour de soi.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Mazin Mamoory






    مازن معموري
    (MAZIN MAMOORY)



    Mazin Mamoory 2
    Ph. D.R.



    ■ Mazin Mamoory
    sur Terres de femmes

    Ma femme est confessionnelle (extrait de Cadavre dans une maison obscure)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions LansKine)
    la fiche de l’éditeur sur Cadavre dans une maison obscure





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  • Maud Thiria | [chercher à prendre corps]


    Maud Thiria
    « et pourtant
    dans l’ombre tu avances
    tes traces aux mains qui tremblent
    péniblement tu ploies sous l’encre
    le regard cherchant dessous
    les signes »







    [CHERCHER A PRENDRE CORPS]



    chercher à prendre corps
    là où tout n’est plus que
    chair blessée
    en son repli




    y jeter là
    des mots
    des espaces
    blancs sur la page
    des mots vides aussi
    devenus




    y inscrire là
    en mesure au vide
    ce qui va disparaissant
    la peau des mains qui tremblent
    et les plis mauves des yeux éteints




    inscrire
    le ciel qui passe
    le décor dénudé du monde
    la peau rugueuse des arbres
    et la douceur des mousses
    dessous
    ce qui parfois la rendrait proche
    encore

    tes mains
    et les mots qui leur glissent des doigts
    avant le froid



    Maud Thiria, Mesure au vide, éditions Æncrages & Co, Collection voix-de-chants, 2017, s.f. Dessins de Jérôme Vinçon.






    Mesure-au-vide




    MAUD THIRIA


    Maud Thiria
    Source




    ■ Maud Thiria
    sur Terres de femmes


    Blockhaus (lecture d’AP)
    [tu te demandes si] (extrait de Blockhaus)
    Brindilles (extraits)
    Sous les fauteuils, 1




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site personnel de Maud Thiria)
    une notice bio-bibliographique sur Maud Thiria
    → (sur le site du Nouveau Recueil)
    une page sur Maud Thiria [PDF]
    → (sur Terre à ciel)
    Maud Thiria Vinçon : poésie et traces





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  • 4 novembre 2012 | Jacques Ancet [Sous le bruissement du sang, tweet]

    « Poésie d’un jour

    Éphéméride culturelle à rebours


    [SOUS LE BRUISSEMENT DU SANG]



    Sous le bruissement du sang, ce qui parle.
    En haut, dans l’éclat terne, le geai bleu
    et roux. Laisse entrer le monde, disait-il.

    4 novembre 2012



    Il se frotte l’œil, regarde tout autour.
    Quelque chose en lui s’arrête. Soudain,
    il ne voit rien d’autre que ce qu’il voit.

    5 novembre 2012



    Le goût du café, la danse des mésanges.
    Ça se rapproche, dit-il — la lumière entre
    et se retire —, c’est presque là.

    6 novembre 2012



    Vite, pense-t-il, vite. Le jour est bas. Quelqu’un
    hurle quelque part. Comment l’entendre ?
    Comment ne pas l’entendre ?

    8 novembre 2012



    Une fois encore — la même — le pouce
    blessé, la brume qui refait les couleurs
    et le coq aveugle dans le silence de midi.

    11 novembre 2012



    Ensuite — ensuite ? — une clarté tombée
    du haut parmi ailes et feuilles. La terre
    pèse un peu plus, dit la voix.

    11 novembre 2012



    Et maintenant, refaire maintenant : la
    main, le ciel, le buisson et la lampe. Les
    mots sont des doigts. Ce qui parle ne
    dit pas mais montre.

    12 novembre 2012



    Jacques Ancet, Quelque chose comme un cri, tweets, Éditions Érès, Collection Po&psy in extenso, Toulouse, 2017, s.f. Dessins de Danielle Desnoues.






    Ancet - quelque chose comme un cri - tweets




    JACQUES ANCET


    Jacques Ancet
    Source




    ■ Jacques Ancet
    sur Terres de femmes


    [Le chant du même oiseau n’a pas cessé de me poursuivre] (extrait de Huit fois le jour)
    Dans l’indéfini (extrait de Chronique d’un égarement)
    L’égarement
    L’identité obscure (extrait du chant 9 de L’Identité obscure)
    [Je cherche] (extrait de L’Âge du fragment)
    Image et récit de l’arbre et des saisons (lecture d’AP)
    Je reviens
    [On dit quelqu’un] (extrait des Travaux de l’infime)
    On voit toujours (extrait de Puesto que él es este silencio)
    Oublier l’heure (extrait de Chronique d’un égarement)
    L’âge du fragment (extrait de La Vie, malgré)
    [Mais c’est parce qu’il est tard] (extrait de Voir venir Laisser dire)
    14 juillet | Jacques Ancet, Comme si de rien
    10 décembre 2001 | Jacques Ancet, Un morceau de lumière
    4 novembre 2012 | Jacques Ancet [Sous le bruissement du sang, tweet]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Érès)
    la fiche de l’éditeur sur Quelque chose comme un cri de Jacques Ancet
    → (sur Esprits Nomades)
    une page Jacques Ancet
    Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet





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  • Michèle Finck, Connaissance par les larmes

    par Angèle Paoli

    Michèle Finck, Connaissance par les larmes,
    éditions Arfuyen, Collection Les Cahiers d’Arfuyen, volume 233, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli






    « NEIGÉCRIRE ». DIT-ELLE.



    Les larmes au centre. Au centre de la vie au centre de la poésie. Récurrentes omniprésentes obsédantes, les larmes. Inspiratrices d’un art de vivre qui déroute, essentiellement enté sur l’art. Sur la méditation qu’il engendre. Il résulte de cette symbiose, art et vie, un recueil poétique dense, d’une extrême exigence. Connaissance par les larmes. Ce dernier recueil, récemment paru aux éditions Arfuyen, s’inscrit dans l’exacte continuation des précédents ouvrages, notamment L’Ouïe éblouie et La Troisième Main. Et offre à la poète un temps d’exploration plus intense avec les mondes qui la passionnent et qu’elle habite. Michèle Finck poursuit sa quête, à la fois intime et extime, à travers la musique la peinture le cinéma la poésie. Mais aussi la nature et la mer. Et l’écriture.

    Emprunté à Marina Tsvétaïeva, le vers d’introduction adressé à Anna Akhmatova (exergue) — « Ô Muse des larmes, la plus belle des Muses ! » — annonce une entrée réconciliatrice avec les larmes et par les larmes. Les larmes, dans cet ouvrage, occupent continument les sept sections qui composent le dernier livre de la poète. Court-circuit / Les Larmes du Large / Musique des Larmes / Musée des larmes / Cinémathèque des Larmes / Êtrécrire / Celle qui neige.

    Élégiaque, lyrique, très personnelle, la poésie de Michèle Finck est-elle pour autant une poésie consolatrice ?

    « Et la poésie, miaule un oiseau

    Sorti de ma bouche. Et la poésie

    Peut-elle quelque chose ? »

    (Cauchemar in « Court-Circuit »)

    Peut-elle quelque chose contre la perte irréparable que constitue la disparition des deux êtres aimés les plus chers au monde : le père et l’amant ?

    Au-delà de ce questionnement, il y a davantage encore. Étroitement liée à sa propre souffrance, indissociable de la sienne, il y a la souffrance du monde :

    « Je chéris cette blessure      car elle me relie

    À la douleur du monde      à jamais mienne »

    (À la douleur in « Court-Circuit »)

    Ce qui est certain, c’est que la poésie aide à vivre celle qui fut un jour privée de larmes. Car c’est de cette faille-là que la poète tente d’extraire sa survie. Une faille qui a laissé béante en elle la blessure et inconsolable celle qui s’efforce jour après jour d’apprivoiser cette béance qui occupe le cœur le corps et l’esprit :

    « Ai perdu      la clé     des larmes »

    (À la perte in « Court-Circuit »).

    Plus avant dans le recueil, la poète s’interroge :

    « Ai voulu apprendre les larmes. En vain ?

    Être à jamais      La Sans-Larme ?

    (Presquélégie de la Sans-Larme in « Êtrécrire »)

    Affronter la faille avec pour viatiques vitaux l’art : musique /peinture / cinéma / poésie. Il n’est cependant pas question de se laisser aller à l’apitoiement. Car

    « […] si poésie      apaise

    Que ce soit

    En      affûtant

    La      faille. »

    (À la tête in « Court-Circuit »).

    De sorte que la poésie ne se peut définir que comme « encre hantée ». La perte des larmes engendre un « court-circuit », visuellement marqué dans la page par une séparation, et dans le langage par une sorte de précipité des mots :

    ………………………………………………………………..

    « — Tout à coup court-circuit… Corps ne produit plus de larmes… Calcination… Glandes lacrymales électrocutées… »

    Dès lors, la poète explore. Jusqu’à la tentation du suicide. Elle est « celle qui chancelle », au bord du vide, celle qui voudrait pleurer, et qui ne le peut. Qui vit comme une malédiction le fait de n’avoir plus jamais de larmes sur le visage. Hantée, la poète interroge sa propre histoire, fondement de son questionnement. Et de son travail. Tenter de comprendre. Une confrontation permanente s’impose entre son absence de larmes et les larmes qu’elle croise sur son chemin.

    Les poèmes du recueil sont de formes variables. Les uns proches de la prose poétique, les autres formant strophes où s’intercalent des interlignes. Ainsi des poèmes rassemblés sous le titre Le Dit de la Cathédrale de Strasbourg. Mélomane, Michèle Finck est sensible aux pauses entre les mots, aux points d’orgue qui mettent la respiration en suspens. Dans le même temps, elle accorde une grande importance au Chœur, lequel ponctue à intervalles réguliers l’ensemble du recueil. Une sorte de mélopée enveloppe les mots. Un mot par vers. Mais toujours le « chœur » ouvre une nouvelle section. Avec un crescendo. Cela commence « bouche fermée » (I et II), se poursuit « bouche mi-close » (III, IV, V) et se finit « bouche ouverte » (VI et VII). Il y a donc une progression ascendante. La musique du « chœur » accompagne les poèmes de vibrations qui vont en s’accroissant. Du murmure au cri ?

    Les glandes lacrymales taries, il faut aller à la rencontre d’autres mondes. Ainsi de la mer qui offre une parenté avec les larmes jusque dans l’intitulé de la section « Les larmes du large ».

    « Apprendre

    Les

    Larmes

    Par

    La

    Mer »

    …annonce le « chœur » sotto voce (« Bouche mi-close »). C’est en Corse qu’a lieu la régénérescence bienfaisante par les larmes. Mer salvatrice. Bercée par la « lallation du large », la poète tire de la mer une leçon de vie. Apprendre passe par l’observation d’un rituel. Scandé en début de paragraphe du poème d’ouverture (« Les Larmes du Large ») par un verbe à l’infinitif :

    « Se réveiller »/ « descendre »/ « S’approcher » / « Pressentir » / « S’agenouiller »…

    Ailleurs, la poète se sent « chamane ». Apte à vivre en accord parfait avec les actes qui rythment sa journée de plage : « nager/faire la planche/léviter »… La mer et ses « larmes d’écume » font revivre les morts. Leur présence habite le monde des vivants. Ainsi en est-il pour Michèle Finck. Il y a peut-être quelque chose d’oriental — et sans doute de corse — dans la façon que la poète a d’évoquer les morts, de les considérer, de leur accorder un geste d’attention, de prévenance.

    « Donner aux morts un bol d’écume

    En souvenir de ce qu’est la vie. »

    (Rituel écrit à la craie sur le ciel in « Les larmes du large »).

    Le don — le mot revient à plusieurs reprises sous la plume de Michèle Finck — élève l’âme. Il se peut qu’il ait à voir avec la lumière de Méditerranée et cette vasque émeraude qui accueille la poète :

    « Je fais la planche sur la mer […] et regarde jusqu’à l’hypnose les métamorphoses de la lumière. »

    (À la lumière méditerranéenne in « Les larmes du large »).

    De ces moments d’extase, la poète tire une « raison suffisante de vivre » . Senti au rythme des éléments, le poème entier, empreint d’une sensualité qui régénère, est symbiose continue entre le vécu et l’écrit.

    Dans cette section sur la mer, la poète alterne ses longs poèmes de « chamane » — eau de mer eau de mémoire — avec des tercets qui ponctuent la lecture en page de gauche. Des presque haïkus, ces tercets, légers comme les poèmes japonais, même si les sensations observées se trouvent condensées sur trois vers. Le regard se pose sur les senteurs les couleurs les formes les rumeurs la lumière. Et toujours la poète observe un crescendo. Ici temporel. Depuis l’aube jusqu’à la nuit en passant par la traversée du jour.

    « Mouettes blanches étincelantes

    Bougies posées sur le bleu

    Soudain soufflées par le soir. »

    Beauté pure de ces poèmes, ponctuations bienfaisantes, qui permettent de reprendre souffle, avant de s’éteindre avec la nuit. Tout ici se vit en fonction d’un rythme musical intérieur/intense. Mer et cœur sont les pulsations qui construisent une personne, « ouïe éblouie », la structurent en profondeur. Être, pensée, et vie entière.

    Parvenue à ce point de son exploration, Michèle Finck peut aborder La musique des Larmes (IV), partie centrale de son recueil. C’est dire si la musique, déjà fondatrice dans La Troisième main, tient au corps et au cœur de la poète, et la fait vivre. La cohérence de Connaissance par les larmes rend compte du projet d’écriture de la poète. Un projet de longue haleine, qui se poursuit dans le temps. La réflexion va croissant au cours de ces vingt poèmes consacrés à des extraits choisis pour l’intensité émotionnelle qu’ils procurent. En lien étroit avec les larmes. Le premier chœur introductif pose une définition interrogative essentielle en établissant une parenté possible entre la musique et Dieu :

    « Musique :

    Ce

    Que

    Pourrait

    Être

    Dieu

    ? »

    Sont convoqués ici, dans des poèmes brefs, de huit à dix vers (parfois davantage), les plus grands parmi les compositeurs, les interprètes, les voix, les chefs d’orchestre… Depuis Bach, Vivaldi Boccherini Schubert Brahms jusqu’à Britten et Poulenc, en passant par Mahler, Dvořák, Janáček, Webern et Chostakovitch. Ou encore Nikolaus Harnoncourt James Bowman Agnès Mellon Jörg Demus Dietrich Fisher-Dieskau Nathalie Stutzmann… De la Passion selon saint Jean au Stabat Mater de Vivaldi ou de Dvořák, d’élégies en lieder ou en arias d’opéra (Aïda, La Traviata), du Chant de la terre aux Six poèmes de Marina Tsvétaeva… Michèle Finck poursuit sa quête de saisissement des larmes. Toujours revient sous sa plume la question lancinante :

    « Que peut musique ? Faire toujours face.

    Héler encore héler obstinément la lumière ? »

    (in Dvořák : Stabat Mater,

    Brigitte Engerer, Accentus, Laurence Equilbey).

    La lecture de ces poèmes consacrés à la musique m’ont conduite un après-midi entier à écouter, livre en main, les extraits choisis par Michèle Finck. Je connais aujourd’hui L’Éloquence des larmes (Jean-Loup Charvet). « Larmes archaïques, impersonnelles, universelles… ». Mais aussi larmes multiples et contraires selon qu’elles « lapident le noir de l’œil » ou qu’elles sont « arches d’extase en vol ».

    De la musique à la peinture ou au 7e Art, il n’y a qu’un pas. Ainsi, pour chaque moment pictural, pour chaque séquence cinématographique, la poète s’attache-t-elle à un plan rapproché. Son regard se déplace sur la toile. Quelques mots suffisent pour rendre compte du tremblé des larmes sur le visage. Pour saisir ce que « l’œil écoute ». Visages de Vierge et de Pietà. La poète laisse errer son esprit, attentive à saisir les nuances, à saisir les énigmes. Revient alors, lancinante, la question de Dieu :

    « Où Dieu ? Peut-être dans les larmes qu’on ne voit pas. »

    (in Femme qui pleure, Van Gogh).

    D’Antonello da Messina à Masaccio ; de Memling à Munch ; de Frida Kahlo à Louise Bourgeois ; de Arp à Paul Klee, la poète poursuit son voyage à travers larmes. Jusqu’aux fausses larmes de Man Ray, « Faux-cils. Faux semblant. »

    De même pour la « Cinémathèque des Larmes ». La poète revisite les films aimés. Pour la façon que le cinéaste a

    « De

    Filmer

    Le

    Visage

    Et

    Les

    Larmes ».

    Le « gros plan sur le visage de Mamma Roma », ses larmes de mère atteinte dans sa chair par la mort d’Ettore en appellent d’autres. Les « Abîmes de Vivaldi » rejoignent la Lamentation sur le Christ mort de Mantegna. « Agonie » et « Rédemption » se croisent et se superposent. Prostituée et Pietà se fondent dans les larmes magnifiées d’Anna Magnani. Mais il y a aussi les larmes de Jean-Louis Trintignant et d’Emmanuelle Riva – en « petite vieille qui se consume, /Bougie de chair » dans Amour de Michael Hanecke ou celles de Gelsomina qu’accompagnent les sanglots de Zampano (La Strada), ou encore les pleurs de détresse puis de joie d’Ingrid Bergman dans Stromboli, et tant d’autres encore. De Rossellini à Visconti, de Resnais à Tarkovski ou à Mizoguchi…, le travail de Michèle Finck est le même. Cadrage d’une image, d’une scène particulière qu’elle décrit avec minutie. Mais toujours elle interroge les contraires. La mémoire et l’oubli. Le vivant et la mort. L’illusion. De l’un et de l’autre. La présence/absence de Dieu.

    « Même si Dieu n’existe pas, les larmes d’Ingrid

    Sont le passage de Dieu en elle. Larmes pas de mort.

    Mais de naissance. Vol d’oiseaux. Larmes-ailes. »

    (in Roberto Rossellini, Stromboli,Ingrid Bergman)

    Les deux dernières sections du recueil – Êtrécrire et Celle qui neige — libèrent la parole. Les poèmes réunis ici travaillent le dépeçage. Ne garder que l’essentiel. Se laisser traverser. Jusqu’à la béance.

    « Poésie : Être traversée.

    Par quoi ? Peu importe.

    Rumeur. Couleur. Odeur. »

    (in Celle qui neige).

    Il s’agit en effet pour la poète de continuer à vivre. Seule l’écriture et l’écriture du poème ouvrent à une possible survie. Fonction du poème ? Assurer la sauvegarde de la poète.

    « Écrire c’est sauter

    Dans le vide

    De la page.

    Pour

    Pas

    Crever. »

    (in « Au Salto », Êtrécrire).

    Écrire pour franchir la faille, et peut-être s’en affranchir. Écrire pour Être. Les deux actes n’en forment désormais plus qu’un. Pour cela, accepter de libérer la langue des gangues qui l’enserrent. Briser tout ce qui entrave. Désosser décaper désorbiter. Et donc lutter contre soi-même. Contre ses propres défauts de langue. S’obstiner. Laisser le poème s’exposer sur la page, «  os  » et «  rythme  », c’est permettre à la langue de retrouver la force qui nourrit les mots. Ne retenir que cela. Permettre aux mots de « neiger » sur la page. Et à celle qui pleure de troquer ses larmes contre la neige.

    « Maintenant : je neige, j’écris.

    Par alchimie des larmes. »

    « Neigécrire ». Dit-elle.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Finck 3






    MICHÈLE FINCK


    Finck Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Michèle Finck
    sur Terres de femmes

    [Pier Paolo Pasolini, Mamma Roma] (poème extrait de Connaissance par les larmes)
    [Chostakovitch, Tsvetaïeva, Akhmatova] (poème extrait de La Troisième Main)
    La Troisième Main (lecture d’Isabelle Raviolo)
    Pitié (poème extrait de L’Ouïe éblouie)
    [Cette fois nous parvenons à travailler] (poème extrait de Poésie Shéhé Résistance)
    Sur un piano de paille (lecture d’AP)
    Variation 9 :: À Glenn Gould 1981 (poème extrait de Sur un piano de paille)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une notice bio-bibliographique sur Michèle Finck
    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page sur Connaissance par les larmes de Michèle Finck





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  • Jean-Marie Berthier | Tamié




    Ne plus quitter les pierres
    « Ne plus quitter les pierres
    au retour de la forêt
    mais écouter longuement
    la cohorte des siècles »
    Ph., G.AdC







    TAMIÉ


    À François Cheng           




    Aller aux pierres qui chantent
    aller au dédale de leur voix pesante

    plus nus qu’elles ne le sont
    dans le silence qui les force à vivre

    Passer les couleurs de l’automne
    une à une les compter
    comme un chien lèche sa plaie

    et des lacets du chemin qui monte
    étrangler le vent d’avant novembre

    Se défaire peu à peu de son pas
    si l’on veut être à l’heure des pierres

    qui se rejoignent pour s’étreindre
    et se délivrer ensemble du vide

    De l’une d’elles peut-être
    le souffle d’un oiseau
    pétrifié d’amour et de peine

    portera l’espace d’un seul cri
    la voix d’un enfant
    de l’au-delà des mots

    Ne plus quitter les pierres
    au retour de la forêt
    mais écouter longuement
    la cohorte des siècles

    qui de l’une à l’autre chante la gloire
    des yeux clos d’étoiles et de neige

    Puis s’alléger du poids des pierres
    en leur accordant le droit d’asile



    Jean-Marie Berthier, Ne te retourne plus, Éditions Bruno Doucey, Collection « Soleil noir », 2017, pp. 78-79.







    Jean-Marie Berthier  Ne te retourne plus






    JEAN-MARIE BERTHIER


    Jean-Marie Berthier
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Scriptorium de Marseille)
    un hommage de Dominique Sorrente à Jean-Marie Berthier
    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Ne te retourne plus de Jean-Marie Berthier





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  • Philippe Leuckx | [Il reste au-dessus du jour quelque vœu d’enfance]




    [IL RESTE AU-DESSUS DU JOUR QUELQUE VŒU D’ENFANCE]




    Il reste au-dessus du jour quelque vœu d’enfance
    Quand aux talus nous plongions sans voir
    Le feu d’alouettes ni la patience d’herbes
    Le simple déroulement du temps, l’odeur de fête



    Les murs ne me reconnaissent plus et de la grange
    Me reste le froid glacial quand portes ouvertes
    L’hiver montait jusqu’aux échelles
    De gerbes
    Là le souvenir grimpe à peine
    Peine trop haute



    La lumière sait notre juste place entre le vent de braise
    Et la poussière des noms épelés en vain
    Et combien éventés
    La fête sera pour plus tard et les gestes d’hier
    Rameuteront l’inquiète blessure d’un pays tanné de soirs.



    Philippe Leuckx, « II Ces cordes obscures » in D’obscures rumeurs, Éditions Pétra, Collection Pierres écrites/L’Oiseau des runes, 2017, pp. 35-36-37.






    Philippe Leuckx  D'obscures rumeurs





    PHILIPPE LEUCKX


    Vignette PHILIPPE LEUCKX
    Ph. Christelle Dossche




    ■ Philippe Leuckx
    sur Terres de femmes


    [Le soir](poème extrait de Ce long sillage du cœur)
    Ce long sillage du cœur (lecture d’AP)
    D’obscures rumeurs (lecture d’AP)
    [Laisse la nuit s’éclairer sous tes yeux](poème extrait de Doigts tachés d’ombre)
    [On a vécu sous le verre] (poème extrait de L’imparfait nous mène)
    [On ose à peine la lumière](poème extrait de L’Effeuillement des choses vers les confins)
    [J’assume mes greniers d’enfance](poème extrait de Maisons habitées)
    Le Mendiant sans tain (extraits)
    Nuit close (extraits)
    Poèmes du chagrin (lecture d’AP)
    [Tu marches dans ta ville] (poème extrait de Poèmes du chagrin)
    Piéton de Rome, 13 (poème extrait de Rome rumeurs nomades)
    [Parfois il est bon de s’égarer](poème extrait des Ruelles montent vers la nuit)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Petra)
    la fiche de l’éditeur sur D’obscures rumeurs





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  • Isabelle Alentour | [Lac étal comme un épuisement]




    [LAC ÉTAL COMME UN ÉPUISEMENT]



    Lac étal comme un épuisement
    cherche une place dans la nuit

    eau dormante
    eau mourante
    absorbe l’or des mots
    qui hier encore
    nous embrasaient





    Mon cœur à travers la croisée qui rejoint les étoiles
    là où je te pense
    là où      nue
    je te découvre me                          manquant

    et mon bras sans penser qui s’élève et ce geste une main qui approche la peau sans savoir et ce doigt qui effleure d’abord comme s’il n’osait pas ne se souvenait pas et puis qui                             et ce doigt qui se pose sur la bouche et qui touche et qui glisse une lèvre la deuxième et savoure et puis caresse encore et ranime de loin de très loin souvenir enchanté

    le baiser

    La première lettre m’accorde à la nuit

    la seconde crève le silence
    et me parle de ce qui
    de toi

    s’avance et me défait



    Isabelle Alentour, « Seule » in Je t’écris fenêtres ouvertes, Éditions la Boucherie littéraire, Collection « La feuille et le fusil », 2017, s.f.






    Isabelle Alentour  Je t'écris fenêtres ouvertes





    ISABELLE  ALENTOUR
    [PELLEGRINI]



    Isabelle Pellegrini





    ■ Isabelle Alentour
    sur Terres de femmes


    [Jamais d’abord, ni contre] (extrait d’Ainsi ne tombe pas la nuit)
    [Heures douces d’un après-midi d’été] (extrait de Louise)
    Louise (lecture d’AP)
    Makapansgat (lecture de Philippe Leuckx)
    [Je me sens vieillir] (extrait de Makapansgat)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    [Pour ne pas perdre la pluie]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions la Boucherie littéraire) plusieurs extraits de Je t’écris fenêtres ouvertes
    → (sur Terre à ciel) une page sur Isabelle Alentour [+ mini-entretien avec Roselyne Sibille]
    → (sur Ce Qui Reste) une page sur Isabelle Alentour





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