Étiquette : Collection


  • Patricia Castex Menier | [Ithaque]




    Tine Abrac
    Gravure de Tine Abrac
    in Soleil sonore de Patricia Castex Menier
    (page 39)







    Ithaque.
    Nous savons bien
    qu’il en est d’innombrables.

    Mais nous n’écouterons
    que l’olivier,

    vieil aède
    au tronc perclus,

    qui murmure encore le chant ancien.





    L’île aux hirondelles.

    À l’angle du toit,
    quatre becs ouverts
    attendent au bord du nid.

    L’île et l’hirondelle,
    deux figures du retour.





    Clameur.

    Avec le zénith
    les couleurs ont repris les armes.

    On se retire à l’ombre,
    en spectateurs.

    Face à face
    le bouclier saphir, les flèches safran.



    Patricia Castex Menier, Soleil sonore (Trois îles) poèmes, Rougier V. éd., Collection Plis urgents, 44, 2017, pp. 34-36-41. Gravures de Tine Abrac.






    Patricia Castex Menier  Soleil sonore






    PATRICIA  CASTEX MENIER


    Patricia Castex Menier 3





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Vincent Rougier)
    la fiche de l’éditeur sur Soleil sonore de Patricia Castex Menier
    → (sur le site des éditions L’Amourier)
    une fiche bio-bibliographique sur Patricia Castex Menier





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  • Georges Guillain | [Voilà]



    [VOILÀ]



    Voilà / Il ne sait plus où il a lu que les hommes âgés
    pourraient être des explorateurs mais il voit bien
    que chaque heure chaque moment sont envahis
    pour lui d’imperceptibles métamorphoses
    et depuis qu’il a abandonné toute ambition
    de réussir il éprouve un peu moins de fatigue
    à regarder le tracé brusque des oiseaux
    quand il rencontre cet autre bleu même pas bleu
    que la mer dans son œil aplatit puis renverse
    et puis l’été et les beaux jours d’hiver encore
    Il se promène s’enfonce un peu dans le sable
    des dunes hasardant son piètre corps sous l’air qui
    penche en charpentes laiteuses / Il redevient heureux
    les muscles de ses paupières battent à grands coups

    de marteau



    Georges Guillain, « la musique qu’il cherche » in Parmi tout ce qui renverse, Collection « Les Passeurs d’Inuits », Le Castor Astral, 2017, page 45.







    Georges Guillain  Parmi tout ce qui renverse.png 2





    GEORGES GUILLAIN


    Georges Guillain  portrait





    ■ Georges Guillain
    sur Terres de femmes
    [Il n’y a pas de poésie descriptive] (extrait de Compris dans le paysage)
    six août | Georges Guillain, Compris dans le paysage
    Que ce lieu pour rester (extrait d’Avec la terre, au bout)
    [Novembrer tout y revient patauger] (autre extrait d’Avec la terre, au bout)
    [Voilà que tu es devenu poreux] (autre extrait d’Avec la terre, au bout)
    Tant que nous sommes (extrait d’Un bouquet pour les morts)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    Camille Loivier, Il est nuit (lecture de Georges Guillain)
    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des Poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Georges Guillain
    → (sur le site du Castor Astral)
    la fiche de l’éditeur sur Parmi tout ce qui renverse





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Tanella Boni | [Me voici à la porte du jour le plus long]



    [ME VOICI À LA PORTE DU JOUR LE PLUS LONG]




    Me voici à la porte du jour le plus long
    Là où il fait si clair en moi
    Ma maison refuse l’évidente clarté séculaire
    Qui sépare l’humanité en portions inégales
    L’humanité si divisée si malmenée
    Et transparente
    Comme celle dont j’ai hérité
    Par la faute de ma peau invisible
    À force d’être visible

    Cette peau qui m’a tout donné
    Cette peau dont je suis si fière
    Ma peau de femme qui n’en fait
    Qu’à sa tête
    Une tête qui n’est qu’une infime partie de moi



    Tanella Boni, « Mémoire de femme » in Là où il fait si clair en moi, Éditions Bruno Doucey, Collection « L’autre langue », 2017, page 39.







    Tanella Boni  Là où il fait si clair en moi





    TANELLA BONI


    Tanella Boni
    Source




    ■ Tanella Boni
    sur Terres de femmes

    Le détail des choses



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site l’IEA de Paris)
    une notice bio-bibliographique sur Tanella Boni
    → (dans la Poethèque du site du Printemps des Poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Tanella Boni
    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Là où il fait si clair en moi





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Caroline Sagot Duvauroux | Une source




    UNE SOURCE




    J’aurais aimé écrire sur Bernard Noël, bien que ce fut souvent fait, mais je ne sais pas, j’ignore pourquoi. L’urgence de l’écouter voir, peut-être. Le regarder prêter l’oreille à ce qui n’a pas encore parlé, à tout ce dont la langue fut coupée, s’insurger contre l’ordre insupportable du monde, contre le saccage d’une bibliothèque palestinienne par le colon.

    Non, pas envie de parler de lui mais avec lui. Et même de ne pas trop parler mais qu’il soit là près d’une fenêtre avec un arbre au moins derrière la fenêtre et tout l’arpentage de l’arbre jusqu’au feuillage et puis le poitrail rouge de l’oiseau d’hiver pour outrepasser le feuillage et s’enfuir du palais des vents qu’avait pour lui bâti l’arbre patient. Ce serait l’aube. Nous regarderions des métaphores d’arbres et d’oiseaux se métamorphoser dans la petite gorge palpitante en quelques notes qui vocalisent vivre. Nous ne dirions pas c’est trop tard ni levons-nous mais peut-être faut-il couper le rameau mort ou bien : laissons-le fabriquer la forêt. Nous irions juste après la porte d’un jardin regarder s’enfuir les graminées de nos enclos. Et nous boirions un verre pour cesser un instant de compter les blessés. La lumière déchirerait la lumière du vin blanc. L’œil éperdu de beau nous volerions cinq minutes camarades à la faillite du monde.

    Je ne lui dirais pas ce qu’il mit en mes mains d’audace ni de grâce, ni que j’ai suivi lettre à lettre et levées de silence, de l’amour à la dissolution d’être, les cascades que son désir remontait, ni que j’ai recueilli de sa voix la parole que l’arc passe au saut des barricades. Je ne dirais rien pour ne pas troubler l’ignorance de l’aube ni surgir. Je sais qu’il écoute surgir.



    Caroline Sagot Duvauroux, « Retour à la prairie », in Un bout du pré, Éditions Corti, Collection « en lisant en écrivant », 2017, page 84.






    Sagot pré 2






    CAROLINE SAGOT DUVAUROUX


    Caroline Sagot Duvauroux 2




    ■ Caroline Sagot Duvauroux
    sur Terres de femmes

    Le Livre d’El d’où (lecture d’AP)
    [La poésie ne traduit pas] (extrait du Livre d’El d’où)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Le silence serait-il l’enjeu de la parole ? (extrait du Livre d’El d’où)
    [Baie](extrait de Canto rodado)
    [Être serait-il le reflet d’une hypothèse… ?] (extrait de ’j)
    L’eau puissante ? (extrait de Aa Journal d’un poème)
    Le Buffre (lecture de Tristan Hordé)
    [Je dissone] (extrait de L’Herbe écrit)
    Mais avant (extrait du Buffre)
    Le Vent chaule (lecture d’AP)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site José Corti)
    la page consacrée à Un bout du pré, de Caroline Sagot Duvauroux




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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…

    par Marie-Hélène Prouteau

    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…,
    Jacques Flament Éditions, Collection / Série : Images & mots,
    08380 La-Neuville-aux-joutes, 2017.
    Préface d’Angèle Paoli.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau


    Voici un livre des éditions Jacques Flament qui consacre la rencontre de deux artistes, celui qui saisit les émotions par les images, celle qui les exprime par les mots. Ève de Laudec, Bruno Toffano. Une alchimie placée sous le signe des mains, de leur danse pleine d’humanité sensible qui nous fascine à l’aune de chaque regard.

    Dans sa belle préface, la poète Angèle Paoli évoque les « vers ciselés d’Ève de Laudec pour dire son plein accord. Musique des mots/tempo tendu de l’image. De cet écho harmonieux naît un livre, miroir de l’âme de la poète et du photographe. Âmes sensibles sensuelles, dont les harmoniques ténues poursuivent en nous leur chemin : “On entend le silence/À son frémissement” ».

    Car tout est silence, comme l’écrit Ève de Laudec, dans le langage immédiat des mains qui concentrent tendresse, émoi, peine, grâce, pudeur, solitude. Ainsi, un tournoiement de tissu, une robe flottante et deux mains. Une manière, pour l’objectif photographique, de suspendre les instants dans un geste, une attitude. Un rien, toute une histoire déjà, et, en écho, ces vers :

    « Que s’épousent nos âmes

    À l’effleure satin

    Du subtil jeu de paumes »

    Devant ces matières séculaires que pétrissent les mains, bois, herbe, eau, épis de blé, glaise, on a le sentiment d’être chez nous. Toutes les matières du monde sont saisies dans la beauté du noir et blanc des photographies. Gros plans pris sur le vif et dans le silence, des mains s’avancent, secourables, besogneuses, ou solitaires. Elles accueillent leur poids de joie, de chagrin, font don à autrui, ouvrent un espace de mystère et de rêve : une danse orientale, un sculpteur breton, les menottes d’un enfant, un corps nu, des mains négatives en graffiti sur un mur.

    Cela réveille les correspondances, les analogies. Les mains se font fleurs, conques, au creux des paumes serrées qui retiennent l’eau :

    « De ses orbites creuses

    Jaillit accidentée

    La poésie saline

    Et les mains en ciboire

    Accueillent ses marées »

    Plus loin, un grillage, des mains serrées, un drame peut-être, éloignement, douleur, impuissance à peine suggérés.

    Toucher, fouiller, tordre, enserrer, effleurer, caresser, autant de gestes des paumes, des doigts. Jusqu’à cette main d’enfant saisie par le photographe dans un magnifique élan de lumière et qui s’ouvre, émouvante, au monde :

    « Des impatiences poétiques lui poussaient

    Au bout des doigts »

    Des réminiscences invitent à retrouver le refrain d’enfance « Ainsi font… », celui-là même du titre du livre.

    Peu de mots et tout un monde. Car les mains, muettes, disent beaucoup. Elles disent tout de l’être, son épaisseur, alors qu’elles ne sont que partie. Tout ce qu’on imagine, tout ce que l’on pressent de lui, que l’on entrevoit à peine ou que l’on n’entrevoit pas du tout. Économie, concision sont le parti-pris des deux artistes en communion. Tact, tendresse d’un toucher, au sens fort. Un rêve que cette main qui s’avance et qui effleure. Mystère de la relation à autrui. En lisant les mots de la poète, on pense à l’énigme de la caresse de Levinas :

    « À tes poignets cambrés

    À tes paumes ouvertes

    Au calice du jour

    Au rire de tes dents

    Le soleil s’offre

    En amant »

    Ailleurs, on suit l’ardeur de ces doigts à l’ouvrage, l’haleine, la sueur, la chair « cramponnée, arrimée/Au bois flotté/Au bois dormant ».

    Ainsi la main du saint de granit sculptée par David Puech :

    « Entailler ta roche

    Au burin des amours

    À la râpe des passés

    À l’étreinte des doigts »

    La force de cette création en duo, à la croisée de l’écriture et de la photographie, est dans sa capacité d’appréhension des émotions les plus ténues qui surgissent dans leur apparente simplicité. Ève de Laudec et Bruno Toffano ont réussi le défi d’une poésie pleinement chaleureuse dans sa présence vive au monde.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes







    Eve de Laudec  Ainsi font....jpg 3






    ÈVE DE LAUDEC


    Eve de Laudec Ph
    Source



    ■ Ève de Laudec
    sur Terres de femmes

    [Pleine | Gorgée d’esquives] (poème extrait d’Ainsi font…)
    Escroqueviller | Effacer | Quitter (poèmes extraits de L’Ingratitude des oiseaux à becs)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    De tous ces mots



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Jacques Flament Éditions)
    la page de l’éditeur sur Ainsi font…
    l’emplume et l’écrié (le site personnel d’Ève de Laudec)
    → (sur le site de la revue Ce Qui Reste)
    une page sur Ève de Laudec




    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes

    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Claude Ber, Il y a des choses que non

    par Angèle Paoli

    Claude Ber, Il y a des choses que non,
    Éditions Bruno Doucey, Collection « Soleil noir », 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli


    AU LOINTAIN D’EXISTER
    NOUS NOUS JOIGNONS





    De l’herbu de la langue émerge le NON. Trois lettres palindromes pour s’ériger contre. Pour dire la résistance. Un mot hérité de longue date depuis la lointaine enfance. Un NON qui résonne clair dans la mémoire et rejoint la phrase-clé qui irrigue de bout en bout le dernier recueil de Claude Ber : Il y a des choses que non.

    L’enfant d’alors ne comprenait pas toujours le sens de cette phrase lancée dans sa langue rugueuse par la grand-mère paysanne pour ponctuer son discours. L’enfant comprendrait plus tard. C’est ce que disait aussi l’aïeule à sa petite fille qui lui posait des questions.

    « — Ma fille, répond-elle, il y a des choses que non. Tu ne sauras peut-être pas toujours à quoi dire oui, mais sache à quoi dire non. »

    Résister donc. L’aïeule savait de quoi il retournait. Elle était entrée dans la Résistance, tout comme son fils René Issaurat et comme René Char le poète. Ainsi l’histoire personnelle de la poète rejoint-elle la grande Histoire. Et Claude Ber rend ici hommage à ceux qui se sont battu pendant la guerre pour défendre la liberté et lutter contre l’envahisseur. La poète dédie son recueil à « Louise Thaon, FFI n° 180537, paysanne anonyme, qui a dit non et à tous ceux et celles qui, partout, à chaque instant, continuent encore et toujours de dire non. »

    Ainsi, depuis l’enfance, où régnaient boucs chèvres et vaches des montagnes alpines, menées sous la houlette de la grand-mère Louise, le Non a-t-il fait son chemin et continue-t-il toujours de creuser sans relâche le sillon de la langue, ses tunnels, ses rivières, ses filons qui ne demandent qu’à refaire surface. La poète Claude Ber sait ce travail de forage qui la conduit en des lieux multiples et jusqu’au fin fond des mers pour exhumer dans sa pêche aux mots les noms de poissons oubliés de tous et ramener dans ses filets « Ophiura les bras grêles, Acanthopsis le long nez, Brachygobius belle abeille, Percula le clown, Pogonias le tambour, Ductor le pilote »… et tant d’autres qu’elle convie à rejoindre la troupe en lançant :

    « venez les noms c’est nous !

    Et de loger tous les univers à la même enseigne en écrivant :

    « La torche du langage brûle aussi sous les vagues. Dans le pétillement acide du désert, la bruyère des landes, la tiédeur des mangroves. Sous le lac d’où jaillit l’épée chevalière. Dans le tunnel qui nous relie au rien. Trou vacant du nom évacué. »

    La langue de la poète perce cheville fore sonde crache invective fulmine. Elle est

    « […] la langue

    résistante

    la langue consistante

    la substantifique langue de la moelle des mots et des morts

    où résiste la langue au mirador

    où résiste la langue à l’obscénité de transparence

    où résiste la langue à l’asservissement

    où résiste la langue à l’avilissement

    où résiste la langue sous la dent

    et tient ferme le poème en bouche dans la langue du bouc

    qui broute le chardon dur

    langue de bouc et de boue »

    Lorsqu’il s’agit d’évoquer les siens, leur histoire, leurs luttes, leurs conseils, la langue se fait fidèle, attentive à se saisir des parlers de sa famille :

    « — Fais attention ma fille. Il faudra faire marcher ta cervelle. Les choses ne sont jamais simples. Il faut être vigilant. Veiller bien. Et d’abord sur soi-même. »

    Ou encore : « J’ai combattu une idéologie non un peuple, fillette. Le pire peut naître en tous. En chacun de nous. Sois vigilante. Je te fais confiance. Veille bien. »

    Ou plus loin, dans « Je ne sais l’Algérie que d’oreille » :

    « — Fais attention, fillette. Les victimes peuvent aussi devenir des bourreaux. Et même de soi, il ne faut pas se vanter d’être sûr. »

    Elle se fait tendre, la langue, lorsqu’il s’agit de faire revivre les paysans, gestes et mœurs de jadis dans les montagnes, odeurs, parfums petits métiers d’antan à jamais disparus, objets de la vie courante, leurs reflets, leur mémoire. Ainsi la poète n’hésite-t-elle pas à rameuter dans de nombreux flash-back, les souvenirs qui l’ont forgée et nourrissent aujourd’hui la poésie engagée (et enragée) d’Il y a des choses que non.

    « On ne dit jamais qui nous sommes », écrit Claude Ber dans la section de « L’Inachevé de soi ». Sans doute. Mais il n’est pas pensable (du moins pour la lectrice que je suis) d’écrire un tel recueil sans dévoiler tant soit peu une part de soi-même.

    De section en section — sept au total —, Claude Ber maintient le lecteur hors d’haleine et le conduit à travers sa langue rebelle. Elle se penche et rassemble « le trésor éparpillé » qu’elle reconstitue dans une langue qu’elle fait saliver en bouche, depuis « Le livre la table la lampe », texte inaugural jusqu’à « Je marche », texte final, en passant par « Célébration de l’espèce »/ « Je ne sais l’Algérie que d’oreille »/« L’inachevé de soi »/ « Lisant Lucrèce »/« Tous tant que nous sommes ».

    Ce sont mots qui roulent s’abîment foisonnent se burinent se barattent. Faisant surgir au cœur d’une métaphore filée savoureuse qui prend ses racines dans le monde de l’enfance et du père, une définition personnelle de la poésie :

    « Il faut sac à dos pour un bivouac si précaire qu’est vivre. À ce déjeuner sur l’herbe d’une vie j’ai fait de poésie un plat de résistance qui peut sembler bourrative pitance, estouffa babi en patois alpin des Francs-Tireurs et que je traduis poésie égale maximum de sens sur minimum de surface
    ration de survie pour des temps de disette mentale. »

    Et un peu plus loin dans le même poème de la première section, rendant hommage aux deux René, René le poète et René le père, Claude Ber confie :

    « Je n’ai vu que le poème et le courage faire pièce au terrible. »

    La langue, si semblable souvent à un félin lâché en pleine savane, n’en est pas moins savante et rigoureuse. Ensorceleuse, aussi. Les six pages haletantes de « Célébration de l’espèce » en sont un parfait exemple. Texte performance qui tient en suspens dans une sorte de transe ou de cyclone, pour dire l’impuissance à se livrer à pareille célébration. Ce long poème interroge dans ses enroulements ophidiens l’espèce humaine. En proie à ses contradictions multiples, notre espèce choisit la mort par terreur de la mort et, partant, se livre continûment à l’extension généralisée des massacres.

    « Le cœur de mon espèce est le charnier métaphysique de la mort. »

    Le final de la section se clôt sur un tourbillon dense dans lequel le mot « espèce », répété trente fois – il ouvre et ferme chaque groupe énumératif construit sur des oppositions – emporte dans un maelstrom qui donne le vertige. Un morceau d’anthologie pour dénoncer les exactions commises par l’espèce dominante qu’est la nôtre. Espèce destructrice s’il en est et difficile à aimer « continûment » sans faillir.

    Après cette parenthèse sur l’Espèce humaine, Claude Ber reprend le chemin de l’Histoire avec « Je ne sais l’Algérie que d’oreille ». La troisième section du recueil renoue avec les souvenirs familiaux. La poète ici encore rend hommage aux siens qui affichaient ouvertement leur choix d’une Algérie algérienne. À nouveau, l’enfant se trouve confrontée à une complexité qui la dépasse et dont elle ne comprendra que plus tard les rouages et les enjeux.

    « C’était compliqué pour l’enfant. Il y avait ceux d’ici et ceux qui venaient de là-bas, dont les uns étaient Algériens, les autres Français, il y avait les Fellaghas, les Pieds-Noirs, les Harkis, des noms que j’entendais comme ceux des tribus indiennes de bandes dessinées au milieu d’autres Hurons, Iroquois, Cheyennes ou Apaches. »

    Et l’adulte de faire chanter, à travers une longue énumération, cette Algérie qu’elle « ne connaît que d’oreille », par le rythme intérieur hérité de l’enfance. Elle rend ainsi hommage à tous ceux et celles de ces ami(e)s, émaillant le poème de leurs noms et mêlant histoire personnelle à l’Histoire.

    Il y a tant d’histoires qu’il est impossible de les dire toutes. « Il y en a trop pour le si peu que je connais. »

    Cependant, pareil défi relève du tour de force. La poète, en proie à un sentiment de lassitude, confie toute la difficulté qu’il y a à vouloir rendre compte de l’Histoire. Elle se heurte au caractère vain d’une telle entreprise :

    « À me livrer à tous les embouts de la parole, je vis dans le silence médian qui la creuse.
    D’un même mouvement je dis et je tais, j’inscris et j’efface… »

    La poète rebondit. Et le lecteur retrouve la figure tutélaire de la grand-mère, son caractère haut en couleur, son franc-parler et ses idées sûres, dans la section « Nous tous tant que nous sommes ». C’est à Louise Thaon que Claude Ber doit cette expression qui scandait le discours de l’aïeule libertaire. Paysanne et Résistante, sachant dire Non aux injustices inégalités et tyrannies de son temps, la grand-mère sait aussi rire d’elle-même. Se moquer de son statut de « bonne-à-tout-faire » et « de bonne-à-rien ». Foncièrement rebelle, elle a conscience que rien jamais ne changera, que les pauvres toujours plus nombreux seront condamnés à le demeurer.

    Rien décidément ne change. Mais il y a toujours « des choses que Non » ! Dont on sent bien qu’elles taraudent la poète au plus profond ; un bouillonnement intérieur qui atteint le lecteur et l’emporte, en partage, dans une même colère.

    Les yeux rivés sur le bitume, la poète continue d’avancer. « Je marche ». Elle marche avec, chevillée au corps, la conviction que quelque chose s’est brisé, qui relègue le passé vers un inaccessible que les mots peinent à rejoindre. Tout ce qui a percuté notre monde est de l’ordre de l’impensable. Il s’est produit, écrit-elle dans la très intense section « L’inachevé de soi »

    « quelque chose de plus inquiet que moi qui me dépasse

    halètement anonyme s’essoufflant aussi dans ma poitrine. »

    Quelque chose comme « un déclin et une douleur »

    « La déroute de l’esprit. L’ennoiement de la terre. Et une misère de toutes sortes. Mutique et bavarde. Et bavarde la pire d’ici où je vis. Misère du dedans. Riche et lâche. Des débris de crevettes et de crabes crissent sous les semelles.

    À force de sel crisse aussi dans les yeux… »

    Comment affronter ce qui dépasse ? Comment surmonter ce qui imprime au corps et au cœur pareille douleur ?

    Relire Lucrèce et son De natura rerum. Retrouver à la lumière de sa sagesse ce dédain des dieux, ces rythmes qui scandaient la « délivrance,
    un comment être heureux au défi de la mort ».


    Lui emboiter le pas et écrire à sa suite pour dénoncer « l’inéquitable, barbare et pathétique » qui se vit dans un « ici maintenant » inhumain et brisé. Et se laisser porter par « l’obstination d’écrire ». Se fondre dans « l’intensité du détail » qui « apaise ».

    « Prends l’arrosoir pour que demain ne s’éteigne pas dans le noir si noir d’au-delà de la nuit. L’immensité se cueille au jardin comme les fleurs de courges. »

    Et même si « vivre n’est accordé que par intermittence », profiter de l’oubli bénéfique qui écarte momentanément la lassitude de vivre et se laisser bercer par la tendresse.

    « Je passe le bras sur ta nuque. Ta peau est légère. Tes cheveux parfumés.

    Est-ce un pressentiment d’éternité leur glissé entre mes doigts

    à te lever cette élégance

    et la voix résonnant pour nous seuls quand nous aimons.

    Au lointain d’exister

    nous nous joignons. »

    À cela qui est l’amour, la poète dit OUI.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Claude Ber  Il y a des choses que non





    CLAUDE BER


    Claude-BER  ©-Adrienne-Arth NB
    Ph.© Adrienne Arth
    Source




    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes


    [Toujours la langue veut dire] (extrait du recueil Il y a des choses que non)
    Épître Langue Louve (note de lecture d’AP)
    In memoriam (extrait d’Épître Langue Louve)
    La mort n’est jamais comme (note de lecture d’AP)
    Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    Les mots, le vent, les herbes racontent (extrait de Mues)
    Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    Vues de vaches (note de lecture d’AP)
    Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (note de lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    le miel à la bouche



    ■ Voir aussi ▼

    le site de l’écrivain Claude Ber
    → (sur Recours au Poème)
    une lecture d’Il y a des choses que non, par Marie-Hélène Prouteau





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  • Rodolfo Alonso | Noche cargada



    NOCHE CARGADA



    el viento bebe
    en la noche

    salta
    a la espera
    de la distancia

    tus pasos
    oyen también
    ese clamor

    aire
    duro
    de los solitarios

    viento libre
    en la noche







    NUIT CHARGÉE



    le vent boit
    dans la nuit

    saute
    dans l’attente
    de la distance

    tes pas
    entendent aussi
    cette clameur

    air
    dur
    des solitaires

    vent libre
    dans la nuit



    Rodolfo Alonso, Entre dientes | Entre les dents, édition bilingue, éditions érès, 25e volume de la collection Po&psy princeps dirigée par Danièle Faugeras & Pascale Janot, 2016, page 68. Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jacques Ancet. Dessins de Sylvie Deparis.






    Rodolfo Alonso, Entre les dents





    RODOLFO ALONSO


    Rodolfo Alonso




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des editions érès)
    la fiche de l’éditeur sur Entre les dents de Rodolfo Alonso
    → (sur Recours au Poème)
    six autres poèmes issus d’Entre les dents de Rodolfo Alonso





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  • Giovanni Orelli | Su un insondabile verbo



    SU UN INSONDABILE VERBO



    Sono come svuotato, arso, come un fiasco
    che suoni fesso, e se ne duole e se ne lagna
    col tavolo di cucina un non santo bevitore;
    sono lavagna dei sei anni col suo pieno fitto di belle
    lettere, da una maestra nella veste della legge,
    scancellata ; sono, tenuto a vista dalla balaustrata,
    dai chierichetti in bianco, il mite mentecatto
    il muto, il fuco, il cattolico astinente che elegge,
    per onorare la memoria, la religione « di una volta »,
    una volta all’anno di comunicarsi:

    e sono qui, mia Pasqua del 10 luglio, dall’ a alla zeta
    a farmi rana, per un’ora pentita e contrita, al momento della lingua
    in fuori, a recitare il non sono degno… Riuscirò a tenere in serbo
    curvo tornando in fondo ai banchi dei pubblicani
    una di quelle lettere, per comunicarti, per me e pei figli
    lontani e così vicini, un insondabile verbo? Sii tu il poeta
    che decripta quel segno, anfibio come rana, lasciando vivere
    la rana! Non scancellare I silenzi dei pantani. Sii Iddio che legge
    nel fondo ai peccatori suoi. Sii tu, per noi, un giorno
    che duri un anno, della lettura muta, lieta.





    SUR UN VERBE INSONDABLE



    Je suis comme vidé, desséché, comme une fiasque
    qui rendrait un son fêlé, et ce n’est pas un saint buveur
    qui s’en désole et s’en plaint à la table de la cuisine ;
    je suis l’ardoise de mes six ans toute pleine de belles
    lettres serrées qu’une maîtresse en représentant de la loi
    efface ; je suis, gardé à vue de la balustrade,
    par des enfants de chœur en blanc, le doux idiot
    le muet, le faux-bourdon, le catholique abstinent qui choisit,
    pour honorer la mémoire, la religion d’« une fois »,
    de la communion une fois par année :

    et je suis ici, mes pâques du 10 juillet, à me faire
    grenouille de A à Z, une heure repentie et contrite, au moment
    de sortir la langue, à réciter le je ne suis pas digne… Réussirai-je
    regagnant courbé le fond des bancs des publicains à conserver
    une de ces lettres, pour te communiquer, pour moi et pour les enfants
    lointains et si proches, un insondable verbe ? Sois le poète
    qui décrypte ce signe, amphibie comme la grenouille, en laissant vivre
    la grenouille ! n’efface pas les silences des marais. Sois Dieu qui lit
    dans le fond du cœur de ses pécheurs. Et toi, pour nous, un jour
    qui dure une année, de la lecture muette sois heureuse.



    Giovanni Orelli, « Courante, 2 » in Concertino pour grenouilles [Concertino per rane, Edizioni Casagrande, CH-Bellinzona], La Dogana, Collection « Poésie », Collection dirigée par Florian Rodari, Genève, 2005, pp. 28-29. Traduction de Jeanclaude Berger et texte italien.






    Giovanni Orelli






    GIOVANNI ORELLI (1928-2016)


    Giovanni Orelli 2
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur viceversalittérature.ch)
    une notice bio-bibliographique (en italien) sur Giovanni Orelli
    → (sur RTS, Radio Télévision Suisse francophone)
    émission Haute définition (7 septembre 2014) – Giovanni Orelli : « Apprendre une langue nationale, un acte de foi ! »






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  • Jean-Pierre Chambon | L’invention de l’écriture



    L’INVENTION DE L’ÉCRITURE
    (Incipit)





    Souvent s’amenuise, et parfois se ramifie la trace du sentier qui pénètre dans la profondeur des marais. Une odeur de moisissure et de macération émane de l’eau morte, dont la présence se résume longtemps à un scintillement intermittent. À hauteur de temps vrombissent les libellules, fléchettes chatoyantes en suspens dans le mouvement de leur trajectoire. Un réseau de moucherons colonise un rayon de lumière. La moindre approche déclenche des palpitations d’ailes affolées dans les touffes de joncs impénétrables. La branche d’un aulne grince, le frissonnement d’un souffle parcourt les feuilles, les roseaux. Par endroits, le sol craquelé semble avoir été gratté, mais dans la plaie il n’y a qu’un peu de sable humide. Ailleurs, rampent des rhizomes entrelacés où l’on se prend les pieds. Près du bord, saupoudrée de duvet blanc, l’eau a pris la couleur de la rouille. Le sentier dont on a cru suivre le fil aboutit à une série de planches délavées formant un précaire pont flottant, qui s’interrompt quelquefois en plongeoir au milieu d’une mare aux grenouilles.

    De l’autre côté, quelques prés à tourbières où on laisse vaquer des troupeaux précèdent des landes humides, fumantes. S’avançant au-devant des broussailles et des bois obscurs tassés au pied des falaises, une ligne de bouleaux semble faire signe à qui s’est aventuré jusqu’ici. À quelques pas, un amoncellement de pierres moussues, aux formes oblongues pour la plupart, constitue les vestiges d’une ancienne construction qu’une tradition paysanne désigne comme l’oratoire de Notre-Dame- des-Ombres. Mais aucun légat n’a jamais consacré le lieu ni confirmé le nom. Il est plus probable, du moins le croit-on, que cet amas de pierres gagné par les ronces et les orties remonte à l’époque d’une reine nommée Zélia. Simple abri voûté ou monument érigé à une gloire qu’il a échoué à perpétuer, personne n’a tenté de reconstituer l’édifice pour en déterminer la fonction. Du reste, l’entreprise aurait été vouée à l’échec car certaines pierres, dont on a aisément établi la provenance, ont été il y a fort longtemps prélevées à l’ensemble et remployés dans les murs des plus vieilles bâtisses de la contrée.

    Si l’hypothèse d’une construction pâtit d’un sérieux défaut de fondement, il est parfaitement imaginable que nombre de ces pierres — leur forme autorise à le penser — aient servi de reposoirs sur lesquels on étendait les végétaux singuliers récoltés dans les parages. Car, selon toute vraisemblance, le lieu correspondait bien, du moins tel qu’il est décrit par l’une d’elles, à l’endroit où croissaient les « feuilles parlantes », dont l’herbier-bibliothèque qui est parvenu jusqu’à nous et dont par on ne sait quel miracle conserve d’innombrables spécimens.



    Jean-Pierre Chambon, « L’invention de l’écriture » in Zélia, Al Manar, Collection Récits & Nouvelles, 2016, pp. 9-10. Couverture de Marc Pessin.






    Jean-Pierre Chambon, Zélia





    JEAN-PIERRE CHAMBON


    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Source




    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes


    Zélia (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Des lecteurs (extrait)
    Des lecteurs (lecture d’AP)
    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d’AP)
    [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Fleurs dans la fleur]
    Noir de mouches (extrait)
    Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Un écart de conscience, II (extrait)
    Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)






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  • Michel Leiris | Glossaire j’y serre mes gloses [P]



    Brassai, Michel Leiris
    Brassaï, Michel Leiris, octobre 1962.
    Source






    P





    PAIX — les passions paissent.
    PALAIS — la paix des pierres pâles.
    PANDORA — qui se pendra l’aura !
    PARABOLE — parcours habile des mots arables. Labourage boréal…
    PARADIS — (consonnes dures : P, R, D, comme « perdu » ; voyelles froides : A, I, comme « haï ».)
    PARESSE — répit : repas de liesse…
    PARI — Pascal rit.
    PAROLES — leur rôle est une opale.
    PASSÉ — face assez basse, tassée ; pâle comme un fossé.
    PASSE-TEMPS, sape-temps.
    PASSION — je passe, et je subis désirs, et dérision.
    PATRIE — tripaille.
    PÂTURE — nourriture passive : elle pâtit.
    PAUPIÈRE — aiguière où repose l’eau paisible de l’œil.
    PAYSAGE — cage de pailles en saillie.
    PEAU — suppôt, support, des poils ou des plumes ; les pores sont leurs pivots.
    PELAGE — sur la plage de la peau, le peu d’alpage.
    PENDULE — empuse de midi ou de minuit, paon ocellé du temps perdu.
    PÉNIS — que son pêne glisse…
    PENSÉE — s’épand sans cesse, ou bien s’empèse.
    PENSER — serpenter.
    […]
    POÉSIE (je l’ai choisie pour épousée…)




    Michel Leiris, Glossaire j’y serre mes gloses, 1939 in Mots sans mémoire, Éditions Gallimard, Colllection L’Imaginaire (n ° 375), 1969, pp. 103-104.





    ___________________________________
    Note de l’éditeur : le recueil Mots sans mémoire, publié en 1969, rassemble des textes écrits entre 1925 et 1961, parmi lesquels figure le célèbre Glossaire j’y serre mes gloses. Ce livre révèle la nature du travail poétique de Michel Leiris, attaché à définir le langage comme révélation de soi-même et des autres :
    « Une monstrueuse aberration fait croire aux hommes que le langage est né pour faciliter leurs relations naturelles… En disséquant les mots que nous aimons, nous découvrons leurs vertus les plus cachées et leurs ramifications secrètes qui se propagent à travers tout le langage. »






    Michel Leiris, Mots sans mémoire





    MICHEL LEIRIS


    LEIRIS_VENISE_1952
    Source



    ■ Michel Leiris
    sur Terres de femmes

    18 janvier 1931 | L’Afrique fantôme
    5 avril 1932 | Du carnet de voyage au journal intime
    17 décembre 1934 | Salomé dans L’Âge d’homme de Michel Leiris
    Léna



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur pileface.com)
    Portraits de Michel Leiris (avec des documents d’archives sonores rares)






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