Étiquette : Constantin Cavafy


  • Constantin Cavafy | Si seulement



    Ας φρόντιζαν



    Kατήντησα σχεδόν ανέστιος και πένης.
    Aυτή η μοιραία πόλις, η Aντιόχεια
    όλα τα χρήματά μου τάφαγε:
    αυτή η μοιραία με τον δαπανηρό της βίο.

    Aλλά είμαι νέος και με υγείαν αρίστην.
    Κάτοχος της ελληνικής θαυμάσιος
    (ξέρω και παραξέρω Aριστοτέλη, Πλάτωνα·
    τι ρήτορας, τι ποιητάς, τι ό,τι κι αν πεις).
    Aπό στρατιωτικά έχω μιαν ιδέα,
    κ’ έχω φιλίες με αρχηγούς των μισθοφόρων.
    Είμαι μπασμένος κάμποσο και στα διοικητικά.
    Στην Aλεξάνδρεια έμεινα έξι μήνες, πέρσι·
    κάπως γνωρίζω (κ’ είναι τούτο χρήσιμον) τα εκεί:
    του Κακεργέτη βλέψεις, και παληανθρωπιές, και τα λοιπά.

    Όθεν φρονώ πως είμαι στα γεμάτα
    ενδεδειγμένος για να υπηρετήσω αυτήν την χώρα,
    την προσφιλή πατρίδα μου Συρία.

    Σ’ ό,τι δουλειά με βάλουν θα πασχίσω
    να είμαι στην χώρα ωφέλιμος. Aυτή είν’ η πρόθεσίς μου.
    Aν πάλι μ’ εμποδίσουνε με τα συστήματά τους —
    τους ξέρουμε τους προκομένους: να τα λέμε τώρα;
    αν μ’ εμποδίσουνε, τι φταίω εγώ.

    Θ’ απευθυνθώ προς τον Ζαβίνα πρώτα,
    κι αν ο μωρός αυτός δεν μ’ εκτιμήσει,
    θα πάγω στον αντίπαλό του, τον Γρυπό.
    Κι αν ο ηλίθιος κι αυτός δεν με προσλάβει,
    πηγαίνω παρευθύς στον Υρκανό.

    Θα με θελήσει πάντως ένας απ’ τους τρεις.

    Κ’ είν’ η συνείδησίς μου ήσυχη
    για το αψήφιστο της εκλογής.

    Βλάπτουν κ’ οι τρεις τους την Συρία το ίδιο.

    Aλλά, κατεστραμένος άνθρωπος, τι φταίω εγώ.
    Ζητώ ο ταλαίπωρος να μπαλωθώ.
    Aς φρόντιζαν οι κραταιοί θεοί
    να δημιουργήσουν έναν τέταρτο καλό.
    Μετά χαράς θα πήγαινα μ’ αυτόν.

    [1930]



    Κωνσταντίνος Π. Καβάφης, Τα Ποιήματα 1897-1933, Ίκαρος, 1984.







    Kavafy 2






    SI SEULEMENT



    Je suis tombé bien bas, presque sans domicile.
    Cette ville fatale, Antioche,
    a dévoré tout mon argent :
    cette ville fatale et son train de vie dispendieux.

    Mais je suis jeune et en parfaite santé.
    Je maitrise le grec admirablement
    (sur le bout des doigts je connais Aristote et Platon ;
    les rhéteurs et les poètes, et tout ce qu’on voudra).
    J’ai une petite idée de l’art militaire,
    des amitiés parmi les chefs des mercenaires.
    Et des entrées dans l’administration.
    J’ai passé six mois à Alexandrie, l’an dernier ;
    je connais un peu (atout profitable) ce qui s’y trame ;
    les visées de Kakergète, ses sales affaires, et cætera.

    En conséquence de quoi je suis à mon avis
    tout indiqué pour servir ce pays,
    ma chère patrie, la Syrie.

    Quelque emploi qui me soit donné, je tâcherai
    de me rendre utile à mon pays. Voilà mon intention.
    Si en revanche leurs combines m’en empêchent —
    on les connaît, les ingrats : nul besoin d’en dire davantage…
    s’ils m’en empêchent, ce ne sera pas ma faute.

    Je m’adresserai d’abord à Zavinas
    et si ce demeuré ne sait pas m’apprécier,
    j’irai vers son rival, Grypos.
    Et si cet idiot ne m’engage pas non plus,
    je m’en vais tout droit chez Hyrcanos.

    L’un des trois voudra sans doute de moi.

    Et j’ai la conscience en paix
    du choix malavisé.

    Tous les trois nuisent à la Syrie à titre égal.

    Quant à moi, homme ruiné, où est ma faute ?
    Pauvre malheureux, je cherche à me refaire.
    Si seulement les dieux tout-puissants s’étaient donné la peine
    d’en créer un quatrième qui vaille.
    Je serais allé vers lui très volontiers.



    Constantin Cavafy in Revue Europe, Constantin Cavafy | La Grèce au cœur, juin-juillet 2013, N° 1010-1011, pp. 65-66. Traduit du grec par Maria Tsoutsoura.






    Constantin Cavafy







    CONSTANTIN  CAVAFIS  [CAVAFY]


    Constantin Cavafis par Yannis Kephallenos
    Source



    ■ Constantin Cavafy
    sur Terres de femmes

    À l’ombre de Cavafis, par Nikos Lybéris



    ■ Voir aussi ▼

    le site officiel (en anglais) de Constantin Cavafy





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  • À l’ombre de Cavafis

    par Nikos Lybéris




    L'ombre de Kavafis bis
    Source





    À L’OMBRE DE CAVAFIS



    Au Caire, purgé par cinq semaines de désert hors piste, je suis réveillé par la voix suave et puissante du muezzin ― celle de la première prière du matin ―, qui vous emporte pour un réveil des profondeurs. Abdulhadi, en blazer, cravate et casquette de chauffeur de maître, solennel mais toujours souriant, m’attend, à ma grande surprise, dans une berline aux sièges de cuir qui tranche avec le véhicule tout terrain et poussiéreux de la veille. Nous plongeons dans les parfums du Caire, mélange d’épices et de boue, à la faveur des dernières lueurs de la nuit.

    En route pour Alexandrie, capitale cosmopolite depuis sa fondation, aux confins du grand désert et de la Mer, ville du Quatuor de Lawrence Durrell et de Cités à la dérive de Stratís Tsírkas. Cité de tous les interdits et de toutes les licences, porte de l’Orient ouverte sur l’Europe, vingt-trois siècles durant, Alexandrie est le point de rencontre de l’Orient et de l’Occident. Mais c’est, avant tout, la ville dont l’âme est tout entière contenue dans les vers du poète Constantin Cavafis (ou Cavafy, 1863-1933) [Κωνσταντίνος Πέτρου Καβάφης] qui y a vécu et y est mort, pauvre et quasi inconnu, avant que la sobre puissance de sa poésie lui vaille peu à peu la célébrité. Cavafis est incontestablement le fondateur de la poésie moderne de langue grecque. Bien que parfaitement anglophone autant que francophone pour avoir vécu en Angleterre et en France, c’est en grec qu’il a écrit ses 154 poèmes.

    Lors de mes précédents voyages en Égypte, je n’avais pas eu l’occasion de visiter Alexandrie et la modeste chambre – transformée depuis quelques années en musée ― où Cavafis a passé les dernières trente années de sa vie. De l’Égypte, je ne connaissais que les déserts, les côtes de la Mer Rouge, et la petite île de Zabargad d’où provenaient les émeraudes des pharaons.

    Rasés de près, présentables pour les sédentaires que nous étions amenés à rencontrer, nous sommes partis dans le calme des premières heures, bientôt rattrapés par le tintamarre habituel à cette ville. Cela nous changeait du désert où il n’y a ni routes, ni traces, juste parfois des pistes qui se croisent, se perdent, ne menant nulle part, le désert où l’on se trouve comme suspendus face à un horizon dépourvu de repères, ouvert à toutes possibilités, toutes directions. Pris dans une incertitude vitale où l’on se sent libre. Le voyage y est dicté par la direction que l’on a choisie, car, comme le dit si bien Cavafis, c’est plus le voyage qui compte que son but.

    La grand-route que nous avons prise et qui mène du Caire à Alexandrie longe le Wadi Natrum, fameux Désert de Nitrie, où vécurent dès le IIe siècle les premiers anachorètes chrétiens, qui fondèrent des monastères, encore en activité aujourd’hui. Mais, pris par la fatigue, je n’en ai presque rien vu.

    Au moment de notre arrivée, à l’horizon, le soleil a quitté la terre. On avance le long de la Corniche, là où la brise salée rencontre l’air sec du désert. Je me demande qui pourra m’indiquer l’adresse de la maison où a vécu le désormais célèbre Cavafis. J’ai la conviction qu’un Grec sera le mieux à même de me renseigner. Il doit bien rester encore quelques membres de la puissante communauté grecque d’Alexandrie des années 1950.

    À un tournant de la route jusqu’alors déserte apparaît devant nous le « Restaurant Kalithéa », nom grec par excellence (qui signifie Bellevue). Sous le regard sévère d’un élégant quadragénaire, à coup sûr le patron, deux garçons s’affairent pour mettre tables et chaises en place, malgré l’heure matinale. Je m’adresse à lui en grec, mais il me répond, avec courtoisie, en français : « Monsieur, s’il vous plaît, pourriez-vous parler français ou anglais ? ». Je répète ma question en français, et l’homme, qui avait très certainement bénéficié d’une excellente éducation, m’explique qu’il ignore qui était Cavafis.

    Je comprends que pour les habitants d’Alexandrie seule compte la culture ouest-européenne. Autrefois, les gouvernantes devaient être françaises et les enfants de la bonne société avaient pour langue maternelle le français. Un écrivain de langue grecque ne pouvait être pour eux qu’un écrivain de seconde zone. Nul doute que Cavafis avait, lui aussi, grandi dans cette ambiance. C’est alors qu’il m’apparaît que, pour cette minorité grecque et pourtant indigène, suite à la fondation de la ville par Alexandre le Grand, le temps s’est arrêté depuis l’époque où régnait la prospérité et où l’on profitait de la richesse des échanges avec l’Europe.

    Nous nous regardons, lui, le natif d’Alexandrie, et moi, un parfait étranger à la ville. Mon interlocuteur me conseille l’église grecque du quartier où il y a toujours beaucoup de monde à la fin de la liturgie dominicale. C’est justement l’heure de la sortie des fidèles. Il nous indique le chemin. On commence par se perdre mais on finit par arriver dans le secteur d’El Raml ― Le Sable ―, devant une petite église orthodoxe qui n’a rien d’une cathédrale. Quelques anciens sirotent leur café dans la cour en papotant, en grec. D’honnêtes gens, modestes. Ce ne sont pas des magnats du coton ou du tabac. Je pose la question qui me taraude et vois les yeux s’ouvrir et se refermer, une circulation de regards. Aucun d’eux ne connaît le nom de Cavafis et moins encore l’endroit où il habitait, mais ils cherchent qui pourrait me renseigner. Ils me conseillent finalement de m’adresser à Nicolas, un émigré d’Ios, dans les Cyclades, qui joue aux cartes au café comme tous les dimanches. Va pour le café.

    C’est un établissement modeste mais propret. Quand je prononce le nom de Nicolas, je vois une casquette émerger et un regard qui me scrute. Je réitère mes explications et ma question. Nicolas n’a pas fait d’études, il ne parle pas français, il ne sait pas qui est Cavafis ― pour lui la poésie se résume aux chansons ―, mais il est très serviable. Il s’agite dans tous les sens, il répète mes questions en version simplifiée, tantôt en grec tantôt en arabe. Puis il m’oriente vers un garage tenu par un Arménien. Dans une atmosphère imprégnée de graisse et d’huile de moteur, un personnage grisonnant comprend enfin mon arabe très rudimentaire. Comme on pouvait s’y attendre, il n’a jamais entendu parler non plus de Cavafis. Après réflexion, il me conseille de m’adresser à une dame qui, vu son âge, aurait pu le connaître. Elle habite tout près de là.

    J’arrive devant un immeuble bourgeois du XIXe siècle, quelque peu délabré, avec des étages hauts de plafond, chaleur oblige ! Niveau rue, j’aperçois une porte avec une plaque de cuivre et un nom gravé, RAHEL. Il y a une sonnette électrique. Je sonne. Pas de réponse. Je frappe. Je perçois des bruits lointains, indistincts. Je m’aperçois que la porte est ouverte. Je pousse le battant et entre dans un long couloir, faiblement éclairé. De chaque côté, des portes fermées. Vers le milieu, quelques fauteuils appuyés au mur ainsi qu’un fauteuil roulant. Une dame aux cheveux blancs, la grande classe, y est assise. Elle se tient toute droite, un plaid couvre ses jambes. Elle est mince et, si elle se levait, elle serait grande. Belle femme, encore, effectivement très âgée. Je sens l’effet que produit sur elle mon intrusion, mais c’est sans la moindre surprise qu’elle me salue dans un français sans accent. Une gouvernante vient arranger sa mise et nous apporte du thé anglais. Avec une courtoisie exquise, on bavarde comme de vieux amis qui se retrouvent dans un salon d’autrefois éclairé a giorno. Elle semble contente de cette visite inattendue d’un inconnu qui rompt la monotonie du quotidien.

    Tout en elle crie qu’elle a été une femme du « monde », tant que ce « monde » a existé, une femme qui a dû « faire des ravages » dans la gent masculine et distinguée de l’époque. Elle me cite des noms et des événements, des amours ― superbes sans doute ―, toutes choses qui me sont complètement étrangères. Je lui demande alors si elle n’a pas connu Cavafis, un poète grec qui vivait dans le quartier quelque soixante ans plus tôt. Après avoir fouillé un instant dans la galerie de ses souvenirs, elle se redresse et me répond avec superbe : « Je ne crois pas l’avoir connu, mais lui me connaissait certainement ». Je m’abstiens de l’informer que Cavafis ne s’intéressait pas aux femmes.

    Je prends congé d’elle et décide de retourner voir Nicolas. Toujours aussi bruyant et gesticulant, toujours aussi serviable, il me conseille, après conciliabule avec lui-même, d’aller voir une dame grecque qui, d’après lui, devrait pouvoir m’aider. Abdulhadi, avec sa patience habituelle, m’attend, m’accompagne, écoute, se moque discrètement, comprend tout sans rien laisser paraître. Il faut dire que depuis des années nous sommes des compagnons du désert.

    Nous arrivons dans un immeuble neuf, inachevé. Au 2e étage, une dame en noir, austère, m’ouvre la porte. Elle m’interroge du regard avec un rien d’inquiétude, mais ne m’invite pas à entrer. Derrière elle, j’aperçois un vaste salon avec un mur couvert de livres, du plancher au plafond, des meubles européens et des tapis de qualité. La dame n’est pas seulement habillée en noir, le noir semble l’avoir totalement envahie. Son regard est noir, ses paroles sont noires et si elle se permettait un sourire, je suis convaincu qu’il serait noir. Visiblement, elle est en grand deuil, sans doute la disparition de quelqu’un de proche, mais, peut-être aussi, le deuil d’un monde, son monde, qui a disparu à jamais et, avec lui, sa jeunesse, ses rêves et ses espoirs.

    De retour à la voiture, on se dirige à nouveau vers le café de Nicolas qui, entre-temps, a mené une enquête fructueuse. Il a obtenu les informations que je recherchais et il nous accompagne jusqu’à un immeuble bourgeois, quelque peu délabré, de la rue anciennement dénommée Lepsius, non loin de la station El Raml, qui fait office de pension ou de quelque chose d’approchant ― quelques années plus tard, la pension sera transformée en un petit musée accueillant. Un pensionnaire égyptien, habillé à l’européenne, me permet, moyennant paiement de dix livres égyptiennes, d’entrer dans sa chambre du deuxième étage, là où Cafavis a vécu les dernières années de sa vie.

    C’est une chambre sombre ― pour protéger de la chaleur ― avec une table, deux lampes électriques, un lit en bois lourd, une table de nuit et une commode. Tout cet ameublement d’origine européenne, confortable mais sans luxe, pourrait être celui de Cavafis. Les murs ont grand besoin d’être rafraîchis. Je me sens à l’étroit, envahi par une mélancolie indéfinissable. Comme si quelque chose de triste planait dans l’air. C’est peut-être le manque de lumière. Je ne reste pas longtemps dans cette chambre. Je la quitte pour la lumière du fameux restaurant de poissons Zéphyrion, si prisé par la communauté diplomatique, à Aboukir, au bord de la Méditerranée. À la grande joie d’Abdulhadi.



    Nikos Lybéris
    D.R. Texte Nikos Lybéris
    pour Terres de femmes







    CONSTANTIN  CAVAFIS  [CAVAFY]


    Constantin Cavafis par Yannis Kephallenos
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