Étiquette : Corinne Le Lepvrier


  • Sophie Eustache, Corinne Le Lepvrier | El blâd el medina le pays la ville


    EL BLÂD EL MEDINA LE PAYS LA VILLE




    El blâd el medina le pays la ville   elle   là-bas temma ech chemsss elle le soleil es smaâ elle le ciel   er   rîh elle le vent el mââ elle l’eau elle la pluie ech chta   elle a soif hia atchana   elle la nuit et le jour el lil o n nahar   elle petite ss’ghira elle peu chwiya elle trop bezzaf moins qel   elle part mchat   elle est la route raha et triq   elle la langue el lugha elle la parole el kelma elle la réponse peut-être proche ej jawab yemken grib   est-elle la clé de la maison raha es sarut dial d dar est-elle la chambre raha el bitt   il y a-t-il une femme dans la chambre kayen shi m’ra fi el bitt   elle ne sait pas ma’ aarfa’ch elle ne comprend pas ma fahma’ch rien walou du tout koulchi quelque chose ou quelqu’un d’autre chihaja oula chiwahad akhor elle dit qalat où vas-tu maintenant fin gadi daba quand quel jour imtha yemtha ce n’est pas maintenant machi daba viens demain aji ghedda pourquoi pas âlach la regarde [cherche] tu écris chûf ktebiti sois la bienvenue marhbabik yallah on y va inch’allah

    [rudiments maintenant qu’elle parle dans une langue approximativement [darija] c’est être allée là-bas à n’en pas douter il n’est plus nécessaire d’y retourner] [pourvu que ce soit ensemble qu’elle soit parie pourvu qu’elle ait oublié que cela lui revienne] [il y a plus ambigu que les mots] [amour au sens large se dit houb peau jeld cannelle qarfa hajal signifie la perdrix la chapelle le lit nuptial]




    nos corps
    tables rases
    ce qu’il en restera une fois
    évidés
    essorées
    nos bouches nos haleines
    nos ombres
    dépouillé[es] de leurs
    frusques
    une fois
    désossés
    énervés
    ce qu’il en restera
    nos sexes
    d’éternels ébréchés
    nos yeux
    en crue
    […]




    Sophie Eustache, Corinne Le Lepvrier [textes], Corinne Le Lepvrier [photographies] , Les Allantes, éditions La Renverse, Collection Deux choses lune, Caen, 2019, 70-72.





    Les Allantes montage




    CORINNE LE LEPVRIER


    Corinne Le Lepvrier 2
    Source




    ■ Corinne Le Lepvrier
    sur Terres de femmes


    Compte de femmes (lecture d’AP)
    [Je me suis arrêtée, je tourne à vide](extrait de Pourquoi la vie est si belle ?)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Corinne Le Lepvrier
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Corinne Le Lepvrier






    SOPHIE EUSTACHE


    Sophie Eustache
    Source




    ■ Voir encore ▼


    → (sur le site des éditions Amsterdam)
    une notice bio-bibliographique sur Sophie Eustache





    Retour au répertoire du numéro de juin 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Corinne Le Lepvrier, Compte de femmes

    par Angèle Paoli

    Corinne Le Lepvrier, Compte de femmes,
    Approches éditions, Collection Textes nus,
    janvier 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli




    CONTE DE LA « NOUVELLE SECONDE FEMME »



    Combien sont-elles au juste ? Difficile de faire le “dé-compte” avec précision. Elles se fondent les unes aux autres se confondent s’entremêlent. Se dérobent à une saisie unique. Elles forment toutes ensemble une longue étole de mailles, à la fois distinctes et floues, d’où émerge le visage (et les visages) de celle qui s’aventure à recomposer (avec elles et pour elle) son existence. Elle, c’est Corinne Le Lepvrier, poète et conteuse. Avec ce bref opus d’une écriture subtilement elliptique, une plaquette de dix pages en vingt-deux paragraphes, la poète se lance dans un voyage haletant et serré dans sa propre vie. En amont et en aval. Anticipations et montaisons du fleuve. Avec regards en arrière, à la manière d’Eurydice. De ce cheminement — un rebrousse-temps en premier lieu, qui s’immisce dans le présent pour filer vers un avenir proche — où « elle chercha veilla les hommes », ce sont les femmes qu’elle rencontre. Mère aïeules amantes filles et jusqu’à « l’inconnue déjà là », la non-nommée, Compte de femmes en est l’histoire. Et la poète, le maillon fort.

    De chacune de celles qui ont compté pour elle à un moment de sa vie, la narratrice a quelque chose à apprendre. De chacune d’elles elle reçoit. L’expérience de la maladie et de la mort ; celle de l’« amitié-complicité » et celle d’une forme de bonheur. Avec celle qui vient « d’une contrée plus chaude et ventée » (une conteuse, elle aussi ?), elle revit le souvenir de « sa mère-silhouette sans cheveux ». Souvenir qui ravive en elle sa douleur d’enfant. Ailleurs, d’autres l’invitent à les rejoindre dans leurs joutes amoureuses. Tous ces dons constituent l’essence même du conte de fées. Autant dire que ces dons sont loin d’être toujours bienveillants. Cependant la plupart des femmes rencontrées en chemin l’aident à aller de l’avant dans son « parcours » singulier ; elles la soutiennent, la guident et lui montrent la voie pour se défaire de ses peurs, « l’invitant à enjamber la passerelle […] regarder suffisamment affirmer le parcours déjà écrit tracé (peut-être fruit) ». Tout cela est suggéré, souvent de manière énigmatique ou estompée, plutôt qu’exprimé dans la crudité d’une réalité brute.

    Dans son enfance, la poète se voit en jeune guerrière audacieuse, dressée contre les austérités de ses aïeules, transmises de génération en génération. Elle est celle qui se rebiffe en sa jeunesse fougueuse mais aussi celle qui « écarterait loin de ses attentions de ses lignées lignes

    origines racines

    dès que-suite à la mère morte. »

    De paysages en visages, entre plus tard et ailleurs, la narratrice découvre d’autres histoires. Et, avec chacune d’elles, d’autres modes d’être. Avec ses deux filles, si différentes l’une de l’autre, elle fait l’expérience des contraires. Ce qu’elle avait appris de l’aînée ne vaut pas pour la cadette. L’aînée lui « demanderait de changer à une heure

    d’une douce permanence

    de l’être ».
    La puînée au contraire

    « lui demanderait de ne pas changer à

    une heure d’un imminent désir d’être autre ».

    Toutes deux se rejoignent dans la leçon commune qu’elles donnent à leur mère : celle de la « nécessité-beauté »/« beauté-nécessité » de « l’attachement-détachement ». Mais elle, la mère, où est-elle au juste ? Quel est son désir ? Assurément dans l’écriture. C’est là son port d’attache, son lieu de vie et son lieu d’être. Pour celle qui soudain se découvre vieillissante, soumise comme tant de ses sœurs au « jeu des saisissements et des déplacements » amoureux, se mettre en quête d’une autre elle-même relève d’une nécessité. Une autre elle-même qui donnerait naissance à « une nouvelle seconde femme ». Une nouvelle Ève en quelque sorte. Celle-là même qui contiendrait et rassemblerait en elle toutes celles qui l’ont aidée à se construire et qu’elle a aimées. Seule l’écriture peut permettre pareille symbiose ; pareille magie. Même si l’écriture est apparemment déstructurée, comme l’est celle de Corinne Le Lepvrier. Comme peut aussi l’être une vie. Une écriture qui procède par juxtapositions et pluralité de collages, à la manière des cubistes. Déconcertante, en somme, comme l’est toute vie qui diffère de la nôtre. Et qui pourtant rejoint celles de toutes les femmes. Prises dans la nécessité de couper des liens pour pouvoir en créer d’autres. Et parvenir à les assumer.

    Au début du voyage, la poète était celle qui, dans sa jeune inexpérience, regardait « insuffisamment les paysages et les fruits et les fleurs à cueillir les lieux les ciels qu’offrait sa terre ». Après sa traversée dans l’existence, elle est celle qui se définit comme « éprise de la nécessité du geste de considérer les paysages et les fruits et les fleurs à cueillir les lieux les ciels jusqu’ici ignorés ».

    Parvenue au terme de son cheminement, la « nouvelle seconde femme » se découvre soudain allongée étirée grandie. Comme nombre d’héroïnes des contes de nos enfances. Grandie par le regard qu’elle porte sur le monde qui l’entoure. Grandie par le regard qu’elle porte sur ses présences modestes. Un beau parcours que ce Compte de femmes. Riche d’enseignements. Riche de désirs.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Corinne Le Lepvrier, Compte de femmes,





    CORINNE LE LEPVRIER


    Corinne Le Lepvrier 2
    Source




    ■ Corinne Le Lepvrier
    sur Terres de femmes

    [Je me suis arrêtée, je tourne à vide](extrait de Pourquoi la vie est si belle ?)
    Sophie Eustache, Corinne Le Lepvrier | El blâd el medina le pays la ville (extrait des Allantes)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Corinne Le Lepvrier
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Corinne Le Lepvrier





    Retour au répertoire du numéro de novembre 2016
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Corinne Le Lepvrier | [Je me suis arrêtée, je tourne à vide]




    Le ciel transpercé de nuages
    « Où est-ce que ça vit ce qu’on écrit ? »

    Image, G.AdC








    [JE ME SUIS ARRÊTÉE, JE TOURNE À VIDE]





    Je me suis arrêtée, je tourne à vide.



    Ciel et oiseau qui traînent.



    C’est eux certaines fois qui m’empêchent de dormir.



    Où les phrases sont tout à la fois détachées et solidaires
    les unes des autres.



    Plus aucune visibilité, plus visible à moi-même.



    Les statistiques sont là : nous mourrons davantage
    lorsque le temps est mauvais.



    Avec ce vent de mer j’ai peine à t’entendre.



    On n’a pas pris la précaution que tu me montres où
    sont les autres morts.



    Où est-ce que ça vit ce qu’on écrit ?



    Je trouve pas : je cherche quelques mots qui diraient
    encore plus grand que ta vie : quoi papa ?



    Je pressentais ce lien indicible entre aimer et mourir ;
    je l’avais lu.



    C’est avec retenue que j’évoque les oiseaux : je ne
    voudrais pas me tromper.



    Nous n’écrirons jamais (plus loin) que la feuille, que la
    vie ; lits où nous aimons, où nous mourrons.



    La mémoire incertaine et volatile.



    Le ciel transpercé de nuages ; ce moment où ça parle
    (de toi) sans toi.




    Corinne Le Lepvrier, Pourquoi la vie est si belle ? (avec Néo et un peu d’oiseaux —pour aider—), Éditions LansKine, 2013, pp. 24-25.





    CORINNE LE LEPVRIER


    Corinne Le Lepvrier 2
    Source




    ■ Corinne Le Lepvrier
    sur Terres de femmes


    Compte de femmes (lecture d’AP)
    Sophie Eustache, Corinne Le Lepvrier | El blâd el medina le pays la ville (extrait des Allantes)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Corinne Le Lepvrier
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Corinne Le Lepvrier





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes