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  • Terres de femmes | Terre di donne : 12 poètes corses

    par Alain Nouvel

    Terres de femmes | Terre di donne
    12 poètes corses,

    anthologie bilingue (français-corse)
    coordonnée par Angèle Paoli,
    Éditions des Lisières, Collection Hêtraie
    (voix poétiques féminines bilingues), 2017.
    Linogravure de Maud Leroy.



    Lecture d’Alain Nouvel



    COULEURS DE FÉMININ(S) ?



    « rien ce soir

    rien au couchant

    rien à l’aube

    rien »

    Marianne Costa,

    « Solstice d’hiver »



    « La femme, ce continent noir », soupirait Freud, et Lacan poursuivait en affirmant : « La femme n’existe pas ». Or, Terres de femmes | Terre di donne nous donne à lire 12 « poètes » au féminin, et non pas 12 « poétesses ». C’est que le féminin n’est pas dans les images stéréotypées de « LA » femme, ou de ce que devrait être une prétendue « poésie féminine ».

    Ce que j’ai entendu, en lisant ces voix de femmes (et l’objet-livre donne à entendre-voir ces « noms de femmes », appelés l’un après l’autre, avant chaque corps de texte), c’est la couleur du féminin, et, pour tout dire, les multiples couleurs des féminins.

    Le titre du recueil, déjà, renseigne. Le pluriel est de mise. Même si ces femmes sont toutes corses (ou apparentées corses), leur île est multiple. D’ailleurs chacune est « isolée » chaque fois des autres par une page blanche, comme par une étendue marine. Avec chaque poète, nous touchons un nouveau rivage, une terre nouvelle, autre.

    « Nul ne sait que je suis étrangère », dit Catherine Getten Medori, mais nul n’ignore que nous le sommes tous, et Danièle Maoudj, dans son poème dédié à Angèle, semble répondre en évoquant les Antilles : « J’atteins la prunelle du volcan » ou encore : « La nuit des mots épice l’insomnie des archipels » […] C’est que « [m]aronne le sens de la vie », et la poésie pourrait bien m’inviter « à traverser l’épreuve de l’étrangère »…

    Que savons-nous de nos prétendues « identités », de nos genres ? Ne sommes-nous pas obscurs à nous-mêmes ? Comme le dit Anne Marguerite Milleliri : « L’enfance tremble jusqu’aux os | dans le corps d’une femme » et si « [t]remble l’absence », alors, il ne reste plus que « le risque du chemin », « ce risque d’amour qu’est l’amour », et Lucia Santucci semble lui faire écho en faisant chanter « le marin qui s’improvise sage-femme » et qui accueille dans ses bras le nouveau-né de « l’africaine, la migrante ».

    Mais c’est Hélène Sanguinetti qui apporte à cette question la réponse la plus radicale et la plus forte :

    « Le mal ? vouloir tout […] Ici, je sais qui je suis : personne. »

    C’est sur une plage que la révélation peut avoir lieu, au moment où se confondent la mer et la nuit, au moment où « deux surfaces se sont éprises, battent ensemble ». Et l’on peut également penser à ce « Personne » que fut Ulysse.

    Nous sommes nos contradictions, nous en vivons, elles nous bâtissent. « Une mère pleure », dit Marianghjula Antonetti-Orsoni déplorant la guerre qui « anéantit les couleurs de l’humanité », et Angèle Paoli évoque, elle, « l’ultime conciliabule » entre une mère et sa fille, ce passage terrible de la vie au trépas de « mamma », ce moment où « ELLE EST » tandis qu’elle n’est plus, où « elle » passe d’ici en ailleurs, où elle devient autre, où elle devient tout.

    Peut-être que l’un des traits les plus caractéristiques du « féminin » serait cette aptitude à la métamorphose, ce « oui » dit au passage, à l’accueil de l’autre, en soi ou avec soi. D’ailleurs, nous lecteurs, glissons sans cesse de la langue corse au français, du français au corse comme pour mieux entendre ce qui se dit entre les mots, ce qui s’élabore à travers eux et leur échappe. La poésie est dans cet écart, dans ce mouvement de l’une à l’autre langue : « mer masculine en notre langue, mer-femme en d’autres langues », dit Lucia Santucci. Et Marie-Ange Sebasti continue en inventant en corse le mot Migrazione, qui n’existe pas encore mais qu’elle fait exister dans son poème. Elle parle de « villes grouillantes » dans la version française de son texte, ce qui est traduit en corse par cità bufunime (mot à mot, « villes bourdonnantes »)… Nous avons besoin des deux, du grouillant et du bourdonnant, pour entendre et voir ces villes.

    Après vous avoir lues, poètes, j’ose vous dire :

    « Je me sens femme comme vous, poète et corse, comme vous. »



    Alain Nouvel
    D.R. Texte Alain Nouvel
    pour Terres de femmes




    ______________________________________
    NOTE : Les auteures :

    Marianghjula Antonetti-Orsoni, Marianne Costa, Patrizia Gattaceca, Annette Luciani, Danièle Maoudj, Catherine Medori, Anne Marguerite Milleliri, Angèle Paoli, Isabelle Pellegrini-Alentour, Hélène Sanguinetti, Lucia Santucci, Marie-Ange Sebasti.





    Terre di donne Z
    ALAIN  NOUVEL


    Alain Nouvel portrait 2
    Ph. D.R.




    ■ Alain Nouvel
    sur Terres de femmes

    une lecture d’Au nom du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest par Angèle Paoli



    ■ Voir aussi ▼

    le site des éditions des Lisières
    → (sur le site des éditions des Lisières)
    la fiche de l’éditeur sur Terres de femmes | Terre di donne, 12 poètes corses
    → (sur Terres de femmes)
    Kallistè, la Corse, ma terre de mémoire





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  • Corse_3 Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Corse, Éloge de la ruralité


    Maddalena Rodriguez-Antoniotti, Corse, Éloge de la ruralité,
    Images en Manœuvres Éditions, Marseille, 2010.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Tmp_3133 (1)
    Maddalena Rodriguez-Antoniotti,
    Capicorsu, circondu di Patrimoniu,
    Corse, Éloge de la ruralité, page 51
    Source








    DE LA FRAGILITÉ ORIGINELLE DE LA CORSE



    Serait-ce là, dans cet album de photographies signé Maddalena Rodriguez-Antoniotti, que se dévoile, cachée à nos vies empressées, la Corse insolite-secrète susceptible de déranger les habitudes de nos regards ?

    Rien dans Corse, Éloge de la ruralité qui entraîne l’imaginaire du côté des paysages grandioses qui font d’ordinaire la renommée de l’île. Rien de la beauté pure des montagnes ni des beautés fulgurantes de la mer. Rien de ces somptueuses découpes qui s’imposent d’elles-mêmes et que nul — autochtone ou touriste de passage — ne résiste à immortaliser dans ses prises de vue. Maddalena Rodriguez-Antoniotti s’est délibérément détournée des clichés qui font de la Corse sa réputation de joyau de la Méditerranée. Kallisté. La très belle.

    Tournant le dos aux plages de rêve, aux calanche, aux montagnes prisées pour leurs à-pics vertigineux et leurs piscines émeraude, la photographe débusque pour nous, au hasard de ses marches, de tout autres terroirs. Corse, Éloge de la ruralité est un univers de silence et de calme paisible. Qui offre de l’île un paysage insolite de champs et d’enclos enserrés dans un écrin de collines verdoyantes. Un univers qui parle sans tapage de la modestie agreste de terres cultivées, de vignobles, d’étendues (où paissent, depuis toujours, les troupeaux), de tombes anciennes que jouxtent les pacages. À l’abri de la turbulence du monde et loin des hommes pressés. Un univers virgilien fait de douceur, habillé de tendresse ; un monde du passé qui affleure encore, du nord au sud de l’île et d’est en ouest ; un monde qui parle de ce qui demeure de la ruralité d’antan. Ici et là, une barrière, des murets de pierre sèche, d’anciennes bergeries, des enclos entretenus. Le temps est suspendu entre les rondeurs boisées des collines, les miroitements d’un ruisseau, les feuillages roussis de l’automne, les prairies couvertes de fleurs des champs, les rangées de vignes bien alignées. Personne. Seul le regard pénétrant et doux de la marcheuse révèle la présence. La vie est impalpable mais la terre respire et la Corse se livre, dans sa simplicité et dans son authenticité.

    Infatigable, la photographe arpente les chemins creux de la plaine orientale ; s’arrête sur les enchevêtrements des sous-bois, capte la lumière dans la blondeur des châtaigneraies de la Castagniccia, surprend notre regard avec les « steppes » de la Balagne, ponctuées de troupeaux. Les arrondis toscans de la Conca d’Oro n’ont pas de secret pour elle ni les bocages du Sartenais ; pas davantage les oliveraies de Balagne. Tout dans ces paysages dit le lent et patient travail des hommes, leur obstination à dompter une nature rebelle. Bel ordonnancement des champs qui parle d’un lieu à vivre en accord avec le ciel et les nuages. En accord avec la respiration et la lumière. Loin de l’invasion anarchique des lotissements qui gagnent du terrain et imposent une uniformité d’une accablante laideur, là où jadis tout n’était que beauté naturelle et harmonie.

    Parfois l’œil accroche au passage la silhouette estompée d’un village arrimé à son piton rocheux. Vergers traversés par un chemin de terre, traces de sillons et traces des tracteurs, palmiers en bordure de propriétés patriciennes. Douceur saisie à la volée par un regard attentif à débusquer l’esprit du lieu, attentif aussi à ne pas le trahir ni le dénaturer.

    Rien dans ces photographies qui cherche à séduire au-delà de la beauté naturelle des champs des vignes des pâturages ; rien qui vienne détourner l’attention de l’authenticité du lieu. Le souci de la photographe de préserver cette authenticité se lit jusque dans le choix de l’appareil photo, un vieil argentique hérité d’un cousin du Niolu, « un Voigtländer datant de 1938 ». Émerveillée par le miracle que constitue pour elle la révélation de l’existence de tels paysages, la photographe se contraint à capter dans l’instant la fragilité originelle de la Corse. Pour accompagner chacune des prises de vue, un simple titre : « Plaine de la Casinca  / Piaghja di a Casinca » ; Région de Sartène, non loin de Mola / Rughjone di Sartè, vicinu à Mola ; Nebbio, plaine d’Oletta / Nebbiu, piaghja d’Oletta »… La déclinaison des images révèle l’esprit de l’ouvrage. Un éloge silencieux et profond. L’écriture d’une mémoire habitée par le respect. Une esthétique liée à la vie.

    « Tant qu’il y aura des paysages… » (tel est l’intitulé de l’avant-propos rédigé par Maddalena Rodriguez-Antoniotti) subsistera l’émerveillement. Un émerveillement qui transporte celui encore capable d’ouvrir les yeux et protège son regard de la sombre colère qui souvent gagne à la vue du désastre imminent qui mine la Corse. Si nul n’y prend garde.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Corse Maddalena







    MADDALENA RODRIGUEZ-ANTONIOTTI


    Maddalena Rodriguez-Antoniotti




    ■ Maddalena Rodriguez-Antoniotti
    sur Terres de femmes

    Bleu Conrad (note de lecture d’AP)





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  • Corse_3 29 mai 1816 |
    Emmanuel de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène


    Éphéméride culturelle à rebours



    James Sant, Napoléon à Sainte-Hélène
    James Sant, Napoléon à Sainte-Hélène
    Source







    MERCREDI 29 [mai 1816].


    La Corse et le pays natal. Paroles de Paoli. Magnanimité de Madame Mère.


         Depuis longtemps l’Empereur se promet, chaque soirée, à notre sollicitation, de monter à cheval le lendemain de bon matin ; mais au moment d’exécuter ce projet, il ne s’en trouve plus le courage. Aujourd’hui il était donc au jardin dès huit heures et demie ; il m’y a fait appeler. La conversation est tombée sur la Corse, et y est demeurée plus d’une heure. « La patrie est toujours chère, disait-il, Sainte-Hélène même pourrait l’être à ce prix. » La Corse avait donc mille charmes ; il en détaillait les grands traits, la coupe hardie de sa structure physique. Il disait que les insulaires ont toujours quelque chose d’original, par leur isolement, qui les préserve des irruptions et du mélange perpétuel qu’éprouve le continent ; que les habitants des montagnes ont une énergie de caractère et une trempe d’âme qui leur est toute particulière. Il s’arrêtait sur les charmes de la terre natale : tout y était meilleur, disait-il, il n’était pas jusqu’à l’odeur de sol même ; elle lui eût suffi pour le deviner les yeux fermés ; il ne l’avait retrouvée nulle part. Il s’y voyait dans ses premières années, à ses premières amours ; il s’y trouvait dans sa jeunesse, au milieu des précipices, franchissant les sommets élevés, les vallées profondes, les gorges étroites ; recevant les honneurs et les plaisirs de l’hospitalité ; parcourant la ligne des parents dont les querelles et les vengeances s’étendaient jusqu’au septième degré. Une fille, disait-il, voyait entrer dans la valeur de sa dot le nombre de ses cousins. Il se rappelait avec orgueil que, n’ayant que vingt ans, il avait fait partie d’une grande excursion de Paoli à Porte di Nuovo. Son cortège était nombreux ; plus de cinq cents des siens l’accompagnaient à cheval ; Napoléon marchait à ses côtés ; Paoli lui expliquait, chemin faisant, les positions, les lieux de résistance ou de triomphe de la guerre de la liberté. Il lui détaillait cette lutte glorieuse ; et sur les observations de son jeune compagnon, le caractère qu’il lui avait laissé apercevoir, l’opinion qu’il lui avait inspirée, il lui dit : « O Napoléon ! tu n’as rien de moderne ! Tu appartiens tout à fait à Plutarque ! »

         Quand Paoli voulut livrer son île aux Anglais, la famille Bonaparte demeura chaude à la tête du parti français, et eut le fatal honneur de voir intimer contre elle une marche des habitants de l’île, c’est-à-dire d’être attaquée par la levée en masse.

        « Douze ou quinze mille paysans, disait l’Empereur, fondirent des montagnes sur Ajaccio ; notre maison fut pillée et brûlée, les vignes perdues, les troupeaux détruits. Madame, entourée d’un petit nombre de fidèles, fut réduite à errer quelque temps sur la côte, et dut gagner la France. Toutefois Paoli, à qui notre famille avait été si attachée, et qui lui-même avait toujours professé une considération particulière pour Madame, Paoli avait essayé près d’elle la persuasion avant d’employer la force. Renoncez à votre opposition, lui avait-il fait dire ; elle perdra vous, les vôtres, votre fortune ; les maux seront incalculables, rien ne pourra les réparer. » En effet, l’Empereur faisait observer que sans les chances que lui a procurées la Révolution, sa famille ne s’en serait jamais relevée. « Madame répondit en héroïne, et comme eût fait Cornélie, disait Napoléon, qu’elle ne connaissait pas deux lois ; qu’elle, ses enfants, sa famille, ne connaissaient que celles du devoir et de l’honneur. Si le vieil archidiacre Lucien eût vécu, ajoutait l’Empereur, son cœur eût saigné à l’idée du péril de ses moutons, de ses chèvres et de ses bœufs, et sa prudence n’eût pas manqué de conjurer l’orage. »

        Madame, victime de son patriotisme et de son dévouement à la France, crut être accueillie à Marseille en émigrée de distinction ; elle s’y trouva perdue, à peine en sûreté, et fut fort déconcertée de ne trouver le patriotisme que dans les rues, et tout à fait dans la boue.

        Napoléon, dans sa jeunesse, avait écrit une histoire de la Corse, qu’il adressa à l’abbé Raynal, ce qui lui valut quelques lettres et des distinctions flatteuses de la part de cet écrivain alors l’homme à la mode. Cette histoire s’est perdue.

        L’Empereur nous disait que, lors de la guerre de Corse, aucun des Français qui étaient venus dans l’île n’en sortait tiède sur le caractère de ses montagnards ; les uns en étaient pleins d’enthousiasme, les autres ne voulaient y voir que des brigands.



    Emmanuel de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, Tome 1, Éditions du Seuil, 1968 ; Collection Points, 2011, pp. 690-691-692. Préface de Jean Tulard. Présentation et notes de Joël Schmidt.





    In exile on St. Helena
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    15 mai 1796 | Stendhal, Incipit de La Chartreuse de Parme (entrée du Général Bonaparte dans Milan)
    → (sur Terres de femmes)
    7 juillet 1807 | Signature du traité de Tilsit (extrait d’Une haine de Corse de Marie Ferranti)
    → (sur Terres de femmes)
    26 novembre 1812 | La Grande Armée au bord de la Bérézina (extrait de La Guerre et la Paix de Léon Tolstoï)
    → (sur Terres de femmes)
    5 mai 1821 | Mort de Napoléon Bonaparte (extrait de Vie de Napoléon de Chateaubriand [livre XIX à XXIV des Mémoires d’outre-tombe])
    → (sur Terres de femmes)
    Marie Ferranti, Une haine de Corse. Histoire véridique de Napoléon Bonaparte et de Charles-André Pozzo di Borgo (note de lecture d’AP)
    → (sur le site de The St. Helena Virtual Library and Archive)
    Views of St. Helena





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  • Jean-Louis Giovannoni | [Il faut si peu de chose]



    [IL FAUT SI PEU DE CHOSE]



    Un fleuve n-ayant qu-une seule rive
    Ph., G.AdC







    Il faut si peu de chose pour que le monde n’ait qu’une seule rive.
    Une seule rive comme un fleuve qui chercherait
    son autre rive
    là où se tient la première



    Un fleuve n’ayant qu’une seule rive
    et qui n’en trouverait une autre
    qu’en oubliant la première.



    Un fleuve n’ayant qu’une seule rive
    et qui ne pourrait en toucher une autre
    qu’avec le corps de la première.





    Jean-Louis Giovannoni, Variations à partir d’une phrase de Friedrich Hölderlin [1987-1988] in Ce lieu que les pierres regardent suivi de Variations, Pas japonais, L’Invention de l’espace, Éditions Lettres vives, Collection Terre de poésie, 20213 Castellare-di-Casinca, 2009, page 81. Préface de Gisèle Berkman.












        Originaire de Morosaglia, et du du hameau de Caroneo [u Carognu] sur la commune de Monte (près de Olmu, dans le Casacconi, Haute-Corse) par son père, et d’origine italienne par sa mère, Jean-Louis Giovannoni est né le 7 janvier 1950 à Paris, où il réside aujourd’hui. Il a exercé jusqu’en 2012 la profession d’assistant de service social dans un hôpital psychiatrique de la région parisienne. Il a fondé et dirigé avec Raphaële George Les Cahiers du Double de 1977 à 1981. Membre du comité de rédaction du Nouveau Recueil de 2005 à 2007, il a publié dans de nombreuses revues : Exit, Sgraffite, Poésie I, L’Animal, Atelier Contemporain, Recueil, Le Nouveau Recueil, Mai hors saison, Inculte, Revue littéraire, Sud, L’Autre, Tout est suspect, Actions poétiques, L’Ire des vents,…, et a publié plus d’une vingtaine de recueils, dont le dernier, L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare aux éditions Unes (août 2020).

        Jean-Louis Giovannoni a reçu en 2010 le prix Georges-Perros et a été président de la Maison des écrivains et de la littérature en 2011-2012.



    JEAN-LOUIS GIOVANNONI


    Giovannoni
    Ph. © Fabienne Vallin
    Source





    ■ Jean-Louis Giovannoni
    sur Terres de femmes


    [Ne me laisse pas ici parmi les ombres !] (extrait de L’air cicatrise vite)
    Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
    Envisager (lecture de Tristan Hordé)
    [Aucune sortie possible] (extrait d’Envisager)
    L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare (lecture d’AP)
    [Vue imprenable] (extrait de L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare)
    Îles circulaires
    Issue de retour (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Issue de retour (lecture d’AP)
    [Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant] (extrait de Journal d’un veau)
    Mère
    [Notre voix] (extrait de Ce lieu que les pierres regardent)
    [Nous venons d’un pays qu’on ne peut plus toucher] (extrait de On naît et disparaît à même l’espace)
    [Pourras-tu encore témoigner…] (extrait des Mots sont des vêtements endormis)
    Sous le seuil (lecture d’AP)
    [Le jour se lève] (extrait de Sous le seuil)
    [toujours cette envie de t’ouvrir]
    [Tout se cicatrise] (extrait de Garder le mort)
    Voyages à Saint-Maur (lecture d’AP)
    [Troisième voyage à Saint-Maur]
    [Huitième voyage à Saint-Maur]
    Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (lecture d’AP)
    Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Jean-Louis Giovannoni
    → (sur Secousse-08)
    un entretien de Jean-Louis Giovannoni avec Anne Segal & Gérard Cartier (novembre 2012)





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  • Corse_3 Annette Luciani | La Corse, l’enfance

    Rubrique « Kallistè, la Corse, ma terre de mémoire »



    La statue de l--nigmatique Roi Ren-
    Ph., G.AdC






    LA CORSE, L’ENFANCE, par Annette Luciani



         L’enfance, comme les lieux où elle s’ancre et dont elle se nourrit, l’enfance est-elle une réalité ? Sans doute. Mais sans doute n’est-elle aussi, comme ces lieux, qu’un mythe, à la fois fondateur et compensatoire, pour une identité qui continue de s’accomplir. Et d’abord, où commence l’enfance, et où s’achève-t-elle ? Elle constitue, ce me semble, cette période floue dont on définit mal les limites, et qui finit par englober toute une vie. Ainsi parle-t-on fréquemment de « petite enfance », puis de « grands enfants » ― et non, curieusement, de « grande enfance » ―, puis enfin de « retour en enfance ».

        D’aussi loin que je me souvienne, la Corse de mon enfance est merveilleuse, car elle est ce pays qui n’existe pas, mais dont on rêve qu’il pourrait exister, et qui existe peut-être quelque part ― forcément ailleurs.

         Elle est la terre promise qui éblouit, dans la bibliothèque parentale d’Aix-en-Provence, la petite fille qui dévore pêle-mêle Mérimée, Maupassant, Dumas, Hugo. « Une montagne dans la mer », un rocher sauvage, recouvert d’un maquis impénétrable peuplé de Colomba, de Matteo Falcone et de bandits d’honneur. Magique évasion qui façonne le souvenir de la fontaine des Quatre-Dauphins, en face du Monoprix où ma mère, émue par mes désirs de lecture, emplit un jour un chariot entier de livres de la Collection Blanche, parmi lesquels figurait Les Contes et Légendes de Corse, le souvenir des platanes le long de l’interminable Cours Mirabeau, et celui de la place où se dresse la statue de l’énigmatique Roi René.

        Elle est ensuite, au cours des longs étés passés au village paternel, sous les cerisiers du jardin, de la mi-juin au début d’octobre, l’univers de Pourrat, de Bosco, de Loti, tour à tour et tout ensemble Auvergne, Provence et Islande, Michel Strogoff et Ivanhoé… Envolées vers d’autres cieux, d’autres horizons plus lointains, que fixent dans le sang de la mémoire l’odeur des pommes dans le grand escalier, la saveur des figues et des pamplemousses du verger, le parfum inimitable des îles flottantes, dessert tant attendu sur lequel mammone dépose la traditionnelle feuille d’oranger, le son rassurant du merchione que l’on tire le soir, avant que ne commence le concert des crapauds dans le bassin.

        Rien n’est plus vivant, au fond, que le rêve, celui d’une île de tous les possibles, ouverte, et non enfermante. Rien n’existe avec autant de puissance, autant d’obstination, que la fiction et l’endroit où plongent ses racines, dans le fond inépuisable de l’imagination.
        Au cours des rites journaliers, le remplissage des bouteilles à la fontaine, les processions, les cloches de Pâques et le glas des enterrements, s’ébauche une création littéraire, l’architecture d’une œuvre en devenir.

        « Même si, écrit Rilke, vous étiez dans une prison, dont les murs étoufferaient tous les bruits du monde, ne vous resterait-il pas toujours votre enfance, cette précieuse, cette royale richesse, ce trésor des souvenirs ? Tournez là votre esprit… » *

        Au fil du temps, la Corse, prolongeant et nourrissant cette enfance créatrice, s’est affirmée comme la nécessité d’écrire. À la fois synonyme d’exil et de retour, la Corse est le voyage même, mêlant constamment la douceur des retrouvailles à l’enthousiasme des découvertes, mélangeant les langues, les paysages, les livres. C’est la confection lente d’une nouvelle bibliothèque, la mienne, qui navigue entre les pays, dans les innombrables cartons de déménagement.

        Et voici qu’un matin la fenêtre s’ouvre, comme toujours à Sulia, sur la mer, provoquant l’envol des chauves-souris nichées entre les volets. Mes îles sont bien là : Elbe, Monte Cristo, Pianosa, allongée comme la récompense, pour l’œil et pour le cœur, d’une matinée sans brume. Et derrière, à l’Umbria, mes villages sont là aussi, au-dessus de la masse sombre des noisetiers, grimpant de San Nicolao jusqu’à Ribiola, Tribbiolu, Forci, Serra, puis redescendant jusqu’à Sainte-Lucie et Padulella tout en bas, d’où remonter encore par le même sentier qui forme une éternelle boucle. Villages-gradins, jalons de repos déposés sur le parcours de ma vie. Monter, descendre, remonter, redescendre. Partir et revenir, revenir et partir. Défaire et boucler les valises. Et mes livres aussi sont là. Ils ont suivi, ballotés de droite et de gauche, emballés, déballés, empilés sur des étagères de fortune, et puis, enfin, ils ont trouvé leur place. Ma bibliothèque au cœur de l’île, éclectique, disparate, jamais rangée et en perpétuel rangement.

        ― Avez-vous un rayon de littérature corse ?
        ― Oui, certainement.
        ― Avez-vous des livres sur l’enfance ?
        ― Oui, certainement.

        Mais, à peine prononcés, ces mots ― la Corse, l’enfance ― éclatent, se dispersent, repris, amplifiés et déformés par des milliers d’échos. Ils mettent les voiles. Ils refusent, comme on dit, d’« en rester là ». Ils font taire les évocations et jaillir le silence.

        Car l’écriture est-elle autre chose qu’une lutte permanente pour ne pas devenir adulte, pour échapper au sens ― le sens au sens restrictif du terme, le sens unique, absurde, sans autre issue que la mort de l’âme ? Pour ne pas devenir squelette, la Corse ne doit-elle pas demeurer ce pays toujours en vue mais, dirait Dhôtel, « où l’on n’arrive jamais », imprégné du mystère qui lie identité et intimité ?

        À l’élancement majestueux du clocher de l’église de San Nicolao, peuplée de chérubins aux chairs rondes et naïves, qui refusent avec moi de grandir, répond le parfum humble et moite des jeunes fougères, souples, lovées sur elles-mêmes en leur extrémité brune et duveteuse, en milliers de fœtus appliqués dans leur sommeil. Le lierre masque, le long des chemins, la sévérité des ruines. Il les revêt d’un vert tendre où s’oublie leur histoire, conférant au passé la forme vague d’un berceau. Le rythme de la marche fait fuir entre les herbes d’invisibles couleuvres, tandis que se bousculent, encore balbutiantes, les phrases neuves, et que s’organise un monde.

        « Une seule chose est nécessaire [insiste Rilke] : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer durant des heures personne, c’est à cela qu’il faut parvenir. Être seul comme l’enfant est seul quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l’enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s’en affairent et que l’enfant ne comprend rien à ce qu’elles font. » **

        Sur la route déserte de Sainte-Lucie, je retrouve partout ce regard d’enfant solitaire : il s’agit de sculpter les images, très vite, à l’instant où elles surgissent à la fois du paysage et de la mémoire.
        Figer cet endroit précis, dans ce creux de falaise qui réfléchit la chaleur du jour, où le matticciu s’effrite en une poudre scintillante. Cassée, la pierre s’effeuille comme les pages d’un livre magique.
        Retenir, dans ce fouillis de buissons agrippés au ravin, la silhouette ronde, presque parfaite, de l’arbousier que mon père se décide à couper, et qui fera office de sapin de Noël.
        Laisser en suspens, de l’autre côté, en direction de Cervione, l’entrée mystérieuse, toujours légèrement angoissante à la nuit tombée, des tunnels creusés grossièrement dans le roc.
        Garder jalousement, plus bas, la masse ondoyante du saule qui abritait la fontaine, et que des mains barbares ont coupé ― car le deuil fortifie et enracine la solitude.
        Mettre de côté, avec les jouets qui pourront servir, l’immense figuier disparu, les nids d’hirondelles pendus aux fenêtres, la cave aux chats.

        Conserver, enfin, ce qui anime tout cela, l’émotion des grands mouvements de foule attendus et inexpliqués, parmi lesquels surtout, Noël, où s’offre à nouveau à notre adoration l’éternel enfant Jésus, santon amoureusement entretenu au fil des ans, aux joues barbouillées par mes soins enfantins de pommade et de vernis à ongles, aux menottes fragiles, sans cesse brisées et recollées à la cire.

        Car c’est alors que l’œuvre ébauchée se dessine et prend son essor, lorsque tombent, à nouveau, les seuls mots capables d’engendrer, éternellement, la Vie : « Car le Verbe s’est fait chair : et il a habité parmi nous. »


    Annette Luciani
    © Texte original Annetta Luciani



    * Rainer-Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, Grasset, Collection Les Cahiers rouges, 1984, page 22. Traduites de l’allemand par Bernard Grasset et Rainer Biemel.
    ** Rainer-Maria Rilke, op. cit., page 62.




    Note d’AP : une version réduite et aménagée du texte ci-dessus a paru (sous le titre « San Nicolao ») dans l’ouvrage collectif Une enfance corse, coédité en 2010 par les éditions Bleu autour et Colonna Édition (textes réunis par Jean-Pierre Castellani et Leïla Sebbar).



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  • Corse_3 2 juin 1931 | Naissance de Jacques Garelli

    Éphéméride culturelle à rebours
    «  Poésie d’un jour
     »



         Le 2 juin 1931 naît à Belgrade Jacques Garelli. Originaire de Valle d’Alesani (E Valli d’Alisgiani), en Haute-Corse, le poète a publié en 2011 aux éditions José Corti Fulgurations de l’être.

        À l’occasion du 80e anniversaire du poète, l’écrivain Jacques Fusina, traducteur paisanu du village voisin, avait traduit en corse deux poèmes extraits de ce dernier recueil, traduction que nous mettons en ligne ci-dessous. Jacques Garelli est décédé le 24 décembre 2014.





    CHOIX DU POÈTE


    Saisi du destin emprunté à une planète, sans plus revêtir son manteau d’écailles, il s’obstine à creuser l’amorce d’une pensée, qui a mis, sous boisseau, les couleurs dévolues à la patience des herbages, pour tenter à l’aveugle une marche sans balancier, dont l’enjeu, pour toute attente, ne tient qu’à un fil.
    Résonance d’une musique puisant ses sortilèges dans l’écho traversé de nul pourtour, partage nuancé, où le vide incombe à un geste unique, dont l’appel raye l’aurore, qui ourlait le jour.


    Jacques Garelli, Fulgurations de l’être, José Corti, 2011, page 46.





    SCELTA DI U POETA


    Pigliatu da u destinu prestaticciu d’una pianeta, senza sciaccassi più u so mantellu squamosu, s’intesta à scavà l’allusinga d’un pensamentu, chì hà nascostu, affattu, i culori tuccati à a pacenzia di l’erbaghji, da pruvà à pasponi di viaghjà senza bilancinu, chì u pegnu, in fin d’attesa, tene à un filu solu.
    Intronu d’una musica chì attinghje e so macanzie in u ribombu da nisun attondu trapanatu, spartera variulata, duve u viotu tocca à un gestu unicu, chì a so chjama zifra l’aurora, ella chì facia l’orlu à u ghjornu.

    Traduction inédite de Jacques Fusina







    Figuiers de Barbarie
    Ph. angèlepaoli






    CHIASMES SAUVAGES


    Figuiers de barbarie assaillis de guêpes, qui abandonnent leur suc aux insectes de saison, le temps, sans un regard, peut-on dire qu’il passe et que les feuilles résistent aux rafales de Novembre, dans l’attente millénaire des nouveaux rayons ?
    Cela s’est dit, pour sûr. Il faut et j’en passe. Buissons d’écailles, couteaux taillés à demi-chevaux. Ils vibrent dans le silence, tels des spasmes. Réseaux entrecroisés sous l’ombre d’un talisman.


    Jacques Garelli, Fulgurations de l’être, José Corti, 2011, page 48.





    INCRUCICHJATE SALVATICHE


    Fichi indiani assaltati da e vespe, chì lascianu u so suchju à l’insetti di stagione, u tempu, senza mancu un sguardu, si purrà dì ch’ellu passa è chì e fronde resistenu à e raffiche di nuvembre, in attesa millenne di e spire nove ?
    Si hè detta quessa, benintesa. Ci vole è ne lasciu. Prunaghji squamosi, curtelle tagliate à mezi cavalli. Trizineghjanu in u silenziu, cum’è spasimi. Rete intricciate sottu à l’ombra d’un talismanu.

    Traduction inédite de Jacques Fusina





    JACQUES GARELLI


    Vignette Garelli
    Source : le site José Corti



    ■ Jacques Garelli
    sur Terres de femmes

    Démesure de la poésie (+ bio-bibliographie)
    Fulgurations de l’être



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de José Corti)
    la fiche de l’éditeur sur Fulgurations de l’être
    → (sur Gattivi Ochja)
    un poème de Jacques Garelli traduit en corse par Stefanu Cesari
    → (dans les numéros 19-20, « Utopie » [Espace Corse] de la revue numérique québécoise Mouvances)
    sept poèmes inédits de Jacques Garelli
    le site Jacques Garelli mis en ligne par Thierry Leterre
    → (sur Terres de femmes)
    Yves Charnet | Difficile séjour (texte dédié à Jacques Garelli)



    ■ Jacques Fusina
    sur Terres de femmes

    Écrire en corse
    Les mots apprivoisés
    Libazioni di sangue | Libations de sang (Angèle Paoli) [Une traduction inédite de Jacques Fusina]





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  • Corse_3 2 avril 742 | Naissance de Charlemagne

    Éphéméride culturelle à rebours



    Charlemagne.2
    Figure de proue du vaisseau Le Charlemagne (détail)
    sculpture (ronde-bosse en tilleul décapé), 1851
    réalisée d’après un Portrait de Charlemagne
    par Louis-Félix Amiel (1802-1864), 1837
    Musée de la Marine, Salle des figures de proue, Paris
    Source






    CAROLUS MAGNUS



        Il est difficile, en l’absence de documents écrits, de dater de manière précise la naissance de Charles 1er. Sans doute le 2 avril 742 ou 747. Difficile aussi de situer les faits marquants de l’enfance de celui qui prendra plus tard le nom de Carolus Magnus ― Charles Le Grand ― ou encore de Charlemagne. Ce qui est sûr, c’est qu’il est le fils de Pépin, dit « le Bref », roi des Francs et de la reine Bertrade de Laon (Berthe, dite « au grand pied »). Petit-fils de Charles Martel, maire du palais, Charlemagne s’inscrit, comme son frère et rival Carloman, dans la dynastie des Carolingiens dont il est le second roi (768-814). À la mort de son père, en 768, Charles hérite avec son frère Carloman d’un vaste territoire qu’ils se partagent. Carloman obtient la Gaule centrale et méridionale. Charles reçoit un territoire plus vaste encore, qui s’étend de l’Aquitaine jusqu’en Germanie, en passant par la Neustrie et l’Austrasie. À la mort de Carloman (771), Charles inclut à son propre patrimoine l’ensemble des terres de son frère. Devenu seul roi de France, Charles va s’attacher à consolider l’unification de la Gaule. Une fois achevée la pacification de la Gaule, il s’attache à étendre son Empire au-delà des frontières. La Saxe, la Carinthie, la Lombardie, le duché de Spolète, la marche de Bretagne et la marche d’Espagne lui appartiennent. Mais l’Empire s’étend bien au-delà et à la fin du VIIIe siècle, Charlemagne est bel et bien l’empereur le plus puissant d’Occident.

        Éginhard, biographe de Charlemagne, a laissé de l’empereur des portraits précis. Il le décrit comme un colosse de 1m90, bien bâti et bien proportionné. Ses cheveux étaient courts et il portait une petite moustache tombante (il faudra attendre La Chanson de Roland pour voir apparaître la fameuse « barbe fleurie »), pareille à celle que l’on trouve sur les monnaies frappées à son effigie par l’atelier de Mayence. Il se dégageait de sa personne imposante une impression de grande autorité et de grande dignité. Élevé dans la langue germanique, Charles n’a pas fréquenté les livres durant son enfance et son adolescence. Peu instruit et souffrant de cette terrible carence, Charles s’entoure de gens cultivés et d’érudits qui lui font la lecture des grands textes. Ainsi de La Cité de Dieu de saint Augustin, texte fondateur, d’où il tirera l’essentiel de son idéologie politique. Parmi ses maîtres les plus prisés figurent Raban Maur, l’un des instigateurs de la renaissance carolingienne et Alcuin, membre de l’Académie palatine, maître de Charlemagne et son principal conseiller.





    QUIERZY-SUR-OISE ET A CORSICA



        Le lieu de naissance de Charlemagne est sujet à controverse. D’aucuns le font naître quelque part en Allemagne. D’autres en Neustrie, berceau du pouvoir familial (nord-ouest du royaume franc). Plus précisément à Quierzy-sur-Oise, dans l’Aisne. Quelle importance, direz-vous ? Hé bien justement ! Cette découverte récente, faite au hasard de mes lectures sur/à propos de la Corse et sur son histoire, a quelque chose de fascinant. Quierzy dans l’Aisne. Quel rapport ce petit village a-t-il avec la Corse ? Il aura fallu que je quitte la Picardie et que je revienne vivre en Corse pour que je découvre l’existence de Quierzy et le lien ténu mais pourtant bien réel qui le rattache à a Corsica. Et, du même coup, faire remonter les voies de l’imaginaire jusque sous les brumes lointaines de Picardie.

        C’est là, en effet, à Quierzy-sur-Oise, que se trouvait la résidence principale de Charles Martel. Et c’est dans le château de Quierzy-sur-Oise qu’eut lieu en 754 l’assemblée au cours de laquelle le roi Pépin « le Bref » céda la Corse au pape Étienne II. Le pape s’était rendu en personne en Neustrie pour participer à cette assemblée, appelée Promesse de Quierzy.

        La Corse faisait donc partie intégrante du patrimoine franc des Carolingiens. Elle se trouvait déjà au cœur des enjeux géostratégiques de Méditerranée. Et l’origine des droits pontificaux sur la Corse remonte bien à cet acte de 754. « Ce document marque précisément l’ouverture des rapports diplomatiques entre Pépin et la papauté »1. Il faut chercher les raisons de cette décision dans le désir de sauvegarder les régions dévastées par les invasions des Lombards. À commencer par la Corse. Viennent ensuite les villes de Pistoia et de Lucca. Mais ni la Sicile ni la Sardaigne, pourtant îles voisines, ne font partie de cette « donation ».

        Outre que ce document de Quierzy confirme la présence lombarde dans l’île — présence qui remonterait au milieu du VIIe siècle —, il atteste de l’importance de ces décisions d’ordre politique. Inquiétée par la progression de la présence lombarde en Méditerranée, la papauté se tourne vers les Carolingiens, seuls susceptibles de freiner cette redoutable hégémonie. Dans sa négociation avec le pape, Pépin demande que lui soit octroyé le titre de « Patrice des Romains ». Cet événement politique considérable signe l’alliance diplomatique du roi Franc avec la papauté. Autorité temporelle et autorité spirituelle se trouvent ainsi liées par cet acte fondateur. Pépin consolide cette alliance en se rendant en Italie pour recevoir du pape, en 755, la couronne de roi.

        Quelques années plus tard, en 774, Charlemagne, « roi des Francs », confirme ces donations et les étend en ajoutant l’exarchat de Ravenne, propriété de l’empire Byzantin. « C’est la marque que pour Charlemagne les rapports avec la Rome pontificale sont importants, que la Corse y tient sa place, et que les revendications papales sont prises au sérieux. »2

        Ces prises de position permettent à Charlemagne d’affirmer sa suprématie sur l’autorité du pontife :

        « Nous faisons connaître ainsi le plus clairement la puissance impériale, pour le grand bien de notre Sainte Église de Dieu »3, trouve-t-on écrit dans une lettre de 808, adressée par l’empereur au pape Léon III, successeur d’Hadrien.

        Au début du IXe siècle, la Corse et les Corses vivent sous l’autorité de Charlemagne et de ses représentants. Et l’histoire de la Corse carolingienne remonte bien à Charles Martel et à la Promesse de Quiercy.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli



    1.2.3 : citations extraites de l’ouvrage de Jean-Marie Arrighi et Olivier Jehasse, Histoire de la Corse et des Corses, Perrin/Colonna Éditions, 2008.




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  • Corse_3 2 octobre 2008 | Marcel Conche, Corsica, Journal étrange


    Éphéméride culturelle à rebours



    CORSICA


    LXVIII


    2 octobre




         Athénée est un Grec du IIIe siècle apr. J.-C., originaire de Naukratis, dans le delta du Nil, et établi à Rome. Je trouve dans son œuvre principale, le Banquet des Sophistes (Deipnosophites, litt. « Convives qui conversent en dînant », de deipnon, dîner), de quoi me réjouir d’être en Corse. J’y lis, en effet, que « les habitants de Cyrnos [la Corse] vivent fort longtemps parce qu’ils ont usage du miel, qui est abondant chez eux » (Livre II, § 26). Il me restait à me procurer du miel de Corse. Mes amis Jean et Claudie D., venus à Aleria pour quelques jours, m’emmenèrent en montagne, à Quenza, d’où je revins nanti d’une douzaine de pots avec, pour chacun, les aiguilles de Bavella sur l’étiquette.
         Or, je m’étonnai que, parlant avec conviction des bienfaits du miel pour la santé, mon propos ne rencontre aucun écho. Du reste, Jean et Claudie n’avaient pas pris de miel pour eux. « Ne croyez-vous pas aux vertus du miel ? », leur demandai-je. Il s’avéra qu’ils n’y croyaient pas : ils n’en usaient pas et se portaient bien.
         Les Grecs, leur objectai-je, pensaient autrement. Les Pythagoriciens se nourrissaient principalement de pain et de miel, dit Aristoxène, et « ceux qui prenaient toujours ces aliments à déjeuner se maintenaient exempts de maladie » (Athénée, II, § 26). Démocrite, outre les figues, aimait beaucoup le miel. À la question qu’on lui posa : « Comment vivre en santé ? », il répondit : « En s’humectant l’intérieur de miel et l’extérieur d’huile » (ibid.).
         Et voici une légende. Ce même Démocrite, ayant atteint l’extrême vieillesse, résolut qu’il était temps de se retirer de la vie, et, à cette fin, retranchait chaque jour quelque chose de sa nourriture. Or, les journées des Thesmophories, fêtes avant tout réservées aux femmes mariées d’Athènes, étant arrivées — l’on était au moment des semailles d’hiver —, les femmes de sa maison prièrent Démocrite de ne pas mourir pendant la fête, afin qu’elles prissent part aux réjouissances. Il voulut bien vivre encore un peu. Il fit mettre près de lui un pot de miel, et, ne prenant rien d’autre que l’« émanation » (anaphora) du miel, survécut le nombre de jours nécessaires ; après quoi, l’on emporta le pot et il mourut.
    […]


    Marcel Conche, Corsica, Journal étrange, V, Presses Universitaires de France, 2010, pp. 233-234.



    Note d’AP : ce journal de Marcel Conche couvre la période de juillet 2008 à mars 2009. Il est dédié à Natale Luciani, in ricordu di sdonde passate in Corsica, in segnu d’amicizia schjetta et en hommage au peuple corse.





    Marcel Conche en Corse en  septembre 2008
    Source

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  • La revue Nu(e)
    organise une souscription pour son 42e numéro


    Nu(e) 44
    La revue Nu(e), dirigée par Béatrice Bonhomme et Hervé Bosio, espace éditorial où s’expérimente la poésie, lieu de travail, de correspondance, est le lieu de l’exercice de l’amitié au sens où l’entend Blanchot.

    Son prochain numéro, coordonné par Arnaud Beaujeu, réunit dans un volume de 3oo pages les textes, encres et dessins de 25 poètes et/ou peintres contemporains :



         Mobiles, insaisissables, les ombres d’une flamme ou les dessins d’une vague, les poèmes.
    (Pierre Dhainaut)



         Marielle Anselmo, Daniel Aranjo, Catherine
    Barnabé, Albertine Benedetto, Arnaud Beaujeu,
    Claude Ber, Stello Bonhomme, Martine Broda,
    Dominique Cerbelaud, Jean-Louis Clarac, Kévin
    Contini, Eric Dazzan, Pierre Dhainaut, Thérèse
    Dufrêne, Alexandre Eyriès, Régis Lefort, Damien
    Lopez, Marcel Migozzi, Bruno Niver, Angèle Paoli,
    Patrick Quillier, Isabelle Raviolo, Dominique
    Sorrente, Thomas Vercruysse, Nicolas Waquet



    Lorsque l’enfant était enfant
    Il savait d’un trait
    Enchanter le papier

    (Isabelle Raviolo)




         Pour ce quarante-deuxième numéro, la revue organise une souscription.
    Le volume peut être obtenu au prix promotionnel de 18 euros en renvoyant le talon ci-dessous, avant le 31 décembre 2009. Après cette date, la revue sera en vente au prix normal de 20 €.



    ____________________________________________________________

    Mme/M. :

    Adresse :

    Souhaite : …… exemplaire(s) du numéro de la revue Nu(e) n°42 et paie ce jour le montant de …… x 18 € (+ 2 € de frais de poste), soit au total ……. € à l’ordre de l’Association Nu(e), avec la mention : « Souscription Anthologie » :
    • pour la France : par chèque, c/o Béatrice Bonhomme, 29 avenue Primerose, 06000 NICE
    • pour les autres pays : par virement au compte de l’Association Nu(e) – IBAN : FR76 1831 5100 0004 2667 9641 539 – BIC : CEPAFRPP831.
    La réception du paiement donne lieu de réservation.





  • Jean-Louis Giovannoni | [Notre voix]



    Est-ce la voix des autres qui donne - ton silence un lieu
    Ph., G.AdC







    [NOTRE VOIX]



    Notre voix
    où trouve-t-elle son corps



    On parle
    on écrit
    pour que les autres
    oublient leurs corps
    pour qu’ils viennent habiter
    notre voix
    nos mots



    Est-ce la voix des autres
    qui donne à ton silence un lieu



    Et si tu n’étais présent
    en ce monde
    que pour donner naissance
    à cette forme invisible
    qui se tient dans ta voix

    Ce corps aérien



    Et si être présent dans les mots
    ne consistait qu’à disparaître en eux




    Jean-Louis Giovannoni, Ce lieu que les pierres regardent [Éditions Lettres vives, 1984] suivi de Variations, Pas japonais, L’Invention de l’espace, Éditions Lettres vives, Collection Terre de poésie, 20213 Castellare-di-Casinca, 2009, pp. 48-49. Préface de Gisèle Berkman.













        Originaire de Morosaglia et du hameau de Caroneo [u Carognu] sur la commune de Monte (près de Olmu, dans le Casacconi, Haute-Corse) par son père, et d’origine italienne par sa mère (Marie-Louise Chiabrandi), Jean-Louis Giovannoni est né le 7 janvier 1950 à Paris, où il réside aujourd’hui. Il a exercé jusqu’en 2012 la profession d’assistant de service social dans un hôpital psychiatrique de la région parisienne. Il a fondé et dirigé avec Raphaële George Les Cahiers du Double de 1977 à 1981. Membre du comité de rédaction du Nouveau Recueil de 2005 à 2007, il a publié dans de nombreuses revues : Exit, Sgraffite, Poésie I, L’Animal, Atelier Contemporain, Recueil, Le Nouveau Recueil, Mai hors saison, Inculte, Revue littéraire, Sud, L’Autre, Tout est suspect, Actions poétiques, L’Ire des vents,…, et a publié plus d’une vingtaine de recueils, dont le dernier, L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare, aux éditions Unes (août 2020).
        Jean-Louis Giovannoni a reçu en 2010 le prix Georges-Perros et a été président de la Maison des écrivains et de la littérature en 2011-2012.



    JEAN-LOUIS GIOVANNONI


    Giovannoni
    Ph. © Fabienne Vallin
    Source





    ■ Jean-Louis Giovannoni
    sur Terres de femmes


    [Ne me laisse pas ici parmi les ombres !] (extrait de L’air cicatrise vite)
    Ce que l’immobile tient pour geste (extrait de Pastor, Les Apparitions de la matière)
    Envisager (note de lecture de Tristan Hordé)
    [Aucune sortie possible] (extrait d’Envisager)
    L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare (lecture d’AP)
    [Vue imprenable] (extrait de L’Échangeur souterrain de la gare Saint-Lazare)
    Îles circulaires
    [Il faut si peu de chose]
    Issue de retour (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Issue de retour (lecture d’AP)
    [Je ne sais pourquoi l’autruche me fascine autant] (extrait de Journal d’un veau)
    Mère
    [Nous venons d’un pays qu’on ne peut plus toucher] (extrait de On naît et disparaît à même l’espace)
    [Pourras-tu encore témoigner…] (extrait des Mots sont des vêtements endormis)
    Sous le seuil (note de lecture d’AP)
    [Le jour se lève] (extrait de Sous le seuil)
    [toujours cette envie de t’ouvrir]
    [Tout se cicatrise] (extrait de Garder le mort)
    Voyages à Saint-Maur (lecture d’AP)
    [Troisième voyage à Saint-Maur]
    [Huitième voyage à Saint-Maur]
    Jean-Louis Giovannoni | Stéphanie Ferrat, « Les Moches » (lecture d’AP)
    Jean-Louis Giovannoni | Marc Trivier, Ne bouge pas ! (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Terres de femmes)
    3 février 1984 | Lettre de Raphaële George à Jean-Louis Giovannoni (+ La Main de Raphaële George, par Jean-Louis Giovannoni)
    → (sur Secousse-08)
    un entretien de Jean-Louis Giovannoni avec Anne Segal & Gérard Cartier (novembre 2012)



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