Étiquette : Couleur Femmes


  • Élisabeth Chabuel | Le Moment


    LE MOMENT



    ELLE DIT ...
    Ph., G.AdC



    À ma grand-mère



    L’après-midi elle fait quelques pas dans la cour. Puis s’assoit à l’abri du volet, à mi-soleil. Elle dit : c’est mercredi aujourd’hui ? Les tilleuls sont en fleur. Ça sent !
    Elle dit : y-a quelque chose dans le jardin ?
    Elle dit : il fait bon. On aura une année à tomates.
    Elle aime jardiner, et la cuisine pour de grandes tablées. La nappe blanche. Les verres à pied. Elle dit : on aura du monde.
    Elle parle de Crest. Quand elle allait à l’école.
    Elle a peur du noir. Elle dit : je voudrais y voir clair jusqu’à la fin. Pas devenir aveugle comme mon père. Je voudrais y voir pour me conduire. Aider à quelque chose. Pas rester sans rien faire. Elle dit : quand les autres ont tout ce travail.
    Elle dit : le papa attachait les bœufs à l’écurie sans rien y voir. La maman avait peur. Moi petite fille aussi.
    Elle dit : il aurait pu se faire écraser. Mais les bêtes ça connaît.
    Elle dit : après goûter, on saignera le coq. Viens m’aider, demain on aura du monde.
    Un bol de café au lait et un peu de beurre sur du pain.
    Elle dit : mets du bois dans le feu.
    Il fait bon. Mais tu as les doigts glacés. Il fait si froid dehors ? Il gèle ?
    Elle dit : juste de la soupe et un peu de tomme. Je sais pas ce qu’il m’arrive.
    Elle dit : un peu de vin dans mon eau. J’aime pas l’eau pure.
    Elle dit : allume la couverture. Je veux me coucher.
    Elle dit : mes jambes me portent plus. C’est la première fois.
    Elle se pose la question. Du moment. Depuis dix ans, peut être, elle attend, le moment. Elle est surprise. Elle dit : je sais pas ce qui m’arrive.
    Elle dit : mes jambes me portent plus.
    Ça va être le moment ?
    Pourtant elle s’étonne parfois d’être encore là.
    Elle dit : qu’est-ce qu’on veut encore de moi ici ?
    Elle a le sentiment d’avoir fait. Beaucoup.
    Elle dit : j’ai plus de force.
    Elle dit : on ne m’aurait pas oubliée là-haut ?
    Elle prie. Elle dit : c’est tout ce que je peux.
    Pour Roger
    Pour Ginette
    Pour Marc pour Ginette. Notre père qui es aux cieux Pour Nicole et sa famille, Notre Père. Pour Alain et sa famille, notre père. Pour Baby et sa famille, notre père… Pour Jérôme et ses sœurs, notre père, pour Véronique, pour Fabienne, chaque jour pour le bonheur et la paix de chacun. Notre père…
    Le soir, la télé marche. Elle murmure dans sa tête, puis sa voix s’élève : Pour Tristan. Pour Julie. Pour Natacha. Pour Floriane. Pour Chloé. Pour Marjorie. Pour Robin. Pour Meddy. Pour Nathan. Pour Flavien. Pour Cassandre. Pour Yann. Pour Loïs. Pour Florian.
    Elle dit : Notre père… sur la terre comme au ciel Notre père Donne-nous notre pain.
    Elle dit qu’elle les aime, les enfants. Les tout-petits surtout.
    Elle dit : c’est comme ça que je les aime comme ça, quand ils ont point de malice ! Elle les prend dans son tablier. Comme ça. Dans son tablier. Elle dit : c’est comme ça que je les aime.
    Tout petits
    Elle en a trois générations dans son tablier.
    Elle dit : c’est comme ça que je les aime.


    Die, le mercredi 20 janvier 2005


    Élisabeth Chabuel
    Texte inédit pour Terres de femmes (D.R.)






    ■ Élisabeth Chabuel
    sur Terres de femmes

    Et ils sont (extrait)
    Intime violence
    Veilleur (lecture d’AP)
    Je (extrait du Veilleur)
    [on ne pense pas au présent] (extrait des Passagers)
    17 juillet 1944 | Élisabeth Chabuel, 7 44




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  • Ariane Dreyfus | SAMI



    Dans la for-t
    Ph., G.AdC





    SAMI


    Debout parce que les arbres sont serrés dans la forêt
    La peur est à qui   si on arrive à la toucher ?

    L’OGRE ET SON CHAGRIN

    Son chagrin était noir, noir comme la méchanceté
    Des gestes brusques, un fond dur comme du fer.
    Son chemin n’aimait pas les yeux rouges,
    Son malheur faisait mal.
    L’ogre regardait son visage dans les vitres,
    Son chagrin était rempli de
    Sentiments
    Encore le nord du chemin
    Imaginez au fond
    Sa propre ruse pour
    Les enfants du froid
    La tristesse se relevait
    Dans ses songes
    Les rêves se penchaient


    Tes lèvres ont les côtés qui saignent
    L’hiver est trop long ? [*]
    Tu t’étais cogné pour partir ?

    L’écriture dit

    Je veux
    Qu’on m’invente
    Je veux être
    Dans une page


    Parfois je vois les danseurs revenir d’une coulée
    Leurs gestes sont proches avec le sommeil debout
    Quelqu’un qui te secouerait au même endroit
    Sentirait que la force ne peut pas tout tenir

    Comme s’il y avait une petite étoile noire, en bas

    Ils courent vers un point pour se resserrer
    Pour remplacer avec leurs corps réels
    L’amour et il avance
    Les lancements de bras, lentement les cous
    Font danser les visages un peu seuls

    Cherche, cherche

    La couleur des gestes         n’existe pas

    Direction les gestes pliés         ils sont croisés, serrés

    Puis la marche         essaye de retrouver         de nouveaux

    Gestes froissés         tombés dans le sentier des mots

    Le vide temps long         taille grande

    L’espoir de lever         ses gestes perdus

    Lancer lentement         les distances

    Le vent des choses de lumière

    Notre nuit en dormant élément         bouge


    Les lancements de bras, lentement les cous
    Font danser les visages un peu seuls
    Leur tiédeur

    C’est une caresse avec la musique serait de l’eau
    Devant moi ils s’essuient la figure, leur absence qui reste
    Ce spectacle est trop humain.

    Celui qui est une personne du samedi mais pas une personne du dimanche
    Celui qui bouge très bas, près des ombres terrifiantes, rapides, appliquées
    Celui qui se croit grand et ses dons sont tout petits
    Celui qui souffre devant la lumière du passé et évite d’aimer
    Celui qui court dans l’herbe vert brillant et exige la chasse froide
    Celui qui danse tout seul et se délivre de l’histoire, tout surpris


    Peut-être qu’un mot sur deux tu l’as pris dehors

    Des formes s’éclairent de la sagesse des métamorphoses

    Un jour tu taches le sol de la classe avec de l’encre
    Tu as fait tomber de l’encre et rien ne t’en fait souvenir

    Seul personne ne le sait

    Un accordéon violemment incohérent


    Plus on est maladroit plus on a besoin d’oublier
    Essayer de tourner n’importe comment
    Autour de l’ogre et d’attraper son cœur
    Parce que lui se tait et pas toi

    Les poèmes sont de belles taches compliquées
    Qui vont chercher l’indulgence des inconnus
    On ne le sait pas peut-être que nous dansons
    À chaque fois que leurs yeux vont vers nous

    Je ne vais pas m’arrêter j’aime faire
    Même quand je serai morte sous les plantes
    C’est moi qui ai saigné entre mes jambes
    Ai connu ce qu’il fallait connaître

    Le printemps passe au fil des jours
    Des battements
    Inconnu veut-il le désir de danser
    Avec une puissance de femme
    Une victime qui hait le silence
    Ne passe ni la musique ni
    La danse, car le corps
    Se bouge d’un reflet, le garçon
    Piétine sur les fleurs du printemps
    Il danse pour le futur, la femme
    L’homme sont furieux, se rapprochent
    Et se mettent à danser collés l’un à l’autre
    Danser avec un art, des articulations
    Comme une immense joie à travers le ciel
    Ils s’apprécient puis ils s’approchent
    Se suivent des yeux ne relâchent pas il suffit
    D’une relation du regard


    Tu n’as plus tout à fait confiance d’être un enfant

    Alors tu hausses simplement les épaules
    Tu préfères cela à montrer ta figure et voilà

    Laissant tomber les larmes et leurs reniflements

    Mon organisme puissant et l’orage qui décide

    Laissant tomber les larmes et leurs reniflements

    À force d’avancer d’ailleurs c’est quoi le noir
    Tu arrives dans la zone de l’interminable beauté
    À chaque fois la poésie écarte une mâchoire
    Elle est touchable

    Les fontaines joyeuses
    J’aime ces bouches
    Qui répondent à ma place

    La nuit je suis par terre
    Regarde les étoiles qui envahissent
    Les nuages

    Mes bras, mes mains
    Se rejettent et se croisent
    Dans mon cœur

    Le bruit brutal
    Va dedans dehors

    Mes idées
    Sont particulières
    La nuit obscure
    Je te dis adieu



    [*] Version définitive (op. cit. infra, p. 161) :
    Le sang au bord de tes lèvres
    Quand l’hiver est trop fort




    Ariane Dreyfus
    extrait de « Petits compagnons »
    La Terre voudrait recommencer
    (texte définitif paru chez Poésie/Flammarion le 19 mai 2010)




    Note : les passages en italiques ont été écrits par Sami, élève de 6° puis de 5°, lors d’ateliers d’écriture menés au Collège Pierre Sémard de Bobigny.





    ARIANE DREYFUS


    Ariane Dreyfus
    Image, G.AdC




    ■ Ariane Dreyfus
    sur Terres de femmes

    Anatomie (extrait de Moi aussi)
    Le Dernier Livre des enfants (lecture d’AP)
    [J’écris parce que je vais disparaître] (extrait du Dernier Livre des enfants)
    Épilogue (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    La Lampe allumée si souvent dans l’ombre (note de lecture de Matthieu Gosztola)(+ L’Amour 1 dans sa graphie originelle)
    Nous nous attendons (note de lecture de Tristan Hordé)
    « C’est tout mouillé » (poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    « Je suis en train d’oublier son visage » (autre poème extrait du recueil Nous nous attendons)
    Un recoin dans un coin (poème extrait de La Terre voudrait recommencer)
    Comment habiter l’inhabitable (note de lecture sur le recueil L’Inhabitable)
    La nuit commence (poème extrait du recueil L’Inhabitable)
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Ariane Dreyfus (+ un autre poème extrait de La Terre voudrait recommencer)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Ariane Dreyfus



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