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  • Abdellatif Laâbi | Un cran au-dessus de la vie


    UN CRAN AU-DESSUS DE LA VIE




    S’absenter
    pour rejoindre la présence
    Pas marcher
    voler
    Retrouver les saveurs du corps
    le tien d’abord
    et celui de l’aimée
    Respirer sous l’eau
    dans la gueule du volcan
    Franchir le mur de la raison
    D’un souffle
    ouvrir les sept serrures
    de ta propre boîte noire
    À chaque halte
    planter une forêt vierge
    d’arbres de la connaissance
    du doute
    et de l’émerveillement
    Composer
    avec les fleurs rares de l’intelligence
    l’élixir de la bienveillance
    Se mesurer aux géants
    des contes
    qui ont bercé ton enfance
    Vivre
    Un sacré cran
    au-dessus de la vie
    hors du chaos




    Abdellatif Laâbi, Presque riens, Le Castor Astral, 2020, pp. 47-48.






    Abdellatif Laabi  Presque riens 2




    ABDELLATIF LAÂBI


    Abdellatif Laâbi portrait 2
    Source


    ■ Abdellatif Laâbi
    sur Terres de femmes


    La langue de ma mère (poème extrait de L’Étreinte du monde)
    Tu passes sans passer (poème extrait du Spleen de Casablanca)


    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Castor Astral)
    la fiche de l’éditeur sur Presque riens
    le site d’Abdellatif Laâbi





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  • Estelle Fenzy, Poèmes Western

    par Angèle Paoli

    Estelle Fenzy, Poèmes Western,
    Éditions LansKine, 2018.
    Photographie de couverture Bernard Plossu.



    Lecture d’Angèle Paoli




    Bernard-Plossu-Western-Colors
    Source





    « LE BOUT DU VOYAGE »



    Les voyages se suivent et ne se ressemblent pas. Je voyage depuis mon atelier-moulin, sans beaucoup me déplacer. De la terrasse au tilleul, vers la terrasse à la treille. En très peu de temps, je passe de l’Irlande à l’Australie, de l’Australie à l’Amérique du Nord. D’un livre à l’autre. D’une écriture à l’autre. Chacune d’entre elles a ses spécificités. Aucune n’est neutre ni interchangeable. Chacune d’elles m’entraîne dans la relecture et dans l’écriture. Après Emmanuel Merle, Catherine Weinzaepflen et après Catherine W., Estelle Fenzy.

    Je découvre aujourd’hui les Poèmes Western d’Estelle Fenzy. Étroitement inspirés des Western Colors du photographe Bernard Plossu. Mis côte à côte, les deux intitulés forment un chiasme parfait. Pourtant, en y regardant de plus près, il me semble percevoir une nuance de sens entre le « western » antéposé de Bernard Plossu et le « western » postposé d’Estelle Fenzy. Dans le premier cas, « western » me paraît recouvrir le sens géographique d’Ouest ; de grand Ouest. Tandis que, dans le titre de la poète, le mot western évoque davantage, à mes yeux, le genre cinématographique. De fait, les poèmes d’Estelle Fenzy fusent comme autant de flashes sur la page. Les textes sont brefs, découpés en micro-paragraphes. La prose est resserrée ; aussi efficace qu’un déclencheur d’appareil photographique. Ou que la détente d’un colt à peine dégainé. Pas tout à fait pourtant. Chaque poème en effet réserve dans sa chute une interrogation, une remarque inattendue, qui ponctue l’ensemble d’une nuance sensible qui étreint. Ainsi du Desert Motel :

    « Si l’arbre le prend dans ses bras, sera-t-il moins seul. »

    Ou encore :

    « La disparition est une forme de salut. »

    Et plus loin :

    « Pour que la vie jamais ne renonce ».

    Tableaux d’une exposition, les petites proses défilent, qui drainent avec elles des paysages et des toponymes. Le voyage commence à Cape Cod, il se poursuit dans le Wisconsin, l’Arkansas… jusqu’aux frontières du Texas. On croise Santa Fe, on roule sur la Route 25, « direction El Paso »… Le voyage s’achève « vers Klamath Falls », après un passage par Zabriskie point :

    « Un endroit où il n’y a plus rien à prouver ».

    Autant de noms qui évoquent de longue mémoire les États-Unis, le Far West, le mythe américain qui tressaille en chacun de nous. D’autant plus que des noms de héros populaires viennent se superposer en ombres chinoises sur les décors d’asphalte et de yuccas. Buffalo Bill, Kit Carson, Jesse James. Le voyage s’étire. On traverse au passage des déserts et des solitudes noyées de brumes, des routes bordées de congères. On côtoie des abandons, carcasses de voitures et motels improbables, saisis dans leur isolement. Tout cela se déploie à l’infini. On suit le déroulé des poèmes comme l’on suit une piste, en se laissant porter par l’engourdissement de la route tout en captant au passage une image. Image qui ouvre sur un vaste horizon, qui ouvre sur des « espaces à écrire et rêver ». Ainsi en est-il pour le photographe, et pour la poète qui découvre ces photos. Parfois survient un homme ou une femme. Susannah Gun au surnom éloquent ou Peter et sa maison flottante. Peut-être un souvenir d’enfance. Un Peter Pan des glaces. Les tableaux succèdent aux tableaux. Comme autant de prises de vues fixées dans des paragraphes brefs. Tantôt observés de loin, comme au téléobjectif, tantôt zoomés du regard.

    « En contrebas de Washington Street, l’usine de Struthers est noyée de matin… Mais si l’on s’approche, ce n’est pas ainsi. On voit les ombres oubliées par la nuit. »

    Quelque chose pourtant résiste, que le jeu des focales ne parvient pas à tout à fait saisir :

    « Si l’on s’approche, quelles ténèbres à lire sur son visage. »

    Souvent, le brouillard camoufle les reliefs. Pas de profondeur de champ. La vision est floutée, les lignes d’horizon voilées, comme ici, dans ce paysage :

    « Le brouillard recroqueville la terre. Fatigue les couleurs. Gomme les contours. Ment les distances. »

    Ce que la photo suggère, le choix et l’agencement des mots le suggèrent également. Dans ses énumérations, Estelle Fenzy pratique avec art l’ellipse. Ici le sujet disparaît. Qui entraîne dans son sillage couleurs contours et distances. Ailleurs, les énumérations s’enchaînent dans une succession de phrases nominales construites sur une répétition anaphorique :

    « Cette rébellion de carcasses. Ce déploiement de métal. Ce cimetière à ciel ouvert. Cette nature qui abandonne. »

    La poète recherche l’efficacité. La promptitude d’une écriture qui s’apparente à celle de la prise de vue. À son côté immédiat. Punchy. Elle travaille donc à alléger les structures syntaxiques. Elle ne garde que l’essentiel, évite le superflu. Met l’accent sur un point focal qu’elle privilégie. Ainsi en est-il dans cet emboîtement de type ternaire :

    « La maison de Peter flotte sur le lac […]

    Elle flotte sur la neige. Qui flotte sur la glace. Qui flotte sur le lac. »

    Le style peut devenir télégraphique :

    « Voudrait quitter l’Alabama. Mourir ailleurs. »

    Parfois, à force de gommage et de brume, les éléments du décor se brouillent. On ne sait plus trop de quoi il est question au juste. De la maison ou de la camionnette. Le sujet principal est tellement éloigné qu’il en est presque hors champ, comme perdu de vue. La piste du texte se brouille qui laisse place à une impression dominante d’estompage. De fuite sans retour. D’absence faite pour durer.

    Ce qui s’insinue durablement dans tant de beauté impitoyable, c’est un sentiment de nostalgie et de presque douleur. Un monde a existé fait de violence de misère et de luttes. Des peuples ont coexisté dont ne subsistent que des traces perdues dans le désert et puis… quelques souvenirs.

    La poésie d’Estelle Fenzy est là pour dire l’effacement et l’indicible. Avec beaucoup de doigté… et une infinie tendresse.

    « C’est le bout du voyage ».

    Il est très beau, même si l’on y côtoie la mort.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Estelle Fenzy  Poèmes Western




    ESTELLE FENZY


    Estelle Fenzy 4
    Ph. Tous droits réservés




    ■ Estelle Fenzy
    sur Terres de femmes


    [Je n’ai jamais dit adieu] (poème extrait du Chant de la femme source)
    [Faire fi(n) | de l’exiguïté du temps] (poème extrait de Coda (Ostinato))
    Man’za] (poème extrait de Gueule noire)
    [Retrouver la neige](poème extrait de Poèmes Western)
    [Mon tablier déborde de prières](poème extrait de Mère)
    [Un seul pays natal](poème extrait de La Minute bleue de l’aube)
    La Minute bleue de l’aube (lecture de Murielle Compère-Demarcy)
    [Rêve silex] [extrait de Chut (le monstre dort)]
    [Père, | tu le sais](extrait de Par là)
    Rouge vive (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Rouge vive (lecture d’AP)
    Sans (lecture d’AP)
    [Toi les yeux moi la voix] (extrait de L’Entaille et la Couture)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur les Numériques)
    Rencontre avec Bernard Plossu et son western coloré





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  • Jean Le Boël | [femme noire | toujours vêtue de ta couleur]


    [FEMME NOIRE | TOUJOURS VÊTUE DE TA COULEUR]
    (extrait)



    à Léopold Sédar Senghor



    femme noire
    toujours vêtue de ta couleur
    et de la lumière

    voici que tu n’es plus nue
    voici qu’ils vocifèrent
    qu’ils colonisent ton ventre
    qu’ils te veulent leur esclave volontaire

    femme
    qu’il leur faut violer
    et sans trêve soumettre
    jusqu’à ton nom qu’ils interdisent
    fille de la négritude

    de qui de quoi se vengent-ils

    oublient-ils ton sein
    et ta main qui les façonnèrent

    n’entendent-ils ton cri et ta voix
    qui toujours est vie

    j’avais rêvé crocodiles, barrissements
    et palabres sous l’arbre
    palmeraies paisibles et industrieuses
    peuples dignes partageant
    les fruits de la terre aux mille couleurs

    j’ai vu des villes énervées
    énormes
    pressées de poussière
    et d’ordure

    j’ai reconnu la violence et la misère
    les vieilles lunes qu’on ressasse
    dans l’oubli de ses propres fautes
    les chimères de l’argent et de l’exil

    j’ai douté

    jusqu’à ton bras
    jusqu’à tes yeux
    pleins de fraternelle lumière

    ce qui te manque ce n’est pas la mer
    l’océan glauque et aveugle de toute sagesse
    ni les collines boisées
    de l’étroit paradis des peurs enfantines

    c’est le sommeil qui n’a
    pas de rêve
    pas de corps
    qui a dévoré ses envies
    qui a bu toutes les soifs
    et se meurt dans l’indifférence polie des pierres



    Jean Le Boël, et leurs bras frêles tordant le destin, éditions Henry, Collection Les Écrits du Nord, 62170 Montreuil-sur-Mer, 2017, pp. 61-62-63. Couverture d’Isabelle Clement.






    Jean Le Boël  et leurs bras frêles tordant le destin,






    JEAN LE BOËL


    Jean Le Boël
    Source




    ■ Jean Le Boël
    sur Terres de femmes


    [Ce lien que nous étions] (extrait de Clôtures)
    [il se peut que](extrait de Jusqu’au jour.Prix Mallarmé 2020)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la SGDL)
    une notice bio-bibliographique sur Jean Le Boël





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