Étiquette : Danièle Valin


  • Erri De Luca | Statua di Caino


    STATUA DI CAINO



    Ho acquistato un Caino di bronzo. E’ già senz’arma,
    sta mezzo girato, si stacca dall’agguato
    a suo fratello e alla generazione.
    E’ più basso di me, la mano larga, stesa,
    la urto di sfuggita o gliel’afferro apposta
    per arresto. Non so se sia mancino,
    se stringo la colpevole o quell’altra. So che è tardi.
    C’ era pure un Abele, sdraiato sul fianco,
    il braccio sul volto a proteggere niente. Non l’ ho preso.
    il suo corpo chiedeva uno spazio che da me non c’è.
    Caino è di passaggio, svelto a togliersi, Abele no, sta a terra
    e vede la sua vita seguire come un cane l’ assassino.
    Abele non sa stare rinchiuso in una stanza,
    Caino sì, nell’ umido dell’ ombra, accanto ai libri
    chiede il riparo che non è perdono.





    Erri De Luca  L'ospite incallito  3






    STATUE DE CAÏN



    J’ai acheté un Caïn en bronze. Il est déjà sans arme,
    tourné à demi, il se détache du piège
    tendu à son frère et à sa génération.
    Il est plus petit que moi, la main large, ouverte,
    je la heurte en passant ou je l’attrape exprès
    pour l’arrêter. J’ignore s’il est gaucher,
    si je serre aussi un Abel, allongé sur le côté,
    un bras sur le visage qui ne protégeait rien. Je ne l’ai pas
    pris,
    son corps réclamait un espace que je n’ai pas chez moi.
    Caïn est de passage, prompt à décamper, Abel, non, il est
    par terre
    pour voir la vie suivre l’assassin comme un chien.
    Abel ne peut pas rester enfermé dans une pièce,
    Caïn oui, dans l’humidité de l’ombre, près des livres
    il demande un abri qui n’est pas un pardon.



    Erri De Luca, L’Hôte impénitent [L’Ospite incallito, Einaudi, 2008] in Aller simple suivi de L’Hôte impénitent, édition bilingue, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2021, pp. 168-169. Traduit de l’italien par Danièle Valin.





    Erri De Luca  Aller simple  Collection Poésie Gallimard



    ERRI DE LUCA


    Erri De Luca  portrait





    ■ Erri De Luca
    sur Terres de femmes


    Piero della Francesca (autre poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Due voci (poème issu du recueil Aller simple)
    Le plus et le moins (lecture de Martine Konorski)
    Considero valore (poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Qui a étendu ses bras au large (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Volti (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Première heure (lecture d’AP)
    Le Tort du soldat (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de la fondation Erri De Luca (en italien)





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  • Erri De Luca | Due voci


    DUE VOCI





    Dicono : siete sud. No, veniamo dal parallelo grande,
    dall’ equatore centro della terra.

    La pelle annerita dalla più dritta luce,
    ci stacchiamo dalla metà del mondo, non dal sud.

    A spinta di calcagno sul tappeto di vento del Sahara,
    salone di bellezza della notte, tutte le stelle appese.

    L’acqua sopra una spalla, il fagotto sull’altro
    mantello, camicia e libro di preghiere.

    Il cielo è dritto, un cammino segnato,
    più breve della terra saliscendi.

    A sera ricuciamo il cuoio dei sandali col filo di budello
    e l’ago d’osso, ogni arnese ha valore, ma di più il coltello.

    Signore del mondo ci hai fatto miserabili e padroni
    delle tue immensità, ci hai dato pure un nome per chiamarti.





    Erri De Luca  Solo andata 2







    DEUX VOIX





    On dit : vous êtes le Sud. Non, nous venons du grand parallèle,
    de l’équateur centre de la terre.

    La peau noircie par la plus directe lumière,
    nous nous détachons de la moitié du monde, non pas du Sud.

    Par poussée de talon sur le tapis de vent du Sahara,
    salon de beauté de la nuit, toutes les étoiles en suspens.

    L’eau sur une épaule, le baluchon sur l’autre,
    manteau, chemise et livre de prières.

    Le ciel est droit, un chemin tracé,
    plus court que la terre vallonnée.

    Le soir nous recousons le cuir de nos sandales avec du fil de boyau
    et une aiguille en os, chaque outil a une valeur, mais le couteau plus encore.

    Seigneur du monde, tu nous as faits misérables et maîtres
    de tes immensités, tu nous as même donné un nom pour t’appeler.




    Erri De Luca, Aller simple [Solo andata, Giangiacomo Feltrinelli Editore, Milano, 2005], édition bilingue, éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 2012, pp. 16-17 ; Collection Poésie/Gallimard, 2021, pp. 18-19. Poèmes traduits de l’italien par Danièle Valin.





    Erri De Luca  Aller simple





    Erri De Luca  Aller simple  Collection Poésie Gallimard



    ERRI DE LUCA


    Erri De Luca  portrait





    ■ Erri De Luca
    sur Terres de femmes


    Le plus et le moins (lecture de Martine Konorski)
    Considero valore (poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Qui a étendu ses bras au large (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Volti (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Piero della Francesca (poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Statua di Caino (autre poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Première heure (lecture d’AP)
    Le Tort du soldat (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur Paysages écrits)
    une lecture d’Aller simple d’Erri De Luca par Marie-Hélène Prouteau
    le site de la fondation Erri De Luca (en italien)





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  • Erri De Luca, Le plus et le moins

    par Martine Konorski

    Erri De Luca, Le plus et le moins
    [Il più e il meno, Feltrinelli, 2015],
    éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 2016.
    Traduit de l’italien par Danièle Valin.



    Lecture de Martine Konorski


    Erri De Luca 3
    Image, G.AdC






    Lire Le plus et le moins laisse le goût délicieux d’un bain de mer au grand large, lorsqu’on se sent bercé par l’immense, au loin, et pourtant au plus près de soi. Le goût de sel finement déposé sur les lèvres, le grain d’une croûte de sel plus épaisse sur la peau, les cheveux mouillés qui se collent puis sèchent au vent… Un vent de liberté, « l’expérience de la liberté comme d’un désert », qui souffle sur ce magnifique livre d’Erri De Luca, quintessence de l’ensemble de ses livres, que l’on se réjouit de lire et de relire.

    Le plus et le moins : 37 textes, fragments inclassables, dans une écriture poétique hors du commun, qui nous font voyager dans un temps et dans un espace, guidés par la géographie des souvenirs de l’auteur, de l’enfance à l’âge adulte : des moments de sa vie à Naples, Ischia, Turin, Paris, les Dolomites. Un voyage sincère et tendre au pays de la fraternité humaine et du partage. Un voyage au pays de la liberté et de la vérité. Un voyage dans le silence habité de l’âme du poète, lorsque l’auteur, dans l’arc tendu de la beauté de son écriture pudiquement évocatrice, sensuelle et sans grandiloquence ni ornementation, nous transporte parmi les éléments de la nature et des saisons, « là où la poussière était l’âme du monde ».

    Instantanés de la vie de l’auteur, les textes qui composent ce livre éclairent son œuvre d’une lumière solaire qui vient de l’intérieur, tant ce qu’il décrit émane directement des émotions et des sensations qui le traversent profondément.

    On y retrouve les thèmes de prédilection qui animent Erri De Luca et nourrissent son écriture :

    – les luttes politiques et sociales des « années de cuivre », comme il dénomme les années 1970, qui « conduisaient le courant électrique des luttes sociales […] une vraie énergie électrique de transformation »,

    – le temps de l’intérêt collectif opposé au temps de l’intérêt individuel d’aujourd’hui « où l’on est évalué en fonction du pouvoir d’achat », symbole de notre monde désespérant et vide, qui sombre dans la barbarie et où il est vital de rester insoumis, de se révolter pour être vivant et porter « la parole contraire » pour tenter de mettre fin aux injustices, aux tyrannies, aux guerres, aux racismes…

    – mais aussi le deuil des parents qui prend le goût du silence, « un silence comme les deux lèvres d’une blessure ouverte » et qui provoque aussi « l’exil alimentaire », puisque depuis la mort de sa mère, l’auteur a renoncé à son plat préféré : les aubergines à la parmesane ; une manière si humaine de vivre une telle séparation, puisque pour l’auteur « le deuil se vit plus à table qu’au cimetière ».

    Et puis, l’on trouve aussi les souvenirs d’enfance, ceux du « fils égaré » : « je ne suis pas un père, je suis resté un fils, une branche sèche », qui a quitté sa Naples natale sans retour, qui tourne dans sa bouche toute la journée les pages de la Bible comme un « noyau d’olive », qui découvre les amours adolescentes avec le premier baiser : « je sais depuis que le baiser est le sommet atteint, la parfaite ligne d’arrivée » et les étreintes qui empêchent de dormir et transforment en « poissons qui ne ferment pas les yeux ».

    L’escalade aussi occupe une place importante dans l’œuvre et la vie de l’auteur-alpiniste : « je pratique l’escalade et je sais qu’un sommet atteint exauce un désir autant qu’il l’épuise »…

    Au fil des pages, cette écriture vibrante secoue le corps comme des percussions. Séisme intérieur provoqué par la beauté de textes à l’amplitude évocatrice maximale, à travers une parole minimale, juste et dense. Pas un mot de trop, mais une parole resserrée, traversée par la sensibilité et par l’émotion d’un homme devenu écrivain, par le traumatisme d’une humiliation scolaire, une accusation de tricherie pour sa première rédaction, alors que pour lui « ce fut un précipice d’écriture » qui lui permit de découvrir alors combien l’écriture peut déranger les corps constitués et participer à un acte de résistance. Depuis lors, l’écriture, comme un cadeau, est sa plus fidèle compagne.

    Une écriture vitale, une écriture de vie et d’espoir inscrite dans le corps et dans la peau : « j’avais besoin de pages à tenir en main comme un verre et de m’y plonger la tête la première jusqu’au terminus ».

    Le plus et le moins est un livre essentiel, d’un auteur essentiel qui, à rebours de la fureur des médiocrates de l’analyse et du commentaire, nous offre, avec humilité et profondeur, une parole authentique.

    Donc, un livre à mettre entre toutes les mains… de celles et ceux qui s’interrogent sur notre monde et sur ce que c’est qu’être humain.



    Martine Konorski
    D.R. Texte Martine Konorski
    pour Terres de femmes







    Erri De Luca, Le plus et le moins,




    ERRI DE LUCA


    Erri De Luca  portrait





    ■ Erri De Luca
    sur Terres de femmes


    Due voci (poème issu du recueil Aller simple)
    Considero valore (poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Qui a étendu ses bras au large (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Volti (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Piero della Francesca (poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Statua di Caino (autre poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Première heure (lecture d’AP)
    Le Tort du soldat (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


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  • Erri De Luca, Le Tort du soldat (extrait)



    [RIEN DE PUR DANS LA VÉRITÉ]




    J’attaquai le premier beignet en le tenant entre le pouce et le majeur, ma feuille dans l’autre main.

    En lisant les pages, je rencontrai de nouveau le mot hébraïque èmet, « vérité », par lequel Singer conclut la version courte et amère de Di Familie Mushkat. « La mort est le messie, c’est la pure vérité. »

    Personnellement, je ne reconnais rien de pur dans la vérité. Je la vois dans l’effondrement d’une négation, dans l’entrée des troupes soviétiques dans le camp de massacre de Treblinka. Ce n’est pas une découverte, mais la mise à découvert de l’infamie. Je la vois dans la décomposition d’un mensonge, fécond pour ça. Je la vois dans la moisissure qui révéla la pénicilline à Fleming.

    En hébreu èmet est féminin, mais devient masculin en yiddish, perdant en consistance. En hébreu elle est absolue, en yiddish elle est relative. C’est pourquoi le vieil homme qui prononce la phrase dit : « pure vérité ». Il doit la renforcer par un adjectif. En hébreu, elle existe toute seule et c’est tout. Il est des mots qui exigent le féminin, vérité en fait partie.

    Mon esprit vagabonde sur ce genre de pensées qui me laissent interdit. Èmet est le mot écrit sur le front du Golem, l’homme d’argile qui, par cette formule, se transforme en automate vivant. La légende hébraïque de Prague inspira ensuite le personnage de Frankenstein.

    Plongé dans mes divagations, le mot èmet monta à mes lèvres et sortit de ma bouche. Comme dans le sommeil qu’un bruit interrompt et qui réveille. Je me ressaisis, me retrouvant avec le beignet encore entre les doigts et les feuilles dans l’autre main.



    Erri De Luca, Le Tort du soldat, récit, Éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 2014, pp. 31-32. Traduit de l’italien par Danièle Valin.






    Erri De Luca, Le Tort du soldat, Gallimard



    ERRI DE LUCA


    Erri De Luca  portrait





    ■ Erri De Luca
    sur Terres de femmes


    Due voci (poème issu du recueil Aller simple)
    Le plus et le moins (lecture de Martine Konorski)
    Considero valore (poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Qui a étendu ses bras au large (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Volti (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Piero della Francesca (poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Statua di Caino (autre poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Première heure (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Le Tort du soldat d’Erri De Luca
    → (sur flipbook)
    les premières pages du Tort du soldat






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