Étiquette : Dessins


  • Sabine Huynh, Parler peau

    par Angèle Paoli

    Sabine Huynh, Parler peau,
    Æncrages & Co, collection Voix de chants, 2019.
    Dessins de Philippe Agostini.
    Exergue de Philippe Rahmy.



    Lecture d’Angèle Paoli




    LE GRAND POÈME DE LA CHAIR




    Parler peau. Quel titre que celui-là ! Fascinant parce qu’incisif ! Concentré dans l’alternance serrée de l’allitération en [p] à l’initiale des deux mots. Et des voyelles ouverte | fermée | ouverte. Un titre qui claque et qui roule, qui claque et qui déferle. Trois syllabes pour amorcer un programme dont la peau est l’objet. Par le choix d’un tel titre (si évident et si naturel qu’il en devient quasi exceptionnel), Sabine Huynh annonce son désir d’aller droit au cœur de l’échange amoureux, au plus proche dans le corps-à-corps du dire la parole amoureuse : poétique et physique. Ou inversement. Peu importe tant les deux sont liés, intimement arrimés l’un à l’autre.

    Le programme annoncé par le titre est repris en exergue par une longue citation empruntée à Phil Rahmy. Une manière de rendre hommage au grand ami si tôt disparu.

    Dans la citation en trois temps de l’exergue, il est question « des corps fragiles » et du « don total de nous » ; de la primauté du langage : « Rien, hormis la transformation du corps en langage » ; puis de la guérison : « Je guéris. Je ne sais pas de quoi. Mais je guéris ».

    Après la page d’exergue, une dédicace ajoutée entre parenthèses explicite le projet :

    « (Rapprochements physiques pour H.) ».

    Mais le projet tient-il sa promesse ?

    OUI, dans les moindres replis et jeux de langues, jeux de mains et jeux du corps entier, cils à cils. « Mots semés sexe à sexe ». Les poèmes sont brefs, qui se suivent sans relâche, sans ponctuation et sans majuscules, souffle à souffle. Petits pavés esthétiques jetés sur la page.

    Le recueil de Sabine Huynh suit la trajectoire de Phil Rahmy. Au plus près et au plus fidèle. En quelques strophes, la poète évoque d’abord le ravage, solitude immense, désertion du corps, manque et soif, langue raidie, mal-être intense, mots de bris et de violences, guerres et tourments, inconsolables, béance d’une plaie ancienne, cicatrices jamais refermées.

    Vient alors le temps inespéré du don total qui passe par l’appel intime et feutré du « viens » :

    « viens nous connaissons l’eau la pluie nous attend » […] « viens c’est fortune de mer » […] « viens ».

    Temps des projets où se jointoient l’éros et l’universel : « nos langues iront laper la source d’un monde recommencé ».

    Temps qui réconcilie les contraires en des arabesques infinies « dessus » ͠ « dedans » ͠ « dehors » ͠ « partout ». Danse de mots brûlants qui abolit les frontières et inscrit les amants dans un présent éternel :

    « ça vole papillons partout ».

    Vitesse de l’écriture qui fuse de page en page dans une voltige de fricatives voisées, vent visage vertige, gerbe foisonnante d’allitérations en [v].

    Le poème parfois se mue en une composition où se condense la syllabe finale du titre, ce [po] qui se réitère pour dire à travers l’aveu la fluidité des caresses, pour dire l’obsession des corps :

    « le corps frémit de l’envie de toucher la peau pense aux mains – vibrer encore et encore parler peau – pencher vers demain peut-être les caresses composent ce qui ressemble aux premiers serments ».

    La poète connaît l’art de dire beaucoup du corps-à-corps amoureux, avec ce peu de mots qui file de page en page. C’est avec ce peu qui « contient tout » que commence la réparation. Les orages anciens s’éclipsent, mémoire en retrait, effacement momentané des horreurs du présent. Tout à son « trésor » de peau, le langage réconcilié retrouve la langue fertile, moisson de mains et de paumes qui gomment les traces jusqu’alors indélébiles.

    Ce qui se vit ici, c’est l’urgence du dire, urgence du parler peau ; urgence de retenir entre les doigts le flux qui innerve les corps et la langue ; urgence de la restauration de soi qui passe par la fête des sens et par la fête des mots. Une urgence à dire qui bouscule la grammaire. Invente – dans l’ardeur d’une « langue sauvée des eaux » – un ordre nouveau qui ouvre un chemin inédit de lumière et de joie. Le corps de l’amant invente le monde. Un paysage mouvant prend forme sous les caresses, qui rassemble dans un même tempo rondeurs et « torsions », « trajets » et « arcades », « enroulements », « renversements » et « égarements ». Miracle de la mosaïque amoureuse qui recrée le temps de l’innocence. Ainsi se compose le grand poème de la chair, riche de promesses et du désir de vivre.

    Rarement poème d’amour, tout en saveur érotique, force et tendresse conjuguées à l’envi, n’a atteint semblable splendeur. Magnifique.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Sabine Huynh  Parler peau





    SABINE  HUYNH


    Sabine Huynh. Photo Miriam Alster 2016
    Ph. Miriam Alster (2016)
    Source





    ■ Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    [sans attaches] (extrait de Parler peau)
    Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg (note de lecture d’AP)
    Les Colibris à reculons (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Les Colibris à reculons (note de lecture de Sabine Péglion)
    Kvar lo (note de lecture d’Isabelle Lévesque)
    Kvar lo (note de lecture d’AP)
    [Au fond de ta gorge] (extrait de Kvar lo)
    La Mer et l’Enfant (note de lecture d’AP)(+ une notice bio-bibliographique)
    Lettre à Tieri Briet (chronique)
    [Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots] (extrait de Tu amarres les mots)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Là où elle naît
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)




    ■ Voir aussi ▼

    presque dire (le site de Sabine Huynh)
    → (sur le site d’Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Parler peau




    ■ Notes de lecture de Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Matthieu Baumier, Le Silence des pierres
    Blandine Longre, Clarities
    Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots
    Romain Verger, Fissions





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  • Sabine Huynh | [sans attaches]



    [SANS ATTACHES]




    sans attaches nous restons nos paupières lèvres seins s’achoppent se mouillent s’alourdissent comme les voiles d’un navire heurtant une douce tempête confusion des chagrins des étoffes écume de draps et dessous océan d’innocence où se brisent les lames du temps l’intimité amarre nos membres ensemble pour dépasser l’hiver de la chair


    palpitante et toute en labiales dentales et brutales la langue pousse et met bas un hébreu guttural qui allaite nos cœurs la langue bouleverse enfonce les cages creuse les alvéoles remue profond tend les cordes agite le pollen des voiles toute en frictions et fricatives la langue sauvée des eaux joue et tout en vibrant elle roule latérale s’écoule et l’air liquide file contre ses flancs toute en buccales et palatales elle gonfle provoque la glaise — nos corps superbes sèmeront tout en étamine et pistil serrés — la vie le soleil la joie


    nos deux vagues scélérates chavirent les cargaisons d’ennui — plonger au fond des humeurs la peau déployée humectée — de souffle traversée respire et crie comme jamais nulle autre — en silence refait surface l’écriture une mer porteuse d’horizon



    Sabine Huynh, Parler peau, Æncrages & Co, collection Voix de chants, 2019, s.f. Dessins de Philippe Agostini. Exergue de Philippe Rahmy.






    Sabine Huynh  Parler peau





    SABINE  HUYNH


    Sabine Huynh. Photo Miriam Alster 2016
    Ph. Miriam Alster (2016)
    Source





    ■ Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Parler peau (lecture d’AP)
    Avec vous ce jour-là / Lettre au poète Allen Ginsberg (lecture d’AP)
    Les Colibris à reculons (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Les Colibris à reculons (lecture de Sabine Péglion)
    Kvar lo (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Kvar lo (lecture d’AP)
    [Au fond de ta gorge] (extrait de Kvar lo)
    La Mer et l’Enfant (lecture d’AP)(+ une notice bio-bibliographique)
    Lettre à Tieri Briet (chronique)
    [Pourquoi toujours ma voix se brise avec ces mots] (extrait de Tu amarres les mots)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Là où elle naît
    Sabine Huynh | Roselyne Sibille, La Migration des papillons (extrait)




    ■ Voir aussi ▼

    presque dire (le site de Sabine Huynh)
    → (sur le site d’Æncrages & Co)
    la fiche de l’éditeur sur Parler peau




    ■ Notes de lecture de Sabine Huynh
    sur Terres de femmes

    Matthieu Baumier, Le Silence des pierres
    Blandine Longre, Clarities
    Sylvie-E. Saliceti, Je compte les écorces de mes mots
    Romain Verger, Fissions





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  • Albertine Benedetto, Vider les lieux

    par Angèle Paoli

    Albertine Benedetto, Vider les lieux,
    éditions Al Manar, Collection Poésie, 2019.
    Dessins d’Hélène Baumel.



    Lecture d’Angèle Paoli




    UNE FURIEUSE ENVIE DE VIVRE




    Comment interpréter ce titre étrange, Vider les lieux, polysémique, un brin Janus bifrons au ton impérieux ? Comme une injonction à tirer un trait sur le passé ? Ou comme une injonction à ouvrir sur la vie à venir ? Une nécessaire place nette pour s’autoriser à aller de l’avant ? Ces interprétations sont sans doute simultanément possibles, liées l’une à l’autre. Se détacher est un passage inévitable, un apprentissage régulier sur la durée, en vue de la nuit ultime. Le regard de celle qui se tourne avec tendresse sur la disparition est celui de la poète Albertine Benedetto. Dans ce recueil paru en juin dernier aux éditions Al Manar, Vider les lieux, vie et mort se côtoient et se touchent, intimement mêlées. À la manière d’un effleurement, d’une caresse. Dédiés « à nos aimés », les poèmes du recueil sont accompagnement. Et générosité. Car quelle plus grande générosité que celle qui consiste à choisir de « conduire le deuil en procession de mots » ? La mort/les mots. La mort qu’il faut bien apprivoiser, les mots pour tenter de dire cette approche.

    Les poèmes progressent en trois temps. Lieux/Reliques/Je suis là. Multiples et divers sont les lieux. Quels qu’il soient, il faut prévoir de s’en libérer un jour. De s’en détacher. Lieux de l’enfance – le Glaizil –, à jamais disparus. La maison, le jardin. Il y a ceux qui ont le nom d’ailleurs, promenades et passages. Ceux-là que nous avons un jour effleurés de nos pas, de nos regards. Ces lieux-là ont des noms qui éveillent les souvenirs, mais la poète, dans sa discrétion, en suggère la quintessence mystérieuse plutôt qu’elle ne les enferme dans une trame précise.

    « Le mot cheval souffle doucement sur un pré

    quelque part

    un rideau a bougé

    au cadre d’une fenêtre qui regarde la rue

    on ne voit que des ombres

    passantes sur le pré

    des nuages flottent… » (Villa Adriana).

    La poète laisse ainsi éclore sur la page les images – les siennes – qui viennent se superposer aux miennes – Via Appia, Villa Adriana, Rome, Catacombes de San Callisto. Nos sensibilités s’y rejoignent.

    Que reste-t-il de ces passages ? Peu de choses. Des trouées de poussière, des éclats d’eau ; à la manière des dessins d’Hélène Baumel ; lambeaux de peau, bribes couchées sur la page, traces en

    « forme de récits

    sur des carnets

    illisibles ».

    Chemin faisant, dans cette exploration délicate, la poète se confronte à elle-même, à ce qu’elle fut enfant. Une promenade sur la Via Appia antica fait resurgir en elle le souvenir de la photo du manuel de latin de la classe de 4e. Celle des pins parasols bordant la voie jalonnée de tombeaux. Paysage inscrit dans une durée intemporelle qui habite les mémoires des collégiens qui, comme la poète, ont vécu une année scolaire ce manuel sous la main. En quelques strophes, avec une acuité concentrée et minutieuse, la poète ramène à la surface ce paysage de toujours qui inscrit la mort dans la vie des vivants. Présentes dans les fragments évoqués, les leçons du passé sont leçons pour le futur. Memento mori qu’accompagnent les questionnements :

    « nous les vivants

    descendus sous la terre nous cherchons

    comme un avant-goût des ténèbres

    comme un mode d’emploi ou quoi ? ».

    L’enfance, loin désormais, ne contient-elle pas en elle une ombre de mort ? Il plane pourtant dans les poèmes d’Albertine Benedetto quelque chose d’une enfance heureuse, ses jeux, ses mystères, ses secrets enfouis dans les recoins de la mémoire, qui soudain surgissent au hasard du temps, colorent de leurs images les gestes du quotidien. Quelque chose d’une fraîcheur enfantine non altérée demeure. Rires sous cape, espiègleries et insouciance :

    « Toujours l’enfance bondit

    de pierre en pierre dans le lit du torrent

    avale en grappes les chemins

    à la tombée du jour

    use la liberté et les fonds de culottes… ».

    L’âge adulte est autre. Est-ce la mort qui guette et qui dicte sa loi, dure loi qui conduit à quitter les lieux aimés ?

    Le lieu majeur est la maison. La maison et son jardin. C’est autour d’elle que se concentrent les rêves de jadis et que se nouent les énergies de la vie. Maison-écho de la cabane d’autrefois, maison protectrice et sûre, enveloppante. Mâtinée d’accents bachelardiens, la maison d’Albertine Benedetto tient à l’abri derrière ses murs ses meubles et sa déco. La poète n’est pas dupe, cependant, qui dit cette « protection dérisoire » et lit à même les objets. Lesquels sont autant de reliques (titre du second volet du recueil) avec lesquelles dialoguer. La vie accumule ses signes tout alentour. Chaque objet a sa place, qui forme avec les autres les reliques à venir, dépositaires d’une archéologie future. Les jeux de lumière dans les arbres du jardin ont à voir avec le temps. Ensemble, ils bâtissent un univers étanche où l’éternité de l’enfance, sa durée immobile, viennent se couler dans le présent fugace. Les maisons se confondent. Les pas toujours ramènent sur ce qui a été perdu, dont il reste si peu de traces. Des ombres dans une mémoire, à peine. Les mots seuls, malgré leur incomplétude, permettent de rassembler ce peu de sable qu’il reste, d’un temps défunt. La poésie murmure avec les ombres, échange en demi-teinte, tout de tendresse et en douceur. Destinés aux défunts, les mots ténus du poème leur font « un tombeau léger ».

    Mais la poète est là, qui rassemble autour d’elle ces menus riens qui ont façonné sa vie. Son caractère et sa personnalité. Veilleuse, ordonnatrice, solide et confiante. En affirmant sa présence – Je suis là – (titre du dernier volet), elle leur rend hommage, avec ses mots. Les mots, la poète sait comment en faire usage et quand. Elle sait comment les ranimer alors même qu’ils paraissent endormis. Au fond des tiroirs, au fond des poches. Les mots ordonnent, qui maintiennent vivantes les images emmagasinées dans la mémoire. La vie la mort se rejoignent dans le beau poème final. Les souvenirs coexistent. Celui de la mort des aimés – les parents que l’on cherche encore à tâtons dans leur chambre à coucher. Celui de la naissance :

    « Je me souviens du premier souffle

    cette expulsion

    hors des eaux primitives

    je me souviens

    de mon corps tambour sous les paumes du vent

    ma peau traversée par tous les souffles du monde

    je me souviens de ma vigueur… ».

    Peut-être la poète tient-elle de ce moment unique toute l’énergie qui est la sienne, cette force vitale qui la porte et qui irradie autour d’elle ?

    Derrière ce peu qui demeure demeure l’essentiel :

    « reste le trésor de l’enfance

    cette force d’amour à l’usage du temps

    une furieuse envie de vivre ».

    Reste aussi un très beau recueil.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Albertine Benedetto  Vider les lieux






    ALBERTINE BENEDETTO


    Albertine Benedetto.
    Source



    ■ Albertine Benedetto
    sur Terres de femmes


    [Ordinaire] (extrait du Présent des bêtes)
    Glottes (extrait de Glossolalies)
    [Si calme le piano] (extrait de Sous le signe des oiseaux)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Baltique



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la page de l’éditeur sur Vider les lieux
    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bibliographique sur Albertine Benedetto





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  • Michel Bourçon | [quelque chose cesse]



    [QUELQUE CHOSE CESSE]




    quelque chose cesse à mesure
    que l’on voit le temps passer
    sur les eaux lentes du fleuve
    tandis que dans l’air
    et les couleurs mouvantes
    ondoient des animalcules



    de vagues pensées naissent
    à l’ombre des hautes herbes



    l’esprit au calme
    baigne dans les lumières
    et le pas suspendu du héron.






    Michel Bourçon, Visages vivant au fond de nous, 44, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2019, page 53. Dessins de Jean-Gilles Badaire.






    Michel Bourçon  Visages vivant au fond de nous




    MICHEL BOURÇON


    Michel Bourçon
    Ph. ©Michel Durigneux
    Source





    ■ Michel Bourçon
    sur Terres de femmes

    [Dès le lever, le corps sent le vide autour] (extrait de Demeure de l’oubli)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Michel Bourçon




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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Delfine Guy | Expédiée dans l’Arctique






    Grande Papillon tirage de tête
    Delfine Guy, tirage de tête de La Grande Papillon






    EXPÉDIÉE DANS L’ARCTIQUE




    Après avoir longtemps couru dans la neige
    j’étais devenue transparente
    Les luges tatouaient sur mon dos
    d’amples fleurs noires

    et je m’étalais comme un habit fantôme
    accueillant dans mes manches
    multitude d’enfants

    ils n’étaient pas miens
    riaient d’une grimace de glace
    et tétaient l’absence
    par mes fibres inodores

    Le paradoxe de l’ourse polaire
    s’est maintenu au chaud
    mon pelage est une planète vierge
    L’océan pourtant prisonnier

    me fait don de clefs robustes
    ce sont mes crocs

    ils luisent tout autour de ma langue
    tandis que je m’éveille
    du plus long des hivers

    et que je souris à l’homme au sexe dressé

    Mes deux seins bombés tournent en lune et soleil





    Delfine Guy, La Grande Papillon, Poèmes & dessins, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2019, pp. 34-35.






    Grande Papillon






    DELFINE   GUY


    Delphine Guy




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Décharge)
    une lecture de La Grande Papillon par Jacques Morin
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur La Grande Papillon





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  • Rabih el-Atat | [dans l’émail de la tasse une fissure]




    Mur-separe-mexique-etats

    «dans l’émail de la tasse une fissure
    m’aide à contempler
    le cercle de mon enfance »







    [DANS L’ÉMAIL DE LA TASSE UNE FISSURE]




    dans l’émail de la tasse une fissure
    m’aide à contempler
    le cercle de mon enfance



    […]



    la vie est un insecte qui meurt
    dans la toile d’une araignée
    morte



    […]



    un murmure
    donne couleur
    au vide



    […]



    en même temps
    à la source et à l’embouchure
    le fleuve



    […]



    au bout du gant rapiécé
    un fil
    me relie à ma mère




    Rabih el-Atat, humeurs vagabondes, édition bilingue, éditions érès, Collection PO&PSY princeps, 2019. Poèmes traduits de l’arabe par Antoine Jockey. Dessins d’Odile Fix.






    Rabih el-Atat




    _________________
    NOTE d’AP : cet ouvrage est disponible en librairie à partir du 14 mars 2019.





    RABIH-EL-ATAT





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions érès)
    la fiche de l’éditeur sur humeurs vagabondes de Rabih el-Atat





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Amir Or | Déjà là




    OR
    Image, G.AdC







    DÉJÀ LÀ



    Matin, le monde est déjà là ;
    arrivés ensemble nous sommes
    sur la ligne de départ,
    enfants d’un instant
    dont je suis le nom.







    FLORAISON



    Un Éros de floraison papillonne à ma fenêtre. Entre les bougainvilliers, il me dit : toi non plus tu n’échapperas pas au printemps des créatures. Et moi, noyé de nectar, je lui ouvre une fois de plus, à cette abeille industrieuse !






    MOMENT



    Qui peut décrire ce moment ?
    Moi assis là solitaire
    à regarder tout sans mots :
    le miel en suspens dans l’air, le vert partout.
    Seule l’unique mouche de la pensée
    survole cet Éden du matin.




    Amir Or, « Poèmes du matin » in Entre ici et là, édition bilingue, éditions érès, Collection PO&PSY princeps, 2019. Poèmes traduits de l’hébreu par Michel Eckhard Elial. Dessins de Sylvie Deparis.






    Amir Or  Entre ici et là



    _______________________
    NOTE d’AP : cet ouvrage est disponible en librairie à partir du 14 mars 2019.





    AMIR OR


    Amir Or
    Source




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions érès)
    une notice bio-bibliographique sur Amir Or
    → (sur le site des éditions érès)
    la fiche de l’éditeur sur Entre ici et là d’Amir Or
    → (sur le site des éditions Levant)
    Amir Or lit son poème « Amour sorcier » au festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée (Sète, juillet 2016)





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  • Jean-Pierre Chambon, Noir de mouches (extrait)





    NOIR DE MOUCHES (extrait)




    Au bout d’un moment, j’ai eu soif et j’ai voulu aller chercher de l’eau au suintement du robinet de la cuisine. Quand j’ai soulevé le verre, la mouche qui paraissait morte s’est tout à coup envolée.


    Avec le même morceau de tunique à l’étoffe grenue, j’ai commencé à nettoyer la culasse de l’arme que j’avais laissée appuyée au mur près de la fenêtre. Il s’en dégageait une vieille odeur légèrement piquante de poudre et de métal. En bas, dans la rue, la scène s’était confusément modifiée. Les ombres allongées sur le sol paraissaient d’un noir plus dense. Elles donnaient l’impression de s’être mises à ramper. Elles étaient cernées d’un grouillement frénétique, criblées d’un piquetage de traits qui en masquaient les contours comme sous de rageurs coups de crayon. J’ai pointé le fusil et regardé par la lunette du viseur. Au-dessus des formes calcinées vibraient des essaims de mouches.


    Les mouches voltigeaient de plus en plus vite, comme emportées dans un tournoiement moléculaire. Je voyais scintiller leurs ailes dans la lumière qui amorçait son déclin.




    Jean-Pierre Chambon, Noir de mouches, éditions L’Auberge des vents, Grenoble, 2018, s.f. Dessins de Philippe Chambon.






    Chambon  Mouches 2





    JEAN-PIERRE CHAMBON


    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Source




    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes


    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d’AP)
    [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    Des lecteurs (extrait)
    Des lecteurs (lecture d’AP)
    Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Fleurs dans la fleur]
    Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Zélia (lecture d’Isabelle Lévesque)
    L’invention de l’écriture (extrait de Zélia)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)
    Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Noir de mouches par Jean-Paul Gavard-Perret





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  • Jacques Moulin | D 27 et D 28



    D 27

    Ne plus t’entretenir du quotidien du temps.
    Des riens des jours.
    Entends toujours les goélands à tes fenêtres.



    Le fils sentait ce silence de la mère en allée comme un chuintement détourné asphyxié. Il a couru en sous-bois. Il a ballotté ses humeurs. Il savait ne plus respirer pour elle ne plus l’embarquer dans sa promenade. Elle était l’humus d’automne la feuille abandonnée aux vents du défaire. L’enfermement des sèves. La nature défunte. Le silence de la mère en terre toutes braises confisquées. Même celle des mélèzes qu’elle avait découverts tardivement grâce aux enfants au creux des pentes de l’automne.




    D 28

    Comment emporter sa morte et demeurer léger ?
    Quand tu aimes il faut laisser partir.
    Laisse ta mère franchir l’horizon marin.



    Un mois sans toi
    Sans feu ni lieu de toi
    Sans mère ni voie
    Chenal perdu

    Sans voix sans toi
    Corne de brume
    Mouillures aux yeux
    L’humeur des vitres avec l’embrun

    Du brou en gorge
    L’automne des noix
    Et coque vide.




    Jacques Moulin, L’Épine blanche, L’Atelier contemporain | François-Marie Deyrolle éditeur, 2018, pp. 36-37-38-39. Lecture de Michaël Glück. Dessins de Géraldine Trubert.






    Jacques Moulin  L'Épine blanche  Éditions L'Atelier Contemporain





    JACQUES MOULIN


    Jacques-Moulin
    Source




    ■ Jacques Moulin
    sur Terres de femmes

    Écrire à vue (lecture d’AP)
    [Partir à dos de feuilles ou d’arbres] (extrait d’Écrire à vue)
    Journal de Campagne (lecture d’AP)
    Portique (lecture d’AP)
    Portique 2 (extrait de Portique)
    [Sur le halage certains soirs] (extrait d’À vol d’oiseaux)
    Un galet dans la bouche (extrait)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions L’Atelier contemporain)
    la page de l’éditeur sur L’Épine blanche
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la Littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Jacques Moulin





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  • Jong N. Woo | [vient une voix]



    [VIENT UNE VOIX]



    vient
    une voix

    une autre
    voix

    et soudain c’est
    la couleur de l’aube

    la couleur jade

    la couleur in abstentia
    du plus-loin-plus-près



    Jong N. Woo, L’Ébranlement, éditions Jacques Brémond, 2007, page 30. Dessins d’Alexandre Hollan.






    Jong N. Woo






    JONG N. WOO




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Poésie, Muzik, Etc…)
    d’autres poèmes extraits de L’Ébranlement (+ une notice bio-bibliographique)
    → (dans Le Nouveau Recueil n° 60)
    des extraits de Sur une terre sèche de Jong N. Woo





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