Étiquette : éditeur


  • Liliane Giraudon, Le Travail de la viande

    par Angèle Paoli

    Liliane Giraudon, Le Travail de la viande,
    P.O.L éditeur, 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli


    « UN POÈME EST UN POÈME EST UN POÈME »





    Happée par la flagrante trivialité du titre — Le Travail de la viande —, j’ai d’abord imaginé une tripotée de bouchers de Rungis, tabliers blancs maculés de traînées de sang, s’activant à décharger des carcasses sanguinolentes. Me sont simultanément revenues en mémoire les célèbres toiles de Rembrandt et de Chaïm Soutine. Bœuf écorché, écartelé et souffrant, offert aux regards obscènes du spectateur. Je peux tout autant imaginer le travail au scalpel du chirurgien anatomiste taillant dans les chairs à vif d’un corps à nu. Mais pourquoi les images qui s’imposent aussi durablement à moi sont-elles celles des portraits torturés de Bacon ? Ces couleurs violacées et blanchâtres de visages aux chairs révulsées ? Je continue de m’interroger.

    Avec cet opus signé Liliane Giraudon, le lecteur pressent que Le Travail de la viande aura à voir avec le travail de la poète, de la poétesse. Travail sur la langue, travail de la langue, travail autour de la langue. La langue étant ce muscle de chair polyvalent, capable de malaxer les aliments enclos dans la cavité buccale, à même de tournoyer dans les baisers ardents, ou de s’activer pour formuler, parler et dire (Liliane Giraudon ne mâche pas ses mots !) ; à même aussi d’élaborer un système de signes propres à la communication, orale et écrite. Si le titre reste à première vue un brin énigmatique (Liliane Giraudon fournit en d’autres lieux des explications en lien avec sa vie présente), la quatrième de couverture, elle, est plus explicite. On y croise des noms en rapport avec la littérature : Meyerhold/Oreste/Reverdy/Bessette. On y croise des allusions au genre littéraire : « Traversées des genres ou extension » / « la fille aux mains coupées ». Quant à la « viande », elle est présente dans la métaphore choisie (sur cette même quatrième de couverture) pour illustrer la composition du livre :

    « on peut […] le parcourir comme un abattoir où sont débités des morceaux de textes. »

    Morceaux de choix qu’il est possible de lire dans l’ordre ou dans le désordre. La poète prend cependant grand soin de préciser que « Fonction-Meyerhold » occupe une place centrale au cœur de l’ouvrage. Et que ce texte « rayonne comme centre des opérations. » Trois textes précèdent celui-ci : « La fille aux mains coupées » / « Mouvement des accessoires » / « Oreste pesticide ». Trois autres le suivent : « Cadavre Reverdy » / « L’activité du poème n’est pas incessante » / « B7 : un attentat attentif. »

    Quant au titre lui-même de l’ouvrage, une seule occurrence figure dans l’ensemble de l’ouvrage. Dans « Fonction Meyerhold ». Accouplée à un autre syntagme nominal :

    « mécanisation du sexe

    travail de la viande ».

    Le travail qui est ici à l’œuvre est à la fois « le fruit d’un braconnage dans la vie de tout le monde » ; le fruit de lectures multiples qui resurgissent parfois au hasard de la vie :

    « Je tente d’avancer.

    Mais pas seule, non.

    Avec la somme de tous ceux et celles que j’ai lus, pillés puis oubliés. »

    Le fruit aussi de multiples rencontres, essentielles et vitales. Parmi ceux que la poète fréquente et avec qui elle travaille figurent des noms d’acteurs, de poètes et d’écrivains, d’éditeurs, de metteurs en scène, de photographes. Marc-Antoine Serra, Nicolas Maury et Robert Cantarella, Laurent Cauwet, Christian Tarting, Isabelle Garron et Yves di Manno, Frédérique Guétat Liviani et Michel Maury. Ainsi que Paul Otchakovsky-Laurens, bien sûr.

    De ce travail résulte un assemblage de textes cousus ensemble ; « des proses, des mélanges de montage en montage ». Des textes différents par le genre littéraire auquel ils appartiennent ou auquel le lecteur voudrait les apparenter ; par les thèmes ou sujets qu’ils abordent et par l’écriture qui les porte. Avec cependant des passerelles, des échos qui transitent, résonnent de l’un à l’autre et une voix unique qui les ajointe. Celle de la poète. Voix colère qui dénonce, voix rageuse qui secoue, voix qui vibre et qui proteste comme une mise en garde :

    « arrêtons de voir

    la littérature comme un enclos

    protecteur une

    réparation du vivre

    il faut cracher dans la soupe

    pour lui donner du goût

    dégobiller dégobiller

    leur faire renifler

    l’odeur de ce qu’ils sont

    ce que dégage

    cette infecte couverture appelée

    l’art au service du peuple

    quand le peuple

    est bien commode pour ceux qui s’en réclament… » (in « Fonction Meyerhold »)

    Et c’est cela sans doute qui justifie le côtoiement de ces textes et, au-delà, leur assemblage et leur mise en perspective. Ce qu’annonce d’emblée l’exergue emprunté au cinéaste Harun Farocki :

    « Les paveurs au travail lancent haut un pavé puis l’attrapent, chaque pierre est différente mais ils comprennent au vol où elle doit se poser. »

    Le Travail de la viande est travail de la langue. La langue mise en pièces, débitée en morceaux — conte, théâtre, lettre, poème, monologue —, rapiécée, rajustée recouturée. Fruit d’un travail permanent, attentif, exigeant. Un travail de création. Soit « un étrange exercice de dépossession » (in « Cadavre Reverdy »). Dont le propos à la fois dérangeant et décapant infuse et se répand, par-delà le vouloir de la poète, dans les veines et artères de ceux ou de celles qui se l’approprient. Parce que le poème ici est tout autre chose qu’

    « un simple petit

    ossement décoratif

    déposé là et sans usage ».

    Le livre s’ouvre sur un récit, reprise et adaptation par la poète d’un conte de Grimm. Comme bon nombre de contes merveilleux, La Fille aux mains coupées est un conte cruel. Le souvenir de ce conte, relié aux lectures de l’enfance, est aussi rattaché à un événement récent dont Liliane Giraudon a vécu la violence. Comme dans le conte de Grimm où la jeune fille vit le sacrifice castrateur qui lui est infligé comme une mise à l’épreuve (amputation des deux mains), la poète vit la mort de son éditeur Paul Otchakovsky-Laurens (Éditions P.O.L) comme une épreuve douloureuse qui la confronte à l’incapacité d’écrire. L’adaptation de ce conte pour une performance est l’occasion pour la poète de s’interroger sur la notion d’espace. Et de s’interroger sur elle-même, sur son devenir face à l’écriture :

    « Les chairs enveloppant le poignet occupent-elles un espace qui peut être tranché au couteau ? »

    Et la poète de conclure par cette suite d’interrogations inquiètes :

    « Ces mots jetés dans le vide puis repris longtemps après rejoindront-ils les larmes de la fille aux mains coupées ?

    Lui rendront-ils son sourire ? Sa force d’agir

    Où est la fille ?

    Dans quel espace de quel poème peut-elle aujourd’hui tracer des signes ? »

    « Mouvement des accessoires » (second texte) évolue comme un jeu de mikado dont les baguettes sont lancées au hasard. En cinq mouvements et cinq mises en espace, les baguettes composées de phrases identiques retombent les unes sur les autres dans un ordre aléatoire. Qui dit variation sur le même, dit aussi modifications infimes, à peine perceptibles et pourtant présentes.

    Avec « Oreste pesticide », Liliane Giraudon revisite le mythe des Atrides à travers le personnage d’Oreste. La poète délocalise le mythe dans la ville de Marseille, au sein d’une enquête policière contemporaine avec violences et bavure mortelle. La scène — avec didascalies — se déroule en quatre tableaux. Avec deux flics femmes et lesbiennes, « poupées gonflables au service du capital » ; employées à la « dé/ra/di/ca/li/sa/tion ou dé/ra/ti/sa/tion » ; un transgenre cultivé, infirme, cynocéphale et « nègre » pornographe, finalement assassiné par l’une des fliquettes. Le quatrième tableau reprend la matière précédente pour en faire une pièce de théâtre avec metteur en scène et acteurs. Le tout sur fond de sexisme, de racisme et de violence. Violence des temps soumis aux exigences des dieux (Daech) ; violence des femmes elles-mêmes dont le sujet « n’est pas frontalement abordé ». Violence des mots et des propos. Cette tragédie gore, avec personnages destroy adeptes de la dérision et filles « déviergées » en quête de cliniques pratiquant l’hyménoplastie, dialogues pris sur le vif et langage parlé et cru, tourne à la tragi-comédie et l’on rit bien souvent des trouvailles et des répliques que Liliane Giraudon introduit dans les situations et met dans la bouche des personnages. Le mélange des genres, des tons, des êtres, inversions et perversions, rend comique cette pseudo-tragédie. Elle est aussi pour la poète l’occasion de s’interroger sur le théâtre, sur son rôle et sur son devenir.

    Le « morceau » central de l’ouvrage, morceau de choix qui irrigue tous les autres et les irradie, s’intitule « Fonction Meyerhold ». Dénommé « poème » par Liliane Giraudon, le long échange qu’elle entretient avec Meyerhold – dramaturge et metteur en scène russe du siècle dernier — met l’accent sur nombre de préoccupations, rébellions et interrogations révélatrices d’un choix de vie et d’un choix d’écriture :

    « mon livre est engagé

    puisque c’est lui

    qui m’engage

    à vivre ce que j’écris ».

    L’une des fonctions de ce poème est donc de focaliser l’attention sur ce qui aujourd’hui comme hier contribue à menacer l’équilibre du monde.

    « plus ça change

    plus c’est la même chose

    le soleil n’en finit pas

    de se noyer dans son sang ».

    La mise en lumière de ce qui a été écrit, inventé et vécu par Vsevolod Meyerhold, condamné, torturé et exécuté sous Staline parce que tenu pour un ennemi du peuple russe, sert de point d’appui à la réflexion et au travail de la poète. La redécouverte dans sa bibliothèque de Théâtre années vingt, Tome IV de Meyerhold, pages annotées par elle en août 1992, renvoie Liliane Giraudon à une lecture ancienne, aux phrases de Meyerhold qu’elle avait soulignées. Cette année-là, 1992, c’est aussi l’année de la fondation de la revue If, aux côtés d’Henri Deluy, de Jean-Charles Depaule et de Jean-Jacques Viton. C’est aussi l’année de la publication d’un Marina Tsvétaïéva, en collaboration avec Henri Deluy. L’Union Soviétique est alors au cœur de ses centres d’intérêt. Un temps révolu. Cependant, grâce aux phrases soulignées dans ce Tome IV du Théâtre années vingt, la poète revisite le texte du dramaturge russe et l’environnement qui est le sien en même temps que celui de ses contemporains : Tchekhov, Essenine, Maïakovski, Mandelstam, Gogol, Khlebnikov, Chostakovitch, Prokofiev… Époque dure de combats et d’engagements pour défendre de nouvelles formes de langage théâtral et poétique ; époque de poursuites judiciaires et de menaces. De procès :

    « pouvez-vous croire que je sois un traitre à la patrie un contre-révolutionnaire que j’aie mis le trotskisme en pratique dans mon art consciemment pratiqué au théâtre un travail hostile destiné à saper les fondements de l’art soviétique ».

    La relecture de cet ouvrage et l’écriture qu’il contribue à faire naître — celle que nous sommes en train de lire — nourrissent le regard critique que la poète pose sur son siècle. Ainsi dénonce-t-elle, comme Meyerhold l’a fait en son temps, les barbaries et le sang, les tragédies ininterrompues, l’asservissement des peuples, les ententes du pouvoir pour généraliser le crime, l’alliance entre Poutine et Bachar el-Assad pour venir à bout de la Syrie, et les accords tacites qui sont autant de violences insoutenables et inquiétantes :

    « là-bas comme ailleurs

    ici bientôt peut-être

    les grandes puissances ont délivré

    au régime une licence pour tuer

    il y a peut-être un lien

    entre déni de crime

    et déni de révolution

    mais tu sais tout ça bien mieux que moi ».

    Il arrive pourtant que la voix se fasse plus intime. Que frôle le désarroi. Que l’émotion affleure. Ainsi de ces vers :

    « parfois j’écris n’importe quoi

    à défaut de ne plus pouvoir vivre

    n’importe où

    je me demande jusqu’où

    va aller la soumission

    des peuples pourquoi

    ce qui nous arrive nous arrive ».

    Et, quelques pages plus loin, ce questionnement bouleversant que Liliane Giraudon adresse à Meyerhold :

    « si toi tu te souviens

    de pourquoi il y a vingt-six ans

    j’ai souligné au crayon

    ce passage du livre retrouvé hier

    dis-le-moi éclaire-moi

    je ne suis pas encore morte

    mais il semble que ma vie s’efface

    ce que j’écrivais m’apparaît souvent

    comme écrit par une autre

    qui ne serait plus celle que je suis devenue ».

    Un poème dédié à Laurent Cauwet, fondateur des éditions Al Dante.

    « Cadavre Reverdy » — quel coup de poing que ce titre ! — est « une sorte de document-fiction » que Liliane Giraudon adresse à Pierre Reverdy. Afin de réaliser ce « document-fiction », Liliane Giraudon a pris soin de relire Reverdy. Une relecture qui s’accompagne de « prélèvements » de vers et de « formules » que la poète intègre dans sa propre réflexion et qui nourrit son écriture. Chemin faisant à travers l’œuvre du poète « pas très catholique de Solesmes », elle interroge Pierre Reverdy sur lui-même. Ses allures de « dandy voyou », ses accès de violence, ses écrits, ses amitiés. Ainsi croise-t-on au passage le destin tragique de Max Jacob — poète que l’on retrouve sous les traits du mage dans Le Voleur de Talan — et l’amante Coco Chanel, « agent nazi » à qui il dédicacera un exemplaire de Main-d’œuvre. Liliane Giraudon iconoclaste ? Oui, sans aucun doute. Car qui se souvient de la relation amoureuse du poète avec Coco Chanel ? Qui se souvient aussi du rôle joué par l’icône parisienne de la mode auprès de la Gestapo ?

    Sensible à la voix de Reverdy et au souffle qui la porte, Liliane Giraudon s’arrête sur les blancs qui ponctuent ses poèmes, fascinée à la fois par « cette coagulation visuelle des mots distribués » et par la « soufflerie corporelle » qui l’orchestre.

    Le cheminement progressif de la réflexion de Liliane Giraudon sur le « poète considérable » est marqué par une succession de paragraphes — et donc de blancs d’interlignages —, chacun d’eux abordant une question nouvelle qui retient l’intérêt de la poète :

    « Monsieur Reverdy, qui est ce cadavre ?

    Un portait décomposé-recomposé par vous ? »

    Ou encore :

    « Je reviens aux portraits comme à ce que nous appellerons les accessoires… »

    Et plus loin :

    « Je pense souvent à cette première enfance. La vôtre… ».

    L’importance que Liliane Giraudon accorde à Reverdy est elle aussi « considérable ». C’est d’ailleurs à Reverdy qu’elle doit le titre de l’un de ses premiers livres — Je marche ou je m’endors (1982). Le roman onirique du Voleur de Talan lui inspirant l’expression « voleuse de talent » qu’elle applique à elle-même.

    C’est à Reverdy enfin qu’elle emprunte cette phrase. Une phrase vitale : « Écrire m’a sauvée. A sauvé mon âme. Je ne peux pas imaginer ce qu’eût été ma vie si je n’avais pas écrit. J’ai écrit comme on s’accroche à une bouée. »

    « De quelle autre activité pouvons-nous rapprocher l’activité du poème ? » s’interroge Liliane Giraudon dans la sixième prose de son ouvrage. « L’activité du poème n’est pas incessante. » Peut-être de « celle invisible des vers dans le cadavre ? » Car cette activité se fait « sans nous » ; à notre insu ; « dans un dedans extérieur ». Et cela sans doute depuis l’enfance. Depuis le temps où lire se prolongeait dans écrire. « J’éprouvais je me souviens un plaisir fou à écrire. » Écrire. Activité indissociable, pour la poète en herbe, du jeu des osselets.

    « Aujourd’hui encore je suis intriguée par l’association Jeu d’osselets/Acte d’écrire.

    Ce Jeter/Lancer/ Ramasser… ».

    Où l’on pense au « camarade Mallarmé ». Et à son coup de dés. Mais on retrouve aussi les trois gestes — jeter/lancer/ramasser — qu’implique le « Mouvement des accessoires » (seconde prose), soumis au hasard du jeu. En partie autobiographique, cette prose fait intervenir nombre d’autres voix. Tant de voix croisées au cours des ans, à travers les lectures, à travers les textes écrits par d’autres voix. Voix oubliées et voix connues. Voix des contes qui s’immiscent dans les ténèbres, voix cruelles corrélées au sang et au meurtre. Voix étranges et étrangères que la poète enfant laisse monter jusqu’à elle et dont elle s’empare. « Comme une voleuse. » Et parmi les voix qui comptent, celle de Gertrude Stein « la grammairienne ». Dont Liliane Giraudon reprend à son compte le principe de la variation :

    « un poème est un poème est un poème ».

    Le Travail de la viande se clôt avec « B7 : Un attentat attentif ». Consacré à Hélène Bessette, ce monologue est uniquement constitué de prélèvements opérés dans quatre de ses œuvres. À partir de ces prélèvements et d’une montée à Notre-Dame de la Garde sur les traces d’Hélène Bessette (qui en fit « l’ascension » en 1946), Liliane Giraudon a réalisé un film (cosigné avec Marc Antoine Serra). Ce film éponyme (avec texte en voix off) a été projeté à Cerisy-la-Salle à l’occasion du colloque organisé en août 2018 pour le centenaire de la naissance de la grande romancière et dramaturge que fut Hélène Bessette (1918-2000).

    Parmi ces fragments, en voici quelques-uns, prélevés au hasard :

    « Qui sont ces gens ?

    Qui est derrière moi ? »

    « La grammaire en démolition n’arrange pas le drame » (phrase présente dans « Mouvement des accessoires »).

    « « On » pronom indéfini souffre

    D’une manière infinie non définie

    Mais certaine »

    « Je suis sidérée d’être vieille

    Je pensais tant ne l’être jamais ».

    Comment conclure une telle lecture ? Tant ce livre est inépuisable. Qui laisse ouverts de multiples champs d’exploration. Un livre qui remue et qui dérange. Par son originalité formelle (ou informelle) ; par les questions brûlantes qu’il aborde ou qu’il soulève. Par l’émotion qui circule entre les lignes. Un livre-phare, qui secoue et qui émeut. Un grand livre.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Liliane Giraudon  le travail de la viande








    LILIANE GIRAUDON


    Liliane Giraudon Guidu
    Image, G.AdC





    ■ Liliane Giraudon
    sur Terres de femmes


    Oreste pesticide (extrait du Travail de la viande)
    Hier La Poète… (extrait de La Poétesse)
    La Poétesse (lecture de Jos Roy)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    le site personnel de Liliane Giraudon
    → (sur le site du cipM)
    une notice bio-bibliographique sur Liliane Giraudon
    → (sur YouTube)
    Liliane Giraudon, Le travail de la viande (vidéo)
    → (sur le site de P.O.L éditeur)
    la fiche de l’éditeur sur Le travail de la viande
    → (sur Il Manifesto)
    mars 2020
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’@angelepaoli »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Stéphan Causse | [Petite mer]



    [PETITE MER]




    Petite mer.
    Reste en retrait.
    Le TU est du moi la cachette préférée.
    Une fois, j’ai tutoyé la mer. Je me voyais dans son secret. Et seuls les rêves répondent aux secrets.
    Je ne le savais pas encore…
    J’avais l’habitude de nager très loin quand j’étais
    gosse. Et plus j’avançais, et plus ma mère s’inquiétait. J’aimais gentiment cette idée…
    Moi, je n’avais pas peur de la mer.
    J’aimais sa voix douce et rauque.
    Chaque geste de ma nage venait heurter le calme des vagues.
    Un marin léger sifflait souvent les nuages.
    Une mer d’huile comme on dit.
    J’y faisais mon lit.
    Tout ça, c’était le bonheur de la mer sans ma mère…
    La mer n’aurait pas de fin, puisque les vagues sans cesse recommencent, me disais-je.
    Aujourd’hui, il me reste le souvenir.
    Le reste du soleil.
    Le reste des vagues.
    J’enroule mon corps dans ses draps de sable et tout est pareil à mes premières années.

    Je tutoie la mer.
    Je regarde ses bleus.
    Je grandis encore dans son ombre.




    Stéphan Causse, Boire le temps, Jacques André éditeur, Collection Poésie XXI n° 57, 2019, pp. 39-40.






    Stéphan Causse  Boire le temps

  • STÉPHAN CAUSSE


    Stéphan Causse
    Ph. : Vincent Decorde
    Source





    ■ Stéphan Causse
    sur Terres de femmes


    À deux pas dans le silence (lecture d’AP)
    [Les lieux où je vous emmène] (extrait d’À deux pas dans le silence)
    Cévenne Séranne
    [mes lèvres balbutient] (extrait de Caresser la mer)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de Jacques André éditeur)
    la fiche de l’éditeur sur Boire le temps
    → (sur le site de Jacques André éditeur)
    une notice bio-bibliographique sur Stéphan Causse






    Retour au répertoire du numéro de février 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Sandro Penna | [Nuit : rêve de fenêtres]




    Nuit - rêve de fenêtres
    Image, G.AdC





    [NOTTE : SOGNO DI SPARSE]



    Notte : sogno di sparse
    finestre illuminate.
    sentir la chiara voce
    dal mare. Da un amato
    libro veder parole
    sparire… ‒ Oh stelle in corsa
    l’amore della vita !






    [NUIT : RÊVE DE FENÊTRES]



    Nuit : rêve de fenêtres
    éparses illuminées.
    entendre la voix claire
    venue de la mer. D’un livre
    aimé voir des mots
    disparaître… ‒ Oh étoiles en fuite
    l’amour de la vie !




    Sandro Penna, « Poèmes, Poesie, 1927-1957 » in Croix et délice et autres poèmes [Croce e delizia, Mondadori Libri, Milano], Ypςilon, éditeur, 2018, pp. 100-101. Traduction de Bernard Simeone.






    Sandro Penna  Croix et délice






    SANDRO PENNA


    Sandro_Penna 3
    Source




    ■ Sandro Penna
    sur Terres de femmes


    L’automne me parle déjà
    Chroniques de printemps (+ notice bio-bibliographique)
    [La vie… c’est se souvenir d’un réveil]
    Un’estate




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur italialibri)
    une bio-bibliographie (en italien) sur Sandro Penna
    → (sur le site des Lettres françaises, n° 136, Nouvelle série, 14 avril 2016)
    d’autres poèmes de Sandro Penna, traduits par René de Ceccatty [PDF]





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2018
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jacques Moulin | D 27 et D 28



    D 27

    Ne plus t’entretenir du quotidien du temps.
    Des riens des jours.
    Entends toujours les goélands à tes fenêtres.



    Le fils sentait ce silence de la mère en allée comme un chuintement détourné asphyxié. Il a couru en sous-bois. Il a ballotté ses humeurs. Il savait ne plus respirer pour elle ne plus l’embarquer dans sa promenade. Elle était l’humus d’automne la feuille abandonnée aux vents du défaire. L’enfermement des sèves. La nature défunte. Le silence de la mère en terre toutes braises confisquées. Même celle des mélèzes qu’elle avait découverts tardivement grâce aux enfants au creux des pentes de l’automne.




    D 28

    Comment emporter sa morte et demeurer léger ?
    Quand tu aimes il faut laisser partir.
    Laisse ta mère franchir l’horizon marin.



    Un mois sans toi
    Sans feu ni lieu de toi
    Sans mère ni voie
    Chenal perdu

    Sans voix sans toi
    Corne de brume
    Mouillures aux yeux
    L’humeur des vitres avec l’embrun

    Du brou en gorge
    L’automne des noix
    Et coque vide.




    Jacques Moulin, L’Épine blanche, L’Atelier contemporain | François-Marie Deyrolle éditeur, 2018, pp. 36-37-38-39. Lecture de Michaël Glück. Dessins de Géraldine Trubert.






    Jacques Moulin  L'Épine blanche  Éditions L'Atelier Contemporain





    JACQUES MOULIN


    Jacques-Moulin
    Source




    ■ Jacques Moulin
    sur Terres de femmes

    Écrire à vue (lecture d’AP)
    [Partir à dos de feuilles ou d’arbres] (extrait d’Écrire à vue)
    Journal de Campagne (lecture d’AP)
    Portique (lecture d’AP)
    Portique 2 (extrait de Portique)
    [Sur le halage certains soirs] (extrait d’À vol d’oiseaux)
    Un galet dans la bouche (extrait)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions L’Atelier contemporain)
    la page de l’éditeur sur L’Épine blanche
    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la Littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Jacques Moulin





    Retour au répertoire du numéro de septembre 2018
    Retour à l’ index des auteurs


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Odile Massé, Sortir du trou (extrait)





    Sortir du trou

    Planche hors texte de Jean-Claude Terrier
    in Odile Massé, Sortir du trou,
    L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2016








    SORTIR DU TROU (extrait)




    N’y a-t-il pas ici quelque tige, quelque rameau, quelque bourgeon annonciateur de choses à venir ?


    Je comptais les visages, les comptais sur les doigts de mes mains, sur les doigts de mes pieds, j’ajoutais des doigts aux doigts comme les visages affluaient, et ils paraissaient innombrables, les visages de mes morts, innombrables les souvenirs que j’avais d’eux, innombrables et terriblement doux.
    J’avais envie d’être, moi aussi, visage parmi les visages.
    Parfois il me semblait apercevoir au loin mon reflet, l’un des visages de ma jeunesse — mais bientôt je disparaissais, et la ronde reprenait son cours.


    et moi, où donc me trouvais-je à présent
    en quelle partie de ma mémoire
    en quelle partie de mon corps
    où donc étais-je moi-même et comment le savoir


    À quoi bon, disais-je, à quoi bon savoir que le trou est à l’intérieur de moi, si je ne sais ni le jour ni l’heure ? À quoi bon être où je suis puisque je ne sais qui je suis ? […]



    Odile Massé, Sortir du trou, L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle éditeur, 2016, pp. 38-39-40-41. Dessins de Jean-Claude Terrier. Lecture d’Emmanuel Laugier.






    Odile Massé, Sortir du trou





    ODILE  MASSÉ


    Odile Massé
    Source




    ■ Odile Massé
    sur Terres de femmes

    [Il fait chaud] (extrait de L’Envol du guetteur)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur lelitteraire.com)
    une lecture de Sortir du trou d’Odile Massé par Jean-Paul Gavard-Perret
    → (sur le site des éditions L’Atelier contemporain)
    la page de l’éditeur sur Sortir du trou d’Odile Massé
    → (sur le site des éditions L’Atelier contemporain)
    d’autres extraits de Sortir du trou d’Odile Massé [PDF]







    Retour au répertoire du numéro d’août 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes

  • Eli Flory, La Barbe d’Olympe de Gouges

    par Angèle Paoli

    Eli Flory, La Barbe d’Olympe de Gouges
    et autres objets de scandales,

    Alma, éditeur, Paris, 2014.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Pochoir olympe de gouge
    Source








    « LE SOLEIL NI LA MORT NE SE PEUVENT REGARDER FIXEMENT »




    Alma éditeur cherche des talents. C’est ce qu’annonce, sur la Toile, le bandeau de la maison d’édition. Avec Eli Flory, et sa très décoiffante « galerie de portraits », La Barbe d’Olympe de Gouges et autres objets de scandale, la recherche est aboutie. Talentueuse, Eli Flory l’est assurément. Son dernier livre, qui allie avec brio fond et forme, se lit dans la jubilation. On rit des trouvailles de cette « scandaleuse » new-style, qui ose rajeunir et vivifier, dans une écriture quelque peu délurée mais nonobstant très tenue, nos chères icônes, sans pour autant vouloir les faire entrer de force dans un Panthéon post-moderne exclusivement réservé à la gent féminine.

    « Pas question, écrit Eli Flory en préambule, d’entrer dans ce livre comme dans un mausolée au fronton duquel serait inscrit ‘Aux grandes dames l’Humanité reconnaissante’ ».

    Que l’auteure se rassure, après cette première de couverture percutante par son côté « flashy », la porte non dérobée par laquelle je suis entrée dans cet étrange gynécée, c’est la table des matières. Elle donne le ton. Elle signe l’envol.

    La déclinaison anaphorique des huit titres est, à elle seule, irrésistible. « Elles font désordre / Elles font école / Elles font des affaires / Elles font des scènes / Elles font des histoires / Elles font tapisserie / Elles font le ménage / Elles font mauvais genre ». Et la curiosité est happée illico par le défilé des égéries dont l’auteure porte le flambeau et pour lesquelles elle a tant « aimé écrire ».

    Pour chacun des chapitres, en effet, s’égrènent des noms de femmes. Certains plus connus que d’autres. Mais qu’importe. Elles sont là, présentes, à égalité sous la plume vive d’Eli Flory. Femmes de lettres et de sciences, artistes, reines et cousettes, empoisonneuses et nonnains, dames de cour et putains, entremetteuses et espionnes… Elles traversent le temps et se côtoient dans l’aventure à laquelle elles ont été conviées. La Voisin voisine avec Violette Nozière et Catherine de Médicis. Lee Miller s’interpose entre Frida Kahlo et Mary Quant. Simone de Beauvoir trouve place entre Zelda Fitzgerald et François Sagan. Catherine II de Russie précède Olympe de Gouges qui précède Rosa Parks qui précède Billie Holiday… De cette joyeuse farandole, surgissent, comme au plus fort des grandes « manifs de 68 », les objets fétiches brandis par chaque révolutionnaire. On pourrait aussi penser, plus sagement, à ces puzzles pour enfant, dans lesquels il faut attribuer à chaque personnage l’objet qui le caractérise. Ainsi de la « barbe » pour Olympe de Gouges, de l’épée pour Ninon de Lenclos ; des voiles pour Isadora Duncan, de la toison pour Joanna Hiffernan, des cheveux courts pour Mathilde de Morny et des boules presse-papiers pour Colette ; de la pipe pour George Sand, de la guitare pour Sœur Sourire, de la lyre pour Sappho. Et pour Billie Holiday, un bien « étrange fruit ». Un chapitre se clôt avec Gabrielle Russier et sa Dyane ; un autre avec Brigitte Bardot et ses bébés phoques. Le dernier avec Maud Marin et son Dalloz. La liste est loin d’être close. Car elles sont cinquante-six à mener la sarabande. Et à entraîner le/la lecteur(trice) dans leur joyeux tohu-bohu. Car même si la mort est présente, crimes-suicides-sang-bûcher-poisons-échafaud… (les morts sont tout aussi variées que les vies et les attributs de chacune), Eli Flory s’arrange pour faire de l’écriture un véritable plaisir. Le style est vif, alerte, enlevé, enjoué. Le travail sur la polysémie, constant. L’érudition de la jeune agrégée de lettres, permanente. Dans un double « Effeuillage indicatif » — ouvrages généraux / ouvrages particuliers —, l’auteure dresse la liste des œuvres consultées et lues afin d’entrer au plus proche en connivence avec ses dames.

    Optant pour la brièveté et pour la rapidité du trait, l’auteure choisit de passer de l’une à l’autre de ses inspiratrices, faisant fi de tout souci chronologique. De sorte que les chapitres se suivent sans se ressembler. Chaque tableau est un tableau vivant, souvent cruel. Mais souvent aussi croustillant. Ainsi de ce final du chapitre quatre qui donne son titre au livre et coiffe l’ensemble des dames, « La barbe d’Olympe de Gouges » :


    Prison ne rime pas pour elle avec bâillon. Du fond de sa geôle, elle parvient encore à faire afficher dans Paris un pamphlet dénonçant les conditions de son incarcération. Le 2 novembre 1793, à l’aube, elle est jugée, sans l’avocat qu’on lui a refusé, et condamnée à mort par le Tribunal révolutionnaire pour avoir rédigé des écrits « attentatoires à la souveraineté du peuple ». De son côté, elle a fait son testament : « Je lègue mon cœur à la patrie, ma probité aux hommes, mon âme aux femmes. » Le lendemain, elle monte sur l’échafaud.

    Les hommes qui voulaient offrir à cette femme une « lame à raser la barbe » en ont trouvé une à sa mesure. Robespierre, avant d’y passer à son tour, teste sur elle le couperet de la guillotine. La prophétie d’Olympe se réalise : « Il n’y a qu’au pied de l’échafaud que les hommes et les femmes sont égaux. » Au dernier moment, la révolutionnaire, qui a tout autant la passion de la coquetterie que celle de l’égalité, réclame un miroir : « Dieu merci, mon visage ne me jouera pas de mauvais tours ! » Un témoin anonyme le confirmera : « Jamais on n’avait vu tant de courage réuni à tant de beauté. »


    Retour à la première de couverture, dessinée par Vaïnui de Castelbajac, artiste à qui l’on doit — dans un style bon enfant et plutôt naïf — toutes les illustrations de l’ouvrage. Une bouche rouge-baiser émerge d’une inquiétante barbe noire. Alliant dans un même ovale (celui d’un visage rendu invisible par la surabondance du poil) mâle et femelle, cette illustration transgenre annonce — implicitement — ce qui, chez ces dames, a provoqué l’esclandre. Toutes à leur manière, avec les armes disponibles à leur époque, se sont battues pour conquérir la liberté revendiquée par leur sexe. Et le sexe, c’est bien connu, a « ses raisons que la raison ne connaît pas ». Du moins la raison des hommes. N’est-ce pas elle qui dicte à l’encyclopédiste Pierre Larousse sa définition de la femme comme étant « la femelle de l’homme » ? Ou à Norman Mailer ses accusations contre Simone de Beauvoir : « Ma femme a lu Le Deuxième Sexe en 1950 et cela a détruit mon mariage. » Les exemples fourmillent, qui vont dans le même sens. Les pires propos contre les femmes étant tenus par François Mauriac.

    Ainsi, pouvoir et sexe mènent-ils la danse. Ninon de Lenclos n’hésite pas, tout juste âgée de onze ans, à déclarer tout de go à son père : « Je vous informe qu’à partir d’aujourd’hui, j’ai décidé de ne plus être une fille, mais de devenir un garçon. » Et le père, ravi (ils ne sont pas légions à manger de ce pain-là !) d’obtempérer et d’habiller sa fille en mousquetaire. L’habit ne faisant pas le moine, il se met en devoir d’initier son jeune garçon à l’équitation et à l’escrime. Plus tard, fidèle à sa première vocation, Ninon écrivant à Boisrobert, l’un de ses nombreux amants, confirme : « Les hommes jouissent de mille libertés que les femmes ne goûtent pas. Je me fais donc homme. » Eli Flory, qui n’a pas peur des mots, se garde, quant à elle, d’un langage prude. Un langage derrière lequel se lit pourtant la tendresse. Même lorsqu’il s’agit d’évoquer la Grande Catherine, impératrice de toutes les Russies. Il y a bien assez de mauvaises langues qui ne se privent pas de dénoncer les mœurs volages et l’insatiabilité sexuelle de la souveraine. Et qui vont même jusqu’à dire que la « tsarine libérale et libérée n’aurait pas résisté à l’assaut de l’un de ses chevaux d’écurie. » Petite mort qui aurait entraîné « la grande, la vraie, celle d’où l’on ne revient pas… »

    La bouche rouge-baiser est-elle l’une de celles par qui le scandale arrive ? Ou de celles qui dénoncent le scandale dont elles ont été l’objet, mises au ban de la société ? Souvent pour bien peu de choses. À moins que cette bouche ne figure la bouche lippue de l’actrice hollywoodienne Mae West, « bouche rouge sang » chère à Salvador Dali et immortalisée par l’artiste dans un « canapé botoxé à la mousse de polyuréthane et recouvert de lycra rouge vif… ». Elle est peut-être tout simplement la bouche d’Eli Flory l’insoumise, qui prête sa parole et sa plume à toutes celles qui, depuis la lointaine Antiquité jusqu’à notre bel aujourd’hui, ont fait couler la bile sur leur passage et fait se dresser bûchers et échafauds. Il fallait l’humour d’une femme, sa tendresse, sa finesse, son intuition, son savoir, pour rétablir ces dames dans le droit fil de la vie qu’elles désiraient conduire, dynamitant au cours des époques et de l’Histoire « la cage que les préjugés attachés à leur sexe ou à leur état » avaient maintenu « cadenassée. »

    Scandale ? Dérivé du grec, le terme est employé à l’origine dans la langue ecclésiastique pour désigner la « pierre d’achoppement », l’obstacle qui fait tomber dans le mal. Le Grand Larousse de la Langue Française précise que la théologie distingue « scandale actif et scandale passif ». Le premier désignant « l’acte lui-même » et le second, « le péché occasionné ». Étrange définition, dont la clarté n’est pas la caractéristique première. Pour Pierre Larousse, cependant, cette définition relève de l’évidence même. Elle prend tout son sens lorsqu’il écrit, à propos de Catherine de Russie :


    « Le grand scandale de son règne […], ce sont ses galanteries plus qu’orientales, cette suite prodigieuse, cette kyrielle d’amants qui se succèdent à l’infini, sans interruption ni cesse et jusqu’au dernier jour. Sous ce rapport, elle a dépassé Louis XV ; scandale bien plus grave encore chez une femme ; là est véritablement la tache indélébile que les panégyristes les plus enthousiastes ne pourront effacer. »


    Au cours du temps, se dégageant de la gangue théologique, le terme de « scandale » tend à voir son sens s’affaiblir. Quoi qu’il en soit, Eli Flory a raison de signaler la plasticité de cette notion (néanmoins connotée dans sa coloration moralisante), mais aussi son côté stimulant et tant soit peu « aguicheur ». Et l’auteure d’ajouter, toujours dans le préambule, que ces femmes n’ont en réalité eu d’autre préoccupation que l’activisme (« scandale actif » ?) qui les a poussées à se battre pour se forger leur propre vie. Raison suffisante pour qu’une femme, écrivain de surcroît, s’intéresse à elles, se penche un peu plus avant sur leur histoire, leur rende une part de leur vrai visage. Et leur restitue, à bon droit, la première place qu’elles ont souvent occupée. Est-ce aussi là que le bât blesse ?

    Christine de Suède, « première femme à être sacrée en 1650 roi des Suédois, des Goths et des Vandales. » / Madame de Pompadour, née Poisson : « première femme du peuple à se hisser si haut. » / Marie Sklodowska — devenue Marie Curie —, « première femme à diriger un laboratoire, première à utiliser le terme de ‘radioactif’, première à obtenir le prix Nobel, première scientifique à l’obtenir deux fois. »

    Et qu’en est-il de Joanna Hiffernan ? La belle Irlandaise, amante du peintre Whistler, n’est-elle pas le modèle qui a inspiré à Courbet sa Vénus de Milo ? Seule de sa catégorie à exhiber, sans retenue aucune, sa nature acéphale. Et ce, à la barbe du Second Empire scandalisé qui blêmit d’effroi « dans le tête-à-tête avec un sexe qui le dévisage, renvoyant le voyeur là d’où il vient : à l’obscène de sa conception. » Il y a fort à parier que, si le duc de la Rochefoucauld s’avisait de revenir parmi les vivants, il s’exclamerait à nouveau, face au « Paysage anthropomorphe » de L’Origine du monde : « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement ».




    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    ________________________________
    Note d’AP : cet ouvrage sera disponible en librairie à compter du 13 février 2014.






    Eli Flory, La Barbe d'Olympe de Gouges





    ■ Olympe de Gouges
    sur Terres de femmes

    7 mai 1748 | Naissance d’Olympe de Gouges



    ■ Voir aussi

    → (sur se site d’Alma éditeur)
    la fiche de l’éditeur sur La Barbe d’Olympe de Gouges





    Retour au répertoire du numéro de janvier 2014
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Marie-Josée Desvignes | [au-dessus du vide]



    Puis une pleine lumière, aveuglante,
    Ph., G.AdC







    [AU-DESSUS DU VIDE]



    au-dessus du vide – des nuits durant — se laisser porter par le charroi des larmes rouges au milieu du corps — infinies — terrifiantes — apaisantes — dans l’abandon, se vider — dans l’angoisse expier… douleur, fatigue — Échappées hors du temps — évasion poétique
    Toujours plus présentes, matérielles, nombreuses, envahissantes — mon lit-navire emporté par ces vagues rugissantes – monde intérieur turbulent
    Un soir de février — tout est revenu… clair — pur — limpide, au milieu du sel — des larmes — une première vague — une première lueur, puis une pleine lumière, aveuglante, puis de nouveau l’ombre durant quelques jours et — enfin !




    Marie-Josée Desvignes, Requiem, Cardère éditeur, 2013, page 101.







    Marie-Josée Desvignes, Requiem






    MARIE-JOSÉE DESVIGNES


    Marie-Josée Desvignes (1)
    Source




    ■ Marie-Josée Desvignes
    sur Terres de femmes

    [La langue m’a perdue] (extrait de Langue interdite, langue a-mère)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Cause Littéraire)
    une fiche bio-bibliographique sur Marie-Josée Desvignes
    → (sur La Cause Littéraire)
    une note de lecture de Cathy Garcia sur le recueil Requiem
    → (sur le site de Cardère éditeur) un extrait de Requiem [PDF]





    Retour au répertoire du numéro d’octobre 2013
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes