Étiquette : Edith Wharton


  • 11 août 1937 | Mort d’Edith Wharton

    Éphéméride culturelle à rebours



        Le 11 août 1937 meurt à Saint-Brice-sous-Forêt, aujourd’hui dans le Val-d’Oise, la femme de lettres américaine Edith Wharton. Elle est enterrée au cimetière de Versailles aux côtés de Walter Berry.











        Installée depuis 1910 au 53, rue de Varennes, à Paris, Edith Wharton, qui vient de mettre fin à sa relation passionnée avec Morton Fullerton, noue une nouvelle liaison amoureuse avec Walter Berry. Dans le même temps, elle entreprend une procédure de divorce avec Teddy Wharton. Les époux Wharton mettent en vente leur somptueuse maison du Massachussetts (« The Mount »). Puis se séparent définitivement en 1913.

        À Paris, Faubourg Saint-Germain, Edith Wharton, avide de relations humaines, mène une vie mondaine. Elle fréquente notamment Jacques-Émile Blanche, Anna de Noailles ainsi que l’historien d’art Louis Gillet. Parmi ses amis : Henry James, Howard Sturges, Morton Fullerton et Percy Lubbock.

         En mai 1921, Edith Wharton reçoit le prix Pulitzer pour son roman Le Temps de l’innocence (The Age of Innocence, 1920). C’est la première fois que le prix Pulitzer est décerné à une femme. Roman à résonance autobiographique, Le Temps de l’innocence, peinture sans concession de l’aristocratie new-yorkaise dans les années 1870, en proie à la rigidité de conventions paralysantes et destructrices, « restitue à merveille l’atmosphère à la fois frivole et cruelle de ces Américains aisés au milieu desquels d’autres, moins fortunés ou roués, disparaissent comme dans un gouffre. »
        Dans cet univers occupé à se protéger de tout ce qui pourrait atteindre son « innocence », Newland Archer est pris en étau entre deux postulations contradictoires : l’innocence en la personne de May Welland, « fiancée-femme idéale », conforme aux attentes de la bonne société, et sa passion pour l’obsédante comtesse Olenska. C’est sur ce canevas qu’est né le roman d’Edith Wharton. Ce roman a été adapté pour le théâtre et le cinéma, et notamment par Martin Scorsese en 1993.






    Comtesse Olenska
    Katharine Cornell
    dans le rôle de la comtesse Ellen Olenska
    The Age of Innocence, 1928
    pièce adaptée du roman d’Edith Wharton
    par Margaret Ayer Barnes






    EXTRAIT



        Archer was angry: so angry that he came near scribbling a word on his card and going away; then he remembered that in writing to Madame Olenska he had been kept by excess of discretion from saying that he wished to see her privately. He had therefore no one but himself to blame if she had opened her doors to other visitors; and he entered the drawing-room with the dogged determination to make Beaufort feel himself in the way, and to outstay him.
        The banker stood leaning against the mantelshelf, which was draped with an old embroidery held in place by brass candelabra containing church candies of yellowish wax. He had thrust his chest out, supporting his shoulders against the mantel and resting his weight on one large patent-leather foot. As Archer entered he was smiling and looking down on his hostess, who sat on a sofa placed at right angles to the chimney. A table banked with flowers formed a screen behind it, and against the orchids and azaleas which the young man recognised as tributes from the Beaufort hot-houses, Madame Olenska sat half-reclined, her head propped on a hand and her wide sleeve leaving the arm bare to the elbow.
        It was usual for ladies who received in the evenings to wear what were called « simple dinner dresses »: a close-fitting armour of whale-boned silk, slightly open in the neck, with lace ruffles filling in the crack, and tight sleeves with a flounce uncovering just enough wrist to show an Etruscan gold bracelet or a velvet
    band. But Madame Olenska, heedless of tradition, was attired in a long robe of red velvet bordered about the chin and down the front with glossy black fur. Archer remembered, on his last visit to Paris, seeing a portrait by the new painter, Carolus Duran, whose pictures were the sensation of the Salon, in which the lady wore one of these bold sheath-like robes with her chin nestling in fur. There was something perverse and provocative in the notion of fur worn in the evening in a heated drawing-room, and in the combination of a muffled throat and bare arms; but the effect was undeniably pleasing.
        « Lord love us ― three whole days at Skuytercliff! » Beaufort was saying in his loud sneering voice as Archer entered. « You’d better take all your furs, and a hot-water-bottle. »
        « Why? Is the house so cold? » she asked, holding out her left hand to Archer in a way mysteriously suggesting that she expected him to kiss it.
        « No; but the missus is, » said Beaufort, nodding carelessly to the young man.
        « But I thought her so kind. She came herself to invite me. Granny says I must certainly go. »
        « Granny would, of course. And I say it’s a shame you’re going to miss the little oyster supper I’d planned for you at Delmonico’s next Sunday, with Campanini and Scalchi and a lot of jolly people. »
        She looked doubtfully from the banker to Archer.
        « Ah ― that does tempt me! Except the other evening at Mrs. Struthers’s I’ve not met a single artist since I’ve been here. »
        « What kind of artists? I know one or two painters, very good fellows, that I could bring to see you if you’d allow me, » said Archer boldly.
        « Painters? Are there painters in New York? » asked Beaufort, in a tone implying that there could be none since he did not buy their pictures; and Madame Olenska said to Archer, with her grave smile: « That would be charming. But I was really thinking of dramatic artists, singers, actors, musicians. My husband’s house was always full of them. »
        She said the words « my husband » as if no sinister associations were connected with them, and in a tone that seemed almost to sigh over the lost delights of her married life. Archer looked at her perplexedly, wondering if it were lightness or dissimulation that enabled her to touch so easily on the past at the very moment when she was risking her reputation in order to break with it.





        Archer était furieux, si furieux qu’il fut sur le point de griffonner un mot sur sa carte et de s’en aller ; mais il se rappela qu’en écrivant à Mme Olenska il avait, par excès de discrétion, omis de lui dire qu’il désirait la voir seule. Il ne devait donc s’en prendre qu’à lui si elle avait du monde. Il entra sans le salon, résolu à faire sentir à Julius Beaufort que sa présence était inopportune, et à rester le dernier.
         Le banquier se tenait debout devant le feu. Derrière lui, deux candélabres de cuivre, garnis de cierges en cire jaunâtre, retenaient la broderie ancienne dont s’ornait la cheminée. Beaufort plastronnait, les épaules effacées, le poids du corps portant sur un de ses grands pieds, et regardait, en souriant, leur hôtesse assise sur un canapé près de la cheminée. Une table couverte de fleurs formait paravent derrière le canapé ; et sur le fond d’orchidées et d’azalées, que Newland reconnut pour venir des serres de Beaufort, Mme Olenska se tenait à demi étendue, la tête appuyée sur sa main, laissant voir, par une large manche ouverte, un bras nu jusqu’au coude.
        L’usage voulait que les dames qui recevaient le soir portassent de « simples robes de dîner », c’est-à-dire une armure de soie baleinée, légèrement décolletée, avec des ruches de dentelles remplissant l’échancrure du corsage et des manches étroites découvrant tout juste assez de poignet pour laisser voir un bracelet en or étrusque ou un lien de velours noir. Mais Mme Olenska, insoucieuse de la tradition, était vêtue d’un long fourreau de velours rouge, bordé autour du cou d’une haute fourrure noire. Archer se rappela avoir vu, lors de son dernier séjour à Paris, un portrait du nouveau peintre Carolus Duran (dont les tableaux faisaient sensation au Salon), qui représentait une dame audacieusement habillée d’une robe fourreau, le cou niché dans la fourrure. Il y avait quelque chose de pervers et de provocant dans l’idée de porter des fourrures en plein salon surchauffé, et dans la combinaison d’un cou emmitouflé avec des bras nus; mais, sans conteste, l’effet était agréable.
        ― Seigneur !… Trois jours entiers à Skuytercliff !… disait Beaufort de sa forte voix sarcastique, comme Archer entrait. Vous ferez bien d’emporter vos fourrures, et votre boule d’eau chaude aussi.
        ― Comment ! La maison est si froide ?… demanda-t-elle, tendant sa main gauche à Archer, qui eut l’impression qu’elle s’attendait à ce qu’il la baisât.
        ― Non, mais la bonne dame l’est ! dit Beaufort en saluant négligemment le jeune homme par un signe de tête.
        ― Moi, je la trouve si aimable ! Elle est venue m’inviter elle-même. Grand-mère dit que je ne dois pas manquer d’y aller.
        ― Grand-mère le dit, c’est tout naturel. Mais moi je dis que c’est une honte que vous manquiez le petit souper que j’ai arrangé pour vous chez Delmonico, dimanche prochain, avec Campanini, Scalchi, et un tas de gens amusants.
         ― Ah!… Je suis bien tentée !… À part la dernière soirée de Mrs. Struthers, je n’ai pas rencontré un seul artiste depuis que je suis ici.
        ― Quel genre d’artistes voulez-vous dire ?… Je connais un ou deux peintres, de charmants garçons que je peux vous amener si vous le permettez, dit vivement Archer.
        ― Des peintres ?… Y a-t-il des peintres à New York ?… demanda Beaufort, d’un ton qui impliquait que, puisqu’il n’achetait pas leurs peintures, les peintres n’existaient pas.
        Mme Olenska répondit à Archer avec son sourire grave :
        ― Ce serait charmant; mais je pensais à des artistes dramatiques, à des chanteurs, des acteurs, des musiciens. La maison de mon mari en était toujours pleine.
        Elle prononça les mots « mon mari » comme s’ils ne rappelaient aucun souvenir douloureux, et d’une voix qui paraissait presque soupirer sur les délices perdues de sa vie conjugale. Archer se demandait si c’était la légèreté ou la dissimulation qui lui permettait de faire si aisément allusion à un passé dont elle cherchait, au moment même, à s’émanciper au risque de perdre sa réputation.


    Edith Wharton, Le Temps de l’innocence, Garnier-Flammarion, 1987, pp. 117-118-119. Présentation et traduction par Diane de Margerie.





    EDITH WHARTON


    ■ Edith Wharton
    sur Terres de femmes

    24 janvier 1862 | Naissance d’Edith Wharton



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur en.wikipedia)
    la page consacrée à The Age of Innocence
    → (sur The Literature Network) le texte intégral de The Age of Innocence






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  • 24 janvier 1862 | Naissance d’Edith Wharton

    Éphéméride culturelle à rebours




        Le 24 janvier 1862 naît à New York Edith Newbold Jones. Fille d’une très ancienne et très riche famille américaine, Edith Newbold Jones devient Edith Wharton en épousant Edward Wharton, un aristocrate de Boston.



        Edith Wharton est l’auteur de nombreux romans qui ont fait l’admiration d’Henry James et de Paul Bourget. Mais aussi de Joseph Conrad qui considère L’Eté (1918) ― un classique de la littérature américaine et de la littérature féminine ― comme le meilleur et le plus abouti de ses écrits. « Peut-être parce qu’y sont dévoilés les mécanismes intimes et habituellement cachés de la personnalité, l’aspect extra-social de notre nature si souvent présent dans les écrits de Conrad lui-même. »





    Certaines_images__demi_effaces
    Ph., G.AdC






    EXTRAIT


        Then he clambered on till the trees closed in on him. Presently, from high overhead, Charity heard the ring of his axe.
        She lay on the warm ridge, thinking of many things that the woodsman’s appearance had stirred up in her. She knew nothing of her early life, and had never felt any curiosity about it: only a sullen reluctance to explore the corner of her memory where certain blurred images lingered. But all that had happened to her within the last few weeks had stirred her to the sleeping depths. She had become absorbingly interesting to herself, and everything that had to do with her past was illuminated by this sudden curiosity.
         She hated more than ever the fact of coming from the Mountain ; but it was no longer indifferent to her. Everything that in any way affected her was alive and vivid: even the hateful things had grown interesting because they were a part of herself.
        « I wonder if Liff Hyatt knows who my mother was ? » she mused; and it filled her with a tremor of surprise to think that some woman who was once young and slight, with quick motions of the blood like hers, had carried her in her breast, and watched her sleeping. She had always thought of her mother as so long dead as to be no more than a nameless pinch of earth; but now it occurred to her that the once-young woman might be alive, and wrinkled and elf-locked like the woman she had sometimes seen in the door of the #660033 house that Lucius Harney wanted to draw.





        Puis il reprit sa marche lente, et s’enfonça dans la forêt. Très haut au-dessus d’elle, Charity entendit bientôt le bruit de sa hache.
        Elle restait étendue sur la terre chaude, pensant aux choses lointaines que la venue du bûcheron avait réveillées en elle. De ses premières années, elle ne savait rien et jusqu’à ce jour aucune curiosité à ce sujet n’avait poussé en elle : elle éprouvait plutôt une répugnance secrète à explorer les coins de sa mémoire où traînaient, de-ci, de-là, certaines images à demi effacées. Cependant, tout ce qui lui était arrivé depuis ces dernières semaines l’avait profondément remuée et troublée. Elle se sentait prise pour elle-même d’un intérêt nouveau, absorbant, et cette curiosité soudaine projetait sa lumière sur tout ce qui se rapportait à son passé.
         Même le fait de venir de la Montagne ne lui était plus indifférent. Tout ce qui d’une façon quelconque la touchait était devenu pour elle vivant et animé; même les choses dont elle était le moins fière prenaient de l’intérêt puisqu’elles étaient une partie de sa propre vie.
        ― Je me demande si Liff Hyatt a connu ma mère ? se dit-elle tout haut.
        Un frisson d’étonnement la secoua en pensant qu’une femme, qui avait été jadis jeune et souple, avec un sang vif comme celui qui courait dans ses veines, l’avait portée dans son sein, et avait veillé sur ses premiers sommeils. Elle avait toujours pensé à sa mère comme à une morte devenue depuis longtemps une anonyme poignée de poussière; et elle se demandait maintenant si cette mère, jadis jeune, n’était pas vivante encore et peut-être toute ridée et sordide, comme la pauvresse qu’elle avait quelquefois vue à la porte de la maison brune que Lucius Harney voulait dessiner.


    Edith Wharton, Été [Summer, 1918], chapitre V, Éditions 10/18, 1985, pp. 54-55.





    EDITH WHARTON


    Edith_wharton_bis
    Photographe inconnu, Edith Wharton,
    Library of Congress,
    Prints and Photographs Division,
    Washington, D.C.
    Source



    ■ Edith Wharton
    sur Terres de femmes

    11 août 1937 | Mort d’Edith Wharton


    ■ Voir aussi ▼

    → (sur The Literature Network) le texte intégral de Summer



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