Étiquette : édition bilingue


  • Mario Luzi | Cahier gothique, VII



    QUADERNO GOTICO, VII




    Era una viva attesa che raggiava
    in te paura e tremito ed in me
    sensibile delizia d’inoltrarmi
    fra gli alberi, di bere alle fontane.
    Il barbaglio delle acque vaghe, il cielo,
    le ombre quiete nell’aria animata,
    anche il vento moveva in me il sorriso.

    Era la stessa febbre che ci estrania
    rapidamente dai morti e ci svia
    mentre restano soli fra le torce
    nell’immane fatica di scavarsi
    la strada fra le rocce d’ombra, stanchi
    e intenti a penetrare fino al fondo.
    Ne vedesti il profilo aguzzo, accanto
    riposano le mani estenuate.







    CAHIER GOTHIQUE, VII




    C’était une attente vive qui irradiait
    en toi crainte et tremblement et en moi
    le délice sensible de m’avancer
    entre les arbres, de boire aux fontaines.
    L’éblouissement des eaux errantes, le ciel,
    les ombres calmes dans l’air animé,
    même le vent suscitait en moi le sourire.

    C’était la même fièvre qui nous exile
    rapidement des morts et nous détourne
    tandis qu’ils restent seuls parmi les torches
    dans l’énorme labeur de se creuser
    une route parmi les roches d’ombre, las
    et attentifs à pénétrer jusqu’au fond.
    Tu en vis le profil acéré, tout près
    les mains exténuées reposent.




    Mario Luzi, Cahier gothique (1945), in Cahier gothique précédé de Une libation, édition bilingue, éditions Verdier, Collection « Terra d’altri », 1989, pp. 116-117. Traduit de l’italien par Jean-Yves Masson.





    Luzi  Cahier gothique montage





    MARIO LUZI


    Mario Luzi Guidu 2
    Image, G.AdC






    ■ Mario Luzi
    sur Terres de femmes


    Diana, risveglio (poème extrait d’Une libation)
    Dove l’ombra (autre poème extrait d’Une libation)
    En mer (poème extrait de L’Incessante Origine)
    Il pensiero fluttuante della felicità (autre poème extrait de L’Incessante Origine)
    Nature (poème extrait de La Barque)
    Près de la reine de Saba (note de lecture sur Trames + extrait)
    Primitiales (note sur Prémices du désert)
    Quanta vita (poème extrait de L’Incessante Origine)
    Stupore d’ultramattutina luce (poème extrait de Caravane)
    [Vita o sogno ?]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de l’encyclopédie Treccani)
    une notice bio-bibliographique (en italien) sur Mario Luzi
    → (sur le site des éditions Verdier)
    une notice bio-bibliographique sur Mario Luzi
    le site du Centro Studi Mario Luzi La Barca
    → (sur cairn.info)
    La poétique comparatiste de Mario Luzi, par Jean-Yves Masson






    Retour au répertoire du numéro de mai 2020
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)


    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Kiki Dimoula | Autoconservation



    Autoconservation
    Source




    ΑΥΤΟΣΥΝΤΗΡΗΣΗ



    Θά πρέπει νά ῾ταν ἄνοιξη
    γιατί ἡ μνήμη αὐτή
    ὑπερπηδώντας παπαροῦνες ἔρχεται.
    Ἐκτός ἐάν ἡ νοσταλγία
    ἀπό πολύ βιασύνη,
    παραγνώρισ᾿ ἐνθυμούμενο.
    Μοιάζουνε τόσο μεταξύ τους ὅλα
    ὅταν τά πάρει ὁ χαμός.
    Ἀλλά μπορεῖ νά ῾ναι ξένο αὐτό τό φόντο,
    νά ῾ναι παπαροῦνες δανεισμένες
    ἀπό μιάν ἄλλην ἱστορία,
    δική μου ἢ ξένη.
    Τά κάνει κάτι τέτοια ἡ ἀναπόληση.
    Ἀπό φιλοκαλία κι ἔπαρση.

    Ὅμως θά πρέπει νά ῾ταν ἄνοιξη
    γιατί καί μέλισσες βλέπω
    νά πετοῦν γύρω ἀπ᾿ αὐτή τή μνήμη,
    μέ περιπάθεια καί πίστη
    νά συνωστίζονται στόν καλύκά της.
    Ἐκτός ἂν εἶναι ὁ ὀργασμός
    νόμος τοῦ παρελθόντος,
    μηχανισμός τοῦ ἀνεπανάληπτου.
    Ἂν μένει πάντα κάποια γῦρις
    στά τελειωμένα πράγματα
    γιά τήν ἐπικονίαση
    τῆς ἐμπειρίας, τῆς λύπης
    καί τῆς ποίησης.




    Κική Δημουλά, Το λίγο του κόσμου, εκδόσεις Νεφέλη, Ἀθήνα, 1971, 1983 ; εκδόσεις Στιγμή, 1990.






    AUTOCONSERVATION



    Ce devait être le printemps,
    car cette mémoire
    arrive enjambant les coquelicots.
    À moins que la nostalgie
    dans sa hâte
    n’ait méconnu le souvenir.
    Tout se ressemble tant
    lorsque la perte s’en empare.
    Mais le souvenir peut être exact
    le fond étranger
    et les coquelicots empruntés
    à une autre histoire,
    mienne ou étrangère.
    La réminiscence en est bien capable
    par amour du beau et arrogance.

    Mais ce devait bien être le printemps
    car je vois des abeilles
    voler autour de cette mémoire,
    affectueuses et fidèles
    se presser sur son calice.
    À moins que ce ne soit l’orgasme
    loi du passé,
    mécanisme de l’irréitérable.
    Et qu’il reste toujours quelque pollen
    dans les choses finies
    pour la pollinisation
    de l’expérience, de la tristesse
    et de la poésie.




    Kiki Dimoula, Le peu du monde in Du peu du monde et autres poèmes, édition bilingue, La Différence, Collection Orphée dirigée par Claude Michel Cluny, 1995, pp. 28-31. Choix, traduction du grec et présentation par Martine Plateau-Zygounas.





    Kiki Dimoula  Du peu de différence





    ___________________
    Ci-dessous, une traduction du même poème par Michel Volkovitch :



    AUTOCONSERVATION



    Ce devait être le printemps
    car le souvenir qui arrive
    saute par-dessus les coquelicots.
    Sauf si la nostalgie
    dans sa hâte,
    a mal vu le souvenu.
    Tout se ressemble tant
    au moment de la perte.
    Mais la mémoire est peut-être exacte
    et ce fond étranger,
    et les coquelicots issus
    d’une autre histoire,
    mienne ou étrangère.
    La mémoire fait des coups pareils.
    Par amour du beau et par vanité.

    Pourtant ce devait être au printemps
    car je vois aussi des abeilles
    voler autour de ce souvenir,
    et s’entasser avec foi et passion
    dans son calice.
    Sauf si l’orgasme
    est une loi du passé,
    un mécanisme de l’unique.
    Et s’il reste toujours du pollen
    dans les choses achevées
    pour la fécondation
    de l’expérience, de la tristesse
    et du poème.




    Kiki Dimoula, Le Peu du monde [Το Λίγο του κόσμου, Ἀθήνα, 1971] in Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2010, pp. 26-27. Traduit du grec par Michel Volkovitch.





    Kiki Dimoula  Le Peu du monde





    KIKI DIMOULA (1931-2020)


    Kiki_dimoula portrait
    Source





    ■ Kiki Dimoula
    sur Terres de femmes




    La pierre périphrase (autre poème extrait du Peu du monde)
    Temps allongé (poème extrait de Mon dernier corps)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de Michel Volkovitch)
    d’autres poèmes de Kiki Dimoula
    → (sur Poetry International)
    dix poèmes de Kiki Dimoula
    → (sur Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet)
    un article de Jacques Ancet (« Tristesse de fond ») sur la poésie de Kiki Dimoula
    → (sur le site du Σπουδαστήριο Νέου Ελληνισμού/Center for Neo-Hellenic Studies)
    trois poèmes de Kiki Dimoula (dont Ο πληθυντικός αριθμός) dits par elle-même






    Retour au répertoire du numéro d’ avril 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Arun Kolatkar | La Pause déjeuner de l’homme aux rats


    THE RAT-POISON MAN’S LUNCH POISON
    (extract)




    The woman pours some water from a mug
    for the man to wash his hands in the thali,

    which produces a passable drum solo,
    to act as a coda to one man’s lunch.

    They both get up; he says something to her,
    pats her affectionately on the bottom

    as she bends to pick up the sloppy thali
    and he turns away to reclaim his poster;

    and holding it before him like a shield,
    is ready, once again, to face the world,

    happy, once again, as wouldn’t be,
    with a singular truth to hide behind.








    LA PAUSE DÉJEUNER DE L’HOMME AUX RATS
    (extrait)




    La femme verse de l’eau au-dessus du thali*
    pour que l’homme se lave les mains

    et déclenche un solo de batterie passable
    qui clôt en fanfare le one-man-show.

    Ils se lèvent de concert, il lui dit quelques mots,
    lui donne une tape affectueuse sur le derrière

    alors qu’elle se baisse pour prendre le plat huileux,
    puis se détourne pour récupérer son affiche,

    la brandissant comme un bouclier
    et il se tient prêt, une fois encore, à affronter le monde,

    heureux, une fois de plus, on le serait tous à sa place,
    de s’abriter derrière une vérité unique.



    Arun Kolatkar, « La Pause déjeuner de l’homme aux rats », 6, Kala Ghoda. Poèmes de Bombay [Kala Ghoda Poems, 2004, 2006], édition bilingue, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard (n° 487), 2013, pp. 294-295. Préface de Laetitia Zecchini. Traduction de l’anglais (Inde) par Pascal Aquien et Laetitia Zecchini.



    _____________________
    * thali : repas comprenant plusieurs plats servis sur un plateau en métal.





    Arun Kolatkar





    ARUN KOLATKAR


    Arun Kolatkar portrait
    Ph. Tous droits réservés
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Kala Ghoda. Poèmes de Bombay
    → (sur La République des livres)
    Du plaisir de traduire Arun Kolatkar, par Laetitia Zecchini





    Retour au répertoire du numéro d’avril 2020
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Rosanna Warren | Scat




    SCAT



    Coyotes yodel along the ridge at night in bacchanals.
    Smashed starlight litters the snow.
    Wind hones the mountain’s silhouette
    to a dark blade. Streams wrestle
    in the shoulder-lock of ice: held hard above,
    below the waist thawed, kicking loose, mindling the gleam
    of thighs.
    Like a crazed jeweler, the sky flings out
    its scatter of stars. Our dreams are plural,
    we guard each other’s heat all night under a mound
    of blankets, half-deafened by waters.
    By day, we examine the relics:
    coyote scat, small bear tracks, and the gray, dry stogie
    of an owl pellet: coughed up, burlap-textured, prickly
    with bits of hair and bone, the indigestibles.






    SCAT



    Bacchanales nocturnes des coyotes qui iodlent le long de la crête.
    Pulvérisée, la lumière des étoiles jonche la neige.
    Le vent affûte l’ombre de la montagne
    en lames noires. Les courants luttent corps
    à corps avec les blocs de glace : tenus forts
    sous la ceinture du dégel, ils se débattent, cuisses luisantes.
    Comme un joaillier fou, le ciel disperse ses étoiles
    aux quatre vents. Nos rêves se démultiplient,
    on retient la chaleur toute la nuit sous un tas
    de couvertures, à moitiés assourdis par les torrents.
    De jour, on examine les reliques :
    excréments de coyote, traces d’ours, et la boulette grise et
    desséchée
    qu’une chouette a régurgitée : texture de toile, épineuse,
    poils et bouts d’os, toute la matière indigeste.





    Rosanna Warren, Ghost in a red hat, 2011 [« Fantôme au chapeau rouge »] in De notre vivant, édition bilingue, Collection Ecri(peind)re, Æncrages & Co, 2019, s. f. Traduit de l’américain par Aude Pivin. Gravures de Peter H . Begley.





    Rosanna Warren  De notre vivant





    ROSANNA WARREN


    Rosanna-warren NB
    Source



    ■ Rosanna Warren
    sur Terres de femmes

    Travel (+ notice bio-bibliographique)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Poetry Foundation)
    le poème “Mediterranean” dit par Rosanna Warren





    Retour au répertoire du numéro de novembre 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Rabih el-Atat | [dans l’émail de la tasse une fissure]




    Mur-separe-mexique-etats

    «dans l’émail de la tasse une fissure
    m’aide à contempler
    le cercle de mon enfance »







    [DANS L’ÉMAIL DE LA TASSE UNE FISSURE]




    dans l’émail de la tasse une fissure
    m’aide à contempler
    le cercle de mon enfance



    […]



    la vie est un insecte qui meurt
    dans la toile d’une araignée
    morte



    […]



    un murmure
    donne couleur
    au vide



    […]



    en même temps
    à la source et à l’embouchure
    le fleuve



    […]



    au bout du gant rapiécé
    un fil
    me relie à ma mère




    Rabih el-Atat, humeurs vagabondes, édition bilingue, éditions érès, Collection PO&PSY princeps, 2019. Poèmes traduits de l’arabe par Antoine Jockey. Dessins d’Odile Fix.






    Rabih el-Atat




    _________________
    NOTE d’AP : cet ouvrage est disponible en librairie à partir du 14 mars 2019.





    RABIH-EL-ATAT





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions érès)
    la fiche de l’éditeur sur humeurs vagabondes de Rabih el-Atat





    Retour au répertoire du numéro de mars 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Amir Or | Déjà là




    OR
    Image, G.AdC







    DÉJÀ LÀ



    Matin, le monde est déjà là ;
    arrivés ensemble nous sommes
    sur la ligne de départ,
    enfants d’un instant
    dont je suis le nom.







    FLORAISON



    Un Éros de floraison papillonne à ma fenêtre. Entre les bougainvilliers, il me dit : toi non plus tu n’échapperas pas au printemps des créatures. Et moi, noyé de nectar, je lui ouvre une fois de plus, à cette abeille industrieuse !






    MOMENT



    Qui peut décrire ce moment ?
    Moi assis là solitaire
    à regarder tout sans mots :
    le miel en suspens dans l’air, le vert partout.
    Seule l’unique mouche de la pensée
    survole cet Éden du matin.




    Amir Or, « Poèmes du matin » in Entre ici et là, édition bilingue, éditions érès, Collection PO&PSY princeps, 2019. Poèmes traduits de l’hébreu par Michel Eckhard Elial. Dessins de Sylvie Deparis.






    Amir Or  Entre ici et là



    _______________________
    NOTE d’AP : cet ouvrage est disponible en librairie à partir du 14 mars 2019.





    AMIR OR


    Amir Or
    Source




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions érès)
    une notice bio-bibliographique sur Amir Or
    → (sur le site des éditions érès)
    la fiche de l’éditeur sur Entre ici et là d’Amir Or
    → (sur le site des éditions Levant)
    Amir Or lit son poème « Amour sorcier » au festival Voix Vives de Méditerranée en Méditerranée (Sète, juillet 2016)





    Retour au répertoire du numéro de mars 2019
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Iboshi Hokuto | [Ouvrant les journaux]




    Iboshi extrait







    [OUVRANT LES JOURNAUX]




    Ouvrant les journaux
    lorsque je lis un article
    sur les Aïnous,
    surgissent à chaque fois
    des pensées qui me tourmentent


    Il n’existe plus

    de pureté aïnoue

    à l’heure d’aujourd’hui

    Je regretterai toujours

    les villages d’autrefois


    En souhaitant vivre
    mais également mourir
    comme un Aïnou
    le cœur attristé je peins
    les motifs chers à mon peuple


    Reprenez courage

    ô mes frères aïnous

    Il faut souhaiter

    De grandir et prospérer

    Sur la terre comme au ciel


    Voilà que la nuit
    déjà s’est bien avancée
    Soudain malgré moi
    songeant à mes compagnons
    je me mets à sangloter



    Iboshi Hokuto | 違星北, poète aïnou (1901-1929), Chant de l’étoile du nord, carnet, édition bilingue français/japonais, Éditions des Lisières, Collection Aphyllante, 26110 Nyons, décembre 2018, pp. 36-37. Traduction et adaptation Fumi Tsukahara et Patrick Blanche. Préface de Gérald Peloux.






    Iboshi Hokuto  Chant de l'étoile du nord




    _________________________________

    Note de l’éditeur : première traduction française d’un poète aïnou, le Carnet d’Iboshi Hokuto est le témoignage poétique d’une lutte pour la reconnaissance d’un peuple. Premiers habitants de l’île d’Hokkaïdo annexée au Japon en 1869, les Aïnous (terme signifiant « les hommes », « les êtres humains ») ont dû attendre 2008 pour que l’État japonais reconnaisse leur statut d’autochtones. Avec beaucoup d’humour et parfois d’amertume, celui que l’on appela le Takuboku des Aïnous nous conte à travers ses tankas (133) et quelques haïkus (21), les vicissitudes de sa vie et de son peuple. Refusant la soumission à la langue et à la culture dominantes, Iboshi Hokuto fera de sa courte vie un appel à la dignité et œuvre de résistance.





    IBOSHI HOKUTO


    Iboshi Hokuto




    Né en 1901, Iboshi Hokuto fait partie des pionniers (avec Batchelor Yaeko et Moritake Takeichi) d’une littérature moderne aïnoue en langue japonaise. Auteur de poésie, d’essais, de contes et d’un journal, il vivra de petits boulots et luttera jusqu’à sa mort en 1929 pour la dignité de son peuple.




    ■ Voir aussi ▼

    le site des éditions des Lisières





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2018
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Ida Vitale [Prix Cervantes 2018] | Nieve




    NIEVE



    Minimos puntos – aguanieve,
    cristales – blancos bajan.
    Este harapiento mundo
    pone per un momento
    suave decoro de algodones
    en su fábula fea.

    Deslumbra una escama de liquen
    verdegris en lo blanco.
    Deslumbra una rama sin hojas,
    una hoja sin rama.
    Hacer bello le otro
    es gloria de la nieve.

    La alegría dello perro sabe
    juegos que el hombre olvida
    y natural usa la fiesta
    nueva que se le da.
    Callan altros los pájaros
    como el hombre suspensos.





    NEIGE



    D’infimes points – grésil,
    cristaux – blancs descendent.
    Ce monde en haillons
    met pour un moment
    un doux décor de cotons
    sur sa vilaine fable.

    Miroite une écaille de lichen
    vert-gris dans le blanc.
    Miroite une branche sans feuilles,
    Une feuille sans branche.
    Donner la beauté ailleurs
    est gloire de la neige.

    La joie du chien connaît
    des jeux que l’homme oublie
    et simplement il fait usage de la fête
    nouvelle qu’on lui offre.
    Les hauts oiseaux se taisent
    en suspens comme l’homme.



    Ida Vitale [Prix Reina Sofía 2015, Prix Cervantes 2018], Pauvre règne [Parvo Reina, 1984] in anthologie Ni plus ni moins, édition bilingue, Éditions du Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », 2016, pp. 90-91. Traduction de l’espagnol (Uruguay) par Silvia Baron Supervielle. Ouvrage publié avec le soutien de la Maison de l’Amérique latine.






    Ida Vitale, Ni plus ni moins




    _________________________________
    NOTE DE L’ÉDITEUR : « Après avoir traduit la poésie d’Alvaro Mutis puis celle de César Vallejo, François Maspero avait entrepris de traduire Ida Vitale. La mort l’a surpris au cœur de ce travail. Silvia Baron Supervielle a pris le relais. Elle a choisi et traduit la plupart des poèmes qui composent cette anthologie. »




    IDA VITALE


    Ida Vitale
    Source




    ■ Ida Vitale
    sur Terres de femmes

    La palabra infinito (extrait de Procura de lo imposible)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur El País,‎ 15 novembre 2018)
    Ida Vitale, premio Cervantes 2018
    → (sur le site du magazine Le Point‎)
    Ida Vitale, l’alchimiste des lettres uruguayennes
    → (sur A media voz)
    une notice bio-bibliographique sur Ida Vitale (+ plusieurs poèmes)
    → (sur le site des Cahiers Max Jacob‎)
    une recension de Ni plus ni moins d’Ida Vitale, par Ingrid Tempel [PDF]





    Retour au répertoire du numéro de novembre 2018
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes



  • Stefanu Cesari, Bartolomeo in cristu

    par Angèle Paoli

    Stefanu Cesari, Bartolomeo in cristu, poèmes,
    édition bilingue (corse-français), éditions Éoliennes, 2018.
    Prix du poème en prose Louis-Guillaume 2019.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Cesari Louis Guillaume








    AU CŒUR DE LA FLEUR INVERSE




    Le pays qui accueille le visage de Bartolomeo est un pays bien étrange. Âpre, écorché de mille blessures silencieuses et immobiles, pris entre sècheresse de biens et de mots, il est pays de traces et de signes invisibles, pays de l’attente. D’interrogations sans réponses. Une voix anonyme parle, qui guide le lecteur curieux dans ce mystère de pierres sèches que souligne la présence fidèle d’un « arbre vivant, d’un arbre mort ». Un cheminement vers une œuvre à venir. Un possible. Mais voici qu’un autre fait irruption, qui se fraie sa route dans le paysage et s’avance. Qui est-il ? Nul ne le connait. Aucun nom ne vient à la bouche. Il n’a laissé de lui que son rêve, inscrit à même la chaux. Derrière lui se tient le poète, entre ombre et lumière, silence et questionnement. Stefanu Cesari. C’est son nom. Il a dialogué avec le saint. Il a dialogué avec l’autre. De cet échange naît le poème, tout aussi mystérieux et intemporel que la fresque anonyme qui a inspiré ce recueil. Il lui donne un nom. Le nom de son poème. Bartolomeo in cristu.

    Il suffit au visiteur-poète de pousser les portes de la chapelle romane San Pantaleu di Gavignanu, en Castagniccia (Pieve di Rustinu en Haute-Corse), pour rencontrer, à l’instant du face-à-face, le regard singulier de saint Barthélemy. La fresque est un appel réitéré, une vocation. Une offrande peut-être, vécue pour la seconde fois. La première, c’était dans des temps anciens, au XVe siècle, lorsque le fresquiste s’est lancé dans son travail :

    « Il y a une rage qui sourd de l’intonaco et c’est le premier geste, la trace du charbon comme on devine un visage avant le corps entier, avant qu’il ne se fige […]. »

    La seconde fois est ce moment de la double rencontre : entre le poète et le saint, le poète et le fresquiste, chacun enclos dans le secret de sa mémoire. Le poète marche sur les pas du peintre, se glisse sous sa peau, s’empare de ses pensées jusqu’au point de fusionnement des unes avec les autres :

    « Si tu veux prendre la main tendue de l’œuvre, alors lève-toi, avant que le pays entier ne se mette à brûler sans ombre, tu as seulement quelques heures pour poser au blanc du mur l’étrangeté presque vivante, la parenté des hommes avec ce qui demeure. »

    La rencontre a lieu dans un échange sans fureur ni éclat, dans l’économie et le presque dénuement, à souffle retenu. Le poète interroge les couleurs qui surgissent de l’ombre, le rouge sur le blanc, le noir de la peau et celui de ce trait qui contient l’œuvre entière, corps circonscrit dans ses limites. C’est là que le saint s’abandonne, livre une part de lui-même. Le poète, témoin de ce qu’il voit, lève le voile. Révélation :

    « Tu te révèles dans l’abandon. Tu te révèles ainsi brisé, brisé et reconstitué d’un tracé très fin, un noir qui te contient. Le rouge des jours et de l’éternel, entre la nuit absolue et l’absolue lumière, c’est ta peau marquée d’un tatouage définitif. »

    La révélation est progressive. Elle se fait dans une lenteur intemporelle, dans cet espace qui s’étire entre les confins arborés, « au pied d’un arbre vivant […] au pied d’un arbre mort. » Symbole de régénérescence, l’arbre, même mort, est animé d’un souffle autre qui respire sous l’écorce comme la fresque respire sous la couleur. Le poète-témoin est en recherche. De quelque chose de plus, de quelque chose qui le dépasse. Sa quête est identique à celle de l’anonyme, identique aussi à celle de Bartolomeo. Au cœur de la quête se trouve « la fleur inverse de l’affresco. » On ne peut que penser ici à Jacques Roubaud, à cette œuvre majeure qu’est sa Fleur inverse. Laquelle renoue avec la quête d’absolu de Rimbaut d’Orange, prince des troubadours et de l’art du trobar. Cependant, « la fleur inverse » de Stefanu Cesari ne s’éloigne nullement de l’idéal du poète, différent de celui des poètes du Moyen Âge.

    « De révélation ton sang, ombre au mur inassouvie d’une quête, la fleur inverse de l’affresco. »

    Moment de beauté intense que ce moment précis du recueil qui dévoile ce qui le motive.

    Le poème dit l’histoire du saint — son enfance et ses marches, son martyre —, telle que le poète la reçoit et la vit dans son imagination, confrontant les sources contradictoires, les énigmes imaginées par les hagiographies successives, avec ses propres sentiments, son propre arrière-pays mental, sa propre sidération. Les poèmes en regard — cinquante-neuf en tout (en langue corse page de gauche, en français page de droite) — sont des proses poétiques brèves, des pavés justifiés de seize lignes pour la plupart. L’histoire du saint se résume dans la peau d’écorché jetée sur son épaule, sa « carcasse » d’étranger. « Tu n’es pas de ce pays. On t’y a accueilli en échange de ta peau. »

    C’est cela aussi que dit la fresque — l’affresco — , ce martyre silencieux dont le saint porte avec lui la relique corporelle, inséparable de lui-même, symbole de sa vie ancienne et de sa souffrance. Elle l’accompagne dans son voyage, dans « l’intimité du rouge ». Jusque dans ce paysage qui prend forme « sur la fleur sèche de la pierre. »

    Le récit ? Une voix qui se faufile sous l’incarnat de la peau.

    « Entre la peau et le couteau il n’y a personne il y a juste un temps plein de silence, et le rouge écrit sur la page, la tache d’encre dans le récit. »

    Pour le lecteur tant soit peu accoutumé aux écrits de Stefanu Cesari, rien qui surprenne dans cette fascination du poète pour les commencements. Et pour le geste fondateur qui préside à la création de toute chose. « U minimu gestu | Le moindre geste. » Si menu soit-il, si infime soit-il, ce geste est celui qui retient l’attention du poète :

    « Ce regard, tout ce qui est dit et que l’on n’entend pas les voix mêlées les chants d’une agitation fervente, c’est l’histoire de ce qu’il y a eu, un premier geste hésitant. »

    Il en est de même de la question du nom. Primordiale et biblique, cette question revient comme une offrande, sans laquelle exister ne se peut :

    « Tu as donné un nom à chaque pierre. Toi, qui as encore une jeunesse dans les mains, tu l’as posée sur le travail à venir. En esprit tu as jugé du poids de chaque chose. »

    Ainsi transparaît la pensée profonde, intime, du poète, au fil des pages. Drainant avec elle ses attentions, ses interrogations multiples sur le sens de la vie, sur le passage des hommes, sur l’affleurement de leur histoire. Les sensibilités s’intriquent, inscrites dans un topos qui n’a pas besoin de livrer son nom, mais qui se reconnaît dans la présence liminaire de l’arbre :

    « Toi ce pays entre un arbre vivant, un arbre mort »

    Le rappel de cet entre-deux agit comme un refrain susurré qui se glisse pour redire, ici et là, l’axe du poème, son enracinement dans la déprise essentielle d’avec la réalité matérielle :

    « Le récit Bartolomeo : maison et lieu, troupeaux en estive, c’est là que tu habites entre un arbre vivant et un arbre mort, le poumon du monde. »

    Ou encore, dans le même poème :

    « [C]e pourrait être une chanson revenue sur les lèvres, nous enracinant là d’une saison à l’autre, ce pourrait être vivre, l’apprentissage du vivre, d’une certaine façon maison et lieu rendus à leur nudité première entre deux arbres, voilà ce que nous pourrions connaître, de nom, mais rien qui nous appartienne. »

    Parfois émergent des instants lumineux, des instants de suspens, où vivre entre deux points d’un même axe conduit à une plénitude proche du bonheur :

    « Beaucoup aimé le temps passé sous les amandiers entre un arbre vivant et un arbre mort. C’est au début de la vie, les yeux par terre, c’est la saison, on ramasse le fruit tombé. Des fois il a toujours sa peau sur lui, des fois c’est une pierre pour la fronde, pour le fer que l’on bat. »

    Lire les lignes du voyage, laisser parler les signes, affleurement d’images complexes qui s’emboîtent les unes dans les autres pour dire un mystère plus grand encore. C’est cela qui habite le poète. Se faire le « témoin » de cette histoire à imbrications plurielles le conduit à s’interroger sur le langage, plénitude et vide, un flux qui porte en lui « la simple possibilité de chaque chose » :

    « Le langage ici toujours rouge la parole, sans jamais finir nous revient, nous emplit la bouche. »

    Et en finale du même poème :

    « Le langage, il y a dans son sang comme dans ses manques la simple possibilité de chaque chose. »

    Avant de clore la lecture d’un ouvrage aux pistes indénombrables et à la langue infiniment belle, il me faut aborder une autre particularité. D’une page l’autre court, en bas de page, à l’envers des poèmes, un autre texte. En contrepoint. Ces phrases sont incluses dans un à-plat dont la couleur « terre d’ombre brûlée » tranche avec la couleur ivoire de la page. Une ligne continue d’horizon, « fil ténu de la route », cloisonne les phrases. « Remonter le cours du récit » et de la fin signer le commencement, c’est « pénétrer dans le labyrinthe », confie le poète. Poème ouroboros. Poème intemporel. Que l’on peut lire dans un sens puis dans un autre, à l’affût des voix qui se parlent et qui conversent. Inverser le regard, lire dans les deux sens, la fin du poème rejoignant le début du texte en prose, lequel tourne le dos à l’image de Bartolomeo. Et pourtant, c’est bien à un mystérieux rendez-vous avec une image que convie cette lecture. Et, au-delà, à une rencontre avec l’autre « visage ». Celui peut-être du poète. Qui entretient avec le visage de Bartolomeo, « ciel et sang », un dialogue intérieur d’une intense richesse. Une prière, « une rêverie longue des siècles », célébration méditative sur des fragments de lumière chaude exhumés de la chaux. « Appels et répons » pour une parole « sans fin ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Stefanu Cesari  Bartolomeu in cristu






    STEFANU CESARI


    Stefanu Cesari
    Source




    ■ Stefanu Cesari
    sur Terres de femmes

    [Jeune […] autant que l’eau] (extrait de Bartolomeo in cristu)
    [In un libru à a cuprendula russa] (extrait d’U Mìnimu Gestu)
    [Nivi, nò?] (autre extrait d’U Mìnimu Gestu)
    Ti scrivaraghju in faccia (extrait d’A Lingua lla bestia)
    Incù ciò chi tu m’ha’ lacatu (extrait de Genitori)
    [On sent peser sur soi un vêtement immatériel] (extrait de Prighera par l’armenti)



    ■ Voir aussi ▼

    Gattivi Ochja, la revue de poésie en ligne de Stefanu Cesari
    → (sur Terre à ciel)
    un entretien de Françoise Delorme avec Stefanu Cesari





    Retour au répertoire du numéro de juillet 2018
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Luigia Sorrentino | [tous les jours étaient tombés sur son visage]



    [TUTTI I GIORNI ERANO CADUTI SUL SUO VISO]



    tutti i giorni erano caduti sul suo viso
    le ore di tutto l’essere erano
    invase dalla sete

    nell’angolo spento
    cercó il riflesso dell’oceano
    l’aveva attraversato uscendo dalla madre

    la pioggia di vetro sulla strada
    deserta aveva memoria di un uomo







    [TOUS LES JOURS ETAIENT TOMBÉS SUR SON VISAGE]



    tous les jours étaient tombés sur son visage
    les heures de tout l’être étaient
    envahies par la soif

    dans l’angle éteint
    il chercha le reflet de l’océan
    il l’avait traversé en sortant de sa mère

    la pluie de verre sur la route
    déserte gardait mémoire d’un homme




    Luigia Sorrentino, Début et fin | Inizio e fine, VIII, édition bilingue, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2018, pp. 20-21. Traduction et postface de Joëlle Gardes. Encres de Catherine Bolle.






    Luigia Sorrntino  debut-et-fin






    LUIGIA SORRENTINO


    Sorrentino
    Source




    ■ Luigia Sorrentino
    sur Terres de femmes

    Iperione, la caduta (extrait du recueil Olimpia traduit par AP) [+ une notice bio-bibliographique en français]




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le blog Poesia de Luigia Sorrentino
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur français sur Début et fin de Luigia Sorrentino





    Retour au répertoire du numéro de juin 2018
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index de la catégorie Péninsule (littérature et poésie italiennes)

    » Retour Incipit de Terres de femmes