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  • Angèle Paoli, Lauzes

    par Marie Lagrange


    Angèle Paoli, Lauzes (récits et nouvelles),
    éditions Al Manar, 2021.
    Préface de Marie-Hélène Prouteau.



    Lecture de Marie Lagrange


    LAUZES  LAGRANGE [2814]
    Image, G.AdC





    Un certain vendredi d’avril, j’ai rompu avec la morosité du confinement et mis un terme à mes tribulations quotidiennes pour lire Lauzes d’Angèle Paoli. Quel voyage !

    Des retrouvailles en premier lieu : du goût de l’antésite avec, à l’ombre du mystérieux entrepôt proche de la maison familiale, l’image de la petite, minuscule entre le Père et l’Homme de la TAM, détenteur du breuvage à la réglisse, à la Collection Rouge et Or, ou aux pages du Petit Larousse illustré

    Des rencontres surprenantes… comme celle d’Aïta, figure féminine d’un autre temps…

    Des dépaysements avec, au détour d’une phrase, le surgissement de mots singuliers… Du « glaiseux » à la « petite voix qui frivole dans les arbres » ou aux « cristes marines », nous avons l’embarras du choix… Un vrai festival !
    Des attentes et des questions en suspens…

    Et puis la Vie, en particulier sous ses formes les plus menues, les plus secrètes, et aussi… l’omniprésence de la Mort… L’insolite, la nostalgie, la mort… Et tout un monde de contrastes : de la rusticité au raffinement — subtil jeu d’ombres et de lumière, veinules et irisations, palette des gris et des grenats, des roses et des mauves offerts par la nature —, du minuscule au gargantuesque, gastéropode géant, univers effrayant et fascinant des insectes. Tout un bestiaire ! Bref, on ressort de cette lecture tout ébaubi, à la fois mélancolique et heureux.

    Mélancolique sans doute parce qu’on sent plus que jamais en soi le cheminement de l’irréversible, l’emprise mortelle du temps, heureux parce que tout au long de ces pages faisant vivre sous nos yeux « des lézards filant au fil des lauzes », « de vieux murs enlacés par des lianes », « des arbres défeuillés », mélancolie, musique et beauté se mêlent intimement, heureux également parce qu’ici l’humour a lui aussi son mot à dire ; qu’il s’agisse de « gendarmes [les insectes !] occupés à copuler sans réserve », du portrait d’un bousier, « minuscule Sisyphe poussant sa bouse », de formules lapidaires : — « Elle déclenche Éole » —, témoin du regard amusé que la narratrice porte sur elle-même et ici, en l’occurrence, sur le mille-pattes qu’elle observe et qui « trottine », « hissant du col », insoucieux de la bourrasque à venir. Que le lecteur se rassure : aucune cruauté dans ces agissements.

    « Le vent se retire aussi soudainement qu’il est apparu et le minuscule myriapode reprend sa route comme si de rien n’était. »

    Le sourire est là, qui fait la nique au désespoir.


    Marie Lagrange
    D.R. Texte Marie Lagrange






    Lauzes couv 2







    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Lauzes
    → (sur Terres de femmes)
    Angèle Paoli, Lauzes (lecture de Sylvie Fabre G.)





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  • Angèle Paoli, Lauzes

    par Sylvie Fabre G.


    Angèle Paoli, Lauzes (récits et nouvelles),
    éditions Al Manar, 2021.
    Préface de Marie-Hélène Prouteau.



    Lecture de Sylvie Fabre G.


    LAUZES




    Lauzes 3
    Ph., G.AdC




    Il y a des livres qui sont comme des univers multiples à explorer. Le recueil d’Angèle Paoli, Lauzes, qui vient de paraître aux éditions Al Manar, en ce printemps particulier qui est le nôtre, appartient à cette catégorie. On s’y promène à l’aventure d’un vécu-rêvé qui entremêle temps et lieux, et fond imaginaire, songe et réalité, nous faisant prendre la mesure de l’espace extérieur mais aussi intérieur de la poète. Son regard singulier, posé sur un monde qui la happe, la ravit ou l’agresse, a pour « seul mérite » d’éployer les sens et le sens dans l’écriture, de sertir des états et de partager des rencontres. Il suscite par là-même une parole empreinte de savoir, de passion et de nostalgie dont le pas des lecteurs buissonniers suit le chemin avec bonheur. Guidés par ces « lauzes » poétiques et picturales qui scandent le recueil du début à la fin, nous avançons à la découverte des 17 proses et des nombreux poèmes qui le constituent. Elles nous révèlent « les très riches heures » d’une vie qui contient en son sein « la promesse d’un ailleurs », et, sa porte une fois passée, leur libre déploiement dans la langue.

    Angèle Paoli, dont on connaît le goût pour la marche, aime, à la manière de Stendhal qu’elle cite en exergue, emprunter ces « petits passages avec des espèces de degrés formés par des morceaux de lauze, qui sont absolument droits » et que l’on trouve en Corse et dans certaines régions de montagne en Italie ou en France. Ils lui servent dans l’écriture à la fois de repères et de haltes où s’entend « la basse langue », écoute d’un pré-langage qui chante toujours en nous. Mais ici ces dalles verbales ont surtout pour fonction de nous mener au seuil des narrations et d’établir l’ancrage et le lien. Chaque pierre-poème est en effet ce « degré » à franchir pour accéder au « plaisir du texte ». Les peintures résonantes de Guy Paul Chauder les accompagnent par la force de leur matière et le délié de leurs écritures. Lauzes de vers, ces joyaux verbaux alliés à ses camaïeux de couleurs donnent un rythme musical à l’ensemble du recueil. Ils font vibrer un réel métamorphique, fruit des visions de la narratrice et du peintre. Voyelles glissantes, jeux des sonorités, levées d’images, mot-valise, lexique précieux, chacun d’eux évoque une saison, des pierres et des plantes, ou des animaux et des hommes, gens que croise la marcheuse. Par la main de l’artiste et la voix de la poète, surgit une mosaïque de matières, de lumières et de mouvements qui varient selon les lieux, les saisons et les espèces évoqués :

    lézards filant au fil des lauzes

    figuiers pansus enchevêtrés

    grillons crissant sous la feuillée […]


    *


    Cailloux grenus poncés luxés

    percés polis persépolis

    assourdie […]


    effritée par le temps


    Sous la plume d’Angèle Paoli, le monde est d’une beauté chatoyante, propre aux épiphanies et aux correspondances, mais aussi au mystère et au basculement. Si son approche en est précise, et même savante par sa culture, elle est souvent inattendue car elle pressent toutes ses réalités insoupçonnées. Elle nous confie observer « la vie qui s’ébroue et qui passe » dehors et en elle. « Elle en traque les images furtives », et nous offre ses trésors changeants, le secret de ses métamorphoses ou sa symbolique complexe. Ainsi, dans « Lucilia Caesar », où elle établit des passerelles improbables entre les règnes humain et animal :

    « Un petit air de brise marine soulève la feuille où je suis installée. Je me balance poussée par le souffle tiède qui berce le figuier me sens l’humeur d’une puce d’algues enivrée de sel et de bulles d’eau. […] J’ouvre un œil ».


    Cet extrait qui met en scène le soliloque muet d’un insecte montre la variété des points de vue adoptés par la narratrice. Elle peut épouser l’œil d’un myriapode ou s’extasier sur le vol gracieux d’une libellule. La vie des insectes et des plantes émerveille Angèle Paoli, mais leur monstruosité parfois la fascine à la manière de J. L. Giovannoni ou de F. Kafka. Dans tout le recueil elle joue du passage et déborde les identités, elle efface aussi les barrières du temps comme dans « La Vénus aux euphorbes » où la déesse lui apparaît dans le maquis corse sous les traits d’une belle endormie. Ses personnages, humains ou Dieux, appartiennent autant à l’éternel qu’à l’éphémère. Dans « Aïta » par exemple, les époques se télescopent dans le mirage sur une même plage en été d’une femme de la préhistoire et de « femmes en bikinis». Prétexte pour nous parler d’une féminité que l’auteur ne cesse de privilégier et d’interroger dans son œuvre.

    Présence de la femme donc, mais aussi choix des lieux sont déterminants pour l’auteure. La Corse et l’Italie, terres familières et aimées, tout en renvoyant à la structure en deux parties du recueil, plante le décor méditerranéen des récits et des proses. Leur unité, par-delà l’apparente hétérogénéité des genres et des thèmes traités, vient paradoxalement de cet ancrage originel et de la liberté de ton et d’écriture qui les lient.

    Dans la deuxième partie, « Ponte Mammolo : Roma gratis, » un de mes textes préférés, est morceau d’anthologie. Il fait alterner le français et l’italien, en racontant le déplacement ubuesque de la narratrice dans la Rome périphérique pour accéder à Tivoli où elle désire visiter la Villa d’Este. Avec humour, force et mélancolie, l’auteure nous plonge dans cette « Rome de la crise », où vivent les « travailleurs pressés », « les immigrés », les ragazzi di vita, chers à Pasolini. Dans cette banlieue, semblable à celle des années 1950 où il habita, nous dit la narratrice, elle fait l’expérience de « la débrouillardise » et d’une entraide dont elle ne finit pas de s’étonner. Le récit met en lumière tous nos maux contemporains dans le côtoiement des époques et des conditions, des langues et des cultures. Elle juxtapose ainsi la « Ville éternelle » des palais et des fresques, aux borgate populaires très pauvres. Et dans le texte suivant, c’est l’usine de son enfance, mise en regard avec une annexe des « Musées Capitolins », qui fait s’entrechoquer jeunesse et vieillissement, sculptures antiques et « chaudières et turbines ». Dans les deux cas, ce qui un instant les unit, nous dit la poète pensive, est peut-être « l’énergie éternelle du temps » et « l’éternel regard intérieur qui anime les âmes, par-delà le temps ». Rome en porte les marques.

    Ainsi, texte après texte, se dessine en filigrane une sorte de portrait de l’auteure, de ses territoires naturels, pensifs et affectifs, de ses élans et de ses désespoirs. Dans « Le jardin des Hespérides », on la devine au village, en Corse, « sur la terrasse au tilleul », en train d’écrire l’histoire de Jeanne, amie solaire, aimée par Nicolas de Staël. Récits à la troisième personne ou autobiographie assumée, la narratrice, tout au long de la lecture, se découvre méditerranéenne, amoureuse de son île et de toutes les formes du vivant, mais aussi femme de culture et d’art. Qu’elle se laisse aller à la rêverie face à la beauté d’un paysage ou d’un corps, qu’elle contemple une fresque de Piero dans la cathédrale d’Arezzo ou encore qu’elle se remémore son enfance et médite, mélancolique, sur la fragilité des êtres, sur la vieillesse, ou sur la mort comme dans « L’ange tombé du ciel », sa langue sait utiliser toute la palette des registres et des genres. Dans les récits autant que dans les poèmes, dans la narration et dans la description, dans les dialogues ou les monologues, Angèle Paoli n’hésite pas à mêler lyrisme et tragique, épique, fantastique et humour. La beauté de ce recueil vient de cette « bigarrure » du monde des vies et des langues dont parle aussi Marie-Hélène Prouteau dans sa fine préface, ainsi que de cette quête de l’être pour trouver son habitation. Celle qui nous parle dans Lauzes ouvre la place à l’inconnu, au visage de l’autre. Si elle rencontre l’obscur et regarde la poussière, elle n’oublie pas la joie des cœurs et la chaleur des corps vivants. En poète, elle cherche la lumière dans le paysage, la rencontre avec le visible et l’invisible et ses révélations. L’écriture fait de son livre la patrie de trois langues, le français, le corse et l’italien, reliées au jadis, glorieuses de l’instant et du à jamais, un souffle chargé de mots. Le lecteur, dans l’ombre ou la lumière, y marche sous le vent de ses voix.


    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.






    Lauzes couv 2







    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Lauzes
    → (sur Terres de femmes)
    Angèle Paoli, Lauzes (lecture de Marie Lagrange)




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Caroline Boidé, Les Impurs
    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Pierre Dhainaut, Après
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Alain Freixe, Vers les riveraines
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Pierre Péju, L’Œil de la nuit
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)





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  • Emmanuel Moses, Tout le monde est tout le temps en voyage

    par Angèle Paoli


    Emmanuel Moses, Tout le monde est tout le temps en voyage,
    éditions Al Manar, Collection Poésie, 2020.
    Peintures de Tereza Lochmann.



    Lecture d’Angèle Paoli


    VERS UN REGAIN DE LUMIÈRE / LE VOYAGE SOTÉRIOLOGIQUE D’EMMANUEL MOSES




    Tout le monde est tout le temps en voyage. Sauf peut-être le poète, qui, « le nez collé au crépuscule », contemple, de haut, de loin, de derrière sa fenêtre, ce que lui offre la vie. Peut-être est-il cet homme chenu qui, depuis le balcon de la première de couverture, se penche pour regarder la vie qui passe ? Ou cet autre, plus loin, « accoudé à la rambarde », qui « fume et regarde les ronds qu’il fait se / mélanger à l’air bleu »… N’est-ce pas là une manière originale de voyager, l’air de rien, entre intérieur et extérieur, dans la mémoire et dans les songes ?

    Tout le monde est tout le temps en voyage. Sous ce titre aux accents familiers, empreints d’une bouderie enfantine qui fait sourire, n’est-ce pas tout l’humour d’Emmanuel Moses qui se profile, entraînant dans son sillage une invitation au voyage immobile ? Car chacun des poèmes qui composent ce recueil est à lui seul une invitation vers l’ailleurs. Souvent sur/en quelques vers à peine. Un ailleurs multiple, secrètement abouché au temps, fait de souvenirs heureux, liés à l’enfance, de généalogie familiale douloureuse, exils errances « enfer des camps » ; de cérémonies festives « aux parfums de Terre Sainte », de déambulations au Louvre qui conduisent le poète vers les cinq grandes réalisations bibliques de Nicolas Poussin, de séjours au bord de la mer, de visions déroutantes et de rêves. De réflexions sur l’après-vie.

    « Tout allait bien jusqu’au moment où tu es mort ;

    C’est alors que les choses se sont compliquées… ».

    Car, derrière l’humour, pointe le sérieux des réflexions, lequel ouvre sur les abîmes philosophiques qui habitent le poète. Ainsi, de la pensée du « hasard » et de « la nécessité », héritage de Démocrite ; de ce verset de la Genèse, illustrant l’aveuglement des hommes ; ou encore de ce rêve où se pose la difficile question du pardon.

    Il arrive que le monde extérieur se révèle agressif et violent. Le poète se replie alors, fenêtres closes, pour échapper à la destruction. L’espace réduit en « cendres de silence ». Les poèmes sont une étoupe dont il faut tirer les fils, l’un après l’autre, pour se rapprocher du centre et peut-être en cerner le secret. Les questions se pressent, qui interrogent le travail entrepris. Quel en est le but et le sens ?

    « Les fils ramassés en écheveau

    Tout ce travail de la pensée vain comme le mouvement des vagues et des nuages

    Quel est cependant son secret ?

    De quel voyage est-il le but ignoré ?

    Comment trouver le sens de sa peine perdue ? » .

    Le poème peut se poser en énigme où s’affrontent, en quatre vers, infiniment grand et infiniment petit. Le poète n’a pas son pareil pour pirouetter entre absurde et fantaisie. Puis, tournant le dos à son constat premier, laisser ses auditeurs à leur perplexité:

    « Un moustique a dépassé Dieu

    Mais peu importe au fond

    Je ne sais pas pourquoi je vous annonce cette nouvelle

    De toute façon il n’y a rien à voir. »

    Derrière la fenêtre, paupière qui ouvre et ferme sur le rêve, les voyages, multiples, prennent des voies inattendues. Des sirènes séductrices entraînent le dormeur dans des espaces nimbés d’érotisme imprévu. Ailleurs, les extrêmes se rapprochent comme dans la Bethléem « flamande », souvenir de l’univers de Brueghel. Le dernier vers qui clôt la section « Tardives » — « Oiseau, poisson de l’éternité » — fait résonner en moi ces deux vers de Bestiaire d’Apollinaire :

    « Est-ce que la mort vous oublie

    Poissons de la mélancolie ».

    L’oubli ? Présent dans les poèmes d’Emmanuel Moses, il l’est jusque dans la peinture de Tereza Lochmann en hors-texte dans la partie médiane du recueil. L’artiste en propose une interprétation personnelle. La toile représente un homme en pleine réflexion, les yeux bandés. Devant lui, sur un carton, sont inscrits ces mots : « Our sensuality is a longing for oblivion » / « Notre sensualité est un désir d’oubli ». Tirée du Guépard (œuvre de Tomasi di Lampedusa), cette phrase est adressée par le Prince Salina — dernier représentant d’un monde ancien en train de disparaître — au sénateur Chevalley. La sensualité est chez le prince perçue comme un remède pour oublier que l’homme est mortel ; pour oublier que tout ce que l’homme entreprend et à quoi il reste attaché est voué à l’effacement et à la disparition.

    Fidèle à ce qui l’habite en profondeur, Emmanuel Moses décline pour notre plus grand plaisir ou notre tout aussi grande perplexité, nombre de paysages et de récits qui façonnent son arrière-pays culturel et sentimental. Lequel ouvre, à la manière des poupées russes, sur des perspectives inédites et des interrogations nouvelles :

    « Je me rends compte – autre découverte — que ce texte a pour sujet secret l’abréviation graphique « etc. », comme si son thème souterrain était cela : et ainsi de suite ce qui correspond finalement à son idée première : je suis la suite de mes ancêtres et après moi mes descendants prendront ma suite. Etc. » (in « Une tombe dans la plaine »).

    Il inclut dans cette suite son fils Jonas, à qui il lègue ce lourd patrimoine et à qui il dédie le second texte en prose de cette même section qui n’en comporte que deux :

    « Mon fils, en caressant du doigt leur absence [l’absence des objets] chuchotait quelque chose comme on murmure à l’oreille d’un mort ce que l’on veut qu’il emporte avec lui comme message pour son dernier voyage. La cage d’escalier baignait dans une lumière irréelle, celle de l’enfer, sans aucun doute, un enfer qui ne serait pas au-delà de cette vie mais en retrait d’elle, dans son dos. »

    Semblable à l’ange de la mélancolie — peinture de Tereza Lochmann —, ailes repliées et visage reposant entre les bras croisés, le poète veille. Perdu dans la « selve obscure des rêves », il s’offre cet inconnu que le cœur lui réserve, palpitant entre diastole et systole.

    « Le cœur s’ouvre et se ferme

    Il est une fenêtre rouge

    Qui donne sur l’inconnu. »

    Un inconnu palimpseste, qui, bien souvent, gît dans le nombre 3.

    Trois vers, comme dans le Mardi des « Quatre jours » (première section du recueil) ; ou comme les 3 nom(bre)s de Promenade : « Ton ombre » / « Ton nom » / « tes chagrins » ; lesquels complètent les trois mots clés du premier poème de cette même section : « Ma langue » / « Mes souvenirs » / « Mes chagrins » ; ou encore comme les trois rêves présents dans « Une collection de rêves » ; ou dans « trois syllabes » — « de son prénom » — « qui se sont dissoutes dans l’air/bleu du jour » (dans la section « Fougeroles »).

    Tout un décor crypté se dessine dont l’on pressent qu’il est parfois difficile de se séparer tout comme il est difficile pour le poète de se défaire de ses propres contradictions. Ainsi en est-il de semer « les moineaux » (« langue » / « souvenirs » / « chagrins ») qui l’assaillent et que pourtant il ne cesse de nourrir ; ou d’échapper aux symboles qui toujours le poursuivent. Quant au temps, si difficile à cerner, il l’est tout autant à définir. Seules des comparaisons inattendues permettent d’en approcher les contraires ;

    « Le temps s’enfonce de plus en plus dans son contraire

    Comme l’aiguille d’acier dans la peau tendre

    Comme les bêtes noires dans les buissons enneigés ».

    Le lecteur pourrait penser qu’avec les poèmes rassemblés dans « Fougeroles », dernière section du recueil, le voyage entrepris gagnerait en légèreté printanière. Il n’en est cependant rien. Même si le renouveau de la nature se manifeste par éclats de beauté et de lumière, l’esprit du poète demeure le même. Meurtri par les séparations, hanté par les ombres, rivé à l’obsédante « attention aux signes du passé », le poète est toujours habité par la pensée fidèle de la mort :

    « Parvenu au seuil

    Dépose les insignes de la vie

    Montre, clés, lunettes

    Et franchis-le d’un bond

    Entre

    Une fois dépassée la fin — enjambée —

    Dans l’éternel entretien. »

    Des fragiles fougeroles, il ne restera entre les amants que « le souvenir / des

    fougeroles

    fixées, frôlées, foulées, froissées. »

    Rien d’étonnant dès lors que le recueil d’Emmanuel Moses se close sur le plus étrange des poèmes. « Extraterrestre ». Un hommage singulier — détourné peut-être — au « grand poète victorien » Gerard Manley Hopkins. Poème visionnaire « irrévérencieux » dans lequel Emmanuel Moses associe et assemble ce qui, en poésie, et plus encore dans un « envoi », peut passer pour une remarquable inconvenance. De ce mélange des tons et des genres, le poète fait un cocktail macabre dérangeant et néanmoins drôle. Ce qui n’est plus vraiment pour nous surprendre. Ainsi peut-on lire dans le même poème (le plus long du recueil) l’admiration sincère que voue le poète français à son homologue britannique, et la marque de son ludique irrespect :

    « Je pense sincèrement qu’Hopkins était un ange

    Il a vécu en ange, il est mort en ange et lire ses

    poèmes c’est entendre parler un ange.

    […] C’est irrévérencieux d’associer dans un même poème

    Hopkins et un rectum, j’en conviens.

    Je n’y peux rien. »

    Ainsi Emmanuel Moses, pour qui « les mots sont des revenants/[a]uxquels nous donnons une nouvelle vie », fait-il revenir par les siens, sur les devants de sa scène poétique, le nom de ce poète « ardu » qui influença les plus grands : T.S. Eliot, Wystan H. Auden et Dylan Thomas. Et peut-être même, plus près de nous, Emmanuel Moses lui-même.

    Un « revenant », Hopkins, sous la plume d’Emmanuel Moses ? Un « élu » plutôt, promis à la Rédemption ? Peut-être faut-il lire sous les mots de la poésie de Moses un tremplin pour accéder au salut ? Même éphémère, même ludique, le salut respire sur la page.

    Dans le vers de Léon-Paul Fargue choisi par Moses en exergue à ce recueil : « Il fait si doux qu’on est sauvés ». Puis dans le premier poème de « Spectatrice de l’océan » :

    « Ici, voyageur, tu seras

    un homme nouveau,

    Et toi qui l’accompagnes

    Silencieuse, âme cachée,

    Tu seras récompensée d’un regain de lumière. »

    Par ce « regain de lumière » et pour cet « homme nouveau » qui se fraie un passage entre les vers, le voyage sotériologique d’Emmanuel Moses ouvre une fenêtre sur l’espoir. Et, pour cette raison même, vaut la peine d’être entrepris.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Emmanuel Moses   Tout le monde est tout le temps en voyage 2




    EMMANUEL MOSES


    Emmanuel Moses
    Ph. © Jean-Luc Bertini
    Source




    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes


    Tardives (poème extrait de Tout le monde est tout le temps en voyage)
    [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    Dona (lecture d’AP)
    [La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
    Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    [Derniers feux](extrait d’Ivresse)
    [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    Quatuor (lecture d’AP)
    [Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
    [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)




    ■ Voir aussi ▼


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  • Emmanuel Moses | Tardives


    TARDIVES
    (extrait)




    Tout allait bien jusqu’au moment où tu es mort :
    C’est alors que les choses se sont compliquées :
    Personne ne t’avait appris à te débrouiller

    sans tes cinq sens,
    À voler hors de l’espace ni à nager hors du fleuve

    du temps.
    Et pourtant, tu t’en es sorti,
    Oiseau, poisson de l’éternité !




    Emmanuel Moses, « Tardives », Tout le monde est tout le temps en voyage, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2020, page 32. Dessins de Tereza Lochmann.






    Emmanuel Moses   Tout le monde est tout le temps en voyage 2





    EMMANUEL MOSES


    Emmanuel Moses
    Ph. © Jean-Luc Bertini
    Source




    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes


    Tout le monde est tout le temps en voyage (lecture d’AP)
    [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    Dona (lecture d’AP)
    [La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
    Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    [Derniers feux](extrait d’Ivresse)
    [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    Quatuor (lecture d’AP)
    [Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
    [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)




    ■ Voir aussi ▼


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  • Valéry Meynadier | [Je veux choyer votre absence]


    [JE VEUX CHOYER VOTRE ABSENCE]




    Je veux choyer votre absence
    Lui parler
    Me caresser à travers elle
    La bénir
    Elle existe & vous contient toute entière

    Mais
    Si
    Elle devait persister
    Alors que j’ai dit à mon ventre
    À mon âme

    Si
    Elle rentrait dans la durée

    Attaquée au burin



    Vous ne me manquez pas
    Ce n’est pas du manque
    Plutôt une urgence qui brûle

    J’ai fait ce que j’avais à faire
    Même mourir

    Mes affaires sont en règle

    Je n’ai plus qu’à vous aimer




    Valéry Meynadier, La Morsure de l’ange, éditions Al Manar, Collection Erotica, 2020, pp. 28-29. Encres de Rachid Koraïchi.






    Valéry Meynadier  La Morsure de lange 2




    VALÉRY MEYNADIER


    Valéry Meynadier NB 2
    Source




    ■ Valéry Meynadier
    sur Terres de femmes


    Divin danger (lecture d’AP)
    Daou (extrait de Divin danger)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Valéry Meynadier
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    une notice sur Valery Meynadier




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  • Isabelle Junca | L’île-mer


    L’ÎLE-MER
    Photomontage, G.AdC







    L’ÎLE-MER
    (extrait)





    Mon père l’affirmait : il y a des îles-mer et des îles-terre.

    La Corse et la Sardaigne seraient des îles-terre et Chypre, une île-mer.

    Un carrefour, aussi. Je ne sais pas pourquoi, mais c’est là que je vais.

    Peut-être pour la Vénus de Botticelli ; ou peut-être simplement, pour aborder aux rivages de l’île d’une Aphrodite écumant de désir. Engendrée par Aphos, née de l’écume marine, portée par Zéphyr jusqu’à son rivage,

    la belle posa les pieds sur un rocher.

    Au commencement étaient le Ciel et la Terre,

    était l’infini du désir.

    Crépuscule rougissant d’un monde embrasé, comme ceux dont les soirs du sud tapissent nos ciels de lits.

    Puis vint le temps et son recommencement.
    Et le ciel et la mer eurent le bleu en partage, et

    l’horizon comme fusion.

    Tout homme qui regarde la mer regarde peut-être vers Chypre et l’immortalité.

    Chypre, aérée et bienheureuse.
    Chypre, entre Orient et Occident, saluée par Homère comme « l’île au large ».

    Chypre, cette île où le soleil donne, brillant d’un éclat cuivré ondulant surs ses mèches échappées.

    Mon échappée.

    La tienne : le ciel.



    Isabelle Junca, « III. L’île-mer », La Pier de C. ou La mer regarde, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2020, pp. 20-21. Peintures d’Abdallah Sadouk.






    Isabelle Junca  Le Pier de C




    ISABELLE JUNCA


    Isabelle Junca
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Isabelle Junca





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  • Béatrice Marchal | [Ce sera l’hiver]


    [CE SERA L’HIVER]




    Ce sera l’hiver

    un soleil pâle sortira
    lentement de la brume

    dans la campagne blanchie par le givre
    on se rappellera
    sans savoir pourquoi la forêt
    par une nuit de grand vent la houle des arbres
    et l’eau de l’étang qui brasillait sous la lune

    sans savoir non plus où la vie fut plus intense,
    dans l’agitation le nombre l’obscurité
    ou dans le dépouillement la paix la clarté.




    Béatrice Marchal, L’Ombre pour berceau, éditions Al Manar, 2020, page 10. Aquarelles de Caroline François-Rubino.






    Béatrice Marchal  L'ombre




    BÉATRICE MARCHAL


    Béatrice Marchal  portrait
    Source




    ■ Béatrice Marchal
    sur Terres de femmes


    Au pied de la cascade (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Dans l’écho de pas anciens (poème extrait d’Élargir le présent)
    [Quelle part de soi a-t-elle sombré] (poème extrait de Résolution des rêves)
    Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [Ce que tu as cru voir courir à vive allure] (poème extrait d’Un jour enfin l’accès)




    Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur L’Ombre pour berceau





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Lydia Padellec | Dans la nuit profonde du jour


    DANS LA NUIT PROFONDE DU JOUR
    (extrait)





    Tu graves sur la pierre
    l’empreinte de l’insecte
    tes peurs d’enfant
    prises dans la toile
    te hantent encore
    au fond d’un tiroir
    mais confiante tu guettes
    les pas de la lune
    sur ton chemin



    Assis contre la nuit
    tu feuillettes un livre
    aux pages blanches
    petite fille aux allumettes
    les poèmes défilent
    sous tes yeux ébahis
    un air de brume
    te prend par la main
    et les mots transis
    palpitent dans tes oreilles



    Dans l’épaisseur
    d’un mur opalescent
    lumière et ombre
    chuchotent –
    tu as beau vouloir
    gommer les rides
    – rictus du temps –
    la mer te laisse l’empreinte
    indélébile
    de l’enfant sur ta peau




    Lydia Padellec, « I. Dans la nuit profonde du jour », Cicatrice de l’Avant-jour, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2018, pp. 18-20. Gravures de Marie Alloy.






    Lydia Padellec  Cicatrice de l'Avant-jour



    LYDIA PADELLEC


    Lydia Padellec portrait
    Source




    ■ Lydia Padellec
    sur Terres de femmes


    [C’est dans l’intimité du brin d’herbe…] (autres extraits de Cicatrice de l’Avant-jour)[+ une notice bio-bibliographique]
    Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire) [extraits]
    « Île muette » (extrait de Mélancolie des embruns)
    [Ma chambre, c’est mon sanctuaire] (extrait de Mémoires d’une enfant dérangée)
    → (dans l’anthologie Terres de femmes)
    La mère [extrait d’Entre l’herbe et son ombre (Titre provisoire)]




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Cicatrice de l’Avant-jour
    Sur la trace du vent, le blog personnel de Lydia Padellec
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique (+ des extraits)





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  • Luis García Montero | Los idiomas persiguen el desorden que soy


    [LOS IDIOMAS PERSIGUEN EL DESORDEN QUE SOY]



    A Elisa



    Mi nombre es Luis,
    soy español,
    vivo en Madrid,
    en el número uno, calle Larra,
    me dice usted la hora, por favor,
    ¿dónde ha nacido usted
    y cuántos años tiene?,
    buenos días, amigo,
    buenos días, mi amor, te quiero mucho.

    Confieso que no tengo
    facilidad para estudiar idiomas.
    He copiado mil veces las frases y procuro
    aprender de memoria, poco a poco,
    preguntas y respuestas.
    Pero me acabo siempre confundiendo
    y a los demás les digo
    ¿dónde está mi te quiero?,
    vivo en Luis
    y soy las doce y media de la noche.
    Nadie ha podido nunca pasear
    por el número uno
    sin romper el espejo de las horas
    y de su propio rostro.

    ¿Me dice, por favor, qué significan
    el tú y el yo, la edad y la palabra España?

    Los idiomas persiguen el desorden que soy,
    y así los predicados de altas temperaturas
    y los verbos de nieve
    me tratan sin piedad
    igual que a los sujetos derretidos.
    No me resulta fácil,

    pero a veces entiendo
    la nostalgia de orden que tienen mis poemas.







    [LES LANGUES SONT À L’IMAGE DU DÉSORDRE QUE JE SUIS]



    À Elisa



    Mon nom est Luis,
    je suis espagnol,
    je vis à Madrid,
    au numéro un, rue Larra,
    avez-vous l’heure, s’il vous plaît
    où êtes-vous né ?
    et quel âge avez-vous ?,
    bonjour, l’ami
    bonjour mon amour, je t’aime beaucoup.

    J’avoue que je n’ai pas
    de don pour apprendre les langues.
    J’ai copié mille fois les phrases et je m’efforce
    à apprendre de mémoire, peu à peu,
    questions et réponses.
    Mais je finis toujours par mélanger
    et je dis aux gens
    Où est moi je t’aime ?
    je vis au Luis
    et je suis minuit et demi.
    Personne n’a jamais pu se promener
    au numéro un
    sans briser le miroir des heures
    et de son propre visage.

    Dites-moi, s’il vous plaît, que signifient
    le toi, le je, l’âge et le mot Espagne ?

    Les langues poursuivent le désordre que je suis,
    et c’est ainsi que les attributs de hautes températures
    et les verbes de neige
    me traitent sans pitié
    comme ils traitent les sujets fondus.
    Ce n’est pas simple pour moi,

    mais parfois je comprends
    la nostalgie de l’ordre qu’ont mes poèmes.



    Luis García Montero, « Le Mot », Une mélancolie optimiste | Una melancolía optimista [Visor libros, Collection Visor de Poesía, 2019], anthologie bilingue espagnol-français, traduite par Françoise Dubosquet-Lairys, éditions Al Manar, Collection Méditerranées, 2019, pp. 31-34.






    Luis Garcia Montero  Une mélancolie optimiste



    LUIS GARCÍA MONTERO


    Luis_garcia_montero  portrait 2
    Source




    ■ Voir aussi ▼


    le site officiel de Luis García Montero
    → (sur remue.net)
    le poète Luis García Montero, par Annie Fiore
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Une mélancolie optimiste






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie

    par Angèle Paoli

    Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige (Carnets 2012-2017),
    éditions Al Manar, Collection Approches & Rencontres, 2020.
    Encres de Jérôme Vinçon.



    Françoise Ascal, Variations-prairie,
    suivi de Mille étangs, Lettre à Adèle, Colomban,
    éditions Tipaza, 2020.
    Peintures de Pascal Geyre.



    Lectures d’Angèle Paoli


    « JE DÉROULE LE RITUEL, CANTATE DE BACH, CIGARE »





    Je lis Françoise Ascal. Je lis en alternance Variations-prairies et L’Obstination du perce-neige. Les deux ouvrages me sont parvenus quasi simultanément. Comment ne pas naviguer-divaguer devant pareille coïncidence. Comment ne pas me laisser porter par elle ?

    Dans les Carnets qu’elle tient de 2012 à 2017, carnets intitulés L’Obstination du perce-neige, Françoise Ascal évoque, par touches disséminées entre les pages, les textes de différents chantiers d’écriture en cours. Dont celui de Variations-prairies. Lecture en regard, d’un livre l’autre. Des encres de Jérôme Vinçon aux peintures de Pascal Geyre. Variations de verts et de bruns pour le premier recueil. Paysages d’encres noires pour le second. Ponctuations. Respirations. Les Carnets comme laboratoire d’une écriture en cours d’élaboration. Les Carnets comme quête constante de concision/tension/économie, dont l’idéal serait le « poème-journal » ; à la façon d’Antoine Émaz dans les poèmes de Limite ; ou à la manière de Yannis Ritsos dans son Journal de déportation. Résister à « l’ensorcellement du langage ». À la manière de Wittgenstein. Un pari difficile. Ou bien se tourner vers la pratique du haïku dont le poète américain Richard Brautigan louait la faculté de « concentrer l’émotion, le détail et l’image pour aboutir à une espèce d’acier trempé dans la rosée » (19 janvier 2017).

    L’Obstination du perce-neige est questionnement incessant sur la vie et sur les choix que celle-ci met au jour. Sur l’irruption de la maladie qui infléchit le cours des choses. En même temps qu’elle transforme le regard posé sur tout ce qui leur donnait un sens ; qui impose de faire le point sur l’essentiel – le vital – et le superflu ; qui interroge l’écriture au jour le jour dans son rapport avec le monde et dans sa relation à l’autre ; qui expose au grand jour les doutes et les découragements que la maladie engendre inévitablement ; et révèle les multiples façons qu’a la poète de rebondir. Grâce aux forces vives que sont la musique (Bach, Schubert qu’interprète Radu Lupu, Beethoven, Mendelssohn…) et la peinture (Gérard Titus-Carmel, Alexandre Hollan…) ; la poésie et la calligraphie ; grâce à l’ouverture qui est celle de la poète à d’autres modes de pensée et manières de se penser ; grâce à sa culture, qui est vaste, et grâce à son inépuisable champ de lectures qui ouvre sur de multiples horizons ; grâce à son regard tendre et bienveillant sur la nature qui l’entoure et sur les beautés qu’elle recèle. Si modiques soient-elles ; et qui l’emportent sur toutes les contingences, les pesanteurs et les peurs, innombrables, qui ne sauraient avoir raison de sa vie. Pareille au perce-neige, la poète rejoint « ces petites vies qui cultivent le ralentissement et la profondeur protectrice ». Avec quelle force vitale !

    Inspiratrice, synonyme de paix, de sérénité retrouvée, la « prairie » aimée a pour nom Melisey. Elle est le Lieu par excellence, celui vers lequel revenir toujours et se ressourcer. Où s’emplir de lumière et du chant des oiseaux. Où accueillir le ronronnement familier du tracteur et le cri des corbeaux, pareillement aimés.

    « La prairie est un vide éblouissant dans l’enclave des jours. Une porte qui s’ouvre sur le tokonoma intérieur », écrit Françoise Ascal dans Variations-prairies.

    La prairie et ses racines multiples, archaïques. La poète lui redonne vie en assemblant dans un même damier de verdure – Variations-prairie – des textes aussi divers par leur forme et par leur propos que Mille Étangs, Lettre à Adèle et Colomban. C’est que Françoise Ascal s’y entend pour établir des passerelles. Entre les hommes, les espaces et les temps. Continuité et métamorphoses.

    Dans la prose poétique de Mille Étangs, la poète se laisse aimanter par le mot « source » qui draine avec lui toute une toponymie où l’eau perce « sous toutes ses formes, avec ces gouttes et goulottes, ces noies et ces fonts, ces gouilles et ce Ruisseau de la Mer qui prend source sur le plateau, rappelant un passé lagunaire, encore visible dans les couches de grès coquilliers. »

    En écho au « monde flottant » de Mille Étangs, ces notes du 2 mai 2015 :

    « Melisey avec V. Tout le voyage sous la pluie battante […] Dès notre installation faite, nous partons avec bottes et parapluies à l’étang de la Pierre plate. Vision japonisante des rochers luisants, moussus, des jeunes pousses d’épicéa, des boutons de saule. Ça ruissèle de partout. Rivières et étangs ont un haut niveau, parfois sont en crue […] Tout est simple. Harmonieux. Accordé… »

    À la date du 27 juillet 2014, Françoise Ascal évoque le poème qu’elle écrit pour Adèle. L’aïeule ? De « l’avant-naître » (Lettre à Adèle) :

    « Écrit à partir du noir des myrtilles. Le texte m’emporte dans une exploration de substance à la manière des rêveries bachelardiennes. Je laisse les associations venir librement, comme dans le poème pour Adèle avec l’apparition “des baies de datura” dont je viens de découvrir qu’elles étaient utilisées dans l’antiquité par les sorcières. »

    « Adèle, ma source et mon fardeau. Ma pesante poignée d’humilité. Liens de paille et de chanvre, nœuds de raphia, baies de datura au creux de la paume.

    Adèle ma douce empoisonneuse

    ma semblable

    ma sœur. »

    confie la poète dans le poème au datura (Lettre à Adèle). Je relis la Lettre à Adèle. L’énigmatique Adèle, la silencieuse de l’enfance. La presque invisible. Pourquoi écrire sur cette aïeule un long poème épistolaire ? Sur le tard ? Qu’attendre du mystère de la paysanne en tablier ? Sans doute une délivrance. Que la poète exprime dans cette adresse inattendue mais claire et décidée :

    « Chères ancêtres, je vous ai assez retenues sous ma peau. Je peux me permettre d’évacuer vos traces. Faire dans la maison ce que mes reins ne parviennent plus à faire dans mon corps. »

    Ainsi s’adresse la poète à celles qui l’ont précédée. Le 6 août 2014.

    Adresse, mais sans doute aussi révélation d’un amour tardif pour celle qui habite aujourd’hui dans les murs d’Adèle et contemple la même prairie que l’aïeule. Quelque chose comme une reconnaissance qui va peut-être mettre la poète sur la voie d’une réconciliation avec sa propre mère. Mère complexe dont la poète a peur et dont elle retrouve en elle la trace, la marque, la présence intimes.

    Ainsi de cette litanie des peurs du 10 novembre 2017 :

    « Peur de ce que j’ignore de mon enfance. Peur d’avoir mal connu ma mère. Peur de ma mère. Peur de ne pas l’avoir aimée. Peur de revenir à la solitude de mes cinq ans. »

    Et, quelques jours plus tard, cet aveu du 7 décembre lié aux derniers souvenirs et à l’avant-dernière page de L’Obstination du perce-neige :

    « Près du feu, dans le fauteuil d’osier, je revois ma mère âgée au moment des Noël, lorsqu’elle venait passer quelques jours ici. Je sens ses gestes dans les miens. Je retrouve dans mes paumes la manière particulière dont elle joignait les mains. Je suis celle qu’un doigt de whisky et un peu de musique raniment pour un instant. Je suis à sa place. C’est mon tour. Je vois son vieux châle mauve, hérité de sa propre mère, jeté frileusement sur ses épaules.
    Il faudrait accepter comme elle-même l’a fait.
    Sans gémissements.
    Sans peser sur personne. »

    De l’une à l’autre femme, un même aveu d’amour. Une même leçon de vie. Qui prend en compte la mort.

    « Je ne sais pas qui tu es. Mais j’existe, à tes côtés.

    Là plus qu’ailleurs. » (Lettre à Adèle)

    Quant à Colomban, moine irlandais du VIe siècle à qui la poète consacre réflexions et pensées, Françoise Ascal en doit la découverte à sa dilection pour la région de Melisey :

    « Si j’ai découvert Colomban, c’est en raison de mon attachement au pays des mille étangs et non l’inverse. Cependant je ne soupçonnais pas que j’allais croiser chez lui une passion de l’écriture qui allait faire écho à la mienne. Des années durant, j’ai travaillé le geste calligraphique auprès d’un maître irakien, dépositaire de la tradition de l’époque de Bagdad… ».

    Et, à la date du 10 août 2017, la poète note dans ses Carnets :

    « Balade à Saint-Colomban. C’est un lieu qui évoque les petites chapelles bretonnes visitées durant plusieurs étés au moment de “L’art dans les chapelles”. Rencontre alchimique entre la roche, les arbres, la pierre, le ciel. Une densité qui diffuse son énergie. »

    Le terreau commun à ces textes, leur lien intime et presque charnel, c’est le pays de Melisey, ses déclinaisons de verts, ses jeux d’ombres et de lumières, et les reflets toujours changeants de Mille Étangs. Un univers de fougères et de mémoire, propice à la méditation mais tout autant aux vagabondages de la pensée. Au voyage intérieur. Bashô n’est jamais bien loin, ni les leçons d’un Tchouang-Tseu.

    Melisey. Un nom tout en miel et en douceur. Le 14 septembre 2015, Françoise Ascal note :

    « Commencé un premier texte sur le thème “Variations-prairies”. »

    La prairie de 2015 – qui a remplacé le « pré » de l’enfance à Villemomble – appartient à la « mythologie » personnelle de la poète, celle qu’elle s’est construite au fil du temps et qui fait partie intégrante de sa personne. Elle est le lieu fondateur, ce lieu qui la met provisoirement en correspondance avec les mots de Pascal Quignard :

    « Nous dépendons de nos lieux plus encore que de nos proches » (Dernier royaume, IV)

    et qui lui fait écrire, le 27 août de la même année :

    « Ici, la prairie est un tapis de prière aux contours limités qui crée à la fois un espace d’intériorité et une vastitude dont on se sent faire partie. Ma discipline de chaque jour est de contempler la prairie de telle sorte que j’y apprenne sa vérité ; et qu’ainsi elle m’apprenne la mienne. »

    La prairie de Melisey, « un espace mandala » nécessaire à la re-centration de soi, laquelle passe par l’observation attentive du minuscule qui surgit à ras de terre, par la rêverie fluide sans contrainte et par la méditation. Et toujours, lorsque le regard s’élève, ce jeu de la lumière à travers les grands arbres. Et les ciels dans leur mouvance. Corot, le peintre tant aimé, n’est jamais éloigné dans la pensée de la poète, qui écrit :

    « Étrange, cette obsession de la peinture en surimpression du paysage réel. » (10 août).

    Un mois plus tard, alors que la maladie taraude, qu’elle ramène l’angoisse au premier plan, la poète note : « Développer le côté “prairie” et sa lumière. » Camille Corot, le maître, le guide plutôt, et sa présence apaisante, sa modestie qui lui fait dire, regardant le ciel par la fenêtre ouverte, peu avant sa mort : « il me semble que je n’ai jamais su faire un ciel. » Corot qui peignait dans la lenteur et le silence, en pleine nature. Corot à qui Françoise Ascal a consacré tout un livre : La Barque de l’aube. Mais « la figure bachelardienne » de Corot n’est pas seule à inspirer la réflexion de Françoise Ascal. Avec Corot, il y a Constable, ses ciels et ses nuages. Constable et sa campagne anglaise, son souci de « voir le paysage comme il est, sans lui superposer une narration… ». Constable qui s’inscrit tout entier dans la lignée de Claude Lorrain. Mais Corot, son « fil de lumière », toujours revient sous la plume de la poète. Sa quête personnelle la ramène sans cesse à lui. Ainsi, le 19 mars 2017, écrit-elle :

    « Mon texte sur Corot vient au jour avec fluidité. Corot est un humble, un modeste. Il ne fait pas peur façon Grünewald. C’est un proche. »

    Avec Mathias Grünewald et la majesté imposante du retable d’Issenheim, Françoise Ascal parviendra-t-elle au bout du chantier auquel elle s’est attachée ? Ce travail l’obsède, qui la met à mal et qui nourrit ses doutes :

    « Relu le poème de Margherita Guidacci sur Grünewald. Il me faut porter sur l’œuvre un regard aussi pénétrant que le sien… » (20 février 2016).

    Ou encore :

    « Je travaille le Grünewald. Hâte de tourner la page de la douleur. Développer le côté « prairie » et sa lumière. Creuser la lumière » (28 septembre 2016).

    Et le 7 octobre de la même année :

    « J’ai retravaillé mon Grünewald. Je rêve déjà à autre chose. Fermer les yeux et laisser la main courir. Vers ce que j’ignore, vers l’inconnu de soi, car même à mon âge il y a de larges plages d’inconnu. »

    Françoise Ascal exploratrice. Exploratrice de mondes lointains, dans le temps et dans l’espace. Mais en elle-même aussi. Et là est sa plus haute interrogation, son arrière-pensée d’angoisse la plus prégnante :

    « Après des mois de vie affadie par les problèmes de santé, puis-je renouer avec l’intensité d’une vie intérieure colorée, vibrante ? (25 octobre 2016).

    Lucide et inquiète, la poète appartient « à un monde en voie de disparition », un monde qu’elle ne reconnaît plus. Dont l’étrangeté et la cruauté la font souffrir. Pourtant, il n’est qu’à lire les pages des Carnets pour croiser un nombre infini de noms familiers. Écrivains, poètes, éditeurs, artistes forment et animent à ses côtés ce petit « monde clos de la poésie ». Françoise Ascal le fréquente de longue date. Ce dont témoigne l’œuvre imposante qui est la sienne.

    Il n’empêche. Les interrogations multiples qui traversent la poète, les doutes qui la fragilisent, nous la rendent tout à la fois très proche, très humaine, et très tendrement présente. Ma proximité avec la poète s’est affinée à la lecture de ces deux ouvrages et je peux aujourd’hui avouer que cette proximité est grande. Ainsi, comment ne pas partager cette réflexion du 13 février 2017 dont je perçois bien les mille nuances ?

    « Je crains que mes prairies métaphysiques soient loin de ce qu’attend un lecteur d’aujourd’hui. Je suis dans une lenteur méditative contraire à l’air du temps.

    Je ne peux pas parler de ce que je ne connais pas. La ville. Les réfugiés. L’exil. La guerre. Cela a-t-il encore un sens d’évoquer la lumière sur une lisière d’arbres ? Est-ce un luxe insolent ? Une provocation dans le désastre ambiant ? Une ultime résistance ? »

    Et comment ne pas avoir un sourire complice à la lecture de cette note écrite loin de Melisey ?

    8 septembre (2017)

    « Retour à St. B. Aujourd’hui premier feu. Je déroule le rituel, cantate de Bach, cigare. C’est peut-être le seul moment qui pourrait ressembler à ce qui se passe de singulier face à la prairie. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli





    Claudine Bertrand  Sous le ciel de Vézelay





    Françoise Ascal  Variations-prairie



    FRANÇOISE ASCAL


    Ascal-Francoise-par-michel.durigneux2
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    Lignées (lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    Mille étangs
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél)
    une fiche bio-bibliographique sur Françoise Ascal
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur L’Obstination du perce-neige de Françoise Ascal
    → (sur le site des éditions Tipaza)
    la fiche de l’éditeur sur Variations-prairie de Françoise Ascal
    → (sur Terres de femmes)
    Margherita Guidacci | Tentation de saint Antoine (retable d’Issenheim)





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