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  • 5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige

    Éphéméride culturelle à rebours



    2017





    5 août

    Chutes de Miellin. Ce lieu est toujours aussi moussu, aussi japonisant que dans mon souvenir. Il y a plus de cinquante ans, je m’y baignais nue, avec un corps solide de jeune fille éprise des fougères.

    Mélancolie en songeant à ma vie, en la considérant de l’extérieur, comme une chose presque achevée. Une petite vie. Sans grandes audaces. Aurais-je pu faire mieux ?


    6 août

    Lecture de Joël Cornuault, Ce qui fait oiseau. Beaucoup aimé cette notion, chez lui, d’« écarter les branches ». Oui, « il suffit parfois d’écarter les branches ». Et aussi : « Nos dialogues, engagés par hasard, avec des oiseaux de petite taille se prêtent admirablement à cet allègement du monde par allègement de soi. Plotin a dit que l’on ressemble à ce que l’on contemple ».


    7 août

    Jaccottet évoque les dix mots du poète Buson (dix-sept syllabes dans l’original) « assez limpides pour tinter au chevet d’un mourant comme une clochette de temple annonçant qu’une porte va s’ouvrir ». Il parle aussi de « descension », opposée à l’ascension de Dante vers le paradis, une descension vers le plus humble, « les verdures basses » dont « nous serons un jour, avec un peu de chance, revêtus ».


    9 août

    Ici, comme dans une estampe japonaise, le proche et le lointain paraissent contigus, sur un même plan vertical. Continuité de l’herbe au ciel, tandis que la lumière commence à décliner.
    Plénitude qui ne peut se dire. L’éprouver suffit. Je voudrais posséder moins. Laisser davantage de vide pour qu’elle puisse surgir. Est-ce cela que je cherche ici, une vacance de l’être ? Contempler dissout les questions. Ici, plus facilement qu’ailleurs, j’assiste à la disparition de ce qui d’ordinaire est entrave. Comment oser dire que regarder pousser l’herbe, littéralement, s’absorber dans le flux des nuages, écouter la chute de quelques aiguilles de pin est une expérience des plus nécessaires ? Comment soutenir que cela modifie l’humain ? Le rend meilleur, plus tolérant, plus respectueux, plus aimant ?


    10 août

    Balade à Saint-Colomban. C’est un lieu qui évoque les petites chapelles bretonnes visitées durant plusieurs étés au moment de « L’art dans les chapelles ». Rencontre alchimique entre la roche, les arbres, la pierre, le ciel. Une « densité » qui diffuse son énergie.
    La prairie, malgré sa superficie d’un hectare, est un jardin clos. Une forme de vaste non inquiétant. Le contraire de l’infini des Landes. C’est habitable. Les dimensions sont humaines. Les grands arbres bornent le regard. L’au-delà peut devenir désirable, rêvé, imaginé, non imposé comme la ligne d’horizon de la mer. On demeure dans une échelle proportionnelle au corps, au pas, à notre capacité d’appréhension, voire d’étreinte.



    Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige (Carnets 2012-2017), éditions Al Manar, Collection Approches & Rencontres, 2020, pp. 127-129. Encres de Jérôme Vinçon.





    Claudine Bertrand  Sous le ciel de Vézelay



    FRANÇOISE ASCAL


    Ascal-Francoise-par-michel.durigneux2
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (lecture d’AP)
    Lignées (lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Levée des ombres (lecture d’AP)
    Mille étangs
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél)
    une fiche bio-bibliographique sur Françoise Ascal
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur L’Obstination du perce-neige de Françoise Ascal





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  • Angèle Paoli | [Te souviens-tu de la Madonna del Parto ?]


    Madonna del parto
    Piero della Francesca, Madonna del Parto, v. 1455 (particolare)
    Museo della Madonna del Parto, Monterchi








    [TE SOUVIENS-TU DE LA MADONNA DEL PARTO ?]



    Te souviens-tu de la Madonna del Parto ? murmure une voix derrière son épaule. La « Madonna » de messer Piero ? La Madone en robe de velours bleu ? Oui, celle qui pose sa main sur son ventre rond, écarte d’un doigt le plissé du tissu, regard baissé vers l’enfant qu’elle porte et qu’elle sent bouger en elle. Je me souviens des deux anges qui tirent les rideaux d’un dais de théâtre pour lui permettre de prendre place. Sur les devants de la scène, sans doute. Une scène intérieure. Sans parole. Muette. Où était-ce ? Quelque part en Toscane. Dans un petit village un peu à l’écart. Nous avions découvert la fresque de messer Piero dans une chapelle de cimetière. C’était à Monterchi, je crois. N’était-ce pas le village d’origine de la mère de Piero ? Romana di Perini ? Oui, peut-être. Je ne sais plus. Et ensuite ? Ensuite nous avons déjeuné dans une auberge. Une auberge de chasseurs, modeste et un peu triste, comme ce village dont l’unique trésor est cette peinture, protégée, jalousement gardée, surveillée. Comment la Madonna del Parto avait-elle échoué là ? C’est de cela que nous avions parlé, de ce mystère. Qui n’en est peut-être pas un. Piero avait sans doute voulu rendre hommage à donna Romana, sa mère. Je me souviens aussi de la Résurrection de messer Piero. Tu venais de lire le dernier J.-B. Pontalis. Son Dormeur éveillé. Oui. Une rêverie immobile. Les serviteurs du Christ endormis à ses pieds. Bouche ouverte, disais-tu, et dodelinant de la tête. Bouche ouverte ? Vraiment ? En es-tu si sûre ? Il me semble, mais j’invente peut-être. Je sais que le tableau du maître de Borgo t’avait hypnotisée, tenue longtemps absente à toi-même. Comme si tu étais toi aussi sous l’emprise d’un sommeil irréel. De cela seul, je me souviens. De la pinacothèque du Borgo, il ne me reste rien. Tout s’est effacé. Seules les lignes des collines douces se sont inscrites en moi. Je me souviens de ton émoi devant la blondeur de leurs courbes. Tu me disais que Piero Della Francesca les avait admirées bien avant nous, lui qui aimait tant les représenter dans ses paysages.





    Madonna particolare 2






    Madonna particolare 3





    La lecture de ce Dormeur éveillé nous a ramenés tous deux à cet été-là. Un été toscan, lourd de chaleurs et de siestes. C’était l’été de tes trente ans. Je t’avais proposé de passer le mois de juillet à « La Scheggia », dans une villa du Cinquecento. Cette idée t’avait enchantée. La Scheggia ? Une écharde dans le paysage ? Peut-être. J’avais déniché l’adresse du marquis d’A… dans les Carnets d’adresses du Monde. Le marquis était ravi de faire notre connaissance. Il aimait la Corse. Il cabotait, l’été, à bord de son voilier et il lui arrivait de faire halte dans le porticellu de Centuri. Il y avait des amis. Beaucoup d’amis. Le marquis avait décliné pour nous toute une litanie de noms prestigieux. Artistes, gens de lettres, gens d’argent, qui ne faisaient pas partie de ton monde. Ni du mien, bien sûr. Il était reçu dans les plus belles maisons d’Américains disséminées sur les collines environnantes du Cap Corse. Les fameuses maisons aux plafonds peints, signes de fastes anciens. Les haciendas blanches des riches planteurs de canne à sucre, de café, de coton venaient se superposer aux paysages toscans, sous la lumière aveuglante de la Corse. Tu imaginais la vie de tes ancêtres, hamacs et calèches, robes à volants et ombrelles, tous les clichés que les aventuriers du Cap Corse avaient importés de Trinidad ou du Venezuela. […]



    Angèle Paoli, « Parmi les lys d’eau, Alfea », Italies Fabulae, récits, éditions Al Manar, 2017, pp. 9-11. Postface d’Isabelle Lévesque.





    Italies Fabulae 3



    PIERO DELLA FRANCESCA


    Piero della Francesca  Autoritratto 2
    Piero della Francesca, Autoritratto
    Resurrezione (particolare)
    Museo Civico, Sansepolcro





    ■ Piero della Francesca
    sur Terres de femmes


    Yves Bonnefoy | Une silencieuse ordalie
    Erri De Luca, Piero della Francesca
    [Anne-Marie Garat, I] Piero della Francesca | La Madonna del Parto
    [Anne-Marie Garat, II] Piero della Francesca | La Madonna del Parto
    Michaël Glück, L’Enceinte
    Mario Luzi | Près de la reine de Saba
    Bernard Simeone | Madonna del Parto
    12 octobre 1492 | Cole Swensen, Mort de Piero della Francesca





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  • Albertine Benedetto, Vider les lieux

    par Angèle Paoli

    Albertine Benedetto, Vider les lieux,
    éditions Al Manar, Collection Poésie, 2019.
    Dessins d’Hélène Baumel.



    Lecture d’Angèle Paoli




    UNE FURIEUSE ENVIE DE VIVRE




    Comment interpréter ce titre étrange, Vider les lieux, polysémique, un brin Janus bifrons au ton impérieux ? Comme une injonction à tirer un trait sur le passé ? Ou comme une injonction à ouvrir sur la vie à venir ? Une nécessaire place nette pour s’autoriser à aller de l’avant ? Ces interprétations sont sans doute simultanément possibles, liées l’une à l’autre. Se détacher est un passage inévitable, un apprentissage régulier sur la durée, en vue de la nuit ultime. Le regard de celle qui se tourne avec tendresse sur la disparition est celui de la poète Albertine Benedetto. Dans ce recueil paru en juin dernier aux éditions Al Manar, Vider les lieux, vie et mort se côtoient et se touchent, intimement mêlées. À la manière d’un effleurement, d’une caresse. Dédiés « à nos aimés », les poèmes du recueil sont accompagnement. Et générosité. Car quelle plus grande générosité que celle qui consiste à choisir de « conduire le deuil en procession de mots » ? La mort/les mots. La mort qu’il faut bien apprivoiser, les mots pour tenter de dire cette approche.

    Les poèmes progressent en trois temps. Lieux/Reliques/Je suis là. Multiples et divers sont les lieux. Quels qu’il soient, il faut prévoir de s’en libérer un jour. De s’en détacher. Lieux de l’enfance – le Glaizil –, à jamais disparus. La maison, le jardin. Il y a ceux qui ont le nom d’ailleurs, promenades et passages. Ceux-là que nous avons un jour effleurés de nos pas, de nos regards. Ces lieux-là ont des noms qui éveillent les souvenirs, mais la poète, dans sa discrétion, en suggère la quintessence mystérieuse plutôt qu’elle ne les enferme dans une trame précise.

    « Le mot cheval souffle doucement sur un pré

    quelque part

    un rideau a bougé

    au cadre d’une fenêtre qui regarde la rue

    on ne voit que des ombres

    passantes sur le pré

    des nuages flottent… » (Villa Adriana).

    La poète laisse ainsi éclore sur la page les images – les siennes – qui viennent se superposer aux miennes – Via Appia, Villa Adriana, Rome, Catacombes de San Callisto. Nos sensibilités s’y rejoignent.

    Que reste-t-il de ces passages ? Peu de choses. Des trouées de poussière, des éclats d’eau ; à la manière des dessins d’Hélène Baumel ; lambeaux de peau, bribes couchées sur la page, traces en

    « forme de récits

    sur des carnets

    illisibles ».

    Chemin faisant, dans cette exploration délicate, la poète se confronte à elle-même, à ce qu’elle fut enfant. Une promenade sur la Via Appia antica fait resurgir en elle le souvenir de la photo du manuel de latin de la classe de 4e. Celle des pins parasols bordant la voie jalonnée de tombeaux. Paysage inscrit dans une durée intemporelle qui habite les mémoires des collégiens qui, comme la poète, ont vécu une année scolaire ce manuel sous la main. En quelques strophes, avec une acuité concentrée et minutieuse, la poète ramène à la surface ce paysage de toujours qui inscrit la mort dans la vie des vivants. Présentes dans les fragments évoqués, les leçons du passé sont leçons pour le futur. Memento mori qu’accompagnent les questionnements :

    « nous les vivants

    descendus sous la terre nous cherchons

    comme un avant-goût des ténèbres

    comme un mode d’emploi ou quoi ? ».

    L’enfance, loin désormais, ne contient-elle pas en elle une ombre de mort ? Il plane pourtant dans les poèmes d’Albertine Benedetto quelque chose d’une enfance heureuse, ses jeux, ses mystères, ses secrets enfouis dans les recoins de la mémoire, qui soudain surgissent au hasard du temps, colorent de leurs images les gestes du quotidien. Quelque chose d’une fraîcheur enfantine non altérée demeure. Rires sous cape, espiègleries et insouciance :

    « Toujours l’enfance bondit

    de pierre en pierre dans le lit du torrent

    avale en grappes les chemins

    à la tombée du jour

    use la liberté et les fonds de culottes… ».

    L’âge adulte est autre. Est-ce la mort qui guette et qui dicte sa loi, dure loi qui conduit à quitter les lieux aimés ?

    Le lieu majeur est la maison. La maison et son jardin. C’est autour d’elle que se concentrent les rêves de jadis et que se nouent les énergies de la vie. Maison-écho de la cabane d’autrefois, maison protectrice et sûre, enveloppante. Mâtinée d’accents bachelardiens, la maison d’Albertine Benedetto tient à l’abri derrière ses murs ses meubles et sa déco. La poète n’est pas dupe, cependant, qui dit cette « protection dérisoire » et lit à même les objets. Lesquels sont autant de reliques (titre du second volet du recueil) avec lesquelles dialoguer. La vie accumule ses signes tout alentour. Chaque objet a sa place, qui forme avec les autres les reliques à venir, dépositaires d’une archéologie future. Les jeux de lumière dans les arbres du jardin ont à voir avec le temps. Ensemble, ils bâtissent un univers étanche où l’éternité de l’enfance, sa durée immobile, viennent se couler dans le présent fugace. Les maisons se confondent. Les pas toujours ramènent sur ce qui a été perdu, dont il reste si peu de traces. Des ombres dans une mémoire, à peine. Les mots seuls, malgré leur incomplétude, permettent de rassembler ce peu de sable qu’il reste, d’un temps défunt. La poésie murmure avec les ombres, échange en demi-teinte, tout de tendresse et en douceur. Destinés aux défunts, les mots ténus du poème leur font « un tombeau léger ».

    Mais la poète est là, qui rassemble autour d’elle ces menus riens qui ont façonné sa vie. Son caractère et sa personnalité. Veilleuse, ordonnatrice, solide et confiante. En affirmant sa présence – Je suis là – (titre du dernier volet), elle leur rend hommage, avec ses mots. Les mots, la poète sait comment en faire usage et quand. Elle sait comment les ranimer alors même qu’ils paraissent endormis. Au fond des tiroirs, au fond des poches. Les mots ordonnent, qui maintiennent vivantes les images emmagasinées dans la mémoire. La vie la mort se rejoignent dans le beau poème final. Les souvenirs coexistent. Celui de la mort des aimés – les parents que l’on cherche encore à tâtons dans leur chambre à coucher. Celui de la naissance :

    « Je me souviens du premier souffle

    cette expulsion

    hors des eaux primitives

    je me souviens

    de mon corps tambour sous les paumes du vent

    ma peau traversée par tous les souffles du monde

    je me souviens de ma vigueur… ».

    Peut-être la poète tient-elle de ce moment unique toute l’énergie qui est la sienne, cette force vitale qui la porte et qui irradie autour d’elle ?

    Derrière ce peu qui demeure demeure l’essentiel :

    « reste le trésor de l’enfance

    cette force d’amour à l’usage du temps

    une furieuse envie de vivre ».

    Reste aussi un très beau recueil.


    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Albertine Benedetto  Vider les lieux






    ALBERTINE BENEDETTO


    Albertine Benedetto.
    Source



    ■ Albertine Benedetto
    sur Terres de femmes


    [Ordinaire] (extrait du Présent des bêtes)
    Glottes (extrait de Glossolalies)
    [Si calme le piano] (extrait de Sous le signe des oiseaux)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Baltique



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la page de l’éditeur sur Vider les lieux
    → (sur Recours au Poème)
    une notice bio-bibliographique sur Albertine Benedetto





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Marie-Josée Christien, Affolement du sang

    par Marie-Hélène Prouteau

    Marie-Josée Christien, Affolement du sang,
    éditions Al Manar, collection Poésie, 2019.
    Encres d’André Guenoun.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau



    ÉLÉGIE DE LA VIE EN SOUFFRANCE



    Marie-Josée Christien a publié de nombreux recueils de poésie et anime la revue Spered Gouez/L’esprit sauvage qu’elle a fondée à Carhaix en 1991. Elle a reçu en 2016 le Grand prix international de poésie francophone pour l’ensemble de son œuvre. Pour la lecture de ce nouveau recueil (Affolement du sang) publié aux éditions Al Manar, la préface très sobre de Jean-François Mathé donne une clé. Derrière cet affolement du sang évoqué par le titre, il faut entendre une polyglobulie, un cancer du sang que la poète ne nomme jamais, préférant une mention ironique du patronyme d’Henri Vaquez, le médecin qui décrivit pour la première fois cette maladie rare (mais non orpheline, comme il est parfois dit à tort). Quant aux encres d’André Guenoun qui accompagnent le livre, elles sont en parfaite résonance avec le poème. En jouant des vertus liquides de l’encre, entre transparence et opacité, ce plasticien sait rendre un univers organique proche de celui de Marie-Josée Christien.

    Comment inventer une langue qui dise la maladie quand celle-ci est pour beaucoup synonyme de mort ? Une langue qui parle à ceux qui ont connu cette expérience comme à ceux qui ne l’ont pas vécue. Nombreux sont les écrivains et les poètes, de Claude Roy à Georges Perros, qui ont confronté leur écriture à la maladie et à la hantise de la mort. L’écriture de Marie-Josée Christien est celle du lyrisme vibrant, grave, d’une lucidité aussi évidente que sa détresse.

    Le recueil se présente en trois parties, « Poème absent », « Affolement du sang » qui donne son nom à l’ensemble, et « À la lueur du poème ».

    La première partie est empreinte d’une tonalité sombre, on imagine l’annonce de la maladie, la pénible attente. Le choc émotif, intense, s’éprouve dans le silence qui s’entend à chaque page et a quelque chose de médusant. Pour la poète, c’est l’heure crépusculaire ou nocturne avec son lot d’insomnies qui exprime le mieux ce qu’elle ressent. Repris en leitmotiv, le mot désespoir est à la mesure de la violence de l’épreuve. Les vers semblent martelés, énoncés presque souffle coupé.



    La mort en moi


    Exceptées deux références au vent, le monde extérieur, sa réalité et ses couleurs, ont disparu : il n’y a plus que l’être seul face à cette révélation bouleversante, au sens le plus fort du terme. Expérience-limite qui pressent le réel de la mort proche au creux du corps :

    « je me résous à consentir à la fatigue

    des mots tremblants

    à ne plus espérer ».

    Dans ce moment premier du recueil, le thème de l’attente – des résultats, des soins, on ne sait – et le motif de la solitude s’entrecroisent. La poète a l’impression d’un « l’éloignement » du monde dont parviennent « juste quelques paroles/ au loin ». Car la maladie enferme dans ce corps qui, à présent, fait défaillance jusqu’à isoler des autres :

    « À l’instant

    où la main

    tendue

    se replie sur le vide ».

    La seconde partie, « Affolement du sang », évoque quelques références à la maladie, jamais cliniques cependant. Comme le montrent les images « l’ecchymose du jour » ou « l’azur coagulé » où se fait jour une écriture oblique, travaillée par les formes de syncope et de distorsion des vers. La parole de Marie-Josée Christien a cette vertu de déréaliser et de poétiser les moments de cette traversée douloureuse avec une violence presque baroque :

    « La moelle affolée

    essaime ses larmes coagulées

    dans la chaleur du sang épaissi ».

    Ce faisant, c’est moins à la maladie que la poète s’attache qu’à l’écho du mal en elle, à l’effet qu’elle provoque dans son univers mental et affectif. Rien de larmoyant ni de complaisant pour autant. Elle se figure elle-même avec une lucidité triste :

    « Une ombre à bout

    de souffle

    chancelle

    de peur et d’espérance ».

    Dans la dédicace de cette partie « À Vaquez l’ami fidèle », la poète trouve le moyen de sourire, en détournant sa véritable relation à ce médecin sur le mode de l’antiphrase. Tout se passe comme si elle voulait mettre à distance la maladie, faire silence sur une partie de ce qui a trait à celle-ci, les soins, les traitements et jusqu’à son nom. C’est sa manière à elle de lutter, de prendre force de sa faiblesse même.



    Je et la blessure


    Avec la présence du je, la poète veut habiter sa douleur, la restituer dans son acuité. C’est à une élégie de la vie en souffrance que nous convie Marie-Josée Christien. La parole oscille entre des mots percutants comme des coups de poing, tels gouffre, supplice, naufragée, des néologismes « me désastrent ». Comme si les mots habituels étaient usés et impuissants. L’interrogation ne peut manquer de surgir : entre les vivants et les morts, où est la place du sujet ?

    L’écriture se fait laconique, dépouillée :

    « La douleur m’écarlate ».

    Les expressions disant l’irréversible, « ne… plus », « ne plus… que », reviennent à plusieurs reprises : « Je ne parviens plus / à retenir la vie ». La vie à présent devient synonyme d’engourdissement, de fermeture, de perte des jours d’avant. Le souvenir de la vie d’hier s’épanouit dans une page, « Ce temps-là », dédiée à Xavier Grall, autre clin d’œil à la maladie. Ailleurs, un conditionnel pointe le vouloir-vivre : « je voudrais dire la vie. » En vain. Ne lui répond que le vide au cœur de la nuit. Le jaillissement sans retenue de l’émotion atteint par moments une sorte de cri. Cri de désespoir devant l’épreuve et sa fatale menace.

    La circulation de l’émotion jusqu’à la montée des larmes s’écrit sans pathos, sans fioritures. Le lecteur est face à une parole essentielle. Face à la vérité nue d’un sujet qui assume sa faiblesse et dit sa peur de mourir. Car le sujet qui parle est traversé par une ambivalence. Il est à la fois celui qui a le courage d’entrevoir sa mort proche et celui qui dit dans l’effroi son existence laminée. Cet inexorable, la poète le rapproche des peurs d’enfance. Comment mieux énoncer la fragilité et la force que par cette superbe alliance des contraires : « j’aguerris mes larmes » ?

    La dernière partie « À la lueur du poème » entrouvre un peu de lumière et d’espoir. Écrire, c’est reprendre le dessus, redevenir le sujet d’une vie où toute la place n’est plus prise par le mal. La poète se tourne vers le cercle des amis convoqués dans les dédicaces. Quelques pensées lumineuses irriguent ces pages. Le regard a changé. Des mots tels rêve, espoir, force d’appui, chant d’amour, tendresse semblent pouvoir se décliner à nouveau.

    Le recueil se boucle sur un moment d’épiphanie. L’enfermement mortifère du début, symbolisé par la main tombant désespérément dans le vide, fait place au geste vers l’autre : « À nouveau / je tends la main ».

    Le lecteur imagine ce qu’il a fallu chercher au plus profond pour parvenir à cette sortie de soi. La vie, la mort, le poème : sur la ligne de crête entre la puissance de la mort et la fragilité de l’être, Marie-Josée Christien a trouvé les mots. Graves et magnifiques.



    Marie-Hélène Prouteau

    D.R. Texte Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes







    Marie-Josée Christien  Affolement du sang  éditions Al Manar  collection Poésie  2019.





    MARIE-JOSÉE CHRISTIEN


    Marie-Josée Christien à Quiberon  2013
    Source



    ■ Marie-Josée Christien
    sur Terres de femmes

    [Je creuse les mots](poème extrait d’Entre-temps )



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Marie-Josée Christien
    le site personnel de Marie-Josée Christien



    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes

    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même





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  • Irène Gayraud | Magmatiques, 10




    MAGMATIQUES, 10



    Dans un recoin du lieu sont rassemblées les cendres volcaniques. On n’y entre que peu et pour entendre les grands récits d’un crachat de feu dense, d’un ciel opaque et interdit.

    Là, courbés au plus près d’un unique cristal, les hommes cherchent l’instant de l’envolée des cendres.

    D’isotope en isotope, ils atteignent la nuit rouge et grise des temps.



    Les cendres brûlantes se suspendent
    éreintent l’air poudroyé
    lui donnent
    la consistance d’un fruit cuit
    que j’avale en respirant.

    Sur ma tête levée s’amoncellent
    comme un lange chaud
    entre mes flancs entre mes lèvres
    les téphras ardents.





    Irène Gayraud, « Magmatiques », 10, in Téphra, éditions Al Manar, 2019, pp. 28-29. Gravures de Bouchaïb Maoual.






    Irène Gayraud  Téphra






    IRÈNE GAYRAUD


    Irene Gayraud
    Source




    ■ Irène Gayraud
    sur Terres de femmes

    Dans les spires (extrait de Voltes)
    Le Livre des incompris (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Téphra





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  • Luigia Sorrentino | Hypérion, la chute




    IPERIONE, LA CADUTA



    nulla può crescere e nulla
    può così perdutamente dissolversi
    come l’uomo

    (F. HÖLDERLIN, Iperione)




    Coro 1


    tutto stava su di lei
    e lei sosteneva tutto quel peso
    e il peso erano i suoi figli
    creature che non erano ancora
    venute al mondo
    lei stava lì sotto e dentro

    questa pena l’attraversava ancora
    quando venne meno qualcosa

    le acque la accolsero

    e quando si avvicinò alla costa
    della piccola isola, tutti
    portava nel suo grembo




    Coro 2


    c’è una notte arcaica in ognuno di noi
    una notte dalla quale veniamo
    una notte piena di stupore
    quella perduta identità dei feriti
    si popola di volti,
    quell’abbraccio mortale

    in un tempo sospeso tra mente e cuore
    mai la notte fu così stellata

    gettati in mare ingoiarono acqua
    e pietre, e strisciarono sulla sabbia
    e furono in totale discordia
    ebbero passi pesanti
    e sparirono, sottoterra

    il cenno si dissolve
    da sé cade il fragile umano
    frutto effimero, del mortale




    Coro 3


    nella cintura d’acqua
    fluttuava immenso l’indistinto
    inattuato attaccava la nebbia
    melmosa, non era ancora luce ma
    notte continua, durava
    in quello spazio la non luce

    si volse la notte si volse
    bisognosa a noi che aprimmo
    lo sguardo alla forma sollevata

    solo questo gesto che vede
    qualcosa si schiarisce
    illumina e avvicina
    nell’istante posato
    negli occhi che egli chiude




    Coro 4


    si comportava da colosso
    come se dovesse stringersi
    inghiottito dal nero della pietra
    sul confine piantava bastoni inestirpabili

    ci sorpresero le lunghe impronte
    rifugio di mole e di potenza
    fissate
    lastre di pietra

    il volto nostro sovrastò la figura
    altissima,
    negli occhi si schiuse la forma inguainata
    con braccia e gambe saldate contro il corpo

    lo sguardo nostro entrò in quel suo essere
    infinitamente mortale




    Coro 5


    la luce si disperdeva,
    cadeva la massa corporea
    appoggiato alla densità della goccia
    egli era là nel suo confine
    il mutamento fu uno svanire
    arbitrario
    dal fondo del vento sprigionava
    trascinando fuori da sé
    qualcosa che lentamente appare

    così in esso
    ciò che ripetutamente arriva
    entra nel suo sguardo

    nel sollevarsi contro la nebulosa
    divenne la brezza distesa sull’acqua
    a lei si infranse perdutamente
    alla nettezza di lei che si apriva
    davanti a lei si lasciò cadere, infine
    Iperione




    Coro 6


    abbiamo perso tutto
    caduti in un eterno
    frammento
    la prima luce su noi
    infuocata ha bruciato tutto

    la prima creatura di umana
    bellezza è morta, ignota
    a se stessa
    i popoli appartengono alla città
    che li ama
    privi di questo amore ogni stato
    scheletrisce e annera
    la natura imperfetta non sopporta
    il dolore






    IL CONFINE



    Appariva gradualmente scendendo dai ripiani delle scale. Una parte di lei era visibilmente sommersa. La città nuova costruita sulla vecchia dentro l’acqua si rifrangeva, lasciando cadere su di sé l’immagine sfigurata dell’altra. La guardai morente e mutata… se ne andava, ma dove ? Quando mi voltai mi venne di fronte nel suo biancore una divinità decapitata. Dalla roccia il giovane indicava il confine delle’orizzonte terreno, il limite a cui pian piano approdavamo, gonfi di mare.








    HYPÉRION, LA CHUTE


    rien ne peut grandir,
    rien ne peut aussi irrémédiablement disparaître
    comme l’homme

    (F. HÖLDERLIN, Hypérion)




    Chœur 1


    tout reposait sur elle
    et c’est elle qui supportait tout ce poids
    et ce poids c’était ses enfants
    des créatures qui n’étaient pas encore
    venues au monde
    elle se tenait là dessous et dedans

    ce tourment la traversait encore
    quand quelque chose vint à s’évanouir

    les eaux l’accueillirent

    et lorsqu’elle s’approcha du rivage
    de la petite île, elle les portait
    tous dans son giron




    Chœur 2


    en chacun de nous demeure une nuit archaïque
    une nuit d’où nous venons
    une nuit pleine de stupeur
    cette identité perdue des blessés
    se peuple de visages,
    cette étreinte mortelle

    en un temps suspendu entre cœur et esprit
    jamais la nuit ne fut si étoilée

    jetés à la mer ils ingurgitèrent eau
    et pierres, et rampèrent sur la grève
    et furent en totale discorde
    leurs pas étaient lourds
    et ils disparurent, sous terre

    le signe se dissout
    tombe de lui-même le fruit humain
    fragile et éphémère, du mortel




    Chœur 3


    dans la ceinture d’eau
    l’indistinct flottait, immense
    inabouti il se fondait à la brume
    fangeuse, il ne faisait pas encore jour
    mais une nuit inachevée, se prolongeait
    dans cet espace la non-lumière

    se tourna la nuit se tourna
    besogneuse pour nous qui ouvrîmes
    les yeux sur la forme en suspens

    seul ce geste qui voit
    quelque chose se met à briller
    illumine et avoisine
    dans l’instant posé
    dans les yeux qu’il ferme




    Chœur 4


    il se comportait en colosse
    comme s’il eut dû se rapetisser
    englouti par le noir de la pierre
    sur le seuil il plantait des bâtons indéracinables

    nous surprirent les longues empreintes
    refuge de poids et de puissance
    fixées
    dalles de pierre

    la figure dépassa notre visage,
    très haute,
    dans nos yeux s’entrouvrit la forme engainée
    bras et jambes soudés au corps

    notre regard pénétra son être
    infiniment mortel




    Chœur 5


    la lumière se dispersait,
    chutait la masse corporelle
    appuyée à la densité de la goutte
    il se tenait là sur le seuil
    le changement fut un évanouissement
    arbitraire
    du fond du vent se dégageait
    traînant hors de lui
    quelque chose qui lentement apparut

    ainsi en lui
    ce qui ne cesse d’arriver
    entre dans son regard

    en se soulevant contre la nébuleuse
    il devint la brise étendue sur l’eau
    éperdu il se brisa contre elle
    contre la pureté de celle qui s’ouvrait
    devant elle il se laissa tomber, enfin
    Hypérion




    Chœur 6


    tombés dans un éternel
    fragment
    nous avons tout perdu
    la première lumière sur nous
    embrasée a tout brûlé

    la toute première créature à l’humaine
    beauté est morte, sans qu’elle le sût
    elle-même
    les peuples appartiennent à la ville
    qui les aime
    privé de cet amour chacun
    devient noir squelette
    la nature imparfaite ne supporte pas
    la douleur






    LA FRONTIÈRE



    Elle apparaissait descendant pas à pas les marches d’escaliers. Une partie d’elle était visiblement submergée. La ville nouvelle édifiée sur l’ancienne se réfléchissait dans l’eau, laissant tomber sur elle l’image déformée de l’autre. Je la regardai mourante et mouvante… elle s’en allait, mais où ? Quand je me retournai me fit face dans toute sa blancheur une divinité décapitée. Depuis son rocher le jeune homme pointait la ligne d’horizon de la terre, les confins auxquels nous abordions tout doucement, gonflés de mer.




    Luigia Sorrentino, Olympia, éditions Al Manar, 2019, pp. 60-72. Dessins de Giulia Napoleone. Traduit de l’italien par Angèle Paoli. Préface de Milo De Angelis. Postface de Mario Benedetti.






    Olympia





    LUIGIA SORRENTINO


    Luigia Sorrentino
    Source



    Originaire de Naples, Luigia Sorrentino est poète et journaliste. Son métier de journaliste la conduit à réaliser des interviews de personnalités aussi éminentes que les Prix Nobel Orhan Pamuk, Derek Walcott et Seamus Heaney. Productrice de programmes culturels radiophoniques, elle anime sur Rai Radio Uno l’émission Notti d’autore, « viaggio nella vita e nelle opere dei protagonisti del nostro tempo ».

    Poète, elle a publié plusieurs recueils de poésie : C’è un padre (Manni, Lecce, 2003) ; La cattedrale (Il ragazzo innocuo, Milano, 2008) ; L’asse del cuore (in Almanacco dello specchio, Mondadori, Milano, 2008) ; La nascita, solo la nascita (Manni, Lecce, 2009) ; Inizio e Fine, Cahiers de La Collana, Stampa, 2009 ; Varese, 2016 (trad. fr. par Joëlle Gardes, éditions Al Manar, 2018) ; Figure de l’eau | Figura d’acqua, éditions Al Manar, 2017 (traduit en français par Angèle Paoli), Olimpia (Interlinea edizioni, 2013) | Olympia, éditions Al Manar, 2019 (traduit en français par Angèle Paoli).

    En août 2013 a paru aux éditions Interlinea de Novare, le recueil poétique Olimpia (Olympia) préfacé par Milo De Angelis et postfacé par Mario Benedetti. Dans la préface de l’ouvrage, Milo De Angelis souligne l’importance de ce recueil qui touche à l’essentiel, « aborde en profondeur les grandes questions de l’origine et de la mort, de l’humain et du sacré, de notre rencontre avec les millénaires. » De la poète Luigia Sorrentino, il souligne le regard visionnaire : un « regard ample, prospectif, à vol d’aigle ». Mais aussi ses « immersions imprévues dans la flamme du vers ».

    Dans ce parcours initiatique qu’est le « livre orphique » Olympia — de la grotte de la naissance jusqu’à la pleine exposition de soi dans les forces telluriques —, le lecteur est confronté à une perte irrémédiable : celle de la condition humaine. Cette quête conduit à travers un hors-temps et un hors-espace à la recherche « d’époques de notre vie ». La rencontre se fait dans une Grèce — Olympie — démesurée qui, dans les pages du recueil, ressurgit « vivante, intérieure, palpitante ». D’autres rencontres ont aussi lieu : « avec les ombres des corps que nous avons aimés ; puis, parmi les ombres, […] avec nous-mêmes  ». Il importe alors « d’assumer [son] nouveau visage : celui du souffle, de la voix, du vent, des cigales, des rochers, des oliviers ».

    Ainsi, en dépit du fait que tout est désormais accompli, au milieu de notre existence dépouillée, « s’élève un cri d’éternité et d’amour ». Comme le souligne Milo De Angelis, « Olympia parvient à exprimer ce temps absolu, et le fait de manière admirable », avec une grande puissance architectonique mais aussi « avec les éclairs fulgurants de la vraie poésie. Un Temps absolu qui contient chaque temps. » Un recueil qui nous plonge de temps à autre dans diverses périodes de notre vie, comme si nous étions à la fois « des hommes de l’Antiquité et des adolescents, sûrs » de nous et tout à la fois « perdus », et que nous nous immergions « dans ce jour chargé d’attente et de révélation, sans cesse sur le seuil d’une découverte cruciale ».




    ■ Luigia Sorrentino
    sur Terres de femmes

    [tous les jours étaient tombés sur son visage] (extrait de Début et fin | Inizio e fine)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur le recueil Olympia
    → (sur le site des éditions Interlinea)
    une page sur le recueil Olimpia
    → (sur Poesia, di Luigia Sorrentino)
    une recension (en italien) d’Olimpia par Alessio Alessandrini
    le blog Poesia de Luigia Sorrentino
    → (sur le blog Poesia de Luigia Sorrentino)
    Luigia Sorrentino lit un extrait du recueil Olimpia : “Giovane monte in mezzo all’ignoto” (+ une note de lecture de Diego Caiazzo)
    → (sur Sulla letteratura | On literature)
    un autre extrait d’Olimpia traduit en anglais par Alfred Corn
    → (sur PostPopuli)
    un entretien de Luigia Sorrentino avec Giovanni Agnoloni
    → (sur Poesia 2.0)
    une recension d’Olimpia par Chiara De Luca
    → (sur le blog du Corriera della sera)
    une recension d’Olimpia par Ottavio Rossani
    → (sur YouTube)
    a creatura perpetua (une vidéopoésie de Chiara De Luca sur un extrait d’Olimpia)





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  • Michel Bourçon | [quelque chose cesse]



    [QUELQUE CHOSE CESSE]




    quelque chose cesse à mesure
    que l’on voit le temps passer
    sur les eaux lentes du fleuve
    tandis que dans l’air
    et les couleurs mouvantes
    ondoient des animalcules



    de vagues pensées naissent
    à l’ombre des hautes herbes



    l’esprit au calme
    baigne dans les lumières
    et le pas suspendu du héron.






    Michel Bourçon, Visages vivant au fond de nous, 44, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2019, page 53. Dessins de Jean-Gilles Badaire.






    Michel Bourçon  Visages vivant au fond de nous




    MICHEL BOURÇON


    Michel Bourçon
    Ph. ©Michel Durigneux
    Source





    ■ Michel Bourçon
    sur Terres de femmes

    [Dès le lever, le corps sent le vide autour] (extrait de Demeure de l’oubli)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Michel Bourçon




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  • Isabelle Lévesque, Le Fil de givre

    par Jean Marc Sourdillon

    Isabelle Lévesque, Le Fil de givre, éditions Al Manar,
    Collection Poésie, 2018. Peintures de Marie Alloy.



    Lecture de Jean Marc Sourdillon



    L’HYPOTHÈSE D’ISIS


    La mort avait-elle choisi, arrêtant d’un signe, les promesses fécondes ?



    Au commencement du geste d’écrire, il y a chez Isabelle Lévesque, on peut du moins le supposer pour ce livre, l’événement d’une perte ou d’une séparation. Quelque chose a été perdu, de primordial, quelque chose de nécessaire pour vivre… Sans doute quelqu’un, un père, un amour, mais aussi la parole qui allait avec, la parole née naturellement de la plénitude pour la soutenir, et qui a pour nom poésie.

    Tout est « loin » désormais, à distance.

    Voilà pourquoi écrire, qui est une manière de prolonger, fût-ce artificiellement, dans le présent ce qui a été perdu, est pour elle vitale :

    Elle écrit, c’est sa vie.

    Mais ce qui s’est perdu, avec la relation qui permettait de vivre, c’est précisément ce qu’il faudrait écrire : « le poème ». Le poème qui tenait ensemble, ou plutôt qui demeure la seule trace vivante de cela qui autrefois tenait ensemble ce qui injustement a été séparé.

    Portant haut les mots, tu lisais les poèmes.

    Tout se passe, dans l’écriture, comme si le poème au commencement avait explosé – soufflé par une déflagration – et qu’il était désormais derrière celle qui écrit, souffle coupé, comme s’il était devenu perpétuellement manquant.

    Du poème il ne reste que des bribes, du grand feu de la vie ensemble, ne restent que des braises. Nous ferons poème de bribes. Avec tout cela comment faire un présent ?

    D’abord, semble-t-il, en prenant acte de la dispersion inaugurale : Nouer les mots au feu de la dispersion.

    Oui, mais comment un tel geste, aussi paradoxal, aussi contradictoire, se manifeste-t-il concrètement dans l’écriture ? Par le recueil et la disposition des bribes restantes. On voit des mots, des signes jetés en vrac sur la page, sans liens, sans fils, sans syntaxe ni coordination, parfois même sans articles. Ce sont les simples pièces d’un puzzle sans l’image qui les rassemble. Ou la partition déchirée d’une chanson dont il ne reste que quelques mots sans la mélodie qui les portait sur le silence. Accord disloqué, poème brisé, dévoré par le silence.

    Souffle – à peine, léger.

    Conte, s’il vole.

    Fée change, baguette souple, coudrier,

    Trace où vit le soir, et l’alerte

    or et le jour,

    l’or trouvé

    dans les légendes.

    Un poème en pièces détachées. Voilà tout ce qu’on a. Les fragments dispersés d’un conte qu’il faudrait écrire. Mais manque ce qui permettrait de les mettre en ordre : la magie d’un commencement, la baguette qui fait surgir la source sous le silence ou le souffle qui soutient les mots au-dessus de lui, ce qu’on appelle tout simplement la parole. Pas d’intrigue ni de mélodie, pas d’unité ou de cohésion atteignables dans ce moment du temps. L’écriture serait la seule ressource, mais où trouver le commencement ? Là est la déchirure.

    La dispersion sera ce point de départ.

    Du poème dont on a perçu la grande forme englobante autrefois dans l’écoute, ne restent peut-être que des bribes. Mais ces bribes sont infiniment précieuses, braises d’instants autrefois vécus et surgissant dans le présent à la faveur des mots qui les nomment. Ou plutôt signalées par eux, désignées au loin par des sortes de notes, juste un mot ou deux comme on en griffonne à la hâte pour ne pas oublier, des sortes de pense-bêtes, d’indices sur quoi s’appuie la mémoire. Voilà pourquoi, au moyen des mots, il faut aller chercher une à une ces braises, les recueillir sinon les rassembler, les faire tenir dans un même moment, sur une même page même si manque le fil qui les tenait. C’est en quoi consiste le geste d’écrire. Une conquête sur le silence et l’oubli, une manière de « cogner » à coups de mots le temps qui toujours éloigne et décompose, grand pourvoyeur de vide.

    Voilà tout ce qu’on peut, voilà à quoi ressemble un poème d’Isabelle Lévesque dans ce livre. Un poème d’un ici et d’un présent empêchés. Séparés. Un poème sans le poème mais qui le suppose, c’est en quoi il est tout de même poème. Un poème qui se souvient de ce qu’a été la poésie et qui croit encore en elle, et tend éperdument vers elle sans pouvoir la trouver.

    C’est pourquoi, on le comprend, toute son écriture est un appel. Une façon de se tourner en l’appelant vers celui qui tenait en cercle le jour autour de lui et rendait possible le poème, sa totalité claire, son unité soutenant, illuminant la vie, faisant d’elle un feu continu et ordonné. Et ainsi, par ce geste, cet appel, ce qui se tente, difficilement mais non vainement, c’est de susciter à nouveau le poème qui donnait au jour sa perfection circulaire d’absolu, le soir tenant au matin sans passer par la fin.

    C’est dans l’appel, Isabelle Lévesque l’a bien compris, dans « l’invocation tutoyante »1, que se situe la possibilité d’un commencement. Si écrire est d’abord disposer les éléments recueillis dans un même silence, une même blancheur sur la page, comme le fait naturellement la glace, qui laisse le florilège, trace à peine, c’est surtout par l’adresse qu’on peut sortir de l’isolement et de la séparation. C’est en s’adressant à celui (ou celle) qui tenait en ordre le temps et lisait les poèmes. En lui disant « tu », en tentant de le rejoindre, de reconstituer avec lui le pronom « cousu au point de lune » de la communauté perdue que seul aimer peut inventer. Ce « nous » ouvert sans quoi il n’est pas de « je » ni de poème, ni même de vie continue à l’intérieur du temps puisque celui-ci travaille en sens contraire à la défaire.

    On retrouve là, peut-être quelque chose du grand chant courtois. Par l’adresse, par la parole, on s’avance vers celui qui toujours au loin appelle et sans cesse se dérobe. Mais qui par sa seule présence ou son souvenir indique une direction, fait de la distance une sorte de chemin, et permet ainsi que se recrée le fil qu’on a perdu, d’une histoire, d’un sens, d’une mélodie qui par son ordre rend la vie musicale, lumineuse, simplement vivable ou humaine. Sortie de l’inertie et du hasard.

    Le « tu » à qui l’on s’adresse, ou parce qu’on s’adresse à lui dans le poème, en même temps qu’il féconde à distance une parole, l’oriente, a le pouvoir de mettre en ordre, comme autrefois il le faisait, les éléments qu’on lui propose. Alors ta venue changeait l’ordre et nous, certains, cheminions.

    C’est ce qu’il veut : que celle qui écrit, par ses mots, fasse ressurgir un ordre, et au cœur de cet ordre une vie qui pourrait illuminer de l’intérieur comme un feu ou un baiser le présent qui s’est glacé. Il est celui qui montre l’exemple, qui enseigne à dire oui.

    Tu veux. Des poèmes.

    Je m’attèle. Tu souris. Alors possible.

    Je ferai, juré, les phrases ou les vers.

    Le poème, toute l’entreprise poétique devient alors une sorte de lettre qu’on écrit en dépit de la fin et de la séparation à l’être absent parce que même dans son absence, par les mots avec lesquels on s’adresse à lui, il peut se faire guide, suggérer lui-même ces mots et conduire vers le lieu du confluent des vies : J’entends les mots que tu hisses et les nuages rejoints se font torrents .

    Je voudrais formuler à propos de la poésie d’Isabelle Lévesque une hypothèse. On le sait, dans le célèbre mythe de l’Egypte antique, Osiris a été assassiné par Seth, son frère, jaloux de ses amours avec leur sœur commune, Isis, déesse du Nil et de la fécondité. Il a été non seulement assassiné mais aussi démembré et les morceaux de son corps ont été éparpillés dans le vaste paysage de la vallée du Nil. Isis par amour pour Osiris veut retrouver ces morceaux épars afin de pouvoir ensuite les rassembler, reconstruire et ranimer ce corps dépecé, littéralement lui rendre vie. L’écriture selon Isabelle Lévesque obéit, me semble-t-il, au même projet. Elle recueille elle aussi les morceaux du grand corps, du grand poème dispersé. Et, dans ce livre, elle est là, debout devant la tâche qui s’impose à elle. Et elle se pose la question d’Isis : comment faire pour que l’unité se refasse et que la vie revienne, circule à nouveau ?

    Face à la dispersion, sa réponse, on l’a vu, est dans la disposition et l’adresse. Il faut dans le cours des jours, entre soirs et matins, maintenir la relation, parler à cela qui gît en morceaux devant soi, présenter par la parole ces morceaux, les disposer sur la page en attendant le souffle improbable, générateur d’unité et de vie. Mais comment être sûr qu’il viendra ? L’adresse, la disposition, si elles permettent un commencement, ne suffisent pas pour donner l’accomplissement. C’est pourquoi d’autres réponses se suggèrent dans ce livre. Elles le sont parfois sous la forme d’une question comme si celui à qui elle s’adresse répondait par l’interrogative, esquivant l’affirmation et testant la capacité d’aimer ou d’espérer de celle qui écrit : crois-tu ? Crois-tu en la possibilité du poème ? En son pouvoir de redonner vie et forme à ce qui a été perdu et détruit ? La croyance ou la confiance est une réponse. Une autre est donnée, esquissée tout à la fin ; elle est dans une certaine façon d’utiliser la parole : la promesse. Il s’agirait, si l’on comprend bien, de s’appuyer sur les promesses autrefois fécondes, au temps où l’autre était là et lisait les poèmes, pour fonder dans l’aujourd’hui défait l’unité du poème et sa plénitude rêvée autour d’un avenir qui n’existe pas encore mais envisagé comme possible, mais projeté. Tout autant que son contenu, c’est la forme de la promesse, parole performative, l’acte de tenir effectivement parole, qui, parce qu’elle fait se relier le passé et l’avenir par-dessus le présent défaillant, permet d’instaurer une unité dans le temps, de littéralement tenir le temps et de substituer au fil de givre fragile et glacé le fil de vivre qui sous-tend de son chemin d’or toute poésie authentique et vivante.

    La dispersion est peut-être la condition du temps. On a pu l’appeler parfois « désastre », le désastre du sens surgissant au cœur même de l’écriture. La poésie, tout en étant lucide, consiste à ne pas se borner à le constater mais à chercher à le dépasser par tous les moyens que le langage et l’imagination mettent à notre disposition, à inventer des solutions à chaque fois singulières et nouvelles pour en sortir. Là, comme le montre ce livre courageux et exigeant, dans le refus de la résignation, est sans doute la fragile force de la parole poétique, là sa raison d’être et sa nécessité.

    Il se peut alors que, par une sorte de miracle, même si ce mot peut sembler étrange à celle qui écrit, un poème s’esquisse, fugitivement, évasivement, et que l’on soit d’un coup porté au bord des retrouvailles le long d’un fil incandescent.

    Ce que nous fûmes résonne.

    Image morcelée avant le soir.

    Braises et ricochets. Sur la mer,

    fragments dispersés du jour

    à la lumière des baisers.



    Jean Marc Sourdillon
    D.R. Texte Jean Marc Sourdillon



    1. La formule est de Jérôme Thélot dans La Poésie précaire (PUF, 1997)



    _________________________
    [Une version abrégée de ce texte a été publiée dans La Nouvelle Quinzaine Littéraire, n°1196, parue le 16 juin 2018]






    Isabelle Lévesque  Le Fil de givre






    ISABELLE  LÉVESQUE


    Isabelle Lévesque
    Source




    ■ Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes

    [Les feuilles envolées du peuplier] (extrait d’ En découdre)
    [Ouvre et lis entre les lignes] (poème extrait du Fil de givre)
    Le Fil de givre (lecture d’AP)
    C’est tout c’est blanc
    [Entends, c’est jour, la forme aimantée du point] (poème extrait de Ravin des Nuits que tout bouscule)
    Chemin des centaurées (lecture de Pierre Dhainaut)
    Chemin des centaurées (lecture d’AP)
    Mai | La Ronde (extrait de Chemin des centaurées)
    [Oh, ce désordre de disparaître !] (poème extrait de Nous le temps l’oubli)
    Nous le temps l’oubli (note de lecture d’AP)
    [Nous vaut la force courant le vent] (poème extrait de Va-tout)
    Ossature du silence (note de lecture d’AP)
    [Peine singulière] (poème extrait d’Un peu de ciel ou de matin)
    Ravin des Nuits que tout bouscule (note de lecture d’AP)
    [Les serments] (poème extrait de Le tue braccia saranno)
    Va-tout (note de lecture de Jean-Louis Giovannoni)
    Voltige ! (note de lecture d’AP)
    Isabelle Lévesque | Pierre Dhainaut, La Grande Année (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Territoire
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Isabelle Lévesque (+ un poème extrait de Va-tout)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Le Fil de givre
    → (sur Paysages écrits n°30 – octobre 2018)
    une lecture du Fil de givre par Sanda Voïca
    → (sur le site de la mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Isabelle Lévesque




    ■ Notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Isabelle Lévesque, Le Fil de givre

    par Angèle Paoli

    Isabelle Lévesque, Le Fil de givre, éditions Al Manar,
    Collection Poésie, 2018. Peintures de Marie Alloy.



    Lecture d’Angèle Paoli



    « CE QUI CESSE COMMENCE »




    Ce qui se dit dans les pages du recueil Le Fil de givre, c’est une re-naissance. Ce que le lecteur découvre sous la voix poétique d’Isabelle Lévesque, c’est une complicité poétique, une dilection vivifiante et vitale. Une « alliance ». Peut-être le visage d’un amour dont le destinataire ne nous est pas connu. « Aimer tient en un verbe rond », écrit la poète. En filigrane sous le poème, derrière l’alternance d’un « je » et d’un « tu », le « nous » accueille. Une double voie/voix se lit/se lie dans le fil de trame.

    « Nous voulons la rive d’orge, trame du temps, ce que le vent lève à sa suite, les mots des siècles

    et la mémoire ».

    Avant même le poème d’ouverture du recueil, l’annonce de l’aveu courait déjà dans les deux épigraphes qui le précèdent. Toutes deux empruntées au poète Éric Sautou :

    « La flamme pourrait s’éteindre, le vent tout emporter. Je te réapparais au grand soleil de notre vie. Tu redeviens la belle image. Tout l’or éclate. »

    « c’est écrit à la main de simples fleurs voici. »

    Ce qui se lit dans ces phrases, outre la passion —  éclat et fragilité, obstacles et périls —, c’est l’offrande  : simple, directe, accomplie dans la joie et dans la plénitude de l’instant. C’est sans doute cette double tension qu’a perçue Marie Alloy, dont les peintures rythment l’espace, qui traversent de leur jet d’écume, vagues et sillons, dans la verticalité de leur jaillissement, eau et mots, paroles et éclats.

    Et la poète d’écrire en écho :

    « Peindre, écrire, renouer les fibres déliées,

    le Sillon trace un secours… »

    La rencontre a eu lieu, « [a]u rendez-vous de pierre. » Dans le paysage d’elle, calcaire falaises pierre et lierre, enlacés comme au temps des amours médiévales, récits qui affleurent dans la mémoire, roche cordée mystère, pas-de-deux, danse déjà !

    « Le saut devient danse.

    Sur la roche ? (Rien n’érode l’escalier du ciel.) Tu vis l’ardeur et glisses nos mystères le long des cordes. J’entends les mots que tu hisses et les nuages rejoints se font torrents. »

    Tout se joue dès le premier poème, le retour à la vie et cette re-naissance inespérée qui abolit un passé habité par le « vide ». Ici, soudain, dans ce très beau poème, tout devient possible dans l’ardeur retrouvée. Jusqu’à l’aveu :

    « Désormais vigne se cueille.

    Je te retrouverai tout à l’heure le ciel est une forteresse de pierre. »

    Dans un autre poème s’affirme ce « nous ». Ce qui noue l’un à l’autre, le « je » au « tu ».

    « Tu commences, tu assures

    le signe croix devenu nous. »

    Puis cet aveu, encore, qui affirme un mode d’être, qui en révèle l’essence :

    « Nous sommes,

    loin d’une apparence trompeuse,

    noués à l’herbe. »

    Un désir de durée par-delà les saisons s’empare de celle qui confie pour un temps à venir cette promesse, cet élan :

    « Alors je poserai sur toi

    le minerai,

    les mots d’ambre laissée. »

    Comment ne pas entendre, sous « les mots d’ambre laissée », les mots embrassé / embrasé ? D’autant que veille le feu (tout comme la glace), présent sous ses formes diverses, flammes et braises, symbole de brûlure, intense et partagée :

    « Le chemin se perd lorsque tu saignes, le cœur

    s’ouvre fragile.

    Il bat, nous brûlons. »

    Cet autre, qui est-il ? Il est celui sur qui s’appuie la confiance absolue. Ce qu’il est se perçoit dans sa force ; dans la part magique de sa présence :

    « toi

    guide ou marcheur.

    Forcené des nuages accrochés au soir. »

    Ou encore :

    « Cassé, mais vivant, debout, tu es

    l’alchimie,

    le oui la vie,

    où asseoir la chance. »

    Il est celui en qui la poète assied son propre talent. En lui, elle reconnaît celui qui la libère de ses entraves et qui la fonde :

    « Lié au cercle de glace captivant la terre, muet, tu avances et je suis. »

    En enjoignant à la poète d’écrire, il lui montre la voie. Comment résister à sa bienveillance ? Il ne reste plus qu’à s’exécuter et puis à se lancer, sans « nulle résistance » :

    « Tu veux.

    Des poèmes.

    Je m’attelle. Tu souris. Alors possible. »

    Pourtant, derrière la force du magicien et cette confiance qu’il a dans la poésie, se cache sa fragilité. Celle qui définit l’autre et donne son titre au recueil : « Fil de givre. »

    « Pour réveiller la menace tue, mes baisers te soulèvent ‒ c’est ton ombre, autour de tes bras, autour de ta vie, corde fine, brindille. Fil de givre ? »

    Ainsi le magicien lui-même est-il soumis aux aléas de la vie, aux dangers qui le guettent :

    « Tu n’échappes pas aux données contraires ‒ nos secrets connus de toi seul. Tu ne renonces pas : force vaillance. »

    Seule la poésie. En elle se tient la force secrète. Un recours/un « secours » qui se partage :

    « Nos entailles d’encre, parchemin silencieux. Coins brûlés, acceptons le feu et les phrases. Longues. Emportées.

    Livre et le vœu.

    Le brasier plus que la flamme. »

    Chaque poème du recueil recèle sa part de mystère. Semées comme les graines du Poucet, les italiques ébauchent une sente où l’on pourrait sauter de gué à gué, et il serait ainsi possible de reconstituer une histoire en pointillé : Désormais / ou jamais ; si loin ? oui / nous / Rien n’est moins sûr / Dévêts / Crois-tu ? / Se blottir arriver joindre / Je t’embrasse… Autant de « signes vifs » dispersés au fil des poèmes, craie / nuit / voix / braise / voyelles… gardiens d’un secret que l’aveu sous-jacent ne suffit pas à dévoiler. Parfois se répondent les mots, en écho d’une page à l’autre. « Temps ferment / tourments / serment » // « dévisage / Dévêts » // « Braises / baisers »… Puis, au détour d’une page, survient sur deux vers un énigmatique tandem :

    « En outre et comme.

    Assoiffe, dérange. »

    Les poèmes s’égrènent, de forme et de longueur variable, marqués, comme ceux de jadis, par des groupes nominaux incomplets. S’absentent les déterminants, sans doute pour donner prise à la langue directe, à ce qui s’impose à elle, d’un seul tenant. Pourtant, la poésie de ce dernier recueil a gagné en souplesse, en fluidité. Et en diversité formelle. Isabelle Lévesque semble renouer avec des expressions plus amples, plus rondes, moins heurtées que celles qui étaient sa signature jusqu’alors. Ainsi de ce poème de trois quatrains (un presque sonnet ?). Un poème fluide à la beauté singulière, mystérieuse qui allie mer/terre et ciel.

    D’autres fois ressurgit le passé ; ce lointain intérieur qui remet en question le présent, équilibre précaire entre un avant et un aujourd’hui :

    « Loin qui cogne et contre temps ?

    Où vaciller ? Le cœur en sa faveur demeure ‒ la craie évanouie. Un son se perd, le sort, pire victoire en voyelle.

    Espère. »

    L’intrusion d’une voix moins douce sème le trouble, soulève un vent de révolte, précipite les interrogations et les doutes :

    « J’oublie, je cogne. »

    À quoi semble répondre la voix réconciliatrice et apaisante de l’autre.

    « Portant haut les mots, tu lisais les poèmes. Tu secouais mes ombres et j’entendais : un mot cogne pour conjurer l’oubli.

    La mort avait-elle choisi, arrêtant d’un signe les promesses fécondes ? »

    La mort en effet est à l’œuvre, qui guette, se glisse entre les mots, imprime ses propres signes sous la peur :

    « Pas de taille

    à regarder venir

    le pire. »

    Pour conjurer le sort qui lie les deux êtres à leur histoire, il reste la promesse car :

    « Promettre suffit.

    Promettre lie au poème gardien de la route silencieuse… »

    De cette promesse naît une certitude. Et de l’aveu naît la révélation :

    « Elle écrit. C’est sa vie

    ‒ tracer le ciel d’éternité,

    vivre l’arrivée sans fin.

    Promettre.

    Ce qui cesse commence. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Isabelle Lévesque  Le Fil de givre






    ISABELLE  LÉVESQUE


    Isabelle Lévesque
    Source




    ■ Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes

    [Les feuilles envolées du peuplier] (extrait d’ En découdre)
    [Ouvre et lis entre les lignes] (poème extrait du Fil de givre)
    Le Fil de givre (lecture de Jean Marc Sourdillon)
    C’est tout c’est blanc
    Chemin des centaurées (lecture de Pierre Dhainaut)
    Chemin des centaurées (lecture d’AP)
    Mai | La Ronde (extrait de Chemin des centaurées)
    [Entends, c’est jour, la forme aimantée du point] (poème extrait de Ravin des Nuits que tout bouscule)
    [Oh, ce désordre de disparaître !] (poème extrait de Nous le temps l’oubli)
    Nous le temps l’oubli (note de lecture d’AP)
    [Nous vaut la force courant le vent] (poème extrait de Va-tout)
    Ossature du silence (note de lecture d’AP)
    [Peine singulière] (poème extrait d’Un peu de ciel ou de matin)
    Ravin des Nuits que tout bouscule (note de lecture d’AP)
    [Les serments] (poème extrait de Le tue braccia saranno)
    Va-tout (note de lecture de Jean-Louis Giovannoni)
    Voltige ! (note de lecture d’AP)
    Isabelle Lévesque | Pierre Dhainaut, La Grande Année (lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Territoire
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le Portrait d’Isabelle Lévesque (+ un poème extrait de Va-tout)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Le Fil de givre
    → (sur Paysages écrits n°30 – octobre 2018)
    une lecture du Fil de givre par Sanda Voïca




    ■ Notes de lecture (55) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





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  • Tita Reut | La rage



    LA RAGE
    déplace la houle
    vers le centre des villes
    inscrit dans les chairs
    la fiction de la mort
    gicle de tous ses tranchants
    et n’est pas économe

    Œcuménique
    dans le mélange des chairs
    Double jeu
    celui qui se profane
    en exécutant
    Porter le coup
    renverse l’état d’homme
    Cadence
    de cadavres exaspérés
    ayant bu à longs traits
    la douleur avec le sable
    Et tous ils bâillent
    dans la discipline du néant

    Le mythe dépasse l’homme
    Le monde brûle
    et nous écrivons des vers



    Tita Reut, Hamada | Nuit de novembre, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2018, page 35. Encres de Philippe Hélénon.






    Hamada






    TITA  REUT


    Tita Reut NB
    Source




    ■ Tita Reut
    sur Terres de femmes


    Tu vas au rein (poème extrait de Persiennes d’Hécate)
    [Au bout de la jambe] (poème extrait de L’Invention des gestes)
    [On pose la perte] (poème extrait du Temple des singes)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique consacrée à Tita Reut
    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la fiche de l’éditeur sur Hamada de Tita Reut





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