Étiquette : éditions Al Manar


  • Jean-Pierre Chambon, Zélia

    par Isabelle Lévesque

    Jean-Pierre Chambon, Zélia,
    Éditions Al Manar, Collection Récits & Nouvelles, 2016.



    Lecture d’Isabelle Lévesque



    Pour avancer
    alors il me faut, comme si je ne voyais pas, toucher ma voix,
    lui chercher une porte ou de l’herbe. Lui faire dire ce que je cherche.
    Maintenant. Ainsi ce n’est pas l’ombre que je recueille mais l’herbe.

    Thierry Metz,
    Terre, Opales/Pleine Page, 1997.




    Après Trois rois1, Jean-Pierre Chambon ajoute une pièce importante à notre connaissance du monde de Pessinus inventé (au sens ancien de trouvé) par Marc Pessin2. Nous avions rencontré la reine Zélia dans un précédent volume (Des lecteurs, Harpo &, 2016), nous la retrouvons dans ce récit éponyme (Zélia, Éditions Al Manar, 2016). Elle est reine dans une civilisation perdue dont il ne reste que quelques traces : les lettres usées d’un nom qui, prononcé, revient en force avec cortège, effluves… Et tout ce qui fut réapparaît.

    La couverture du livre porte le sceau de la reine dessiné (reproduit ?) par Marc Pessin (ou peut-être par Carm Nissep). Les inscriptions en pessinois intriguent le lecteur. Si l’on admet que les quatre caractères placés sous le profil correspondent au nom de ZÉLIA, on peut en déduire que le mot de gauche est REINE. Quant à celui de droite, il pourrait bien être le nom du pays, PESSINUS, mais cela impliquerait que le N puisse avoir deux signes, ou que le graveur ait fait une faute d’orthographe. Nous savons que cette langue pessinoise est très complexe, puisque sa graphie comporte des lettres et des idéogrammes, comme pour le texte gravé sur la pierre de Rosette. La quatrième de couverture du livre Des lecteurs, qui vient de paraître aux éditions Harpo &, est entièrement et copieusement rédigée en pessinois. Les lecteurs paléographes ou cryptographes pourront tenter de la décrypter.





    Pessinois 6
    Signes pessinois
    (Quatrième de couverture de Des lecteurs, Harpo &, 2016)






    Jean-Pierre Chambon sait raconter les histoires, tout part d’un sujet inversé qui déjà nous surprend ou nous perd :

    « Souvent s’amenuise, et parfois se ramifie, la trace du sentier qui pénètre dans la profondeur des marais. »

    Ainsi naît et se développe la légende, ainsi s’établit la longue liste de signes (pistes) qui mènent au mystère jamais tout à fait révélé du pays pessinois. Jean-Pierre Chambon observe le monde qu’il crée d’un œil d’entomologiste et de poète. Tout est noté, répertorié, du vol de moucherons dans un rai de lumière à leur dispersion « en palpitations d’ailes affolées » au moindre bruit. Pour les bâtisses, le narrateur nous entraîne, tel un archéologue, dans un réseau d’hypothèses – labyrinthe, dirait peut-être Jean-Pierre Chambon qui les goûte, notant à propos « d’une ancienne construction » connue sous le nom d’« oratoire de Notre-Dame-des-Ombres » qu’« aucun légat n’a jamais consacré le lieu ni confirmé le nom ». Une autre hypothèse fait remonter la bâtisse à l’époque de la reine Zélia qui entre dans le récit en même temps que sont évoquées, près de ce lieu légendaire, les « feuilles parlantes », rapportées un soir par l’éclaireur qui remarque alors que sur leur limbe des boursouflures, des signes en réalité, se répètent, « dessins » parlant une langue inconnue.

    Lire Zélia, c’est suivre son parcours sans fin puisque cette reine refuse la vie sédentaire. C’est aussi se délecter d’une profusion de mots qui s’ajoutant, se précisant les uns les autres, construisent une civilisation à laquelle s’attache le lecteur. De cette civilisation, on nous dit que des traces nous sont parvenues par miracle. Vestiges rescapés des décombres, monde sauvé de l’oubli, on le découvre, comme une cité engloutie, dans la ferveur. Avec l’auteur, nous sommes comme Joseph Conrad cherchant la ville d’Ys et la princesse Dahut en Bretagne du côté de l’Ile-Grande, ou comme le capitaine Morhange3 qui découvre en plein Sahara l’Atlantide et la reine Antinéa (d’aucuns avancent qu’il s’agissait de Tin-Hinan, la mythique reine des Touaregs).

    Dans le livre de Jean-Pierre Chambon, nous suivons le destin des personnages, incarnés certes, mais aussi suscités par des vocations variées auxquelles ils se consacrent. La plupart ne sont pas nommés, mais désignés par leur fonction. C’est l’un des fragments, « La bibliothèque itinérante », qui a fait l’objet de la publication séparée sous le titre Des lecteurs ou, plus complètement, Des lecteurs de la bibliothèque itinérante de la Reine Zélia. C’est dire l’importance de ce chapitre dont l’éditeur Harpo & a fait une édition qui donne de l’espace et des étoiles rouges aux mots bleus. Nous sommes ces lecteurs, chacun s’y reconnaîtra (peut-être) : le philosophe, le cordonnier, le marmiton, le maître cuisinier, le panégyriste, la dame de compagnie, la géomancienne, l’herboriste, la coiffeuse et d’autres, dont les trois rois et la déesse Issabisbissa. On y rencontre aussi la devineresse Assia, qui porte le même nom que la dédicataire du livre.

    Un monde mythique se déploie. Des indices précis nous sont révélés : les champs de « feuilles parlantes », à « l’écriture naturelle », sont « carrés » et « mesur[ent] approximativement une trentaine d’enjambées de cheval au galop ». Telle est la mesure, précise et poétique, des côtés. C’est 3 fois 10 (10+3, c’est 13, comme le nombre de fragments). Le nombre 3 est particulièrement important dans ce livre, comme cela arrive souvent dans les contes et autres textes sacrés. Les rois sont trois, comme les chasseurs et d’autres personnages. Nous apprendrons ainsi que « les listes du thesaurus […] formaient une somme hermétique, un labyrinthe indéchiffrable, un buissonnement d’énigmes »  ; ou encore que les signes développent « leurs arabesques, dentelles et fioritures ». Tout va par trois, mais Zélia est seule.


    Les détails construisent une représentation précise d’un univers inconnu qui nous devient familier, presque immédiatement. Les couleurs, les matières, la longueur, la hauteur, autant de détails pour que surgissent, réels, les espaces traversés par la reine nomade.

    En ce monde, on prête aux herbes une volonté de parler, et même de raconter, animisme régnant que la magie, elle est sous-jacente, attise. Cet univers de patience où l’on recopie chaque signe pour le déchiffrer fait du lecteur un explorateur.

    Langue belle de subjonctifs imparfaits retrouvés, de tournures soutenues intégrées au texte comme on introduit la secrète grammaire en péril dans une phrase. Tout cela porte le lecteur en sphère de contes, comme une langue à laquelle on intègre peu à peu des signes oubliés. Le mouvement est le même, celui qui mène Zélia, constamment, vers de nouveaux horizons et le lecteur du livre vers cet îlot que le poète invente. La silhouette évanescente de Zélia peut apparaître dans un rêve du scribe comme au détour d’une page, elle détermine les avancées du récit. Or le voyage peut être immobile : les phases de description, onirique portée, nous éloignent d’un chemin tracé pour suivre une pente à l’issue incertaine.

    Il semble bien que Zélia garde des signes que le poète assemble et révèle, un réseau de correspondances lie les personnages les uns aux autres comme il dénoue les fils d’un secret qui demeure. Le scribe parvient à déchiffrer une partie des signes inscrits sur les herbes, chacune porte l’emblème de Zélia :

    « Le texte évoquait l’histoire d’une reine partie au moment où allait lui être révélé le secret qu’elle avait désiré connaître. »

    Or sans cesse Zélia voyage et s’éloigne du scribe resté au campement pour se consacrer aux « feuilles parlantes ».

    Le lecteur se déplace dans le livre au fil des sections, chacune titrée, tout semble consigné comme dans les livres de la « bibliothèque itinérante » sur des registres, pour garder mémoire. Zélia peut voyager en son royaume comme en ses livres, miroir intime de sa passion pour ce qui la transporte et l’éloigne ou la rapproche, lors de ses pérégrinations, de son propre reflet. Sont évoqués, dans leur diversité, quelques-uns des titres savoureux des livres qui constituent la bibliothèque royale : Discours sur le chevauchement des temps (philosophie), Le Grand Livre des choses exquises (cuisine) ou le Traité d’anatomie des spectres, fantômes et autres ectoplasmes. Un titre encore : Les Mille Vertus du Disque de Chambon (titre qui figure dans la liste des ouvrages, à la fin de Des lecteurs)… Bien des livres à retrouver. Jorge Luis Borges, l’un des inspirateurs de Marc Pessin, affirmait dans sa « Bibliothèque de Babel » : « Je le répète : il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe. » 4

    Si l’un des personnages d’une nouvelle de Jean-Pierre Chambon5 collectionne les ombres, Zélia, elle, accumule les chaussures. Ce détail, déjà mentionné dans Trois Rois, devient un élément précis qui la caractérise : reine nomade, coquette, soucieuse de beauté, elle ne néglige rien et redoute toujours d’abîmer ses précieuses paires, conservées dans des « coffrets » comme les parures. Pour paraître, pour franchir les lieues infinies de sa quête, les oiseaux (corbeaux, vanneaux, pics-verts, hérons, perdrix, merles, grives, rossignols, loriots, alouettes, hirondelles, étourneaux) se joignent en une « longue traîne folâtre dans le sillage du véhicule royal », on les disperse en disposant de « grands épouvantails accoutrés de haillons bariolés et parsemés de grelots ». La nuit, ce sont les vers luisants qui produisent leur « luminescence », créant des effets. Nous verrons aussi « ce chemin éclairé par les minuscules lumignons des lucioles », ces insectes aimés des poètes. La couleur du récit pourrait être l’argenté. Zélia voyage la nuit à la lumière de la lune et des étoiles. La lumière de la lune se reflète sur l’eau et tout ce qui brille. Ce ne sont qu’éclats, lueurs, reflets, scintillements… Précisons que le calendrier, lui-même, est lunaire.

    En ce monde, l’instant et l’éternité se jouxtent, Zélia se vêt au soir d’une robe somptueuse « confectionnée d’empiècements tissés de fils d’or ou d’argent » ou bien d’« une robe éphémère » faite avec « des feuilles et des fleurs tressées, des lianes tricotées ou des pellicules d’écorces qu’on avait patiemment assouplies […] » : le merveilleux vit dans le dénuement de la nature comme dans les pierres et métaux précieux (autant).

    Zélia aime le ralentissement de la vie à la tombée des premiers flocons, l’égarement lorsque le paysage change, le repli qu’elle impose (la reine alors inventorie ses trésors : robes et bijoux dont elle pare, pour les regarder, les « mannequins de glace » façonnés par les sculpteurs à sa ressemblance, ils semblent s’animer, comme si l’âme de la reine s’incarnait en eux à la lueur des bougies.

    Ses richesses font parfois penser à celles du Grand Khan Khoubilaï telles que rapportées par Marco Polo. Nous savons qu’il possédait cinq mille éléphants, mais ne savons pas combien de chevaux. Sans doute plus que Zélia qui en avait quarante-neuf qu’elle était seule à monter. Mais elle en possède deux qui auraient rendu envieux le Grand Khan : deux chevaux fantômes qui galopent avec les autres. Ce sont des chevaux de mots, chevaux de poème, comme les quarante-neuf autres.

    La reine, dans son voyage perpétuel, réveille dans ses pas des croyances qui prennent vie, figures de son destin, de sa beauté et de son obstination à poursuivre. Sa caravane éternelle croise le vent, la neige, le soleil pour dispenser autour d’elle la fibre magique dont elle-même est constituée. Ainsi en est-il de sa précieuse petite poupée qui reçoit toutes ses confidences et prend ses marques de douleur pour alléger sa souffrance. « Quand elle se faisait mal, le stigmate du choc apparaissait sur le petit corps, sa souffrance s’en trouvait alors en partie soulagée. » Comme les jardiniers de Jacques Abeille cultivent les statues6, le vieux jardinier de Zélia surveille de près la croissance des plantes à poupées, celles qui semblent anodines par leurs feuilles et fleurs, mais dont les racines-tubercules sont des poupées (ce qui peut nous faire penser aux mandragores). Il faut savoir lire les herbes, se montrer patient et délicat pour découvrir et faire venir au jour ces dons de la nature.


    La ville que cherche et trouve Zélia s’appelle Alpomaria. Ne s’agirait-il pas de l’antique cité romaine nommée Pomaria7 par les Romains, la ville des vergers ? Nous l’appelons maintenant Tlemcen, ville berbère d’Algérie située au pied du djebel Terni, la Perle du Maghreb que l’on peut atteindre, comme la reine, en franchissant de hautes montagnes de l’Atlas. Le poète et romancier Mohammed Dib a souvent évoqué cette ville aux nombreux porches, piliers et arcades, qui sont souvent de branches et de frondaisons pour Zélia. Le poète de Tlemcen nous montre « au fond, à travers cette lande, se réservant tout l’espace, trois koubbas avec leurs portes cintrées ouvertes sur rien, sur le ciel et dont vous savez peu de chose si ce n’est que chacune couvre la sépulture, disparue, d’une princesse oubliée »8. Il nous parle aussi des « princesses aux noms perdus » 9. Jean-Pierre Chambon nous révèle peut-être le nom et des fragments de l’histoire de l’une de ces princesses dont il s’est fait le scribe. Mais Alpomaria, avec son canal, nous ramène à l’esprit également la ville merveilleuse de « L’invitation au voyage » de Baudelaire. Ses rues vides bordées de colonnes et de statues peuvent aussi faire penser à certaines toiles de Giorgio De Chirico ou de Paul Delvaux.


    Au terme du récit, nous retrouvons la figure du scribe10, figure principale de l’œuvre, avec celle de la mythique Zélia. Le scribe, c’est le poète, celui qui s’efforce de tracer sur la page pour effacer l’oubli ce que « le vent fredonn[e] dans une langue ignorée ». « Confusément, quelque chose v[eut] être dit et tout, jusqu’au silence de la nuit, ret[ient] un message. » Nous voyons ici le poète en action. Dans ses Feuilles d’herbe, Walt Whitman écrivait : « Je crois qu’une feuille d’herbe est à la mesure des étoiles » 11. Ce scribe appartient à la famille des poètes de la terre et du vent, comme Thierry Metz qui interrogeait : « Que fait cet arbre au milieu du livre / loin des noces / en pleine terre / de dialectes ? / Parmi tant d’abeilles, on dirait qu’avec la reine il est venu mourir. Ou s’élancer. » 12 Dans la bibliothèque nomade de Zélia, nous avons pu apercevoir la « poétesse Luluth Trista », à l’inspiration inépuisable à l’image d’une écriture poétique rêvée, auteur des Chants de la multiplicité des mondes. Son prénom évoque à la fois Lilith, la première femme insoumise, l’égale d’Adam, et le luth, instrument favori des poètes. Son nom, qui peut rappeler les Tristia d’Ovide ou de Mandelstam, chants de l’exil, nous indique la tonalité de son chant.

    Le scribe, lui, nous raconte que « tout […] lui parlait, le vent, le frisson qu’il propageait à la surface de l’étang, le moustique et l’oiseau, et même la pierre froide qui ne disait rien. »

    Le « scribe mélancolique » est gardien de mémoire, il veille et nous ouvre, peut-être, au mystère de cette civilisation comme un chœur, il est celui qui délivre les mots (ou tente de le faire). L’épopée de Zélia, entre réalité et mythe, nous a offert le temps de la lecture la délectation souriante d’un univers onirique et promis à la transmission.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________________
    1. Jean-Pierre Chambon, Trois rois, Éditions Harpo &, 2009.
    2. Pour en savoir plus sur cette civilisation : https://marc-pessin.com/
    3. Pierre Benoit, L’Atlantide, Éditions Albin Michel, 1919.
    4. Jorge Luis Borges, Fictions, traduction de P. Verdevoye et Ibarra, Gallimard, 1957, Folio, page 99.
    5. Jean-Pierre Chambon, Une collection particulière (extrait), Revue Le Visage vert n°26, novembre 2015.
    6. Jacques Abeille, Les Jardins statuaires (1982), Attila, 2010.
    7. L’auteur aurait fait précéder le nom du castrum romain de l’article « al ». Ceci n’est bien sûr qu’une hypothèse.
    8. Mohammed Dib, Tlemcen ou les lieux de l’écriture, photographies de Mohammed Dib (1946) et de Philippe Bordas (1993), Éditions Revue Noire, 1994, page 109.
    9. Ibid., page 117.
    10. Mohammed Dib raconte comment, enfant, il s’installait dans le patio de la maison familiale pour écrire « dans la posture du scribe » (ibid., page 48). Et on a pu appeler « scribe de l’Égypte » Champollion, le déchiffreur notamment de la pierre de Rosette et des hiéroglyphes égyptiens, qui a ainsi permis de raconter une grande partie de l’histoire de l’Égypte ancienne, en particulier celle de la toujours mystérieuse reine Néfertiti.
    11.Walt Whitman, « C’est moi que je célèbre » (1885) in Feuilles d’herbe, traduction de Jacques Darras, Grasset / Les Cahiers Rouges, 1989, page 66.
    12. Thierry Metz, Terre, Opales/Pleine Page, 1997, page 79.







    Jean-Pierre Chambon, Zélia





    JEAN-PIERRE CHAMBON


    Jean-Pierre Chambon  en vignette
    Source




    ■ Jean-Pierre Chambon
    sur Terres de femmes


    L’Écorce terrestre (lecture de Cécile A. Holdban)
    L’Écorce terrestre (lecture d’AP)
    [Fleurs dans la fleur]
    [Je touche le grain du silence] (extrait de L’Écorce terrestre)
    L’invention de l’écriture (extrait de Zélia)
    Des lecteurs (lecture d’AP)
    Des lecteurs (extrait)
    Noir de mouches (extrait)
    Le Petit Livre amer (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Détour par la Chine intérieure (poème extrait du Petit Livre amer)
    Fragments d’un règne (poème extrait du Roi errant)
    [Sur le papier la lumière](extrait de Sur un poème d’André du Bouchet)
    Tout venant (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [À partir de l’inaliénable singulier] (extrait de Tout venant)
    Un écart de conscience, II (extrait)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Jean-Pierre Chambon | Michaël Glück, Une motte de terre (extraits)
    Jean-Pierre Chambon | Marc Negri, Fleuve sans bords (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    [civilisation pessinoise] L’Alpe 34 : Peuple en voie de distinction, par Jean-Pierre Chambon




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris






    Retour au répertoire du numéro de décembre 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Emmanuel Moses | [Derniers feux]




    [DERNIERS FEUX]



    Derniers feux, j’allume une cigarette
    Pour un peu je casserais tout ce qui me tombe sous la main
    Je viderais ma bouteille de mauvais vin
    Je sortirais sur le balcon crier à tue-tête

    Que vienne l’heure du jugement suprême, la fin des haricots
    Gog et Magog, l’apocalypse sur le Mont des Oliviers
    La lune brillant avec le soleil au-dessus des vallées
    Le sang et les humeurs coulant à flots

    Le jour ne tombera donc pas
    Tout ce ciel violent me crèvera à la figure ?
    À l’horizon, assez de peinture !
    J’ai faim de nuit, soif d’étoiles à l’aplomb des toits



    Emmanuel Moses, Ivresse, 8, éditions Al Manar, Collection Poésie, 2016, page 19. Dessins de Rachel Moses-Klapisch.






    Emmanuel Moses, Ivresse 2





    EMMANUEL MOSES


    Emmanuel_moses_didier_pruvot_flammarion
    Ph. © Didier Pruvot/Flammarion
    Source





    ■ Emmanuel Moses
    sur Terres de femmes


    Dona (lecture d’AP)
    [La pluie donne un soir inachevé](poème extrait de Dona)
    La fleur « Shortia » (extrait de Polonaise)
    Ivresse (lecture de Gérard Cartier)
    [Aujourd’hui j’ai ouvert le journal de l’éternité](extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je ferme les yeux](autre extrait de Dieu est à l’arrêt du tram)
    [Je suis allée au puits](extrait de Comment trouver comment chercher)
    [La mer, à peau de cétacé](extrait du Paradis aux acacias)
    Quatuor (lecture d’AP)
    [Mais voilà il y a un au-delà des apparences](extrait de Quatuor)
    Tout le monde est tout le temps en voyage (lecture d’AP)
    Tardives (poème extrait de Tout le monde est tout le temps en voyage)
    [Mettre un éléphant dans un poème](extrait d’Un dernier verre à l’auberge)
    [Le cahier vide et le cahier qui se remplit](extrait du Voyageur amoureux)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Galaade)
    une notice bio-bibliographique consacrée à Emmanuel Moses







    Retour au répertoire du numéro d’août 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte

    par Isabelle Lévesque

    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte,
    Éditions Al Manar, 2015.
    Encres de Jean-Gilles Badaire. Postface de Gabrielle Althen.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    Ce que nous ne trouverons jamais reste ouvert : quelque chose le souffle et le cache. Nous entrons dans le livre de Lionel Jung-Allégret par les encres sombres de Jean-Gilles Badaire : une ligne s’incline, courbe l’espace d’une douceur de brindilles, dessinant un chemin, le bruissement du vent dans les feuilles, mimétique du titre, une promesse qui s’accomplira peut-être.

    Des trois épigraphes, je retiendrai le verbe « hanter » de Christian Doumet, assurément l’un des fils de Derrière la porte ouverte dédié aux ascendants, père mère, venus établir dans le texte une trace familiale en devenir.

    Dans le livre alternent deux voix. La première, celle du « je », est imprimée en caractères romains pour des poèmes numérotés de 1.1 à 1.5. Chaque texte, à l’exception du dernier, commence par « Derrière la porte ». La seconde voix répond à la première, ce « tu » auquel elle s’adresse, elle est imprimée en italiques. Elle commente et décrit les dires, les pensées et les actions de la première instance. Ces poèmes sont eux-mêmes numérotés de 2.1 à 2.4. Dans la mise en musique réalisée par Grégoire Lorieux 1, c’est l’auteur qui dit le poème 1.1 et une actrice le 2.1. Puis les deux voix interviennent de façon plus complexe, parfois en écho, en arrière-plan. La voix italique et la romaine semblent constituer des voix intérieures.

    Le vers liminaire, détaché, « Derrière la porte ouverte », donne son titre au livre, immédiatement assimilé à l’adjectif « étrange ». Paradoxale, la trace, polysémique peut-être, elle est source d’une émotion tour à tour douloureuse ou féconde. Indicible, on l’éprouve dans le chant anaphorique des intensifs :


    « tout est si étendu

    si infime

    tout est si étrange. »


    Par homophonie, on entend l’écho de la conjonction hypothétique dans cet adverbe intensif.

    Étonnante attaque du titre déjouant l’attente : « derrière la porte fermée » ? Non, elle est ouverte. Cet espace qui s’ouvre, « infime » et « étendu », est celui des paradoxes. Nous lirons plus loin :

    « Derrière la porte ouverte

    il y a une infinité de portes qui battent »


    ou encore :


    « Ne croyez pas que des portes s’ouvrent

    ou que des portes se ferment »


    Autre paradoxe. La porte ouverte et la porte fermée sont une. Deux espaces-temps coexistent, comme la physique quantique, mentionnée en première épigraphe2, le laisse supposer.

    Est-ce la « porte logique » 3 de l’ordinateur quantique ? Ou la porte de l’Enfer que franchit Dante ? Ou celle découverte par Alice, si petite qu’elle ne peut y passer, alors qu’elle voit derrière elle un merveilleux jardin ? Pays des Merveilles, apparemment, mais pour l’atteindre, il faut changer d’état.

    Giordano Bruno, dans un dialogue entre Albertino et Filoteo, qui est son porte-parole, écrit : « Débarrasse-nous des moteurs extrinsèques ainsi que des bornes de ces cieux. Ouvre-nous la porte par laquelle nous voyons combien notre astre ne diffère en rien de tous les autres. […] Fais-nous clairement comprendre que le mouvement de tous ces mondes procède de l’impulsion de l’âme intérieure, afin qu’illuminés par une telle contemplation nous puissions progresser à pas plus sûrs dans la connaissance de la nature. » 4 Giordano Bruno enseignait ici que la Terre tourne autour du Soleil, que les étoiles sont centres d’autres mondes, que l’univers donc s’avère infini. La porte qu’il ouvre est celle de la connaissance, celle de l’univers, de l’espace et du temps. (L’ouverture de cette porte le conduira au bûcher en 1 600.)

    Quand elle est ouverte, la porte permet le passage d’un espace à un autre. Derrière la porte ouverte du livre de Lionel Jung-Allégret, nous pénétrons dans la chambre d’hôpital ou bien l’espace mortuaire où gît la mère, puis dans le four aux « portes d’acier » réservé à la crémation. C’est aussi une porte derrière laquelle se trouve un savoir inaccessible.

    Que reste-t-il de si fragile et pénétrant qui disparaît « comme si l’on ne savait pas / que nous ne verrions rien » ? L’intensif et la condition, inatteignable, se joignent, situant le livre d’emblée sous le signe de l’insoluble.

    C’est donc dans un double mouvement d’amoindrissement et d’extension par la pensée qu’officie le poète de Derrière la porte ouverte.

    L’altérité pourrait-elle enfreindre la fatalité ? « Peut-être arriveraient un autre feu / ou la cendre d’une autre chair ». Les premières pages semblent vouloir puiser dans la répétition de syntagmes identiques une source, le participe présent portant la durée rédemptrice envisagée dans son processus, lent, récurrent. Marqué par l’effort ou l’inanité ? Seuls changent les compléments du nom (« naissant d’un reste d’algues », « d’un reste de soleil ») comme autant de possibles envisagés mais qui risquent de ne pas aboutir (à la vie), les interrogations en témoignent qui se multiplient en « [p]romesses jamais offertes ».

    Pour les mères, le chant, le sanglot « dans les matins blanchis », l’adresse « ô mère », alors qu’elles ouvrent le monde « derrière la porte » ou dans l’horizon qui porte déjà la blessure de la mort annoncée car, « derrière la porte ouverte », maintes blessures, recluses, vont apparaître dans le jour. Vestiges de douleurs passées comme celles, présentes et terribles, que porte la vie en ces énumérations introduites par « il y a », formulation d’un présent éternel qui ne peut que s’ouvrir en laissant paraître la souffrance. Les accumulations accentuent l’effet de prolifération sans fin des douleurs engendrées par la vie, la conjonction « et » ne les clôt pas. Le « je » que le poète avance est personnel et universel, témoin, auquel se confronte ce « tu » invoqué, mère ou l’autre qui souffre, perméable et exposé sans fin. Des parallèles s’établissent : les lignes de l’électrocardiogramme et « quelques lents calques de falaise », comme si la douleur humaine et le monde se reflétaient en un écho sans fin.

    Les encres de Jean-Gilles Badaire portent les traces de cette douleur : branches devenues de longues lignes courbes autour d’un espace ouvert sur des avancées et des reculs, ombres tacites dans la figuration du cri que le livre répète.

    Comment ce cri pourrait-il entrer dans la musique ? Vibre-t-elle encore lorsque le corps ralenti qui se meurt peut-être recule ? La porte ouverte laisse-t-elle les sons nous atteindre alors ? Le poète voyant depuis un point éloigné de la terre, dans une projection cosmique, entend une « mesure précise », « le chant de l’invisible » :


    « Je vois ce qui est dur

    dans l’oscillation des ondes »


    Quelque chose résiste, « ellipses d’abord », qui fera naître « un instant d’eau / dans l’éternité » car le temps se répare en devenant éternel et des échos prophétiques nourrissent les vers, « cendre bleue » sidérale et féconde.

    Guillaume Apollinaire percevait dans le fleuve « [d]es éternels regards l’onde si lasse » et écrivait : « Comme la vie est lente / Et comme l’espérance est violente ». Lionel Jung-Allégret nous décrit « [u]n monde plus lent que la vie. // Et les mots qui l’accompagnent / sont lents aussi. » L’autre voix parlera de « l’obscénité de l’espérance » face au vide entrevu. Espérance vaine comme celle de ce paysan de Kafka5 qui reste assis pendant des années à côté de la porte ouverte qu’il voudrait pourtant franchir. C’est la loi du temps, si difficile à penser.


    « Des mots amputés

    fracturés par ce qu’ils ne savent nommer

    des mots pour les lieux trop brefs

    des mots dont la couleur insaisissable

    crève les yeux

    et d’un langage obscur voile l’obscurité de la mort. »


    Une porte est ouverte sur des espaces et des temps autres, la référence aux expériences et aux spéculations de la physique quantique est manifeste. Seuls des mots blessés et défaillants peuvent les esquisser dans l’incertitude et l’indécision.


    En deux millions d’années pour l’humanité, combien de mères disparues, donnant la mort avec la vie, combien d’enfants les attendant sur le seuil ?


    « Ô mères aux corps abrupts de soleil

    aux corps de sols et de tombeaux ».


    Et si l’on envisage encore plus loin la formation de la terre, il y a 4,45 milliards d’années :


    « Je vois la matière profonde des limons

    jaillir du néant

    et de sa mesure précise. »


    « Je » et « tu » distinctement se lient pour entendre le ciel et la Terre, dans une arche que la musique crée. Mère perdue, retrouvée en ce chant, à « [l]’embrasure ». Le bleu alors traverse et perce, la fin du livre nous l’offre comme une main tendue sur le vide où résonnent quelques notes :


    « J’entends des murmures

    derrière les cordes du silence. »


    On peut lire le lexique emprunté à la musique comme dissocié du contexte monolithe de la perception visuelle, corde également tendue vers l’autre perdu que l’on peut atteindre : le futur ouvert, porté par un arbre, le vent entre soi et « [u]n corps dans la terre » qui s’ouvre à l’inconcevable musique de l’éternité.



    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. L’Autre Côté du ciel (2014), pour quatuor vocal et électronique, de Grégoire Lorieux — sur un poème de Lionel Jung-Allégret lu par l’auteur et par Martine Erhel. Création en septembre 2014, Église des Billettes, Paris — avec l’Ensemble Regards, dir. Julien Beneteau. On peut entendre l’œuvre sur le site du compositeur :
    https://gregoirelorieux.net/gregoire_lorieux_compositeur/Works/bydate/2014-1.html
    2. « Les physiciens ont utilisé deux modèles pour théoriser le monde, l’onde et le corpuscule. Mais il a fallu renoncer aux images traditionnelles : les constituants ultimes de l’univers ne sont pas réductibles aux métaphores classiques. » Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, Métaphysique quantique, Éditions La Découverte, 2011.
    3. Métaphysique quantique, id. page 96.
    4. Giordano Bruno, L’Infini, l’Univers et les mondes (1584), Éditions Berg International, 1987. Traduction de Bertrand Lebergeois.
    5. Kafka, Le Procès, ch. IX, « À la cathédrale », page 453, in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, tome I, Éditions Gallimard, 1976. Traduction d’Alexandre Vialatte.






    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte





    LIONEL  JUNG-ALLÉGRET


    Lionel_jung-allegret




    ■ Lionel Jung-Allégret
    sur Terres de femmes

    [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
    [Derrière la porte ouverte] (poème extrait de Derrière la porte ouverte)
    [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
    [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
    [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
    Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
    [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
    Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    une page sur Derrière la porte ouverte de Lionel Jung-Allégret




    ■ Autres notes de lecture (54) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Ici
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





    Retour au répertoire du numéro de juin 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Eugénie Paultre | [Tendre à la seconde qui vient]



    [TENDRE À LA SECONDE QUI VIENT]




    Tendre à la seconde qui vient comme à une impossible absence. Ramener à soi l’instant qui passe. Ne pas croire. Voir à l’envers de soi. Rassembler ses forces au moment même où cet instant nous abandonne. Et si rien ne devait être sinon le ciel et ses lointains ? Nous savons tout à présent. Toutes les illusions soudées à nos pas. — Nous retrouverons un jour nos regards légers, nos paroles d’enfant, la sincérité brute. — Le sens est là. L’essentiel sera confié à un moment précis, divulgué dans le reflet d’une lueur rasante.



    Eugénie Paultre, En soi-même, Éditions Al Manar, 2016, page 42.







    Eugénie Paultre, En soi-même.jpg 2
    Couverture : Eugénie Paultre






    EUGÉNIE PAULTRE


    Eugenie Paultre




    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Recours au poème)
    Cinq poèmes choisis
    → (sur le site du cipM)
    un extrait du recueil Hiver (Al Manar, 2013), dit par Eugénie Paultre





    Retour au répertoire du numéro de juin 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Lionel Jung-Allégret | [Derrière la porte ouverte]




    Derrière la porte
    Ph., G.AdC






    [DERRIÈRE LA PORTE OUVERTE]




    Derrière la porte ouverte


    il y a le vent qui mugit
    et des bouches affamées
    dans le ventre nu des bêtes.


    Il y a des cris d’oiseaux
    des voix ignorées dans la calcination des rumeurs
    et des arbres noirs qui ploient comme des glaciers
    à l’horizon


    des torses sans vie
    que traverse la lumière froide.






    Il y a le cri du silence
    qui porte le souffle du temps


    et des corps vivants
    qui brûlent dans une musique immense


    et dans la torche des corps
    d’autres corps
    qui ne verront jamais le jour.






    Derrière la porte ouverte
    il y a une infinité de portes qui battent.


    Il y a la nuit



    et le souffle inquiet des hommes
    comme une falaise qui se lève
    dans un jour sans lumière.



    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte, Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2016, pp. 38-39-40. Encres de Jean-Gilles Badaire. Postface de Gabrielle Althen.






    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte





    LIONEL  JUNG-ALLÉGRET


    Lionel_jung-allegret




    ■ Lionel Jung-Allégret
    sur Terres de femmes

    [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
    Derrière la porte ouverte (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
    [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
    [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
    Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
    [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
    Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Al Manar)
    une page sur Derrière la porte ouverte de Lionel Jung-Allégret





    Retour au répertoire du numéro d’ avril 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Françoise Ascal, Noir-racine précédé de Le Fil de l’oubli

    par Isabelle Lévesque

    Françoise Ascal, Noir-racine,
    précédé de Le Fil de l’oubli,
    Éditions Al Manar, 2015.
    Monotypes de Marie Alloy.



    Lecture d’Isabelle Lévesque


    Ascal Autre Livre
    Source






    On ne saura rien du sang répandu qui a
    noyé son âme, de la boue des tranchées
    pétrifiée dans son corps, ensevelissant l’aimé,
    puis le frère trop jeune, puis les rêves.

    F. A.



    Sur « le bruit d’une faux », le livre s’ouvre. S’agit-il de couper l’herbe qui nourrira le bétail ou est-ce le grand Faucheur qui tranche les fils d’une lignée 1 ? Cet ensemble affirme un paradoxe que la fin de la première page interroge, en juxtaposant l’aube et le crépuscule et le questionnement, manifeste (présent cinq fois en ces quelques lignes), réfute toute devise. Ici, rien n’est certain. L’observation puis l’écoute de ce que le mouvement de faucher a généré suscite une analyse dont la réponse reste en suspens. Le début est placé sous le signe d’une menace, d’un trouble généré par la perception double, visuelle et auditive, qui fait osciller les couleurs, vert (sombre puis pâle), jaune, avant que soit enfin capté le parfum. L’éveil, là, en ce tumulte du « bruit de la faux », identique au premier monotype de Marie Alloy qui le précède, rendu noir et blanc de mouvements contradictoires, verticalité balayée par un pinceau large qui la réduit alors que des taches sombres se concentrent sur la page. Fort à dire, pour ce qui concerne Françoise Ascal, de la vocation du peintre dans ses livres et du lien « organique », elle a plusieurs fois employé ce terme, entre la vision du peintre et la parole balbutiante qui s’efforce et cerne, qui constate et demeure.

    Ce volume assemble deux recueils précédemment publiés pour un tout cohérent aux différentes facettes. Le Fil de l’oubli fut publié par les éditions Calligrammes (Quimper) en 1998 et Noir-racine par les éditions Al Manar en 2009, sous forme de livre d’artiste avec Marie Alloy.

    Le Fil de l’oubli s’organise autour de cinq cartes postales écrites par Joseph, le grand-père paternel de la narratrice, à son épouse Élise. Celui-ci est en train de mourir à l’hôpital militaire de Besançon, elle a 34 ans. Chacune des cinq cartes postales de Joseph, datées du 20 au 27 mars 1915, commence par « Chers Élise, Marthe, Gabriel », l’épouse, la fille et le fils, par ordre de préséance, d’âge. Et chacune est suivie de textes en prose suivant un fil de la lignée. Aux trois destinataires des cartes postales s’ajoute la « petite fille », fille de Gabriel et petite-fille de Joseph et Élise, que nous devinons être l’auteur. L’évocation de ces vies court de 1915 à 1985. Le lieu central en est la ferme de Joseph et Élise, située près d’un village non nommé. Un pont sur la rivière permet de rejoindre un autre village où se trouve la ferme de l’oncle.

    Le premier fil est celui de Gabriel, le fils de Joseph et Élise, frère de Marthe et père de la « petite fille ». Fils, frère, père, les fils ne sont pas isolés et les liens familiaux essentiels. Nous le suivons ici de 1915 à 1951. Il connaît l’essentiel, les « signes que lancent l’herbe et le vent, l’arbre et l’oiseau ». Privé de son père par la guerre, il met en pratique le déchiffrement de la nature enseigné sans mots. Qu’est-ce qui se transmet et comment ? La parole n’est pas le seul vecteur et les lettres du père que la guerre oblige à « parler » changent la transmission établie sur la répétition des gestes que permet la proximité. Imitation silencieuse, gestes accomplis ensemble avant la guerre comme un rite qui fonde une relation (père/fils) mais aussi un enseignement efficace. Dans la remémoration des jours où fils et père se trouvaient ensemble, le lecteur s’approprie une communication tandis que Gabriel, qui ne sait pas écrire, observe sa sœur tracer des lettres sur le papier pour répondre à leur père. Puis vient une écriture trouée, des vers qui n’atteignent pas la phrase, pour évoquer ceux qui « avancent / piétinent / avancent », ce mouvement de conquête et repli – ce qui revient au même. Alors la narration, elle-même percée, progresse vers l’histoire remémorée de ceux qui furent, à travers leurs traces. Ici, le temps n’est pas un simple flux. Le texte épouse ce mouvement qui va, cette force qui hésite, la ligne est discontinue.

    On retrouve des mots presque oubliés (« la salle commune »), on revoit le visage ouvert et souriant de jeunes filles inconnues, sur les chromos, cartes postales anciennes, cela qui n’est rien – un trésor de mémoire. On imagine celle qui écrit, narratrice, poète, cherchant, dans ces traces dénichées, un fil. Et ce trésor, infime, l’écriture en est la matière, qu’il s’agisse des traces manuscrites ou des légendes courtes portées par les cartes illustrées, que Gabriel voudrait « EN COULEURS ». Les images révèlent aussi la vie à la caserne (fusil, godillots ou juste à côté, ironique portée, l’Arc de Triomphe de Paris). Succession d’instants, le quotidien d’« une religieuse en cornette », « une épouse », « des enfants réunis autour d’une mappemonde », l’absence du père est comblée par ce réseau d’images que les enfants voudraient traduire « en mots ». Genèse. Rituel de plume et d’encrier — buvard. Or les mêmes mots s’écriront, « carte très jolie… deux bons points… hâte de te voir ». Ici c’est déjà l’oubli que la poète retient, ici un livre s’écrit. Le livre avance, de prolepse en fil rompu du temps recousu (de 1915 à 1924), ce « fil des générations » qui couvre d’oubli le temps qu’on peut à peine entrevoir, ce fil rompu entre la vie paysanne, « sur une terre trop ingrate », et le destin de Gabriel qui la quitte. Dans le texte, la figure de la coupe rythme les pages, « le soir tu es rompu », écho de la faux, ou plus tard, en 1937, « [l]a rivière sépare les deux villages »… Comment réparer les trous du temps, lier la mémoire au texte et renouer le fil ? Un accident a blessé l’oncle cultivateur, « une roue de chariot lui est passée sur le corps, l’estropiant pour toujours ». Une des photographies, retrouvée par la narratrice, le montre « très droit, étrangement crispé », appuyé sur les deux femmes, épouse et belle-sœur, qui l’entourent. Perception des êtres en ce à quoi ils appartiennent : terre nourricière qui façonne les personnes, leur donnant un visage et l’âme de ce qu’ils sont, voués au travail, au sacrifice peut-être :

    « Qui est-il sans la chaleur de ses bœufs sous la paume, sans leur dialogue complice, attelés ensemble pour l’éternité ? »

    Oncle claudiquant, livré au manque, les prépositions privatives lui ôtent sa vocation, homme voué à creuser sillon pour retourner la terre, la rendre féconde et l’on retourne à la faux initiale, au fil rompu des herbes qui furent avant la coupe. On le dit fou, on le condamne, les femmes prient pour le garder du diable, elles toutes qui cherchent à le protéger. De lui-même, elles ne le pourront pas, il se pend. Le fil et la corde, en écho.

    Ainsi, le récit lacunaire avance : bond de quelques années et le futur simple pour évoquer ce qui se serait passé, autre trame ou la même, celle du fil noir de l’encre que la poète tisse, Pénélope de la mémoire elliptique retenant le temps, suggérée par plusieurs clichés retrouvés. Parfois les verbes d’action occupent le devant de la scène (« il fera… allumera… regardera… sortira… choisira »), prophétie à l’envers d’un temps passé troué, inventé. Gestes rituels :

    « Puis il sortira son couteau, et avec lenteur, circonspection, il choisira deux branches bien droites, qu’il coupera avec soin. »

    Penser au geste séculaire de la taille (branches de noisetier), fondre le geste individuel en ceux des autres : bâton de marche, appui, comme écrire se fonde sur la remémoration nécessaire et créative d’un passé que l’on ne peut que supposer. Les traces sont trop infimes pour être fidèles à chaque mouvement, mais la restitution existe et l’arbre ne vit pas sans racine. Entre la mère et le fils, Gabriel, le patois à mi-voix lorsqu’ils se retrouvent, pour partager ce qu’il est devenu : parti, pour un autre métier plus sûr. Ce dialecte du pays où les clochers sont en forme de bulbe ne sera plus parlé par les enfants partis près de Paris.




    Que reste-t-il de ceux qui nous précèdent lorsque la faucheuse, passée, a coupé tous les fils, lorsque les branches de l’arbre ont été sectionnées ? L’interrogation suscite également l’idée des destins alignés. La ligne pour Françoise Ascal est cruciale : ligne des combattants de guerre, lignée des descendants, nervures des feuilles, irriguées.

    Dans L’Évolution créatrice, Bergson montre que « comme l’univers dans son ensemble, comme chaque être conscient pris à part, l’organisme qui vit est chose qui dure. Son passé se prolonge tout entier dans son présent, y demeure actuel et agissant » 2. L’anthropologue anglais Tim Ingold prolonge la réflexion du philosophe en montrant que les arbres généalogiques rendent mal compte des lignées : chaque personne y est un point. Les lignes n’y sont que des connecteurs indiquant un lien : union (avec ou sans amour ?), filiation (avec ou sans amour ?). Alors que les vies ne sont pas des points mais des lignes, entrelacées, chacune partant d’une autre, en divergeant lors des séparations ou des éloignements, puis se rapprochant des mêmes ou d’autres. Le fil de la vie qui se transmet est aussi constitué d’histoires racontées, de gestes enseignés, d’habitudes, de regards. La transmission s’établit des parents aux enfants, mais souvent aussi des grands-parents aux petits-enfants. Tim Ingold évoque « la tresse de la vie » 3.

    Gabriel adolescent, poussé par sa mère qui rêve d’une vie autre que la sienne pour son fils, quitte la ferme pour faire des études et passer un brevet de technicien. Puis ce sera un emploi dans la banlieue parisienne, le mariage, un enfant. Divergence alors, éloignement, une vie.

    Jeux de points de vue déplacés, les cartes postales de Gabriel s’éteignent à l’hôpital de Besançon. Intercalées, elles forment un récit troué, obus tombés dans la mémoire dont le fil se noue pour révéler un passé qu’on suppose, les traces d’une fin de vie. Cette transposition s’apparente à l’appropriation, tentative pour lire et faire sien le destin des aïeux, leur trace menacée entre dans une préservation. Alors les fils (du trousseau) apparaissent encore, métaphore filée du destin : en 1926, Marthe brode sa robe de mariée, mariage « sans amour, mais sans aigreur », « [e]lle trace des arabesques, rehausse de satin la taille » et se souvient de celui qui partit – ne revint. « [V]isage pétrifié » : ôtée par la guerre, la promesse de l’amour a cédé. Les mots se succèdent (père et l’aimé secret), les soirs d’orage, les sauts dans le temps (1953), le basculement d’une génération à l’autre et le mot « zébrures », répété, dans le ciel d’orage ou parce que le cri et les gémissements des hommes, dans les tranchées, percent les âges comme le grondement du tonnerre. La terre rappelle qu’à elle on revient, « porteuse d’os et de fleurs », vie et mort mêlées, deux fils qui se joignent ou un seul promis à disparaître.

    Guerre et la veuve, guerre et le mari ou le fils ôtés, ce sont les enfants qui porteront « une poignée de champignons fraîchement cueillis. Ce sont les premières girolles que la chaleur de juillet mêlée aux brèves ondées ont fait jaillir en une nuit sous les sapins. »

    En bout de récit, un fil se coupe : Joseph mort à l’hôpital militaire, laissant un message humble où l’amour murmure la mort prochaine pressentie. La narratrice clôt ce récit en décrivant le cimetière qui semble oublié, où les tombes abîmées, la végétation se mêlent et emmêlent les noms, « [o]n finit par ne plus savoir ce que l’on cherche ». Des os exhumés apparaissent, morts remontés, terre retournée, fragments :

    « On marche sur d’anciens corps de femmes, d’hommes, d’enfants, on avance parmi des morts remontés de terre, affleurant sous sa croûte durcie. »

    « Trop de morts », ici, partout, dans la maison à l’abandon qui fut celle des vivants où trouver les cinq cartes postales et le « canif de fer-blanc » qui laisse passer les souvenirs, pour tapisser la mémoire. La faux revient, son ombre sur la fin, fil de l’oubli passé par le tranchant d’un objet intercesseur :

    « Coquillage au creux de l’oreille des vivants pour prolonger leur murmure. »

    Entre l’aube et le crépuscule – nul choix, la faux s’abat. Mais le cœur bat trop fort de tous ses morts au secret, même le fil dénoué d’une narration trouée les entend encore.

    Dans le livre déjà cité, Tim Ingold, à propos de la lecture au Moyen Âge, évoque le souvenir comme un cheminement : « La mémoire doit donc s’entendre comme un acte : on se souvient d’un texte en le lisant, d’un récit en le racontant et d’un voyage en le faisant. […] un texte, un récit ou un voyage est un trajet qu’on accomplit et non un objet qu’on découvre. Et même si chaque trajet couvre le même terrain, chaque déplacement est unique. » 4 Françoise Ascal nous entraîne dans son cheminement. Les lignes de son grand-père Joseph, traces de sa vie, permettent de faire venir à la mémoire les fils liés à cette vie. Et chaque lecteur est renvoyé à lui-même et à sa propre tresse de vie.

    Dix poèmes, à la fin du livre, pour Noir-racine et le sème de l’obscurité agglutine les deux textes, c’est l’ombre vouée de la frontière entre l’enfance et l’âge adulte qui force – point. L’odeur de fermentation des fruits guide ces pages, elle actionne un temps qui fait surgir les êtres dans l’ombre. Silence. Ne se délivre pas la mémoire, en terre, elle bat. Ne débute pas (ni début ni fin : tout déborde).

    Obscurité dans la ferme, la tenue de deuil, noir des secrets et des non-dits : ces générations qui précèdent et dont nous ne savons rien. Et puis le noir des disparitions à venir.

    Ce qui a si bien noué ces fils de sorte qu’ils puissent ici réapparaître, c’est la force de l’amour, celui d’Élise et Joseph. Jamais Élise n’a voulu se remarier malgré les sollicitations, et Joseph a continué de vivre en elle. Amour encore, celui de Marthe pour un jeune homme à peine connu et mort à la guerre, jamais oublié lui non plus. Enfin l’amour d’Élise pour son fils dont l’éloignement est un sacrifice et puis celui de la narratrice pour sa grand-mère…

    Lignes et traces se tressent en fil de broderie, sillons des labours, lignes d’écriture, fil de laine du tricot, lignes courbes tracées par la faux, chemin de mémoire allant de trace en trace, de vie en vie, vies mêlées et enchaînées.

    Pour ces derniers poèmes, une ligne encore, les mots, pour « les soulever, un à un, avec précaution, comme on lève les pierres au fond de la rivière pour voir apparaître ce qu’on ignorait ». L’écriture, alors, contre ce noir, juste pour regarder en face et franchir.


    Isabelle Lévesque
    D.R. Texte Isabelle Lévesque
    pour Terres de femmes




    ________________________________
    1. Lignées, de Françoise Ascal, dessins de Gérard Titus-Carmel, éd. Æncrages & Co, 2012.
    2. Henri Bergson, L’Évolution créatrice, Presses Universitaires de France, collection Quadrige, 1941, p. 15.
    3. Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, Éditions Zone Sensible, 2013, p. 152. Traduction de Sophie Renaut. Voir en particulier son schéma très éclairant de la p. 154.
    4. op. cit. supra, p. 27.








    Marie Alloy détail 2
    « Entendez-vous parfois le bruit d’une faux ?
    Une vibration dans l’air,
    Un bruissement de graminées qui chutent

    Est-ce l’aube ?
    Est-ce le crépuscule ? »
    (p. 56)
    Source








    Noir-racine 2





    FRANÇOISE ASCAL


    Francoise Ascal par Michel Durigneux
    Ph. © Michel Durigneux
    Source





    ■ Françoise Ascal
    sur Terres de femmes


    [longtemps j’ai mâché | vos grains de grès](extrait d’Entre chair et terre)
    [Carnet, 2004] (extrait d’Un bleu d’octobre)
    [Carnet, 2011] (autre extrait d’Un bleu d’octobre)
    Des voix dans l’obscur (note de lecture d’AP)
    [tu aurais voulu l’oublier] (extrait de Des voix dans l’obscur)
    Levée des ombres (note de lecture d’AP)
    Lignées (note de lecture d’AP)
    [Je ferme les yeux et laisse le mot venir] (extrait de Lignées)
    Mille étangs
    L’Obstination du perce-neige et Variations-prairie (lectures d’AP)
    Rouge Rothko
    16 juillet 1796 | Françoise Ascal, La Barque de l’aube | Camille Corot
    5-10 août 2017 | Françoise Ascal, L’Obstination du perce-neige




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Al Manar)
    la page de l’éditeur consacrée à Noir racine précédé de Le Fil de l’oubli
    Le Silence qui roule, le site de Marie Alloy




    ■ Autres notes de lecture (53) d’Isabelle Lévesque
    sur Terres de femmes


    Max Alhau, Les Mots en blanc
    Marie Alloy, Cette lumière qui peint le monde
    Gabrielle Althen, Soleil patient
    Edith Azam, Décembre m’a ciguë
    Gérard Bayo, Jours d’Excideuil
    Mathieu Bénézet, Premier crayon
    Véronique Bergen, Hélène Cixous, La langue plus-que-vive
    Claudine Bohi, Mère la seule
    Paul de Brancion, Qui s’oppose à l’Angkar est un cadavre
    Laure Cambau, Ma peau ne protège que vous
    Valérie Canat de Chizy, Je murmure au lilas (que j’aime)
    Fabrice Caravaca, La Falaise
    Jean-Pierre Chambon, Zélia
    Françoise Clédat, A ore, Oradour
    Colette Deblé, La même aussi
    Loïc Demey, Je, d’un accident ou d’amour
    Sabine Dewulf, Et je suis sur la terre
    Pierre Dhainaut, Après
    Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie suivi de Largesses de l’air
    Pierre Dhainaut, Vocation de l’esquisse
    Pierre Dhainaut, Voix entre voix
    Armand Dupuy, Mieux taire
    Armand Dupuy, Présent faible
    Estelle Fenzy, Rouge vive
    Bruno Fern, reverbs    phrases simples
    Élie-Charles Flamand, Braise de l’unité
    Aurélie Foglia, Gens de peine
    Philippe Fumery, La Vallée des Ammeln
    Laure Gauthier, kaspar de pierre
    Raphaële George, Double intérieur
    Jean-Louis Giovannoni, Issue de retour
    Cécile Guivarch, Sans Abuelo Petite
    Cécile A. Holdban, Poèmes d’après suivi de La Route de sel
    Sabine Huynh, Les Colibris à reculons
    Sabine Huynh, Kvar lo
    Lionel Jung-Allégret, Derrière la porte ouverte
    Mélanie Leblanc, Des falaises
    Gérard Macé, Homère au royaume des morts a les yeux ouverts
    Béatrice Marchal, Au pied de la cascade
    Béatrice Marchal, Un jour enfin l’accès suivi de Progression jusqu’au cœur
    Jean-François Mathé, Retenu par ce qui s’en va
    Dominique Maurizi, Fly
    Dominique Maurizi, La Lumière imaginée
    Emmanuel Merle, Dernières paroles de Perceval
    Nathalie Michel, Veille
    Isabelle Monnin, Les Gens dans l’enveloppe
    Jacques Moulin, L’Épine blanche
    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres
    Emmanuelle Pagano, Nouons-nous
    Hervé Planquois, Ô futur
    Sofia Queiros, Normale saisonnière
    Jacques Roman, Proférations
    Pauline Von Aesch, Nu compris





    Retour au répertoire du numéro de mars 2016
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Lionel Jung-Allégret, Un instant appuyé contre le vent

    par Angèle Paoli

    Lionel Jung-Allégret, Un instant appuyé contre le vent,
    Éditions Al Manar | Alain Gorius, Collection « Poésie », 2014.
    Encres de Jean Anguera.




    Lecture d’Angèle Paoli


    Entre cendre et lumière
    Ph., G.AdC







    LE POÈTE EST-IL CE « RÔDEUR » QUI CARESSE LE MONDE ?




    Le vent qui souffle — « si loin / soudainement si proche » — est-il celui de la vie ou celui de la mort ? Un instant frôlé, le poète poursuit sa quête, traversée de l’éphémère parmi les cendres. « Sels noirs » déposés sur la chair inerte et froide d’un corps qui n’est plus.

    Un instant appuyé contre le vent — tel est le titre du dernier recueil de Lionel Jung-Allégret — « contre une écorce, un nuage, un rocher », le poète s’accorde une immobilité discrète. Vitale, malgré la modestie de la halte, pour celui qui désire tenir en éveil ce qu’il y a encore de flammes ; pour celui qui tente de saisir ce qu’il reste de « lumière éclatante et douce » sous la vacuité du monde. De cette traversée de solitaire, il ne reste en effet que quelques traces. Traces des traits ouverts par la silhouette d’encre qui ponctue, en trois temps, le poème de Lionel Jung-Allégret. Avec, au centre, une double page qui délimite peut-être un avant un après. Silencieuse, la silhouette de Jean Anguera accompagne les mots du poète, effile à ses côtés sa marche sur la page.

    Le poète est-il ce « rôdeur » qui caresse le monde ? Celui qui porte en lui cette vie qui pousse vers la mort ? Sensible à la voix du poète Pierre-Albert Jourdan dont il suit le cheminement, il est celui qui « cherche des secrets quand tout se tait ou que tout commence »… « [c]elui qui écoute des voix enfouies dans les feuillages vacillants de silence ». Il est celui qui « tente d’épeler le silence » (Pierre-Albert Jourdan).

    Dans l’univers dévasté qui tient de lieu où vivre, est-il encore possible d’entendre « le chant du monde » ? interroge une première voix.

    « Entends-tu le chant du monde ? ». Ainsi s’ouvre le recueil, sur ce questionnement aux lointains accents de Jean Giono. Et sur un dialogue où se noue une double impossibilité. Impossibilité d’entendre autre chose que « la couleur du sang et les cieux qui brûlent ». Impossibilité de voir « l’immensité venue du ciel ». Réduite à une lampe ordinaire, l’immensité se fait lilliputienne et le poème d’ouverture s’abîme dans le « vide ». Pessimisme alors, qui guide Lionel Jung-Allégret ? Se frayant un passage sur des « chemins d’anthracites », le poète fouette sa lucidité sans illusion d’injonctions qui rythment sa progression semée d’obstacles. « Empierrement » et « désordre ». Faire face / retenir / avancer. Insectes vorateurs qui peuplent « la chambre close », murs et meubles. Avancer, pourtant. « Et marcher droit. Marcher haut. » Parmi les répétitions du même, le « nu » et le « dur ». « Dans le même jour. Le même arrêt. La même lenteur d’empierrement arraché au soleil. Parmi les contradictions aussi. Celle de « la beauté que l’on boit à l’aurore » et de « l’odeur funéraire de l’huile frottée sur des torses froids. » Accepter le « foudroiement » de la naissance, son apparition dans la douleur ; accepter l’amertume de « l’amour qui meurt avec les fruits ». Et la vacance du monde, sa vacuité muette. Se résoudre à l’effacement.

    « Faire face.

    À l’effacé. »

    Parfois un dialogue s’instaure, précédé de tirets, questions entre « Tu » et « Je ». L’autre ? Le double de l’un ? Injonctions entre un futur et un présent.

    « — Tu marcheras vers qui tu es.

    — Je marche contre le dos de l’aube. Je marche vers un visage aux paupières de lin et de cierge.

    — Tu marcheras jusque dans la terre.

    — Je marche dans un corps inconnu. Mon pas est de terre et de chair. Je vais dans le cercle de mes yeux. »

    Chaque rencontre poursuit dans la lenteur et le silence, sa marche vers le dessaisissement ; conduit à la dissolution :

    « J’écoute mon pas et puis un pas et puis rien

    ma voix

    au bord de ce qui vient. »

    Dégagée de toute recherche factice, la poésie du recueil Un instant appuyé contre le vent est dépouillement. Habitée par le doute, la parole se resserre, réduite à un oracle de peu de mots. Brèves et simples dans leur structure, les affirmations se répartissent sur quelques vers, d’inégale longueur. Séparés du corps du poème par des espaces de silence :

    « J’avance sur un sentier qui se vide » /« [o]n va où rien ne bouge ».

    Les assertions s’inscrivent dans un présent qui refuse l’infini du monde.

    « Je cherche des signes contre ce qui n’est plus ».

    La lumière se réduit, faisceau qui n’éclaire que le vide, vision qui va decrescendo dans le retrait. Le vent se recroqueville :

    « Moins qu’un souffle

    dans l’instant d’un souffle ».

    Confronté à l’expérience douloureuse de la mort — « je me souviens des yeux ouverts et blancs de mon père » —, à la solitude qui est le lot de chacun de nous — « [s]eul avec sa voix. Seul avec son pas » —, confronté à la violence de l’éternité — « [l]’éternité est une violence qui ne propose rien » —, le poète cherche l’amenuisement et la disparition :

     « Être frémissement dans le germe de l’écorce et le pas du soleil qui expire avec mon pas ».

    « Être silence dans le silence.

    Et fuite dans la hauteur ».

    Ou peut-être — une fois accepté « l’escarpement des mots », une fois traversé « l’éblouissement de ce qui brûle » — aspire-t-il au fusionnement cosmique ?

    « Être l’horizon. Être mouvement. Être d’eau et de soleil. »

    Comment appréhender à sa juste mesure la beauté d’un poème qui ne se laisse effleurer que par bribes ? Qui se dérobe à la mise en mots ? Qui résiste, au-delà de leur percée, à la captation du dire ?

    Accepter de suivre le poète, avancer avec lui  entre cendre et lumière — dans l’écriture d’« une parole brûlée, agrandie jusques au blanc ». Se laisser porter par le rythme des vers comme sur la crête des vagues. Comme dans cet étrange sizain où se côtoient amour et mort et qui alterne, irrégulier, le balancement des vers pairs et vers impairs :

    « L’amour écrit avec des doigts de sang [10]

    et la prière des mots [7]

    devant le bois des cercueils. [7]

    J’entends pleurer la colère [7]

    et les pas lents [4]

    résonner sur les marbres humides. »[9]

    Et choisir, au cœur même des « grands jours vides », la promesse de la « lumière éclatante et douce ».

    « Et le vent qui souffle si loin

    soudainement si proche. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Un instant appuyé contre le vent





    LIONEL  JUNG-ALLÉGRET


    Lionel_jung-allegret




    ■ Lionel Jung-Allégret
    sur Terres de femmes

    [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
    [Derrière la porte ouverte] (poème extrait de Derrière la porte ouverte)
    Derrière la porte ouverte (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
    [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
    [Je suis celui qui cherche des secrets] (poème extrait d’Un instant appuyé contre le vent)
    Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
    [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Phœnix)
    une note biographique sur Lionel Jung-Allégret





    Retour au répertoire du numéro d’avril 2014
    Retour à l’ index des auteurs
    Retour à l’ index des « Lectures d’Angèle »

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Lionel Jung-Allégret | [Je suis celui qui cherche des secrets]



    Celui qui écoute des voix enfouies dans les feuillages vacillants du silence.
    Ph., G.AdC







    [JE SUIS CELUI QUI CHERCHE DES SECRETS]




    Je suis celui qui cherche des secrets quand tout se tait ou que tout commence.

    Qui porte la blessure des vies qui se sont tues sous un jour

    d’où un jour la clarté disparaîtra.


    Celui qui écoute des voix enfouies dans les feuillages vacillants du silence.





    J’ai aimé la lumière et le vent qui cognent les os.


    Et sur les os, le monde, tout entier

    qui se tient et se déploie.





    Les tremblements d’une attente,
    partout sur le monde,

    partout dans les battements de ce qui vit.


    Moins qu’un souffle

    dans l’instant d’un souffle.




    Lionel Jung-Allégret, Un instant appuyé contre le vent, Éditions Al Manar | Alain Gorius, Collection « Poésie », 2014, pp. 53-54-55. Encres de Jean Anguera.






    Un instant appuyé contre le vent





    LIONEL  JUNG-ALLÉGRET


    Lionel Jung-Allégret




    ■ Lionel Jung-Allégret
    sur Terres de femmes

    [Écris ce que tu sais] (poème extrait de Ce dont il ne reste rien)
    [Derrière la porte ouverte] (poème extrait de Derrière la porte ouverte)
    Derrière la porte ouverte (lecture d’Isabelle Lévesque)
    [J’ai vu les grandes digues au loin] (poème extrait d’Écorces)
    [Je regarde l’arbre dressé] (autre poème extrait d’Écorces)
    Parallaxes (lecture d’Angèle Paoli)
    [Il restait dans la lumière des grandes voiles affalées] (poème extrait de Parallaxes)
    Un instant appuyé contre le vent (lecture d’Angèle Paoli)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la revue Phœnix)
    une note biographique sur Lionel Jung-Allégret
    → (sur le site des éditions Al Manar | Alain Gorius)
    la page consacrée à Un instant appuyé contre le vent de Lionel Jung-Allégret
    → (sur Place de la Sorbonne)
    une recension d’Un instant appuyé contre le vent par Laurent Fourcaut






    Retour au répertoire du numéro de mai 2014
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Marie Huot | [Le cerf a retourné sa couleur]




    Diane de Bournazel
    Un des quatre dessins de Diane de Bournazel
    illustrant le tirage courant de Douceur du cerf








    [LE CERF A RETOURNÉ SA COULEUR]



    Le cerf a retourné sa couleur à l’intérieur de lui.
    Il sait qu’on ne le mangera pas
    il vient au monde très lentement
    les paupières baissées sur un fil d’horizon.
    Il garde un mystère premier
    être est fragile
    être tremble sous la peau des biches
    être s’amenuise
    mais sur être on peut construire une joie.



    Marie Huot, Douceur du cerf, 14, Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2013, s.f. Dessins de Diane de Bournazel.







    Marie Huot, Douceur du cerf





    MARIE HUOT


    Marie Huot




    ■ Marie Huot
    sur Terres de femmes

    [Dans ma maison de Geronimo] (extrait de Ma Maison de Geronimo)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des Découvreurs)
    une lecture de Douceur du cerf par Georges Guillain
    → (sur le site des éditions Al Manar | Alain Gorius)
    une page sur Douceur du cerf





    Retour au répertoire du numéro de décembre 2013
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Cécile Oumhani | [j’ai marché dans l’ignorance]






    [J’AI MARCHÉ DANS L’IGNORANCE]



    Par des ruelles que sculptent
    les feux du ciel
    j’ai marché dans l’ignorance
    fermé le sillage du passé
    inversé l’axe des plantes

    défaire le tumulte des voix
    que taraude la nudité du cri
    dépouillé de son écorce

    la douceur du verbe
    inflige une mort silencieuse

    les globes des yeux aveugles
    ont la froideur des statues

    ils érigent le mensonge
    et l’autel blanchi où reposent
    les corps inachevés du désir




    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres, Éditions Al Manar | Alain Gorius, 2013, page 30.





    Cécile Oumhani, La Nudité des pierres







    CÉCILE OUMHANI


    Cecile_oumhani



    ■ Cécile Oumhani
    sur Terres de femmes

    Interview de Cécile Oumhani par Rodica Draghincescu
    (+ Bio-bibliographie)

    Aux prémices du sable (poème extrait de Chant d’herbe vive)
    Le Café d’Yllka (note de lecture d’AP)
    [Dès l’aube ils s’interpellent] (poème extrait de Cités d’oiseaux)
    Éclats de rêves (poème extrait d’Au miroir de nos pas)
    Rêves de draps (extrait de Mémoires inconnues)
    Ne craignons pas la nuit (poème extrait de Chant d’herbe vive)
    La Nudité des pierres (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Temps solaire, III (poème extrait de Temps solaire)
    Touching land (poème extrait de Passeurs de rives)
    [S’abandonner au sommeil] (extrait de Tunisie, Carnets d’incertitude)
    Avant-propos de Lalla ou le chant des sables d’Angèle Paoli
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Manhattan redux
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Cécile Oumhani, « Seuils possibles », Revue Confluences Méditerranée n° 22, été 1997



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site Babelmed)
    « Cécile Oumhani, à la croisée des mots et des imaginaires »
    → (sur le site Babelmed)
    “Plus loin que la nuit”, entretien de Cécile Oumhani avec Nathalie Galesne (2 décembre 2007)
    → (sur le site Babelmed)
    Méditerranée / Panorama de la littérature tunisienne de langue française, par Jalel El Gharbi
    → (sur Encres vagabondes)
    un entretien de Cécile Oumhani avec Brigitte Aubonnet (novembre 2007)
    → (sur le site de Rafik Darragi)
    Nocturnes (la nuit dans l’œuvre de Cécile Oumhani)
    → (dans la Poéthèque du Printemps des poètes) une
    fiche bio-bibliographique sur Cécile Oumhani
    → (sur Levure littéraire) Sous le « bleuté des plis de la nappe », d’admirables ciselures (note de lecture d’AP sur L’Atelier des Strésor)
    → (sur Revue Texture)
    Cécile Oumhani : La Nudité des pierres (lecture de Max Alhau)
    → (sur Levure Littéraire n° 7)
    Sous le « bleuté des plis de la nappe », d’admirables ciselures (note de lecture d’AP sur L’Atelier des Strésor de Cécile Oumhani)





    Retour au répertoire du numéro d’août 2013
    Retour à l’ index des auteurs

    » Retour Incipit de Terres de femmes