Étiquette : éditions Bruno Doucey


  • Ronny Someck | Beaucoup de don Quichotte



    BEAUCOUP DE DON QUICHOTTE



    Beaucoup de don Quichotte sont en moi.
    Le premier voit de ses propres yeux les doigts d’un second
    dessiner la tête d’une femme
    sur un mur sorti de l’imagination.
    Quand il imagine un cheval, c’est un âne qu’il reçoit,
    au lieu du messie un battement d’ailes
    de moulins à vent.
    Le vent astique les toits des maisons,
    la parole coupe le vent.
    Le vent claque les volets de la fenêtre où se mire Dulcinée.
    Le sang de don Quichotte la dirige
    sur les lèvres de don Quichotte :
    elle enlève sa robe et s’évanouit
    comme un baiser.




    Ronny Someck, Le Piano ardent, Éditions Bruno Doucey, Collection Soleil noir, 2017, page 51. Traduit de l’hébreu par Michel Eckhard Elial.






    Ronny Someck  Le Piano ardent






    RONNY SOMECK


    Ronny_someck
    Source




    ■ Ronny Sonneck
    sur Terres de femmes

    Le Piano ardent (lecture de Marie-Hélène Prouteau)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Le Piano ardent
    → (sur le site agonia.net)
    un entretien avec Ronny Someck





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  • Ronny Someck, Le Piano ardent

    par Marie-Hélène Prouteau

    Ronny Someck, Le Piano ardent,
    Éditions Bruno Doucey, Collection Soleil noir, 2017.
    Traduit de l’hébreu par Michel Eckhard Elial.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau


    Ronny Someck est un poète israélien, né en 1951 à Bagdad dans une famille juive d’Irak. Son œuvre reconnue par différents prix (Prix Yehuda-Amichaï pour la poésie hébraïque [2005], Prix de poésie Hans-Berghhuis 2006 dans le cadre du Festival international « Les Nuits de la Poésie » de Maastricht, Pays-Bas), traduite en plusieurs langues, fait de lui l’une des grandes voix de la poésie israélienne d’aujourd’hui. Il nous offre dans le recueil bilingue (hébreu et français) Le Piano ardent, une suite de soixante poèmes courts.

    Le titre est celui du quatrième poème, écrit à la mémoire du jeune pianiste Matiah Eckhard, le fils disparu (à l’âge de dix-neuf ans, en janvier 2014) de son traducteur français. Malgré cet arrière-plan douloureux, ce poème donne le ton à l’ensemble du recueil qui partout suit un chemin onirique, libératoire :

    « Éloignez les nuages

    dirigez le projecteur du soleil

    sur le moment de la rencontre entre

    les doigts de Matiah

    et les touches du clavier ardent

    en haut des marches du jardin d’Eden. »

    Ce pouvoir du rêve et de l’imaginaire d’alléger le réel se nourrit de la diversité des thèmes, tels l’enfance, celle de sa fille comme celle du poète, la paternité, la femme aimée, la culture populaire, le jazz, l’amitié.

    Ancrée dans le réel — les attentats, la guerre, le racisme pointent à l’horizon du vers, sans que le poète s’y appesantisse —, sa poésie reste pourtant infiniment ouverte au rêve, à la fantaisie, à l’humour. Ainsi, ce « Poème du bonheur » :

    « Nous sommes posés sur le gâteau

    comme des figurines de mariés

    quand le couteau tranchera

    essayons de rester sur la même tranche ».

    Il y a dans cette écriture de l’allant et de l’énergie vitale qui donnent au lecteur le plaisir de voir s’élargir le monde : on surprend le poète à écrire une lettre à Marcel Proust ou à la poétesse Léa Goldberg. Pour cadeau à sa fille, il rêve d’acheter des terres sur la Lune plutôt que dans les territoires occupés. Il fait se croiser dans ses vers Marilyn Monroe, la chanteuse Oum Kalsoum, Don Quichotte et le joueur de football Lionel Messi.

    Autant de rencontres d’apparence incongrue qui ont ce pouvoir d’abolir les murs, qu’ils soient d’espace, de temps ou de langue, si présents dans ce Moyen-Orient d’aujourd’hui. À l’image de ce traité de paix merveilleux, conclu en toute innocence par des gamins, dont la petite-fille du poète, qui jouent avec les enfants des écrivains arabes invités à un séminaire de poésie.

    Comment ne pas être frappé par l’héritage universel qui est celui du poète ? L’Orient est là avec les grands legs, ceux de la Bible, ceux de la Perse, où vient brutalement cogner le vif du présent :

    « à cause de Bagdad je suis de la tribu de ceux qui sont nés

    dans la ville des Mille et Une nuits,

    et, à cause d’une nuit d’octobre 73 je suis parfois

    suspendu à la tribu du trait d’union qui existe

    entre les mots « choc » et « bombe ».

    Familier conjointement d’autres rivages de l’imagination, Ronny Someck se décrit ainsi dans une interview : « Je suis un soldat dans l’armée de Rimbaud, un oiseau dans le ciel de Prévert, je salue René Char, mais le poète avec qui je communique par l’écriture, c’est Max Jacob ». Héritage, alliage singulièrement croisés.

    Le poème a ainsi la capacité de se faire lieu d’échanges où, par les mots, se tissent des passerelles avec des poètes tels que le poète juif Bialik, le Syrien Adonis, les Palestiniens Mahmoud Darwich, Samih al-Qâssim et Mohammed Hamza Ghanayem. Il s’agit de dire, sans fioritures ni grande déclaration, ces petites choses qui créent un terreau commun entre les êtres. Là, une parole de fraternité, ici, le salut amical aux couleurs du drapeau de Palestine qui, sur un mode faussement léger, déjoue les pesanteurs du monde :

    « Allons-y, qu’ils aient enfin leur État

    et rendez le vert à la terre

    le blanc à la chemise des fêtes,

    le noir au café

    et le rouge du désir aux lèvres des jolies filles,

    venues à Ramallah pour le concours de Miss Palestine

    qui a été annulé »

    Le parti-pris de cette poésie empreinte d’humour et de générosité fait pièce à la violence, tant dans ses images d’aujourd’hui que dans celles de ce passé qu’évoque le magnifique poème « Buchenwald : Un mot s’est échappé ». Ronny Someck est le poète en situation, facétieux et curieux de tout ce qui fait l’humain, à la manière du poète Prévert qu’il admire. Celui qui se définit comme « un cow-boy de la poésie » regarde le monde, la main posée sur le revolver du poème. La fantaisie comme arme suprême.

    C’est la force d’écriture de ce poète que de nous emporter dans l’espace décalé de son imaginaire, de nous y faire découvrir un monde redevenu habitable par son insolite beauté.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes







    Ronny Someck  Le Piano ardent






    RONNY SOMECK


    Ronny_someck
    Source




    ■ Ronny Sonneck
    sur Terres de femmes

    Beaucoup de don Quichotte (extrait du Piano ardent)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Le Piano ardent
    → (sur le site agonia.net)
    un entretien avec Ronny Someck




    ■ Autres chroniques et lectures (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes

    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même





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  • Jean-Marie Berthier | Tamié




    Ne plus quitter les pierres
    « Ne plus quitter les pierres
    au retour de la forêt
    mais écouter longuement
    la cohorte des siècles »
    Ph., G.AdC







    TAMIÉ


    À François Cheng           




    Aller aux pierres qui chantent
    aller au dédale de leur voix pesante

    plus nus qu’elles ne le sont
    dans le silence qui les force à vivre

    Passer les couleurs de l’automne
    une à une les compter
    comme un chien lèche sa plaie

    et des lacets du chemin qui monte
    étrangler le vent d’avant novembre

    Se défaire peu à peu de son pas
    si l’on veut être à l’heure des pierres

    qui se rejoignent pour s’étreindre
    et se délivrer ensemble du vide

    De l’une d’elles peut-être
    le souffle d’un oiseau
    pétrifié d’amour et de peine

    portera l’espace d’un seul cri
    la voix d’un enfant
    de l’au-delà des mots

    Ne plus quitter les pierres
    au retour de la forêt
    mais écouter longuement
    la cohorte des siècles

    qui de l’une à l’autre chante la gloire
    des yeux clos d’étoiles et de neige

    Puis s’alléger du poids des pierres
    en leur accordant le droit d’asile



    Jean-Marie Berthier, Ne te retourne plus, Éditions Bruno Doucey, Collection « Soleil noir », 2017, pp. 78-79.







    Jean-Marie Berthier  Ne te retourne plus






    JEAN-MARIE BERTHIER


    Jean-Marie Berthier
    Source




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Scriptorium de Marseille)
    un hommage de Dominique Sorrente à Jean-Marie Berthier
    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Ne te retourne plus de Jean-Marie Berthier





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  • Aurélia Lassaque | Ulysse




    ULISSES



    Te vòli retrobar dròlla
    retrobar aqueles jorns de ventadas
    qu’escalpravan ta cabeladura
    de sabla e de sal

    alara ganhavas ma cauna
    dapasset
    que remirèsse ta còfa
    e ta mina esquèrra

    parlavas pas mai
    fasiás de gèstes largs
    lo solelh dins ton esquina
    fasiás mòure las ombras

    e t’apelavi Reina

    vòli engulhar mas mans de dròlle
    darrièr ta nuca
    portar ta cara coma un calici
    e dançar coma un cèc

    vòli fregar ton pè
    dins la posca freda
    e que ton rire me devòre
    vòli dormir quand velhas
    e que las cabras davalen lo sèrre
    per anonciar la sera

    te vòli veire partir e demorar sol
    per reculhir
    al bruch de las campanas animalas
    las pèrlas de sabla e de sal
    casudas de tos pelses






    ULYSSE



    Je veux te retrouver enfant
    retrouver ces jours de grand vent
    qui sculptaient ta chevelure
    de sable et de sel

    alors tu rejoignais mon antre
    à pas lents
    pour que j’admire ta coiffe
    et ton allure étrange

    tu ne parlais plus
    tu faisais de grands gestes
    le soleil dans ton dos
    tu déplaçais les ombres

    et je t’appelais Reine

    je veux glisser mes mains d’enfant
    derrière ta nuque
    porter ton visage comme un calice
    et danser en aveugle

    je veux frôler ton pied
    dans la poussière froide
    et que ton rire me dévore
    je veux dormir quand tu veilles
    et que les chèvres dévalent la colline
    pour annoncer le soir

    je veux te voir partir et rester seul
    pour recueillir
    au son des cloches animales
    les perles de sable et de sel
    tombées de tes cheveux




    Aurélia Lassaque, « Chant I » in En quête d’un visage, édition bilingue français-occitan, éditions Bruno Doucey, Collection « L’autre langue », 2017, pp. 18-19-20-21.






    Aurélia Lassaque  En quête d'un visage





    AURÉLIA LASSAQUE


    Aurélia Lassaque 2
    Ph. © Éric TEISSÈDRE
    Source




    ■ Aurélia Lassaque
    sur Terres de femmes

    Ombres de Lune
    Lo sòmi d’Orfèu | Lo sòmi d’Euridicia (poèmes extraits de Pour que chantent les salamandres)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Lo temps s’es perdut



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur En quête d’un visage





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  • Tanella Boni | [Me voici à la porte du jour le plus long]



    [ME VOICI À LA PORTE DU JOUR LE PLUS LONG]




    Me voici à la porte du jour le plus long
    Là où il fait si clair en moi
    Ma maison refuse l’évidente clarté séculaire
    Qui sépare l’humanité en portions inégales
    L’humanité si divisée si malmenée
    Et transparente
    Comme celle dont j’ai hérité
    Par la faute de ma peau invisible
    À force d’être visible

    Cette peau qui m’a tout donné
    Cette peau dont je suis si fière
    Ma peau de femme qui n’en fait
    Qu’à sa tête
    Une tête qui n’est qu’une infime partie de moi



    Tanella Boni, « Mémoire de femme » in Là où il fait si clair en moi, Éditions Bruno Doucey, Collection « L’autre langue », 2017, page 39.







    Tanella Boni  Là où il fait si clair en moi





    TANELLA BONI


    Tanella Boni
    Source




    ■ Tanella Boni
    sur Terres de femmes

    Le détail des choses



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site l’IEA de Paris)
    une notice bio-bibliographique sur Tanella Boni
    → (dans la Poethèque du site du Printemps des Poètes)
    une notice bio-bibliographique sur Tanella Boni
    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Là où il fait si clair en moi





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  • Nimrod, L’enfant n’est pas mort

    par Angèle Paoli

    Nimrod, L’enfant n’est pas mort,
    éditions Bruno Doucey, Collection Sur le fil, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli


    SOUS LA CHAIR DU POÈME




    Printemps des Poètes 2017 : l’Afrique est à l’honneur.

    Quel poète mieux que Nimrod est plus à même de représenter le Continent Noir et quel ouvrage mieux que L’enfant n’est pas mort est aussi approprié, et aussi digne de célébrer l’importance de l’événement ? Ce n’est pourtant pas l’histoire d’un ou d’une Noire que le poète franco-tchadien célèbre dans ce récit. Mais celle d’une Blanche. Ingrid Jonker. Une poète afrikaner dont l’histoire et le drame sont intimement et intensément liés aux tragédies qui ont ensanglanté l’Afrique du Sud dans les années 1960.

    Le récit de Nimrod retrace en vingt épisodes, répartis sur quatre chapitres, l’histoire de cette jeune femme qui, par son choix délibéré de défendre ouvertement les Noirs, est rejetée par les siens. Père, amants, amis. La vie affective et émotionnelle de la jeune poète, ses engagements, sa poésie même, sont intimement liés aux événements tragiques qui ont ébranlé l’Afrique du Sud tout au long de sa vie. Son histoire personnelle croise à maintes reprises celle de Nelson Mandela. En 1960 d’abord. En 1994 ensuite. Par un subtil chassé-croisé d’analepses, Nimrod entrelace étroitement et habilement leurs deux destins. Durant ses vingt-huit années d’incarcération (1962-1990), Nelson Mandela n’a cessé de lire le recueil de poèmes d’Ingrid Jonker : Rook en Oker (Cendre et ocre, 1963). Le 9 mai 1994, Nelson Mandela est élu président de la République d’Afrique du Sud par le Parlement. Dans son discours d’investiture, trente ans après la disparition de la poète, Mandela lit devant l’assemblée médusée, et très vraisemblablement réfractaire, le poème d’Ingrid Jonker : « L’enfant n’est pas mort ».

    Une étrange affinité lie Ingrid Jonker et Nelson Mandela par delà le temps. Elle trouve sans doute tout son sens dans cette affirmation de Nimrod :

    « Mandela et Ingrid Jonker ont dans la peau le paysage du Cap occidental. »

    La mort d’un petit enfant noir (tué par la police) renvoie Mandela à la mort de son propre fils, Thembi, survenue en 1969. Cette année-là, Mandela est en prison. Sa demande d’autorisation de sortie pour se rendre aux obsèques de son fils lui est refusée. Dans sa geôle, il pleure et récite « Le Petit grain de sable », poème écrit par Ingrid Jonker à la suite d’un avortement clandestin. Elle y fait entendre « la parole que personne ne veut entendre — ni ses confrères, ni sa famille, ni la société… ».

    Dans son chagrin, Mandela se dit que « le destin des femmes est supérieur à celui des hommes ». Ce qu’il a toujours su.

    Par sa naissance, par son éducation et par son milieu, Ingrid Jonker appartient au camp ennemi, celui-là même qui est à l’origine de l’apartheid en Afrique du Sud. En désaccord profond avec le pouvoir blanc, la jeune poète rejette avec violence la politique réactionnaire ségrégationniste imposée par sa caste à la population africaine. Elle souffre de la ghettoïsation imposée aux Noirs, dénonce les injustices qui leur sont infligées. Ainsi peut-on lire sous la plume de Nimrod :

    « Au cours de ces cinquante années où les richesses ont explosé de façon scandaleuse, le pouvoir blanc a eu cette idée saugrenue de parquer les Noirs comme des lapins dans des quartiers-dortoirs. »

    Or, le 21 mars 1960, à Sharperville, dans le ghetto de Johannesburg, est déclenchée une violente répression qui fait « soixante-neuf morts, cent quatre-vingt blessés et laisse un champ de ruines en lieu et place des dix mille personnes venues dire à la police qu’elles se délestaient des Pass de la honte qui leur collait à la peau. »

    Le Pass ? C’est ce fameux passeport intérieur imposé aux Noirs contre lequel s’insurgent les manifestants.

    Ingrid Jonker qui suit sur les ondes de la BBC le récit des événements sanglants « est dévastée. »

    « Une semaine plus tard, Nelson Mandela brûle publiquement son laissez-passer. Voilà ce que j’en fais de mon dom pass ! déclare-t-il aux journalistes. »

    Peu après cette tragédie qui lacère la jeune femme et met ses nerfs fragiles à vif, se produit à Cape Town un drame qui la frappe de plein fouet. La mort d’un bébé noir, tué le 1er avril à « un barrage de contrôle à la sortie du ghetto de Nyanga ». Les forces de défense ont tiré aveuglément sur une voiture qui tentait de rejoindre le centre hospitalier de la ville, avec à son bord un bébé de vingt mois, malade, et sa mère. Le bébé est grièvement blessé. Il meurt avant d’atteindre l’hôpital.

    La mort de Wilberforce Mazuli Manjati « cristallise » à elle seule en Ingrid Jonker « toute l’injustice du monde ». Elle deviendra, par-delà le temps et les luttes, le symbole de l’humanité martyrisée.

    Elle-même maman d’une petite Simone du même âge, Ingrid Jonker, désespérée, n’a de cesse de rencontrer Bulelani, la maman de Wilberforce Mazuli. Les deux femmes partagent symbiotiquement leur chagrin.

    À son retour de Nyanga où elle s’est rendue pour voir le cadavre de l’enfant, Ingrid Jonker, apaisée, écrit son poème d’un jet : « L’enfant tué par les soldats à Nyanga ». Elle le montre à plusieurs de ses amis. Ils lui rient au nez, la ridiculisent, raillent ses sentiments humanitaires qui vont à l’encontre des idéaux des Afrikaners qui défendent âprement leur « souci de pureté raciale. » Elle se fait même insulter :

    « Tu n’es pas communiste, tu es simplement poète, la bestiole la plus nuisible de la terre sud-africaine ! »

    Ingrid Jonker est dans une transgression qui peut lui être fatale. Elle risque sa peau si ce poème vient à être édité dans la presse locale.

    Désespérée, Ingrid Jonker fait successivement deux tentatives de suicide, dont elle est sauvée in extremis.

    Pourtant, son ancien amant, Jack Cope, vient lui annoncer qu’il va publier « L’enfant n’est pas mort » dans sa revue Contrast. Elle croit un instant le bonheur possible. Mais c’est sans compter sur la rencontre avec son père qui convoque Ingrid pour lui demander des comptes. Père et fille s’affrontent en un duel verbal d’une extrême violence, la fille accusant le père d’être responsable de la folie de son épouse, l’accusant d’avoir un comportement criminel envers sa mère et envers elle ; traitant son père de « petit père » Staline et de « minable ». Elle poursuit ses invectives au cours d’une soirée où elle insulte les écrivains afrikaners bon teint en les traitant de nazis. De ces violences verbales, Ingrid ne sort pas indemne. Rejetée de tous, elle s’enfonce dans une crise qui la conduit à sa perte. Décidée d’en finir, elle abrège ses jours le 19 juillet 1965, en se laissant emporter par les vagues, sur une plage du Cap, à Sea Point.

    « Ainsi a fini mon héroïne, murmure Mandela en regardant un masque africain qui lui fait face. Et moi, suis-je un héros ? se demande-t-il. J’ai beau m’en défendre, mon comportement m’y renvoie et, pourtant, la liste de mes défauts est fort longue ! »

    Passionné par l’histoire de cette région d’Afrique, même éloignée de son Tchad originel, Nimrod rejoint pourtant ici l’universel. Tant sur le plan de l’Histoire que sur celui de la poésie. L’historien (mais Nimrod est aussi romancier et essayiste) laisse glisser sous sa plume bien des notations qui s’appliquent à l’intégralité du Continent Noir. Ainsi par exemple lorsqu’il évoque le conflit qui oppose Robert Sobukwe à Nelson Mandela. Robert Sobukwe, « grand théoricien du panafricanisme » — le PAC — « estime que l’Afrique est l’affaire des Africains ». Il croit en une « Afrique glorieuse, de Pretoria à Accra, de Dakar à Cape Town… » et s’oppose à l’ANC (Congrès National Africain) favorable au modèle multiracial défendu par Nelson Mandela.

    « Il n’aime pas tous ces compromis multiculturels où se complaît Mandela. Il n’aime pas les communistes blancs qui sont les maîtres à penser des mouvements noirs. Il n’aime pas qu’on dicte aux Noirs leur conduite, leurs idées. Il n’aime pas la suprématie blanche, il n’aime pas la suprématie noire (qui pour l’heure, n’existe pas). »

    Ailleurs, un « sang noir » coule dans les phrases de Nimrod lorsqu’il écrit à propos des Noirs :

    « écartés du pouvoir depuis trois cents ans, minorés par les lois de l’apartheid depuis cinquante ans, rendus subalternes, domestiques, mineurs de fond, minables sous-traitants de la misère. » Quant aux « Blancs chenus » qui scrutent Mandela, ils « ont la superbe de gens à qui tout appartient, même l’air, même le don qui est la substance de l’air… »

    Les exemples abondent qui émaillent le discours de Nimrod et laissent affleurer une sensibilité à fleur de peau. Il arrive parfois, que, sous cette plume incandescente, le lecteur porte plus loin son interrogation. N’y a-t-il pas par exemple, sous la diatribe de l’auteur contre les conditions de travail auxquelles les Noirs sont assujettis, quelque chose qui nous parle de nous ? Surtout dans cette manière à lui qu’a Nimrod de s’immiscer dans la pensée d’Ingrid :

    « C’est étrange, constate Ingrid, cela n’alarme pas plus que ça les Blancs bon teint de Cap Town, ainsi que les libéraux et les progressistes. »

    La quête de l’universel ? N’est-ce pas aussi l’un des objectifs sous-jacents de la poésie ? C’est par le biais de la poésie que la jeune poète (morte à l’âge de 31 ans) et Nelson Mandela se rejoignent. Il est particulièrement émouvant d’apprendre que les poèmes d’Ingrid Jonker ont accompagné Mandela durant toutes ses années d’incarcération. Mandela qui, une fois libre, une fois la cause des Noirs entendue et aboutie, ouvre son discours par ce très bel exorde :

    « Elle s’appelait Ingrid Jonker.

    Elle était à la fois poète et Sud-Africaine.

    Elle était à la fois une Afrikaner et une Africaine.

    Elle était à la fois une artiste et un être humain.

    Au milieu du désespoir, elle a célébré l’espoir.

    Face à la mort, elle a affirmé la beauté de la vie. »

    Nelson Mandela connaissait par cœur des poèmes entiers de Rook en Oker. En même temps qu’il découvre la personnalité torturée d’Ingrid Jonker, le lecteur est frappé par la fulgurance de sa poésie dont les vers surgissent au cœur même du récit.

    « Le ciel a beau bleuir

    ou se peigner de rouge

    je marche derrière ma douleur

    et elle porte ton nom. »

    Derrière la retranscription de ces vers, c’est toute la force d’âme de Nimrod qui se dresse sous nos yeux, toute sa grandeur, toute sa tendresse aussi. Sur son visage se superpose le visage palimpseste d’Ingrid Jonker. Et avec elle, sous les mots du poème de l’enfant de Nyanga, surgit cette image dont elle espérait que celle-ci dessinerait un jour « l’un des nombreux visages de l’Afrique du Sud. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Nimrod, L'enfant n'est pas mort





    NIMROD


    Nimrod-02
    Ph. D.R. Olivier Roller
    Source





    ■ Nimrod
    sur Terres de femmes


    Des « paroles plus précieuses que l’or » (chronique d’AP)
    Gens de brume (lecture d’AP)
    [J’ai aimé ma mère] (poème extrait de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté)
    [je suis la dernière figure de l’homme] (poème extrait de Babel, Babylone)
    L’herbe (poème extrait d’En Saison)
    Sous les étoiles
    Sur les berges du Chari (lecture d’AP)
    [Tu poseras ton faix] (poème extrait de J’aurais un royaume en bois flottés)
    Le roman s’achève (poème extrait de Petit Éloge de la lumière Nature)
    Le Temps liquide (lecture d’AP)
    En remontant le Lac Tchad (extrait du Temps liquide)
    La Traversée de Montparnasse (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Point)
    un entretien de Nimrod avec Valérie Marin La Meslée
    → (sur e-littérature.net)
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  • Claude Ber, Il y a des choses que non

    par Angèle Paoli

    Claude Ber, Il y a des choses que non,
    Éditions Bruno Doucey, Collection « Soleil noir », 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli


    AU LOINTAIN D’EXISTER
    NOUS NOUS JOIGNONS





    De l’herbu de la langue émerge le NON. Trois lettres palindromes pour s’ériger contre. Pour dire la résistance. Un mot hérité de longue date depuis la lointaine enfance. Un NON qui résonne clair dans la mémoire et rejoint la phrase-clé qui irrigue de bout en bout le dernier recueil de Claude Ber : Il y a des choses que non.

    L’enfant d’alors ne comprenait pas toujours le sens de cette phrase lancée dans sa langue rugueuse par la grand-mère paysanne pour ponctuer son discours. L’enfant comprendrait plus tard. C’est ce que disait aussi l’aïeule à sa petite fille qui lui posait des questions.

    « — Ma fille, répond-elle, il y a des choses que non. Tu ne sauras peut-être pas toujours à quoi dire oui, mais sache à quoi dire non. »

    Résister donc. L’aïeule savait de quoi il retournait. Elle était entrée dans la Résistance, tout comme son fils René Issaurat et comme René Char le poète. Ainsi l’histoire personnelle de la poète rejoint-elle la grande Histoire. Et Claude Ber rend ici hommage à ceux qui se sont battu pendant la guerre pour défendre la liberté et lutter contre l’envahisseur. La poète dédie son recueil à « Louise Thaon, FFI n° 180537, paysanne anonyme, qui a dit non et à tous ceux et celles qui, partout, à chaque instant, continuent encore et toujours de dire non. »

    Ainsi, depuis l’enfance, où régnaient boucs chèvres et vaches des montagnes alpines, menées sous la houlette de la grand-mère Louise, le Non a-t-il fait son chemin et continue-t-il toujours de creuser sans relâche le sillon de la langue, ses tunnels, ses rivières, ses filons qui ne demandent qu’à refaire surface. La poète Claude Ber sait ce travail de forage qui la conduit en des lieux multiples et jusqu’au fin fond des mers pour exhumer dans sa pêche aux mots les noms de poissons oubliés de tous et ramener dans ses filets « Ophiura les bras grêles, Acanthopsis le long nez, Brachygobius belle abeille, Percula le clown, Pogonias le tambour, Ductor le pilote »… et tant d’autres qu’elle convie à rejoindre la troupe en lançant :

    « venez les noms c’est nous !

    Et de loger tous les univers à la même enseigne en écrivant :

    « La torche du langage brûle aussi sous les vagues. Dans le pétillement acide du désert, la bruyère des landes, la tiédeur des mangroves. Sous le lac d’où jaillit l’épée chevalière. Dans le tunnel qui nous relie au rien. Trou vacant du nom évacué. »

    La langue de la poète perce cheville fore sonde crache invective fulmine. Elle est

    « […] la langue

    résistante

    la langue consistante

    la substantifique langue de la moelle des mots et des morts

    où résiste la langue au mirador

    où résiste la langue à l’obscénité de transparence

    où résiste la langue à l’asservissement

    où résiste la langue à l’avilissement

    où résiste la langue sous la dent

    et tient ferme le poème en bouche dans la langue du bouc

    qui broute le chardon dur

    langue de bouc et de boue »

    Lorsqu’il s’agit d’évoquer les siens, leur histoire, leurs luttes, leurs conseils, la langue se fait fidèle, attentive à se saisir des parlers de sa famille :

    « — Fais attention ma fille. Il faudra faire marcher ta cervelle. Les choses ne sont jamais simples. Il faut être vigilant. Veiller bien. Et d’abord sur soi-même. »

    Ou encore : « J’ai combattu une idéologie non un peuple, fillette. Le pire peut naître en tous. En chacun de nous. Sois vigilante. Je te fais confiance. Veille bien. »

    Ou plus loin, dans « Je ne sais l’Algérie que d’oreille » :

    « — Fais attention, fillette. Les victimes peuvent aussi devenir des bourreaux. Et même de soi, il ne faut pas se vanter d’être sûr. »

    Elle se fait tendre, la langue, lorsqu’il s’agit de faire revivre les paysans, gestes et mœurs de jadis dans les montagnes, odeurs, parfums petits métiers d’antan à jamais disparus, objets de la vie courante, leurs reflets, leur mémoire. Ainsi la poète n’hésite-t-elle pas à rameuter dans de nombreux flash-back, les souvenirs qui l’ont forgée et nourrissent aujourd’hui la poésie engagée (et enragée) d’Il y a des choses que non.

    « On ne dit jamais qui nous sommes », écrit Claude Ber dans la section de « L’Inachevé de soi ». Sans doute. Mais il n’est pas pensable (du moins pour la lectrice que je suis) d’écrire un tel recueil sans dévoiler tant soit peu une part de soi-même.

    De section en section — sept au total —, Claude Ber maintient le lecteur hors d’haleine et le conduit à travers sa langue rebelle. Elle se penche et rassemble « le trésor éparpillé » qu’elle reconstitue dans une langue qu’elle fait saliver en bouche, depuis « Le livre la table la lampe », texte inaugural jusqu’à « Je marche », texte final, en passant par « Célébration de l’espèce »/ « Je ne sais l’Algérie que d’oreille »/« L’inachevé de soi »/ « Lisant Lucrèce »/« Tous tant que nous sommes ».

    Ce sont mots qui roulent s’abîment foisonnent se burinent se barattent. Faisant surgir au cœur d’une métaphore filée savoureuse qui prend ses racines dans le monde de l’enfance et du père, une définition personnelle de la poésie :

    « Il faut sac à dos pour un bivouac si précaire qu’est vivre. À ce déjeuner sur l’herbe d’une vie j’ai fait de poésie un plat de résistance qui peut sembler bourrative pitance, estouffa babi en patois alpin des Francs-Tireurs et que je traduis poésie égale maximum de sens sur minimum de surface
    ration de survie pour des temps de disette mentale. »

    Et un peu plus loin dans le même poème de la première section, rendant hommage aux deux René, René le poète et René le père, Claude Ber confie :

    « Je n’ai vu que le poème et le courage faire pièce au terrible. »

    La langue, si semblable souvent à un félin lâché en pleine savane, n’en est pas moins savante et rigoureuse. Ensorceleuse, aussi. Les six pages haletantes de « Célébration de l’espèce » en sont un parfait exemple. Texte performance qui tient en suspens dans une sorte de transe ou de cyclone, pour dire l’impuissance à se livrer à pareille célébration. Ce long poème interroge dans ses enroulements ophidiens l’espèce humaine. En proie à ses contradictions multiples, notre espèce choisit la mort par terreur de la mort et, partant, se livre continûment à l’extension généralisée des massacres.

    « Le cœur de mon espèce est le charnier métaphysique de la mort. »

    Le final de la section se clôt sur un tourbillon dense dans lequel le mot « espèce », répété trente fois – il ouvre et ferme chaque groupe énumératif construit sur des oppositions – emporte dans un maelstrom qui donne le vertige. Un morceau d’anthologie pour dénoncer les exactions commises par l’espèce dominante qu’est la nôtre. Espèce destructrice s’il en est et difficile à aimer « continûment » sans faillir.

    Après cette parenthèse sur l’Espèce humaine, Claude Ber reprend le chemin de l’Histoire avec « Je ne sais l’Algérie que d’oreille ». La troisième section du recueil renoue avec les souvenirs familiaux. La poète ici encore rend hommage aux siens qui affichaient ouvertement leur choix d’une Algérie algérienne. À nouveau, l’enfant se trouve confrontée à une complexité qui la dépasse et dont elle ne comprendra que plus tard les rouages et les enjeux.

    « C’était compliqué pour l’enfant. Il y avait ceux d’ici et ceux qui venaient de là-bas, dont les uns étaient Algériens, les autres Français, il y avait les Fellaghas, les Pieds-Noirs, les Harkis, des noms que j’entendais comme ceux des tribus indiennes de bandes dessinées au milieu d’autres Hurons, Iroquois, Cheyennes ou Apaches. »

    Et l’adulte de faire chanter, à travers une longue énumération, cette Algérie qu’elle « ne connaît que d’oreille », par le rythme intérieur hérité de l’enfance. Elle rend ainsi hommage à tous ceux et celles de ces ami(e)s, émaillant le poème de leurs noms et mêlant histoire personnelle à l’Histoire.

    Il y a tant d’histoires qu’il est impossible de les dire toutes. « Il y en a trop pour le si peu que je connais. »

    Cependant, pareil défi relève du tour de force. La poète, en proie à un sentiment de lassitude, confie toute la difficulté qu’il y a à vouloir rendre compte de l’Histoire. Elle se heurte au caractère vain d’une telle entreprise :

    « À me livrer à tous les embouts de la parole, je vis dans le silence médian qui la creuse.
    D’un même mouvement je dis et je tais, j’inscris et j’efface… »

    La poète rebondit. Et le lecteur retrouve la figure tutélaire de la grand-mère, son caractère haut en couleur, son franc-parler et ses idées sûres, dans la section « Nous tous tant que nous sommes ». C’est à Louise Thaon que Claude Ber doit cette expression qui scandait le discours de l’aïeule libertaire. Paysanne et Résistante, sachant dire Non aux injustices inégalités et tyrannies de son temps, la grand-mère sait aussi rire d’elle-même. Se moquer de son statut de « bonne-à-tout-faire » et « de bonne-à-rien ». Foncièrement rebelle, elle a conscience que rien jamais ne changera, que les pauvres toujours plus nombreux seront condamnés à le demeurer.

    Rien décidément ne change. Mais il y a toujours « des choses que Non » ! Dont on sent bien qu’elles taraudent la poète au plus profond ; un bouillonnement intérieur qui atteint le lecteur et l’emporte, en partage, dans une même colère.

    Les yeux rivés sur le bitume, la poète continue d’avancer. « Je marche ». Elle marche avec, chevillée au corps, la conviction que quelque chose s’est brisé, qui relègue le passé vers un inaccessible que les mots peinent à rejoindre. Tout ce qui a percuté notre monde est de l’ordre de l’impensable. Il s’est produit, écrit-elle dans la très intense section « L’inachevé de soi »

    « quelque chose de plus inquiet que moi qui me dépasse

    halètement anonyme s’essoufflant aussi dans ma poitrine. »

    Quelque chose comme « un déclin et une douleur »

    « La déroute de l’esprit. L’ennoiement de la terre. Et une misère de toutes sortes. Mutique et bavarde. Et bavarde la pire d’ici où je vis. Misère du dedans. Riche et lâche. Des débris de crevettes et de crabes crissent sous les semelles.

    À force de sel crisse aussi dans les yeux… »

    Comment affronter ce qui dépasse ? Comment surmonter ce qui imprime au corps et au cœur pareille douleur ?

    Relire Lucrèce et son De natura rerum. Retrouver à la lumière de sa sagesse ce dédain des dieux, ces rythmes qui scandaient la « délivrance,
    un comment être heureux au défi de la mort ».


    Lui emboiter le pas et écrire à sa suite pour dénoncer « l’inéquitable, barbare et pathétique » qui se vit dans un « ici maintenant » inhumain et brisé. Et se laisser porter par « l’obstination d’écrire ». Se fondre dans « l’intensité du détail » qui « apaise ».

    « Prends l’arrosoir pour que demain ne s’éteigne pas dans le noir si noir d’au-delà de la nuit. L’immensité se cueille au jardin comme les fleurs de courges. »

    Et même si « vivre n’est accordé que par intermittence », profiter de l’oubli bénéfique qui écarte momentanément la lassitude de vivre et se laisser bercer par la tendresse.

    « Je passe le bras sur ta nuque. Ta peau est légère. Tes cheveux parfumés.

    Est-ce un pressentiment d’éternité leur glissé entre mes doigts

    à te lever cette élégance

    et la voix résonnant pour nous seuls quand nous aimons.

    Au lointain d’exister

    nous nous joignons. »

    À cela qui est l’amour, la poète dit OUI.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Claude Ber  Il y a des choses que non





    CLAUDE BER


    Claude-BER  ©-Adrienne-Arth NB
    Ph.© Adrienne Arth
    Source




    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes


    [Toujours la langue veut dire] (extrait du recueil Il y a des choses que non)
    Épître Langue Louve (note de lecture d’AP)
    In memoriam (extrait d’Épître Langue Louve)
    La mort n’est jamais comme (note de lecture d’AP)
    Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    Les mots, le vent, les herbes racontent (extrait de Mues)
    Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    Vues de vaches (note de lecture d’AP)
    Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (note de lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    le miel à la bouche



    ■ Voir aussi ▼

    le site de l’écrivain Claude Ber
    → (sur Recours au Poème)
    une lecture d’Il y a des choses que non, par Marie-Hélène Prouteau





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  • Claude Ber | [Toujours la langue veut dire]



    [TOUJOURS LA LANGUE VEUT DIRE]



    Toujours la langue veut dire. L’air. L’eau. La terre. Les écluses du corps. Les séjours de l’esprit. L’immensité captée dans un miroir de poche. Le loin de la fenêtre vu. Ciel découpé au carreau et sa hauteur à portée de main. Lumière traversière que je traverse comme un chuchotement tant est naine ma taille à proportion. Instant précieux.
    Fugacement, sur la soie tiède d’un rai de lumière le temps voluptueux. Derrière la herse de rayons, une perfection accessible. Clarté de l’air tombée des toits pentus.
    Dans une communauté tactile de matière le jour, la peau, les pigments et les pores. Respiration. Avant voir.
    Avant sentir. Avant être. Dans vivre
    lavé de tout.



    […]



    Je passe le bras sur ta nuque. Ta peau est légère. Tes cheveux parfumés.
    Est-ce un pressentiment d’éternité leur glissé entre mes doigts
    à te lever cette élégance
    et la voix résonnant pour nous seuls quand nous aimons.
    Au lointain d’exister
    nous nous joignons.
    Épaules délestées du lourd de leur fatigue. Parées de pluie, qui tombe fine sur fond de nuit assombrie s’éclaircissant dans sa hauteur comme un angle d’équerre. Où demeurer debout. Dans une posture de gisant redressé.
    Au secret entre les lèvres
    pommier fleuri dans le bombé des joues
    le vivre nu.



    Claude Ber, « L’inachevé de soi » in Il y a des choses que non, éditions Bruno Doucey, Collection « Soleil noir », 2017, pp. 59 et 63.






    Claude Ber  Il y a des choses que non




    CLAUDE BER


    Claude-BER  ©-Adrienne-Arth NB
    Ph.© Adrienne Arth
    Source




    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes

    Il y a des choses que non (note de lecture d’AP)
    Épître Langue Louve (note de lecture d’AP)
    In memoriam (extrait d’Épître Langue Louve)
    La mort n’est jamais comme (note de lecture d’AP)
    Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    Les mots, le vent, les herbes racontent (extrait de Mues)
    Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    Vues de vaches (note de lecture d’AP)
    Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (note de lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    le miel à la bouche




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  • Nimrod, Sur les berges du Chari

    par Angèle Paoli

    Nimrod, Sur les berges du Chari
    district nord de la beauté,

    Éditions Bruno Doucey,
    Collection « L’autre langue », 2016.



    Lecture d’Angèle Paoli


    DES NOCES POÉTIQUES AVEC LE CHARI



    « Sur les berges du Chari », le ciel occupe tout l’espace. C’est lui qui assure la jonction entre la terre et l’eau. L’eau du ciel et celle du fleuve souvent se confondent pour composer un paysage d’une totale uniformité. Cette trilogie « ciel-fleuve-espace » a façonné en profondeur et à jamais le poète Nimrod. Ici, Sur les berges du Chari, l’espace du poème est espace temporel pour dire cet accord parfait, ce mirage commun partagé pour confier au poète ce qui le fonde :

    « Le grand fleuve sous octobre se raconte ».

    C’est sur ce vers que se clôt Sur les berges du Chari, district nord de la beauté, recueil récemment publié par les éditions Bruno Doucey.

    Si le fleuve est au centre, présent dès le titre de l’ouvrage, le ciel est encadrement. Avec le poème d’ouverture « Au ciel », le poète se place en situation, en prise avec ses propres limites et contradictions. En prise également avec sa propre quête :

    « je cherchais à dire

    la course vers l’avenir

    lorsque le banian s’élève

    à la verticale de l’azur. »

    Dès ce premier poème un paysage s’offre, un monde tout entier contenu en trois mots : « ciel », « cité solaire », « banian ».

    Avec le poème final, Nimrod s’en remet à l’attente :

    « J’attends leur accord de tétrarque ».

    Que s’est-il passé entre ces deux extrêmes ? L’accord qui permet au poète-berger-pêcheur de rejoindre sa trilogie existentielle s’est-il manifesté dans les interstices de la poésie ? Il se peut, même si le poète continue de s’inscrire dans l’attente.

    Sur les berges du Chari, district nord de la beauté regroupe plusieurs sections (5 en tout) où alternent poèmes brefs, parfois proches du haïku, et poèmes de formes plus classiques (odes, sonnets). Quelle que soit la forme que prennent ces poèmes sur la page, tous ont un lien étroit avec le fleuve, dans le fusionnement que le Chari invente et noue avec le ciel. Et avec la terre qu’il baigne de ses eaux patientes :

    « La terre liquide

    m’emporte vers le rivage

    Il me donne à voir

    L’infini dans sa rondeur

    Ce n’est pas la terre c’est la presqu’île

    Tel un mot bien ouvragé… »

    (in « Le Bac », 4)

    Avec les poèmes de la première section se fait le passage du singulier — « ciel » — au pluriel — « ciels ». Composition en trois volets, « Ciels errants » se présente d’abord comme une succession de poèmes brefs, sans titre. En dehors de toute cartographie, autre que celle qui se lirait « à hauteur de ciel » et figerait l’espace dans l’exiguïté de ses limites. Ces poèmes s’inscrivent dans une immensité sans frontière où se lit la jonction ciel-nuages-vent-océan. Dans une seule et même tonalité qui réduit tout « à une ligne ». Rien en effet qui fasse « ride » ou « biffure » ; dans cet univers qui « court vers une inertie parfaite », le poète a ancré ses désirs ainsi que ses rêves de royaume naturel et de possession. Légèreté modestie et humour :

    « J’aurais un royaume tout

    à moi en bois flottés. Une

    rivière de diamants en

    désespoir de cause ».

    Il faut attendre la fin du voyage, la fin du recueil et le poème du « Bac » (2, dans la section éponyme du recueil) pour que se dessine une géographie plus précise et plus étendue :

    « Le Chari confirme la

    géographie du Congo

    apprise hier à l’école

    S’y fait entendre l’écho du Zambèze

    Et le bac maître des liaisons liquides

    flotte sur ses rondins comme pour arrêter

    les lumières du soir et comme pour favoriser l’aube… »

    Dans l’intervalle se décline toute la poésie que drainent les eaux du Chari. Enfances, parents, guerres, exil/exode. Avec les cinq poèmes du « Grand troupeau » (in « Ciels errants ») surviennent les vents et les orages, et cette fraîcheur promesse de l’eau à laquelle aspire le poète. Car le poète ne craint rien tant que la force annihilante du soleil. Il fuit la fournaise, appréhende la « surchauffe » et « l’aridité ». « Je n’aime pas la poussière, j’en viens/Recommandez-moi à l’azur », confie-t-il dans « Envol » (in « Les superbes »). L’été est sa saison honnie. Pourtant, au cœur de ces jours de feu, se tient la mère, figure tutélaire de la verticalité. Elle est « stèle », sobre fidèle solide. Silencieuse et solitaire. D’une grande dignité. Semblable au banian qui « s’élève à la verticale de l’azur ». Celle qui veille dans l’attente et que peuplent les « orphelines pensées » du poète est-elle la même que « la mère solitude » ? Cela est probable car les deux figures se ressemblent. Le poète, qui rend un hommage émouvant à sa mère, lui confie son amour filial indestructible et intemporel. Un amour qui le lie au passé et continue de vivre au présent :

    « J’ai aimé ma mère j’ai embrassé son destin

    Comme un fils comme un mendiant […] Je l’aime

    Comme un exilé saisi par la douleur d’espérer. »

    Plus lyriques plus exaltés plus élégiaques aussi, les poèmes de « Ciels errants » sont d’une facture toute différente de ceux qui précèdent. Une ode en six sizains, dédiée à une femme (à Denise Moran, i.m.) — est-ce la mère ? —, ouvre cette section où se lisent en filigrane (et par hypallage) les errances du poète.

    « J’expose mon cœur à un champ orphelin » écrit-il ; ou encore « Je chante pour alléger ma petite existence » ; et plus loin : « Je pleure ma mère abandonnée ». L’histoire familiale et les chagrins qui l’ont façonnée sont évoqués ici avec grande pudeur. Mais ils affleurent à travers le blues qui s’exprime et rejoint le bleu du ciel, sa couleur « d’eau infinie ».

    Le poète revisite le passé de l’enfance. Il évoque son goût de la liberté et de l’errance. Il fait renaître en lui, dans les distiques d’un long poème (III), les images qu’il cultivait de lui-même :

    « Jadis je courais dans ces plaines

    Tel un mage arpentant un pays mystérieux »…

    « Ainsi allais-je en ces périphéries de ma ville natale

    Juste au-dessus de Dembé pour m’emplir d’espace… »

    Devenu voyageur de l’immobile, globe-trotter d’un espace infini ramené aux proportions familiales de la « maison maternelle », sa pensée s’évade, envol vers des temps révolus des lieux où l’image du père pasteur vient peut-être se greffer en surimpression du chant. Ainsi de ce passage anaphorique construit sur la répétition, en début de vers, de l’affirmation : « J’aimais ».

    « J’aimais le rêve sur la colline

    J’aimais la voix qui proclamait :

    “ Voici trois tentes : une pour Élie

    Une pour Moïse, une pour toi ˮ».

    Le poète consacre aux « superbes » une galerie de portraits. Annoncés dans le chant précédent

    Les superbes

    Les superbes

    Les suuuupeeeerbes — (pasteurs bergers griots ? incarnations de la figure paternelle ?), « [l]es superbes » occupent la seconde section du recueil. Parmi eux « [l]e suffisant », « le contrôleur SNCF », les paysannes, « [l]’éléphant » en qui le poète éprouve « [l]’écho d’une parole commune » ; et lui-même, « le pauvre de ce canton », dans le poème intitulé « Ma véranda » :

    « J’écris un poème

    Sur l’or qui court

    Dans l’herbe jusqu’au

    Pied du grand tilleul. »

    Ces portraits culminent avec le magnifique poème « Les Éthiopiennes  », somptueux éloge des « Filles de la reine de Saba », où se dit le rêve d’une alliance retrouvée. Alliance qui passe aussi par la réconciliation du poète avec lui-même. Dans la ville de Jérusalem qu’il arpente, contemplant « le dôme de la mosquée d’al-Aqsa », il écrit :

    « Je contemple la face orientale de mon âme ».

    Face aux pierres fondatrices des trois religions, face à tout ce calcaire dans lequel se grave son bonheur, le poète exulte, empli de reconnaissance envers ses « chères Éthiopiennes ». Son chant monte vertical et puissant dans le calcaire de la Ville sainte pour résonner sur la blancheur de la page comme un chant de pure essence biblique :

    « Couleur poivre, beauté noire sur le sol biblique, je porterai tout à l’heure au Mur des Lamentations mes vœux pour vous,

    J’exprimerai dans le silence de mon cœur, entouré des rabbins, des hassidim, des pieux de toutes conditions,

    Votre prière

    […]

    Baisez-moi, Éthiopiennes, baisez-moi au pied du mur ! Que je m’en aille avec ce goût de pain d’épices

    Sur la langue, sur le cerveau, sur le cœur sur le visage, comme l’alliance scellée jadis par Moïse. »

    Un amour puissant et fiévreux habite le regard que Nimrod porte sur le monde qui l’entoure.

    « La face orientale » de l’âme du poète — son attirance pour « une sultane beauté », son goût pour les « soieries orientales » — vibre dans la section « Tam-Tam », « tam-tam au cœur ». Avec « Tam-Tam », le poète explore une mise en espace qui associe les disjonctions. Il joue avec la page, la typographie, l’agencement des mots, allant jusqu’à composer des formes de calligrammes. Ainsi du poème « New York », vertige gratte-ciel qui épouse la silhouette d’une grue sur le ciel de Manhattan. La langue éclatée scande le rythme syncopé du tam-tam. Les poèmes brefs et saccadés sont construits sur les répétitions et sur les glissements d’un mot à son homologue proche (« pendue » / « pentues » ; « danse » / « transe ». Ainsi le poète voyage-t-il dans ses souvenirs à la recherche d’un syncrétisme qui lui permette de combiner sereinement une incessante combinaison de l’Occident et de l’Orient avec l’Afrique. Mais la réalité historique est plus complexe qu’il n’y paraît. Et si Occident et Orient combinent leurs présences, elles le font aussi à travers heurts et conflits qui les opposent l’un à l’autre. Ainsi en est-il dans les poèmes de « [l]’enragement ». Le poème « Ils frappent ils tuent » a été écrit en « hommage aux étudiants Tchadiens réprimés les 8 et 9 mars 2015 à N’Djaména. » Dans « La honte noire », le poète évoque les causes perdues souvent construites sur des mensonges :

    « C’est toujours sur la Seine, et c’est toujours sur les bords de l’eau qu’on prostitue les grandes causes. » Le poète dénonce les luttes et les guerres qui avilissent et qui tuent. Il n’est pas tendre envers la France qui ne joue pas le beau rôle dans ces massacres :

    « Oublions cette honte qui teinte Paris de la cendre de nos restes. C’est la misère française. »

    Pour renouer avec les eaux du fleuve, et avec tout ce qu’elles drainent de mémoire, il faut (Pour commencer) s’en retourner vers « [l]e Bac ». C’est sur ce très bel ensemble de poèmes que s’achève le recueil. Une fois franchis les quatre premiers poèmes, le lecteur est confronté à une alternance de petits paragraphes en prose poétique (page de gauche) et de poèmes en drapeau regroupés en tercets (page de droite). On y retrouve la lumière le soleil l’espace le manguier le saule les bois flottés, « la terre qui renoue avec l’eau, le ciel, la verdure telle une phrase-Dieu ». Tout le mystère de la poésie de Nimrod, ses énigmes visuelles et auditives, ce fusionnement intense — ciel et eau — dont le mage-poète a le secret.

    « L’épervier jette sa moisson d’étoiles à pleines mains. Les poissons y accrochent leurs écailles. »

    Rien de plus beau ni de plus précieux que ce moment poétique où le poète scelle ses noces avec l’univers qu’il recrée à la volée. À la manière dont son père jetait jadis ses filets dans les eaux du Chari.

    « J’aimerais me couler en moi-même. Je me déborderais à droite, je me déborderais à gauche puis à la surface des eaux, ses éclats d’horizon ses écailles de prince des poissons. Voilà je préside à leur envolée, je préside au ciel qui sied à leur baignade. »

    Chaque fois que le poète retrouve le fleuve, c’est la figure du père, grand pêcheur devant l’Éternel, qui revient en lui.

    Et ces poèmes haïkus — une constellation de vers — pour dire dans la concision le mélange de bonheur et de souffrance.

    « Une graine

    invente

    le sol

    Arbre

    j’attends l’enfant

    aux yeux de rosée

    un grain de lumière

    détaxe

    la ténèbre »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Nimrod, Chari 2





    NIMROD


    Nimrod 2






    ■ Nimrod
    sur Terres de femmes


    [J’ai aimé ma mère] (poème extrait de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté)
    Nimrod | Des « paroles plus précieuses que l’or » (chronique d’AP)
    L’enfant n’est pas mort (lecture d’AP)
    Gens de brume (lecture d’AP)
    [je suis la dernière figure de l’homme] (poème extrait de Babel, Babylone)
    L’herbe (poème extrait d’En Saison)
    Sous les étoiles
    [Tu poseras ton faix] (poème extrait de J’aurais un royaume en bois flottés)
    Le roman s’achève (poème extrait de Petit Éloge de la lumière Nature)
    Le Temps liquide (lecture d’AP)
    En remontant le Lac Tchad (extrait du Temps liquide)
    La Traversée de Montparnasse (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Sur les berges du Chari, district nord de la beauté
    → (sur le site de la revue Secousse, 10)
    d’autres extraits de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté [PDF]
    → (sur e-littérature.net)
    une fiche bio-bibliographique et de nombreux articles d’Alice Granger sur les ouvrages de Nimrod
    → (sur Recours au poème)
    une page sur Nimrod (+ plusieurs poèmes)
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Nimrod
    → (sur le site de la revue Project-îles)
    une rencontre avec Nimrod (24 novembre 2020)





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  • Nimrod | [J’ai aimé ma mère]



    Nimrod, 3
    Ph. angelepaoli







    [J’AI AIMÉ MA MÈRE]




    J’ai aimé ma mère j’ai embrassé son destin
    Comme un fils comme un mendiant
    Qui priait en secret les dieux d’allonger
    Ses jours à proportion des miens. Je l’aime
    Comme un exilé saisi par la douleur d’espérer
    Les vœux qu’on remise à peine nés
    Au fond d’un cœur taillé pour le bonheur.
    Au sort, ma mère présentait des comptes
    Sans envier personne ni même la lune
    Ni même le soleil      elle qui était
    Courageuse sans être mère courage.
    Je pleurais en la voyant si sereine
    Moi que tourmentaient les pressentiments
    En cette zone de l’être où naît un cœur de poète



    Nimrod, « Ciels errants, II » in Sur les berges du Chari, district nord de la beauté, Éditions Bruno Doucey, Collection « L’autre langue », 2016, page 29.







    Nimrod, Chari 2





    NIMROD


    Nimrod 2






    ■ Nimrod
    sur Terres de femmes


    Sur les berges du Chari (lecture d’AP)
    Des « paroles plus précieuses que l’or » (chronique d’AP)
    L’enfant n’est pas mort (lecture d’AP)
    Gens de brume (lecture d’AP)
    [je suis la dernière figure de l’homme] (poème extrait de Babel, Babylone)
    L’herbe (poème extrait d’En Saison)
    Sous les étoiles
    [Tu poseras ton faix] (poème extrait de J’aurais un royaume en bois flottés)
    Le roman s’achève (poème extrait de Petit Éloge de la lumière Nature)
    Le Temps liquide (lecture d’AP)
    En remontant le Lac Tchad (extrait du Temps liquide)
    La Traversée de Montparnasse (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    >→ (sur le site des éditions Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Sur les berges du Chari, district nord de la beauté
    → (sur le site de la revue Secousse, 10)
    d’autres extraits de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté [PDF]
    → (sur e-littérature.net)
    une fiche bio-bibliographique et de nombreux articles d’Alice Granger sur les ouvrages de Nimrod
    → (sur Recours au poème)
    une page sur Nimrod (+ plusieurs poèmes)
    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Nimrod





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