Étiquette : éditions Bruno Doucey


  • Mireille Fargier-Caruso | [S’arracher]




    [S’ARRACHER]




    S’arracher

    S’arracher pour respirer

    Aimer les commencements

    Jusqu’à vouloir en vain dévoiler les visages

    Remonter le courant jusqu’à la source

    Comme s’il y avait un sens aux souvenirs

    Un début aux images une direction au temps

    Le réel est toujours d’abord

    Celui qu’on a imaginé

    Rien n’efface l’incrusté dans nos chairs
    Surtout pas le recouvrement du silence

    Le poème parfois met à nu le passé

    Pour qu’il n’encercle plus

    D’un geste d’adieu       il tente
    De fermer ses écailles

    Remettre l’oubli à sa place

    Entre les blancs


    Un lent dépaysage



    Mireille Fargier-Caruso, Un lent dépaysage, Éditions Bruno Doucey, Collection « Soleil noir », 2015, pp. 84-85 [Publication le 20 août 2015. En avant-première au Marché de la Poésie].







    Mireille Fargier-Caruso, Un lent dépaysage




    MIREILLE FARGIER-CARUSO


    Mireille Fargier-Caruso  portrait NB
    Source




    ■ Mireille Fargier-Caruso
    sur Terres de femmes


    L’arôme du silence
    [Tu avances] (poème extrait du recueil Ce lointain inachevé)
    Entendre
    Presque rien… l’eau du poème où se désaltérer (lecture d’AP sur Ces gestes en écho)
    silence d’avant le souvenir (poème extrait du recueil Ces gestes en écho)
    Comme une promesse abandonnée (lecture de Michel Ménaché)
    [D’un coup de dent soudain] [L’hiver avance] (extraits de Comme une promesse abandonnée)
    Gorgée d’eau pour les lèvres sèches
    [sur la plage] (extrait de Couleur coquelicot)
    → (dans l’Anthologie poétique Terres de femmes)
    On a vingt ans (poème extrait du recueil Un peu de jour aux lèvres)




    ■ Voir aussi ▼


    → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Mireille Fargier-Caruso
    → (sur le site des Éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur Un lent dépaysage



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  • Anne Bihan, Ton ventre est l’océan

    par Marie-Hélène Prouteau

    Anne Bihan, Ton ventre est l’océan,
    Éditions Bruno Doucey,
    Collection « Soleil noir », 2011.



    Lecture de Marie-Hélène Prouteau


    « SE TENIR ENTRE »



    Voici un recueil de poèmes qu’Anne Bihan place résolument sous le signe de la dualité :

    « Deux ciels s’épousent à la césure des mers

    de l’un je reconnais la langue goémonière

    de l’autre les voies ouvertes à qui suit ses chemins

    […]

    deux pays s’étreignent là où je m’assemble

    ce cahier est sans retour. »

    Le recueil gravite autour de l’expérience de l’entre-deux : entre îles et continent, entre les terres et les mers, bretonne et océanienne. Entre deux postulations, l’une sensitive et sensuelle, l’autre méditative et réflexive qui sont peut-être les deux facettes de cet écrivain. Mais il serait réducteur de ramener cette dualité à la biographie de celle-ci, originaire de Bretagne et vivant depuis de nombreuses années en Nouvelle-Calédonie. D’ailleurs le texte lui-même ne cite jamais aucun de ces toponymes et préfère celui de « Kanaky  ». Loin de la carte postale et de l’exotisme de pacotille, on saisit que se joue ici une rencontre authentique de l’autre.

    Dans ce flux d’impressions qu’est le recueil, il y a ces trois « amers » posés de part en part qui s’ouvrent en six « variations ». Ils balisent cette suite composite de poèmes brefs, de petites proses, de souvenirs d’enfance et de bribes de chansons, tissés dans le fil du texte à côté d’injonctions à soi-même. Comme le suggère le mot « variation », cela produit une composition musicale très élaborée qui se dédouble en poèmes sur le mode mineur et d’autres sur le mode majeur. Ces derniers étant le plus souvent liés à la présence marquée de l’enfance : il n’est presque pas de page où l’on ne trouve un enfant. Mais point de temps retrouvé ici : l’enfance est une matrice d’un certain rapport au monde et aux grands espaces entre mer et Loire qui fut celui d’Anne Bihan. Se souvenir, pour elle, c’est sentir. Et les souvenirs appartiennent aux yeux, à la bouche, aux oreilles :

    « goûte

    ce mulon blanc

    les yeux

    points noirs

    des civelles

    ne regrette rien

    ton ventre est l’océan. »

    Anne Bihan engage le lecteur dans un dialogue qui regarde le monde. Dialogue tout à la fois vivant et essentiel. La présence liminaire de Jean-Pierre Abraham le confirme, la poésie est, pour elle, traversée autant intérieure que géographique. D’autres poètes passent dans son trajet d’écriture : « la diverse parole » semble un clin d’oeil à Segalen, le « cahier sans retour » à Césaire.

    Ici, on est dans le « décalage », tel est le titre d’un des poèmes. Mais ce décalage, loin de n’être qu’horaire, est bien existentiel. C’est aux antipodes de toutes nos références que nous nous trouvons. Dans le décentrement de l’être, en un non-lieu que ne désavouerait pas Gilles Deleuze dont la lecture est familière à Anne Bihan. « Se tenir entre », tout est là. Dès l’entame, l’injonction à l’infinitif en est posée et se répète sur ce mode verbal dans une douzaine de poèmes ― étonnant usage du mode le plus impersonnel pour dire le plus intime :

    « Temps venu

    de se déprendre

    habiter l’évidence de n’être

       ni l’un   ni l’autre   oser

    se tenir entre

    t’assembler par-delà. »

    Il s’agit d’une poésie de l’apostrophe qui s’adresse autant au poète qu’au lecteur. Qu’est-ce que l’identité ? Qu’est-ce que l’appartenance ? s’interroge celle qui choisit les « appartenances plurielles ». C’est se situer à l’opposé de l’enracinement, des certitudes ancrées et de nos perceptions ordinaires du monde. C’est échapper aux cadres, habiter dans la mouvance et dans l’incertitude de l’entre-deux, loin des vieilles digues de l’habitude :

    « Se tenir

    entre       reconnaître

    à la source la radicale      étrangeté

    de l’autre de tous ces autres sans qui […]

          oser l’ombre debout de l’ignorance »

    Et aussitôt, jouant à merveille de cette dualité si caractéristique, cette écriture quitte le terrain méditatif pour se faire charnelle : le monde s’ouvre alors aux odeurs iodées des mers bretonnes ou « aux souffles du grand dehors sous l’arbre-éventail ». Le lecteur qui attendrait des sensations pittoresques en est pour ses frais. Et si l’on en doutait, les mines de nickel ou la chaussée des pauvres nous parlent de l’envers de l’exotisme. Anne Bihan le dit : elle ne se veut pas écrivain voyageur. Les éléments de la nature, les objets sont posés là comme autant de signes ethnologiques, cauris, nattes, sel et brisants, dents et coquillages, qui s’entremêlent subtilement. Aux folles hirondelles de la Loire fait écho, en surimpression rouge et verte, « le vol des perruches ébouriffant l’aube de lignes éphémères ». Où sommes-nous ? Que suis-je ? se demande celle qui parle. Ni atlantique ni océanienne, c’est entendu. Une femme océanique avec un corps à la dimension de l’océan, dirions-nous en suivant l’image audacieuse du titre. Au commencement était la mer. Car sa poésie prend corps en cet océan originel, matriciel, comme l’évoque la superbe seconde page :

    « …elle a toujours été là, dans le mouvement du fleuve, a toujours été par tout temps son horizon, son infini, à la démesure du ciel […] son odeur ― iode, goémon, marée ― sûrement a pénétré en premier le corps par les narines, cela ressent tout à son âge ; ou alors c’est avant déjà bien avant, écrit dans l’immensité bleue des yeux du père, peut-être dans sa voix entendue à travers la paroi de son ventre à elle, qui toujours en rêve… »

    « il » et « elle » et la mer, rien de plus. Comment dire plus simplement l’enfance de l’humain ? Et cette femme-océan mange la chair des choses, le sel des marais bretons et la pulpe des mangues savourée devant la mer. Autant de gourmandises que sa poésie incarnée nous met en bouche.

    Mais cette posture de l’entre-deux n’est pas facile à vivre. Traverser ce que Segalen nomme le « divers » n’est pas sans risque. Cela renvoie constamment à cette « étrangèreté » de qui n’est pas d’ici et se trouve confronté à d’autres rites, à d’autres us et coutumes :

    « sous l’abondance cérémonielle et composite

    des couvre-chefs

    lentement tresser l’organique parade

    le fil sans fin d’une autre parole. »

    Ce parti-pris oblige à des pertes consenties, à des déprises parfois douloureuses. Pour dire « ces jours sans rive » de ce qui fut quitté, Anne Bihan fait naître de puissantes métaphores :

    « Le matin qui s’étonne

    de la voûte à grande eau lavée par la douleur

    livre aux vents la chambre vide »

    ou bien encore cette image étrange pour exprimer de secrètes fêlures :

    « sur la cour des enfants s’empoignent pour

    ne pas pleurer »

    À plusieurs reprises, les paroles du père, l’évocation de sa mort reviennent en ligne d’échos dans le recueil, tramées comme ces objets tissés qu’affectionne Anne Bihan, en une texture de vie irréductible :

    « …il dit ma petite est comme l’eau elle est comme l’eau vive, ne chante pas très bien mais l’emmène en bateau ; peut-être ce n’est pas la mer qu’elle voit d’abord mais sa présence et la joie qu’elle pose, la mer, sur le visage du père »

    ou bien :

    « Un vol de paupières obscurcit l’horizon

    bleus les yeux du père sève des regards

    sa mort livre au noir »

    Les déchirures, les séparations, les morts sont évoquées avec la plus grande simplicité, suggérées en sourdine à travers des réseaux d’images : « entre les écueils les fissures les gouffres ». Souvent, ces images sont reprises quelques pages plus loin et font un effet de ressac, comme ici :

    « et par-delà les fissures et les gouffres

    choisir

    l’effacement sans fin de toutes choses. »

    L’absence de ponctuation, les blancs typographiques qui brisent les vers font souvent flotter le sens. Poème après poème, le lecteur se perd sans s’égarer, dans l’immense de l’océan.

    Il faut lire et relire, laisser les mots faire leur travail. Le lecteur aussi doit se déprendre. Le questionnement vaut pour tous et pointe le chemin d’une quête toujours ouverte. Exigence heuristique qu’Anne Bihan sait marier à la force poétique profonde de la langue. Cela donne à sa poésie un éclat singulier, à la fois grave et jubilatoire.



    Marie-Hélène Prouteau
    D.R. Marie-Hélène Prouteau
    pour Terres de femmes







    Anne Bihan, Ton ventre est l'océan





    ANNE BIHAN


    Anne Bihan photo Marc Le Chélard
    Ph. Marc Le Chélard
    Source




    ■ Anne Bihan
    sur Terres de femmes

    [Traquer](extrait de Ton ventre est l’océan)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Île en île)
    une bio-bibliographie d’Anne Bihan
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Anne Bihan, femme debout « à la césure des mers », une contribution de Roselyne Fritel
    → (sur Poésie maintenant, le blog de Pierre Maubé)
    un autre poème extrait de Ton ventre est l’océan
    → (sur Dailymotion)
    Anne Bihan, 5 Questions pour Île en île (un entretien réalisé par Thomas C. Spear à Nouméa le 28 août 2009)
    → (sur le site de France Culture)
    La Poésie n’est pas une solution : une carte postale poétique sonore néo-calédonienne de Régine Chopinot & Textes d’Anne Bihan dits par Adrien Michaux & Entretien avec Marie Borel (en résidence en Nouvelle-Zélande)




    ■ Autres chroniques et notes de lecture (25) de Marie-Hélène Prouteau
    sur Terres de femmes

    Chambre d’enfant gris tristesse
    La croisière immobile
    Jean-Claude Caër, Alaska
    Jean-Louis Coatrieux, Alejo Carpentier, De la Bretagne à Cuba
    Marie-Josée Christien, Affolement du sang
    Yves Elléouët, Dans un pays de lointaine mémoire
    Guénane, Atacama
    Luce Guilbaud ou la traversée de l’intime
    Cécile Guivarch, mots et mémoire en double
    Denis Heudré, sèmes semés
    Jacques Josse, Liscorno
    Martine-Gabrielle Konorski, Instant de Terres
    Ève de Laudec & Bruno Toffano, Ainsi font…
    Jean-François Mathé, Prendre et perdre
    Philippe Mathy, l’ombre portée de la mélancolie
    Monsieur Mandela, Poèmes réunis par Paul Dakeyo
    Daniel Morvan, Lucia Antonia, funambule
    Daniel Morvan, L’Orgue du Sonnenberg
    Yves Namur, Les Lèvres et la Soif
    Jacqueline Saint-Jean ou l’aventure d’être au monde en poésie
    Dominique Sampiero, Chante-perce
    Dominique Sampiero, Où vont les robes la nuit
    Ronny Someck, Le Piano ardent
    Pierre Tanguy, Ma fille au ventre rond
    Pierre Tanguy, Michel Remaud, Ici même






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  • Salah Al Hamdani | Bagdad, désespérément






    Bagdad_7
    Source







    BAGDAD, DÉSESPÉRÉMENT



    Partir sans se quitter soi-même
    regarder simplement le bleu de la mer
    et s’imprégner de la chair du ciel

    Ne pas fuir sa nuit
    sur un navire inerte

    Partir n’est pas regarder devant
    mais corriger l’usure du temps
    ébarber les saisons

    Partir ne signifie pas chasser le clair de lune
    mais l’aube qui aboie au fond de l’homme

    Car c’est ici
    que l’averse dissimule l’ombre de Bagdad
    comme au retour d’un long voyage
    comme une saison obscure
    cadencée par le deuil

    Le lointain vient en petites vagues
    et se fixe comme une aile sur mon matin

    Alors je sors
    je marche
    et je m’élève
    dans la lumière aveuglante

    Puis je me balance
    comme un hiver égaré dans sa brume



    Salah Al Hamdani, Rebâtir les jours, Éditions Bruno Doucey, Collection « L’autre langue », 2013, pp. 35-36.







    Hamdani








    SALAH AL HAMDANI


    Salah Al Hamdani  NB2
    Ph. H. Schneese



    ■ Salah Al Hamdani
    sur Terres de femmes

    Le début des mots (extrait de Bagdad mon amour)
    Saison du sel
    Isabelle Lagny — Salah Al Hamdani | [Dans la lumière blanche] (extrait de Contrejour amoureux)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique sur Salah Al Hamdani
    → (sur YouTube)
    un entretien avec Salah Al Hamdani





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  • Aurélia Lassaque | Lo sòmi d’Orfèu | Lo sòmi d’Euridicia



    Sophie Guinzbourg, Mort d'Eurydice
    Source






    LO SÒMI D’ORFÈU



    Dins los infèrns que los òmes
    Son pas mai que d’ombras,
    Me farai ombra al dedins de ton còs.

    Bastirai de ciutats de sabla
    Qu’agotaràn lo flum que degun ne tòrna.

    Dansarem sus de torres que nòstres uèlhs veiràn pas.

    Serai ta lenga trencada que sap pas mentir.

    E maudirem l’amor que nos a perduts.





    LE RÊVE D’ORPHÉE



    Dans les enfers où les hommes
    Ne sont plus que des ombres,
    Je me ferai ombre au-dedans de ton corps.

    Je construirai des cités de sable
    Pour tarir le fleuve dont on ne revient pas.

    Nous danserons sur des tours invisibles à nos yeux.

    Je serai ta langue tranchée qui ne sait pas mentir.

    Et nous maudirons l’amour qui nous a perdus.






    LO SÒMI D’EURIDICIA



    Cavarem d’autras regas que cobrirem de cendre.
    Veirem morir lo vent carrejaire d’oblit.
    Aurai de pomas dins ma pòcha raubadas a mai paure que ieu.
    Las pelarem amb d’espasas.
    E amb çò que sobra de nòstres sòmis
    Ne bastirem mai
    Delà los fuòcs
    E la termièra de l’agach.






    LE RÊVE D’EURYDICE



    Nous creuserons de nouveaux sillons que nous couvrirons de cendre.
    Nous verrons mourir le vent qui charrie l’oubli.
    J’aurai des pommes dans ma poche volées à plus pauvre que moi.
    Nous les pèlerons avec des épées.
    Et avec le reste de nos rêves
    Nous en bâtirons d’autres
    Par-delà les feux
    Et la frontière du regard.



    Aurélia Lassaque, Pour que chantent les salamandres, Éditions Bruno Doucey, Collection « L’autre langue », 2013, pp. 98-99-100-101.






    Aurélia Lassaque, pour qque chantent les salamandres





    AURÉLIA LASSAQUE


    Aurélia Lassaque 2
    Ph. © Éric TEISSÈDRE
    Source




    ■ Aurélia Lassaque
    sur Terres de femmes

    Ombres de Lune
    Ulysse (extrait d’En quête d’un visage)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Lo temps s’es perdut



    ■ Voir aussi ▼

    → (dans Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera)
    une bio-bibliographie et deux poèmes d’Aurélia Lassaque






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  • Moon Chung-hee | Chant de la flèche



    On ne compare pas les mots à l’épée mais à la flèche car une fois utilisés, fichée quelque part elle ne revient jamais
    Ph., G.AdC







    CHANT DE LA FLÈCHE



    Chaque fois qu’on me le dit
    je pleure toujours un peu
    Tu vivras en te servant des mots
    plus que de l’eau et du feu
    en vérité plus que de l’argent
    Alors tu dois ramasser beaucoup de mots
    Et puis tu dois les dépenser comme il faut avant ton départ

    Cependant on ne compare pas les mots à l’épée
    mais à la flèche
    car une fois utilisés, fichée quelque part
    elle ne revient jamais

    L’être vivant parmi les bois épais
    de flèches aiguës, dès que fiché en plein cœur
    c’est un poison qui pénètre à toute vitesse ou bien
          c’est une flamme

    Quand je vois l’amour qui commence par un mot nouveau
    comme la première page d’un nouveau livre sacré
    je pleure en sanglotant un peu

    C’est de mots que tu te serviras avant ton départ
    plus que de l’eau et du feu
    ou bien de l’argent
    car ils sont la plus belle des richesses
    Chaque fois qu’on me le dit
    oui, vraiment, je pleure un peu



    Moon Chung-hee, Celle qui mangeait le riz froid, Éditions Bruno Doucey, 2012, pp. 115-116. Traduit du coréen par Kim Hyun-ja avec la collaboration de Michel Collot. Préface de Michel Collot.





    MOON CHUNG-HEE


    Moon Chung-hee
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur YouTube)
    rencontre avec Moon Chung-hee au Centre culturel coréen (Paris, le 22 mars 2013)
    → (sur Keulmadang | Littérature coréenne n° 19, février 2013)
    « Rage et solitude / Moon Chung-hee, poétesse », par Andrea De Benedittis (entretien avec Moon Chung-hee)
    → (sur le site du Printemps des poètes)
    « Moon Chung-hee, solitaire et libre », par Vincent Rouillon [PDF]






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  • Dominique Sampiero | Nos lèvres et leurs baisers









    Nuit ne ressemble à rien mais regrette le mystère
    Ph., G.AdC








    NOS LÈVRES ET LEURS BAISERS (extrait)



         Mourir donc attend un regard qui s’ouvre et un regard qui se ferme. L’un est le bourgeon de l’autre. Sans ces yeux pour la mort, il n’y a rien. La mort n’existe pas. Sans ce regard du mourant sur le guetteur, le deuil est impossible. Fermer les yeux du mort ne tourne pas la page. Au contraire. Le livre reste grand ouvert. Il est tous les livres à lui seul. L’encombrer de paroles bibliques est juste un frisson à la surface du ciel. Il faut laisser dans son cœur le livre ouvert. S’inquiéter lorsque l’on trouve des réponses. Rester nu pour s’attacher un jour des eaux de vivre, ébloui par l’autre corps. Que notre dernier cri ne soit qu’un souffle pour remercier sur l’autre berge tout ce qui nous fut précieux.


    Nuit alors n’en revient pas
    de se souvenir


    Nuit ne ressemble
    à rien
    mais regrette
    le mystère


    Dos au mur
    nuit se lasse
    d’être en haut


    Les ombres raccommodent
    la nuit à l’ourlet
    des robes et du monde


    Nuit ne doit pas durer
    sans crier
    un jour de plus


    Si tu ne veux pas la nuit
    tu ne pourras plus
    sortir de toi


    Nuit est mouvement
    qu’on fixe dans l’élan
    de la récolte

    […]



    Dominique Sampiero, La vie est chaude, Éditions Bruno Doucey, Collection Embrasures, 2013, pp. 38-39-40.







    DOMINIQUE SAMPIERO


    Dominique Sampiero
    Source



    ■ Dominique Sampiero
    sur Terres de femmes

    [Certains livres se souviennent] (extrait du Maître de la poussière sur ma bouche)
    Chante-perce (lecture de Marie-Hélène Prouteau)
    Où vont les robes la nuit (lecture de Marie-Hélène Prouteau)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Ici et Là, le blog de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines)
    une note de lecture de Jacques Fournier sur La vie est chaude de Dominique Sampiero
    → (sur le site de l’Université de Nantes)
    un entretien entre Bruno Doucey et Dominique Sampiero (22 janvier 2013)
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de le littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Dominique Sampiero
    → (sur Esprits Nomades)
    une page sur Dominique Sampiero
    → (sur le site de Jean-Michel Maulpoix)
    « La fièvre lyrique de Dominique Sampiero », par Jean-Michel Maulpoix





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • David Rosenmann-Taub | Pañuelo



    PAÑUELO



        Desenmadeja el sueño sus ovillos ;
              su croché ― escorpión ―
    se apronta. ¿Grifos? ¿Lascas? ¿Crisantemos?
              Chincoles en la pila.
                   ¡Potestades!


        La siesta bordonea: lanzadera
              de umbría. Un ajimez,
    por asir unos tábanos bermejos,
              se enreda entre los sirgos.
              ¿La pila? ¡El escorpión!







    MOUCHOIR



        Le rêve déroule ses pelotes ;
              son crochet ― un scorpion ―
    se prépare. Griffons ? Éclats de pierre. Chrysanthèmes ?
              Passereaux dans le bassin.
                       Puissances !


        La sieste bourdonne : navette
              d’ombrage. Une fenêtre en surplomb,
    voulant saisir quelques taons vermeils,
              s’emmêle dans les soies torses.
              Le bassin ? Le scorpion !




    David Rosenmann-Taub, Cortège et Épicinie, Éditions Bruno Doucey, 2011, pp. 158-159. Traduit de l’espagnol (Chili) par Luc Brébion.





    DAVID ROSENMANN-TAUB


    David Rosenmann-Taub
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    le site de David Rosenmann-Taub







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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Jeanne Benameur | [Nous restons tête baissée]



    Ma tete est un cerf-volant
    Ph., G.AdC






    [NOUS RESTONS TÊTE BAISSÉE]




    Nous restons tête baissée
    à lire
    un mot
    un seul
    toute notre vie le même


    Et si vivre était là ?



    Oh ma tête est un cerf-volant
    troué d’épiphanies



    L’air qui me traverse
    est à moi
    est à tous
    Et mon souffle se donne




    Jeanne Benameur, Notre nom est une île, Éditions Bruno Doucey, Collection Embrasures, 2011, page 37.





    JEANNE BENAMEUR


    Jeanne Benameur
    Source



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur Dailymotion)
    un portrait de Jeanne Benameur (vidéo)
    → (sur le site de la Mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une bio-bibliographie de Jeanne Benameur
    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    une fiche bio-bibliographique sur Jeanne Benameur





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  • Yannis Ritsos | [Joie. Joie]



    Une petite fenetre donne sur le monde
    « Ἕνα μικρὸ παράθυρο
    βλέπει τὸν κόσμο »
    Ph., G.AdC







    XVI




    Χαρά χαρά.
    Δὲ μᾶς νοιάζει
    τί θ᾿ ἀφήσει τὸ φιλί μας
    μέσα στὸ χρόνο καὶ στὸ τραγούδι.


    Ἀγγίξαμε
    τὸ μέγα ἄσκοπο
    ποὺ δὲ ζητᾷ τὸ σκοπό του.


    Ὁ Θεὸς
    πραγματοποιεῖ τὸν ἑαυτό του
    στὸ φιλί μας.
    Περήφανοι ἐκτελοῦμε
    τὴν ἐντολὴ τοῦ ἀπείρου.


    Ἕνα μικρὸ παράθυρο
    βλέπει τὸν κόσμο.
    Ἕνα σπουργίτι λέει
    τὸν οὐρανό.
    Σώπα.


    Στὴν κόγχη τῶν χειλιῶν μας
    ἑδρεύει τὸ ἀπόλυτο.


    Σωπαίνουμε κι ἀκοῦμε
    μὲς στὸ γαλάζιο βράδι
    τὴν ἀνάσα τῆς θάλασσας
    καθὼς τὸ στῆθος κοριτσιοῦ εὐτυχισμένου
    ποὺ δὲ μπορεῖ νὰ χωρέσει
    τὴν εὐτυχία του.


    Ἕνα ἄστρο ἔπεσε.
    Εἶδες;
    Σιωπή.
    Κλεῖσε τὰ μάτια.







    La respiration de la mer semblable au sein d'une jeune fille heureuse
    « la respiration de la mer
    semblable au sein d’une jeune fille heureuse
    »
    Ph., G.AdC







    XVI




    Joie. Joie.
    Peu nous importe
    ce que laissera notre baiser
    à l’intérieur du temps et de la chanson.


    Nous avons touché
    la belle inutilité
    qui ne cherche pas son utilité.


    Dieu
    réalise son être
    dans notre baiser.
    Fiers nous exécutons
    le commandement de l’infini.


    Une petite fenêtre
    donne sur le monde.
    Un moineau dit
    le ciel.
    Tais-toi.


    Dans la conque de nos lèvres
    réside l’absolu.


    Nous nous taisons et nous écoutons
    dans le bleu du soir
    la respiration de la mer
    semblable au sein d’une jeune fille heureuse
    qui ne peut y contenir son bonheur.


    Un astre est tombé.
    Tu as vu ?
    Silence.
    Ferme les yeux.




    Yannis Ritsos [Γιάννης Ρίτσος], Symphonie du printemps [Ἐαρινὴ Συμφωνία], Éditions Bruno Doucey, 2012, pp. 84-85-86-87. Traduit du grec par Anne Personnaz. Préface de Bruno Doucey.





    YANNIS RITSOS


    Yannis Ritsos
    Source



    ■ Yannis Ritsos
    sur Terres de femmes

    Oἱ κάμαϱες βάθυναν πολύ



    ■ Voir aussi ▼

    le site Yannis Ritsos (en grec) créé par le Centre national du livre (EKEBI) à l’occasion de l’Année Ritsos (2009)
    → (sur Projet Homère)
    une bio-bibliographie (en français) de Yannis Ritsos
    → (sur cairn.info)
    « Trois poèmes de Yannis Ritsos », un article de François Amanecer paru dans Études 11/2005 (tome 403), pp. 509-521
    → (sur Dornac)
    plusieurs poèmes de Yannis Ritsos





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  • Margaret Atwood | Wish : Metamorphosis to Heraldic Emblem



    Broche camee
    Ph., G.AdC






    WISH: METAMORPHOSIS TO HERALDIC EMBLEM




    I balance myself carefully
    inside my shrinking body
    which is nevertheless
    deceptive as a cat’s fur:


    when I am dipped in the earth
    I will be much smaller.


    On my skin the wrinkles branch
    out, overlapping like hair or feathers.

    In this parlour my grandchildren
    uneasy on sunday chairs
    with my deafness, my cameo brooch
    my puckered mind
    scurrying in its old burrows


    little guess how
                                maybe


    I will prowl and slink
    in crystal darkness
    among the stalactite roots, with new
    formed plumage
                                 uncorroded
                                                      gold and


    Fiery green, my fingers
    curving and scaled, my


    opal
            no
         eyes glowing







    UN VŒU : MÉTAMORPHOSE EN BLASON




    Je trouve prudemment mon équilibre
    à l’intérieur de mon corps qui rétrécit
    qui est aussi trompeur néanmoins
    que la fourrure d’un chat :


    lorsque je serai trempée dans la terre
    je serai bien plus petite.


    Sur ma peau, les rides dessinent
    des ramifications, qui se chevauchent comme des
    cheveux ou des plumes.


    Dans ce boudoir mes petits-enfants
    sur les fauteuils du dimanche
    mal à l’aise à cause de ma surdité, de ma broche en camée
    de mon esprit sourcilleux
    qui détale dans ses vieux terriers


    bien peu devinent comment
                                                       peut-être


    je vais rôder et disparaître
    dans l’obscurité de cristal
    parmi les racines en stalactites, avec un nouveau
    plumage
                              doré
                                       non corrodé et


    Vert comme la flamme, mes doigts
    d’écailles recroquevillés, mon


    opale
              aucun
           œil ne brille




    Margaret Atwood, Le Journal de Susanna Moodie [The Journals of Susanna Moodie, Oxford University Press, Toronto, 1970], Éditions Bruno Doucey, 2011, pp. 88-89-90-91. Traduit de l’anglais (Canada) par Christine Évain.





    Margaret Atwood, Le Journal de Susanna Moodie, Éditions Bruno Doucey, 2011.





    MARGARET ATWOOD


    Margaret Atwood
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Margaret Atwood
    → (sur le site de L’Encyclopédie canadienne)
    une bio-bibliographe (en français) de Margaret Atwood
    → (sur le blog De Bloomsbury en passant par Court Green)
    une note consacrée au Journal de Susanna Moodie (+ de nombreux extraits du recueil)





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