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  • Rodica Draghincescu, Rienne

    par Angèle Paoli

    Rodica Draghincescu, Rienne,
    Éditions de l’Amandier,
    Collection Accents graves/Accents aigus, 2015.
    Hors-texte de Suzana Fântânariu.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Rienne à la maniere de ben
    Image, G.AdC







    UNE POÉTIQUE DE LA DEVISE OU RIENNE EST PLUS COMME AVANT



    Rienne. Féminin de rien ? Néologisme (si adjectival) forgé par Rodica Draghincescu pour son dernier recueil de poésie. Rienne. Est-ce elle ? Ou est-ce elle qui rienne ? Le titre s’affirme d’emblée tant par sa redondance consonantique que par l’aspect énigmatique de sa forme, donnant une existence réelle à un mot apparemment in-existant – pas tout à fait un hapax ni une u-topie toutefois, puisque le toponyme existe bel et bien, tout comme le verbe (plutôt rare à mon sens) rienner (« ne rien faire », bonsoir Mr Barbey). Pour sûr, Rienne surprend et dérange. Avec ses 2 [n], le monème |rienne| mime comme par rebonds l’écho lointain du latin rem, la chose dont il semble tirer son origine. « Rem » ? Oui, cette CHOSE-là même, ce ren à la Tardieu que l’on croise dans la Res Publica… Rienne donc. Rien ne quoi ? La poète décline le mot selon des intonations et des graphies/fantaisies diverses. La table des matières est à lire comme une partition. Variations multiples sur le même… Il en est ainsi de « Choses, corps décédés » du chapitre 4. « CH-OSE » – 1 à 9 puis « Ch-OSE ? CH-oses ! Chaus-Se ; cH-ose ; Ch-Oses(e) ; Ch-eau-Z ; CHO-Ses ; CHOSEs à d’écrire ; Choses à grimper. » Autant de jeux — neuf en tout — (apparents) sur les mots leurs combinaisons phoniques graphiques homonymiques.

    Autre particularité du recueil : avec le [R] de Rodica et le [N] différemment audible de Draghincescu mais aussi avec le [R] de Fântânariu et le double [N] qui file de Suzana à son nom, le dialogue se noue entre la plasticienne roumaine et la poète, ou l’inverse. De l’une/l’autre. De l’autre/l’une. Un même mouvement, une même peau. Synergie et réversibilité. Riennes de femmes sur les objets défunts autour desquels l’une avec l’autre tourne. Avec, en arrière-plan, le maître-philosophe Michel Foucault, à qui est dédié ce recueil — ainsi qu’à ses traducteurs et à ses disciples. Ici, Rodica Draghincescu/Suzana Fântânariu. Les Mots et les Choses. Ceci n’est pas une pipe. L’œuvre majeure de Michel Foucault se profile, qui draine avec elle Le Journal utopique de Suzana Fântânariu, et Rienne, le recueil de Rodica Draghincescu. Deux œuvres liées l’une à l’autre par la réflexion sur la composition — [re-]composition artistique ; l’interrogation que présuppose le rapport entre les mots et les choses ; et sur le regard que nous leur accordons.

    Est-ce là, dans cette mise en perspective des deux artistes avec le philosophe, que se forge la « tRIENité » selon Rodica D. ? Nouvelle « trinité » qui s’opère par glissement d’un [e] entre les interstices des phonèmes pour donner naissance à un nouveau néologisme à trois têtes (l’ajout d’un deuxième [e] donnerait à ce rien un air d’éternité qui n’a pas lieu d’être, puisque « rien n’est éternel », nous dit RD). Deux femmes et un homme donc. Et entre eux trois, les mots | les choses.

    Corp(u)s de choses de noms de corps. Le Journal utopique de Suzana Fântânariu en livre quelques exemples, assez faciles à identifier. « Petits objets » de rien, (r)assemblés là, comme si de rienne était, dans leur espace ; des carrés de toile de jute peints ? Déterminés par des coutures de raphia ou de papier. Plumes d’oiseaux (objet récurrent) ; branche de lunettes ; ampoules ; fermeture éclair ; cordons ; bouton ; flacon ; crayons minuscules ; godet ; pile électrique ; lanières ; épingle à nourrice ; té ; porte-clés ; crochets. Objets défunts ? (ré)unis là, comme rendus soudain à une vie autre. Arte povera qui s’expose à notre regard et l’interroge. Force la réflexion. Sortir les objets des clichés dans lesquels ils sont tenus enclos, les libérer de leur gangue-carapace qui les immobilise. Mais le fait de nommer ne détourne-t-il pas l’objet de son être propre. Ou bien ne l’ombralise-t-il pas ? Objets assujettis donc à nos interprétations, à nos humeurs ainsi qu’à l’épistémê du moment.

    « Et puisque rien n’est éternel et immuable, l’objet pleure dans le jeu, avec le nom qui le compose », peut-on lire dans « Objectum. Le Journal de Khéops » (chapitre III)

    Ou encore, dans « Corp(u)s » (chapitre II) :

    « La pensée crée des noms.

    Le vide bat son plein. »

    « La pensée crée des nuages et des lumières. » Ainsi ombralise-t-elle les objets, créant entre elle et la chose pensée une dépendance étroite qui nuit à la plénitude de l’objet en tant qu’objet.

    Et moi, lectrice (ou riéniste après tout ?, merci Anatole), peu versée (semble-t-il) dans les abstractions philosophiques sur le « rien », pas plus que sur son double antithétique, le « tout », ne suis-je pas en train de cerner d’ombre les objets plutôt que de les rendre à leur vérité première et intrinsèque ? Ne suis-je pas, en bonne platonicienne, en train de privilégier l’ombre des choses plutôt que la chose elle-même ? Malgré tout, en dépit des ou peut-être bien en raison des réflexions que ce recueil suscite en moi, je n’ai pas du tout envie de lâcher prise. Je poursuis ma lecture, habitée de questions.

    Alors ce « Journal » ? Utopique journal ?

    J’examine le corpus des titres.

    « Objectum. Le journal de Khéops » (chapitre III)

    « Choses, corps décédés. Le journal de Khéphren » (chapitre IV)

    « Ces hasards. Le journal utopique » (chapitre VII)

    Je note trois occurrences du mot « journal ». Mikerinos survient (chapitre VI) qui complète, conformément à mon attente ordonnée, la trinité égyptienne des pyramides. Mais de « journal », il n’est plus question. Dans l’intervalle s’est glissé, chapitre V, le nom de Gizeh. Qui impose aussitôt à ma mémoire son sphinx. Et introduit dans le même temps un écart. Car Gizeh, ce ne sont pas les pyramides. Même si elles sont proches et appartiennent à une même « archéologie du savoir ». Un savoir constitué d’images parcellaires sur des pierres défuntes.

    Autre écart : l’absence du mot « journal » pour caractériser ce chapitre V. La poète joue sur nos attentes, les bouscule, les déplace. Elle dé-range. N’est-ce pas l’une des fonctions de l’artiste que de jouer sur les distances, de jouer avec la distorsion, et de dé-jouer ainsi les attentes convenues de lecture et d’interprétations ? En revanche, le terme réapparaît au dernier chapitre dans le titre Le journal utopique. Cet ultime intitulé reprend en écho celui de Suzana Fântânariu. En même temps que la contradiction interne qu’il véhicule. Magnifique oxymore, qui ouvre une nouvelle voie au genre du diario, temps et lieu désinscrits en un « blanc de mémoire. »

    Car si l’écriture et la composition d’un journal répondent à des injonctions précises de temps de lieu d’émetteur et de destinataire, les deux créatrices roumaines n’en ont cure. Ici le lieu est un hors-lieu, un ailleurs non donné, une a-topie ; le temps un hors-temps, une a-chronie qui conduit à des strates indistinctes de morts. Objets défunts, « corps décédés ». D’où ? De quelle époque ? Les règles de l’écriture journalistique sont annihilées. Où l’on retrouve le « rien » dans le nihil ou le nil latin. Ainsi l’Égypte n’est-elle qu’un trompe-l’œil. L’Égypte ancienne est là, hors mémoire, nommée mais vidée de ses objets, de ses mystères de ses écritures de ses morts. Il ne reste d’elle que des noms, mais pour avoir été trop surinvestis, ils ne laissent qu’un grand vide. Pour autant, sous ces noms et leurs intitulés, il y a bien un texte. Qui n’offre cependant que très peu de résonances avec le titre qui le précède. Un texte décalé lui aussi. Qui s’inscrit dans l’écart. Il nous faut revenir au Ceci n’est pas une pipe de Michel Foucault (mise en abyme de la fameuse peinture de Magritte). « Les pierres de Gizeh » parlent de tout autre chose. D’amour par exemple :

    « Quand les choses se mettent à respirer ensemble, c’est que nous sommes déjà séparés. L’un de l’autre. De deux choses l’une. 2 : 2. No-Us. Nous deux», peut-on lire dans le fragment « 2 : 2= un petit rien ».

    « B(l)anc.

    Absorption ferme l’attente ».

    Il n’y a rien dans Rienne qui puisse satisfaire un désir de tourisme poétique. Et le texte ? Oui, qu’en est-il du corps du texte ?

    Sous-titré « poésie », le recueil fait partie de la collection Accents graves/Accents aigus des éditions de l’Amandier. Dans le chapitre premier, intitulé « Zéro », Rodica Draghincescu donne la tonalité de son écriture poétique :

    « Motto : Nous sommes le cerveau de la chose.

    La chose est l’extérieur de notre cerveau ».

    Avec ce « motto » (« devise », à ne pas confondre avec le moto de con moto) ainsi qu’avec les deux assertions qui le composent sous forme de chiasme, la poète imprime l’apophtegme au cœur même de sa pensée. Pensée conceptuelle, énigmatique, qui s’appuie sur la réversibilité. Dont elle dénonce « l’hérésie ». Ainsi du vice-versa. Inversions, va-et-vient, formules à « rebrousse-poil » ou à « contre-courant » jalonnent les aphorismes qui nourrissent la pensée de la poète et lui donnent cette si belle coloration.

    Ainsi trouve-t-on :

    « Dans le corps des noms, les noms du corps ».

    ou encore :

    « Dans les écrits de l’eau, l’eau de l’écrit ».

    Plus loin, dans le fragment « Lignes » (Chapitre VII, Ces hasards. Le journal utopique), la poète s’insurge contre un double emprisonnement : celui que subissent les mots et celui que ces mots imposent :

    « Mur de(s) mots.

    Mots de(s) murs.

    Démons de-mûrissez ! »

    De même peut-on lire dans le même chapitre, fragment « déclive » :

    « Les mots désignent des choses et les choses désignent des mots ». La poète porte sa réflexion jusqu’à l’empathie totale, jusqu’au fusionnement, par sédimentation du savoir :

    « À l’intérieur des mots, les motschoses se déposent sur des chosesmots, tels les joueurs d’échecs sur leur pensée inspirée de l’absence connaissable. »

    De cette réversibilité naît la duplicité du corps. Au cœur des choses et dans leur corps se glissent les jeux sur les mots, polysémies, emboitements ; et jeux d’échos du titre au fragment :

    « D’un regard à l’autre »/« d’un regard à l’autre » ; « Au pied de la fenêtre »/« au pied de la fenêtre » ; « AU NOM DU NOM »/« au nom du nom ! » ; « Poupées vaudous »/« poupées vaudous »…

    Et le dernier chapitre de Rienne — le 7e —, qui se décline en fragments individualisés par leur intitulé, se clôt sur le « refrain de tout ce qu’il n’y a plus ». Les mots, dégagés de leur gangue et de la structure rigide qui les enserre, s’estompent peu à peu, l’un après l’autre, dans l’im-prononcé. Et rejoignent le silence.

    Sortie(s)

    « De gauche à droite : ici, loin.

    Choses, êtres obscurs et autres disparus.

    Innocente et pressée. »

    Les « motschoses/chosesmots » disparaissent comme en fin de spectacle, les acteurs, tirant leur révérence, quittent la scène et ses didascalies pour habiter l’ombre.

    Partir en quête d’une logique cartésienne dans laquelle 2+2 font 4 dans l’évidence de l’infini ne sert à rien dans l’(ap)préhension sensible de Rienne. Plutôt confier à la magie des mots, au-delà du carcan dans lequel le lecteur les emprisonne, le pouvoir d’agir à contre-courant de nos attentes. Et se laisser porter par la beauté intemporelle du texte. Ainsi du fragment Au pied de la fenêtre :

    « La lune me fuit. Elle tombe dans mon corps. Ton indifférence la fait briller encore plus, au pied de la fenêtre. À gauche du crépuscule, la torche du vent s’est éteinte. L’horizon distribue ses charmes sur ma peau humide. Rien n’est plus comme avant. Mes mains y ont composé une levée du sens. La lumière tient encore en haleine les choses exorcisées. »



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Rienne
    RODICA DRAGHINCESCU


    Rodica_draghincescu



    ■ Rodica Draghincescu
    sur Terres de femmes

    Blé blanc (l’artdurien)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    EX(o)ilium
    → Interview de Cécile Oumhani par
    Rodica Draghincescu



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Rodica Draghincescu
    l’e-magazine trimestriel Levure littéraire (édité par Rodica Draghincescu)



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  • 15 août 1810 | Naissance de Louise Colet

    Éphéméride culturelle à rebours






    Le 15 août 1810* naît à Aix-en-Provence Louise Révoil, plus connue sous son nom d’épouse, Louise Colet. Elle est la fille de Henri-Antoine Révoil, directeur des postes, et de Henriette Le Blanc, dont le père, bien qu’appartenant à la noblesse, partageait les idéaux de son ami Mirabeau. Louise eut trois frères et deux sœurs plus âgés qu’elle. Une enfance entre Aix, où la famille habite un appartement de fonction dans un hôtel particulier de la rue de l’Opéra, et la propriété de Servanne [ou Servanes], près de Mouriès, qu’Henri-Antoine a rachetée à son beau-père, ruiné par la Révolution et par ses idées utopiques. Le père apprend l’italien à sa fille, et sa mère lui donne une solide culture littéraire.**

    En juillet 1846, Louise Colet rencontre Gustave Flaubert, qui n’est alors qu’un inconnu de vingt-quatre ans. C’est le début d’une liaison difficile et discontinue, comme l’est la correspondance entre les deux écrivains.


    _____________________
    * Louise Révoil est née le 15 août 1810 (selon son acte de naissance), le 15 septembre 1810 (selon le registre de la commune).
    ** Source : Joëlle Gardes, « Chronologie » in Louise Colet | Du sang de la bile de l’encre et du malheur, Éditions de l’Amandier, 2015, page 153.








    Colet






    EXTRAIT DE LOUISE COLET, PAR JOËLLE GARDES



    La pensée des premiers moments avec Gustave, loin de me réchauffer, me fait frissonner. Le temps a mis sa patine sur la plupart de mes souvenirs et je n’en garde au cœur qu’une vague tristesse. Mais ceux-là continuent à me tourmenter dans mes rêves et la journée, dès que son nom surgit dans mon esprit. Même en resserrant autour de moi mon triste châle gris, le froid ne me quitte pas, le froid de la dernière saison de ma vie plus que de l’hiver. Et ce n’est certes pas dans ces images que je peux trouver quelque douceur, quelque chaleur. Le regret seul demeure, empreint de colère et d’amertume. Sauf pour ce qui touche à la littérature, l’unique domaine que nous ayons vraiment partagé.

    L’a-t-on répété à l’envi que j’étais sa Muse, sa Musette (je détestais ce diminutif qu’il lui arrivait de me donner et qui me rabaissait), comme de bien d’autres, d’ailleurs ! En réalité, quand je l’ai connu, j’ai été sa conseillère écoutée et respectée, plus que son inspiratrice. J’étais plus âgée (il nous a toujours aimées mûres, comme Elisa, avec qui il a joué les amoureux transis, ou Eulalie, la Marseillaise, avec qui c’était autre chose !), j’étais auréolée de mes succès auprès de l’Académie, je pouvais espérer que mes leçons, mon amour surtout, lui enseigneraient que la vie vaut mieux que les livres.

    En définitive, peu à peu, les rôles se sont renversés et c’est lui qui m’a servi de mentor, jugeant mes vers avec une extrême sévérité qui rendait d’autant plus précieuses ses rares approbations. Que de moqueries devant la comparaison qu’après notre rencontre enflammée de Mantes j’avais faite de son impétuosité avec celle d’« un buffle indompté » ! Il avait annoté en détails la Colonie de Mettray, pourtant primé par l’Académie, ou mon poème sur Pradier, comme le plus impitoyable des censeurs, traquant les répétitions, les métaphores banales, les rimes à l’intérieur du vers… Il m’avait proposé des corrections, changeant même un simple « sa » en « ta ». D’une manière générale, dans son horreur des choses « po-ë-tiques », il n’appréciait guère mon lyrisme, qu’il jugeait faux, ni les débordements de mon imagination. Il trouvait faible la composition de mes volumes. Pour lui, le plan d’un livre était fondamental. Je dois reconnaître qu’il était tout aussi sévère pour lui-même, navré d’un défaut de construction dans son Saint Antoine qui le privait d’un effet dramatique. Un livre, selon lui, devait être exempt de tout élément personnel, alors que c’est précisément ce que je recherchais, dans ma poésie comme dans ma prose. J’avais donc tort de poétiser les réalités les plus simples et je faisais de l’art un pot-de-chambre où je déversais un trop plein sentimental ! Je devais oublier Lamartine et relire La Fontaine et Montesquieu ! La portée sociale de mes textes l’exaspérait aussi, tout comme ma défense des femmes. […]

    Avec Gustave, j’étais également critique. J’aurais voulu qu’il enlève de la première Éducation sentimentale le personnage de Jules qu’il trouvait nécessaire par rapport à Henry. Avec le recul du temps, je reconnais que j’avais d’autres motivations que purement artistiques. En Henry, je voyais Gustave et en Jules, son âme damnée, Maxime. Mais tout de même, je pense que je n’avais pas tort. Cette version, d’ailleurs, il ne l’a pas publiée.

    Le style de ce roman ne devait pas l’emballer. Voilà bien ce qui l’enflammait, le style ! Il aurait dû faire tenir à lui seul un livre sans matière, évidemment privé de sentiment et quant à l’intention, elle ne comptait pas… Son travail, il en souffrait, il lui arrachait des larmes, mais il l’aimait comme il ne m’a jamais aimée. Il l’avait dans la peau, lui disait « le ventre » ! Contre une femme, j’aurais peut-être pu lutter, je n’avais aucune chance contre les charmes et les caprices de cette rivale, l’écriture !



    Joëlle Gardes, Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur, Éditions de l’Amandier, Collection Mémoire Vive, 2015, pp. 111-112-113-114.







    LOUISE COLET



    ■ Louise Colet
    sur Terres de femmes

    Joëlles Gardes, Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur (note de lecture d’AP)
    19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la la Médiathèque André-Malraux de Lisieux)
    les premières lettres de Gustave Flaubert à Louise Colet (4 août 1846 – 14 août 1846)





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  • Claude Ber, Épître Langue Louve

    par Angèle Paoli

    Claude Ber, Épître Langue Louve,
    Éditions de l’Amandier, Amandier Poésie,
    Collection Accents graves | Accents aigus, 2015.



    Lecture d’Angèle Paoli



    ET QU’ENFIN « S’APAISENT LOUPS ET LIONS… »



    Épître Langue Louve. Trois mots qui surprennent, qui enserrent dans leur mouvement de spirale et qui happent, emportent dans un tourbillon de maelström. Promesse de volubilité ensauvagée au cœur de la langue. Mais, avec elle, dans le tournoiement qu’elle génère, promesse de bien au-delà encore. Muscle polyglotte endiablé, la langue se refuse à lâcher prise. Elle se joue des limites. Elle les rudoie, elle les repousse hors de leur gangue.

    Construit autour de trois vocables, le dernier recueil poétique de Claude Ber — Épître Langue Louve — travaille la langue au corps et au cœur. Colorée, vivace, bruissante, énigmatique, passionnée, infatigable, polymorphe, rebelle, révoltée, la langue de la poète est langue ardente. Elle interroge sans relâche. Sonde malaxe triture. Inlassablement. Et bouscule provoque. Infatigable langue de louve.

    Dix fragments composent cette étonnante traversée épistolaire. Dix « lettres » numérotés de 1 à 10, pour se laisser rejoindre par elle, se laisser porter emporter par son mouvement de vague. Charnue charnelle, la langue chancelle charrie voluptueuse des mots passeuse de violences à peine contenues livrée à des convulsions orageuses ; cependant rappelée à l’ordre par les en-têtes qui la guident la contiennent dans leur régularité récurrente. L’épître est là en effet pour rameuter en son giron littéraire les formes, calmer les emportements, permettre aux questionnements – incessants — de prendre place dans la page. Avec, pour boussoles et pour balises textuelles, non pas une adresse mais un titre et une citation l’un à l’autre encordés, accordés :

    « Épître langue louve fragments 5

    De main méditante

    On prétend que la parole voit ou nul ne l’entend

    Edmond Jabès »

    Et, plus loin, comme un rappel, dans les mêmes fragments 5 :

    « je t’e-maile de main méditante     ce qu’on pense est trop complexe pour servir à vivre, ce qu’on sent plus souvent un obstacle qu’un secours
    même à pas plombés de scaphandre
    ça dérape toujours           dans le désossement ».

    Dans un déferlement qui s’invente dans le roulis toujours recommencé, la langue godille parfois d’un fragment à l’autre qui cherche passage et qui franchit l’espace de la page. Ainsi du final de ces mêmes fragments :

    « néanmoins j’aime cette heure où la peau se
    souvient
    ni noir ni lumière             et ce passage
    — paume ouverte entre chien et loup sur le sans raison de ce qui cherche — il se franchit »

    Et du commencement des fragments suivants :

    « comme un texte      ou un temple » (in Épître langue louve fragments 6, In memoriam, Ad plures ire)

    Et le poème de livrer momentanément passage — « paume ouverte » — à d’autres formes éphémères, en proie au même « désossement » :

    « renoncules lotiers lupins saponaires du square dans le multiple de leur nom et celui
    un
    du lavis bleu au ciel coupé des vitres

    dans le désassuré des apparences
    l’instant à son suspens de vide »,

    lesquelles formes cèdent cependant place et voix à une lettre d’amour, bouleversante de beauté :

    « je te souviens pourtant au nid des corps à souvenir
    champ de maïs au traversant des plaines
    bruissant de vent
    sa coulée de couleuvre entre les épis […]

    tandis que, soulagée de tout, dans le léger d’une vie soufflée comme un cheveu, j’ai ramené à mon visage le tien et tous ceux que j’ai aimés pour qu’ils m’emportent avec la joie que j’ai eue d’eux ».

    « [A]u traversant des plaines »… Il apparaît parfois, au détour de la page, que la poète affectionne les substantivations par dérivation impropre. Qui donnent au phrasé de Claude Ber son parlare cantando si particulier. Sa coloration charnelle intime et personnelle.

    Au cœur de l’épître, la langue couve ses mots jusqu’au déferlement suivant, qui la fait exister dans cet « illimité de la connaissance » (qui, pourtant, « ne rejoint pas l’infini »). Louve sauvage rebelle in-domesticable, la langue poursuit son flux vers la diversité (« Ad plures ire »), s’adapte à tous les bruits s’accole aux variations qu’ils engendrent. Les mots s’allient les uns aux autres, créant leur chaîne ininterrompue de vocables. Ainsi se mêle leur essence, sans disjonction :

    « Dans la voix le cri des pipistrelles, le roucoulement des colombes, le piaillement des pies, le chuintement des chouettes, les trilles du rossignol et craintivement, allant au nénuphar la grenouille coassant quoi

    quoi demeure de ce bruitage ? De

    l’armada des mots ? des douilles de cette

    migration sonore ? dit-elle,

    une épine dans la glotte, un

    épis de maïs, le

    pis gonflé d’une bazadaise ruminant le

    foin de son nom ? Qu’attend-on de

    l’amour sa roucoulade ou

    son arête ?

    Dans l’air courbé le vol de

    nos voix et son cercle d’étamines, pistil de vent sur la cible du cœur. »

    Langues qui, dans leur emmêlement mystérieux, dans leurs limites à dire, dans leur ajointement les unes aux autres, parlent de l’homme et de son pourquoi au monde, épîtres dans lesquelles dialoguent les pronoms sans que les voix qui s’y répondent laissent transparaître quoi que ce soit de leur identité propre, mais se complètent et se précisent :

    « La lumière n’est-elle que l’envers de la nuit ? demande-t-elle. Un caillot de l’immensité ?
    Je dis l’immensité n’est pas l’éternité. […]

    Elle dit : ce n’est pas ce que j’appelle nuit cette durée entre les doigts qui la déchirent. Dans le monde la nuit dit-elle mais peut-être je me trompe…
    ainsi sont les mots : dépeceurs de dépouille
    et la nuit dont elle parle est cadavre de nuit. Une insignifiance grise. Une trahison de la nuit
    dans la bouche qui prononce en elle sa nuit. »

    Ou au contraire dialogues se perdant en énigmes, vaticinations sans prophètes suites de mots sans fin que rapprochent dans la même proximité des sonorités avoisinantes, allitérations et assonances :

    « Elle demande : Qu’est-ce que tu racontes ? Je caresse sa joue du regard, allant le dit à son attente inventive, au clinamen du visage, nos voix couchées en nous
    avec l’envie de vivre comme un mot sur la langue
    à déglutir les multiples de l’univers
    pour un repos repu et consumé… »

    Ailleurs, dans Épître langue louve fragments 3, « Miserere », le dialogue se noue autour de la dénonciation de l’horreur, à partir de la citation de Borges :

    « l’Histoire, cette éternelle répétition et ce beau nom de l’horreur ».

    Suit une énumération de mots ayant pour commun dénominateur un même préfixe :

    « dans

    l’inex (orable / tricable / piable / cusable)

    l’inac (compli / cessible / ceptable)

    au jour le jour du pépiement des écrans

    avec les é (tripés / tranglés / cartelés / corchés/

    ventrés / têtés / viscérés)

    leur morcelé entre les langues

    dans le dés (assemblé / arrimé / espéré)

    le définitif de l’étripaille

    et la douceur des peaux… »

    Ainsi la langue bruit-elle dans un continuum de voix qui se croisent et croisent dans leur mouvement de cyclone que rien ne retient ni n’arrête le « bruitage » animalier qui peuple l’éther le monde la page. Une langue qui vibre et vit, invente son foisonnement pour défier le rien qui obsède — « et pas d’autres mystère à explorer que / celui des paupières qui se ferment » — ; une langue qui se joue de la cruauté qui nargue, à la vie à la mort — « l’abattoir n’est pas plus loin que le sommet. Ils se rejoignent dans l’union trismégiste des contraires » — ; langue de louve qui se love s’enroule dans l’envol des mots, élan ascendant descendant qui se faufile dans le plain-chant du poème pour puiser à la lumière nourricière l’énergie vitale qui le fait exister.

    « Un besoin de lumière.
    Même bougies ou lumignons. Leur ombre soyeuse. Presque de bête. De petit félin nocturne au poil doux. »

    Besoin de lumière jusque dans les interstices de la pensée pour tenter de débusquer le mystère de la vie au cœur de l’univers, sa raison d’être. S’il est possible. Comment être là, rivé à soi-même et aux autres dans l’absence de sens ?

    Il arrive un moment où « l’agitation de la langue » et son trop-plein se noient dans l’exagération envahissante, dans la surabondance. Le tourbillon des mots déborde en un tournis « hors d’atteinte » de « listage » :

    « en vrac des visages / des vélos / des intonations / des intentions / des réverbères / des émotions / des points de vue / des opinions / des feux rouges / des proportions / des déductions / des conditions / des sensations / des solitudes… »

    Il faut alors renoncer. Renoncer à dire la totalité du monde, sa folie exaspérée, son innombrable insoutenable, la multiplicité insaisissable des contraires qui l’agitent, leur infinie variété / variation ; renoncer à vouloir que se résorbent et s’annihilent les absurdités inconciliables incompatibles les violences obscènes l’incompréhensible l’impuissance la résignation et l’indifférence ; renoncer à vouloir que se joignent en une alliance pacifiée l’infiniment petit et l’infiniment grand…

    « Quant à joindre ces bris et bouts de bouts de tout l’un à l’autre, lombrics et comètes / le souci de garer la voiture et l’épouvante de la terre étoile morte / ce qui flotte de noyé et son laisser sombrer / l’éclair et son fracas de blanc alors même que l’orage le quitte dans un embrun de bruits
    et cetera und so weiter and so on
    je renonce

    je n’ai qu’une langue et dix doigts d’incertitude pour la disproportion et pas plus pour l’exister sans lassitude… »

    La sagesse ne voudrait-elle pas que nous apprenions à nous satisfaire de l’infime et à nous contenter, comme le suggère Basho, d’un « petit lopin » sans aller plus loin que le geste répété du ratissage :

    « notre séjour en ce monde

    à ratisser un petit lopin… »

    ou peut-être, au meilleur de « certains soirs », ne s’attarder que sur les gestes qui convoquent la tendresse :

    — « certains soirs je tombe dans ton ombre, toi dans la mienne et nous nous
    absentons avec délice de nous-mêmes… »

    Alors, peut-être, Orphée pourra-t-il s’avancer jusqu’au jusant de la langue dans le bruissant des mots afin qu’advienne une fois encore la magie du poème. Et qu’enfin « s’apaisent loups et lions, langues léchant à sa main le son de la parole ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Claude Ber, Epitre, Langue Louve




    CLAUDE BER


    Claude-BER  ©-Adrienne-Arth NB
    Ph.© Adrienne Arth
    Source




    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes


    Il y a des choses que non (note de lecture d’AP)
    In memoriam (extrait d’Épître Langue Louve)
    La mort n’est jamais comme (note de lecture d’AP)
    Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    Les mots, le vent, les herbes racontent (extrait de Mues)
    Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    [Toujours la langue veut dire] (extrait du recueil Il y a des choses que non)
    Vues de vaches (note de lecture d’AP)
    Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (note de lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    le miel à la bouche




    ■ Voir aussi ▼


    le site de l’écrivain Claude Ber
    → (sur Place de la Sorbonne)
    une lecture d’Épître Langue Louve par Joëlle Gardes



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  • 19 mai 2007 | Christophe Lamiot Énos, « Passage le livre »

    Éphéméride culturelle à rebours


    La-Lucarne-des-ecrivains1
    Source






    LE SAMEDI 19 MAI 2007, 115 RUE DE L’OURCQ, ARMEL EN CHEMISE



    La chemise les accueille
    avec, façon épaulettes
    symétrique, un motif, vers le haut

    les passants : passé le seuil
    voici, Armel, des assiettes
    en carton à remplir, des gâteaux

    des boissons. Fin comme feuille
    le motif frappe, qui prête
    à la lecture, avec froids et chauds.





    LE SAMEDI 19 MAI 2007, JEUNE FEMME CHERCHANT DES LIVRES EN ANGLAIS



    La voix qui tremble, ce très vrai, très
    pour dire quoi, lentement — que portent
    les émotions, routes à travers

    des livres, que la lumière plaît
    de cette après-midi, que transporte
    nous trouble, le frisson, étrangère

    blonde : tes cheveux rieurs, tes traits
    d’ailleurs ici, nous forment cohorte
    que, frémissements, tu considères.





    LE SAMEDI 19 MAI 2007, 115 RUE DE L’OURCQ TOUJOURS, ROBERT



    Se fait, un endroit, dédié au livre
    peu à peu. La soirée se remplit
    par écoutes

    de ce fait. L’endroit, va, nous enivre
    feuillet à feuillet. Nous font des plis
    comme routes

    ce fait, l’endroit, qu’il fait bon y vivre —
    qu’ainsi, le passé, dans l’aujourd’hui
    s’ouvre, soute.





    LE SAMEDI 19 MAI 2007, 115 RUE DE L’OURCQ, « LA LUCARNE DES ÉCRIVAINS », PHILIPPE



    De lectures des journaux
    non pas pour information
    mais quelque musclée formule

    dont se doter, en appeau
    le sentiment de scansion
    porter, porter tant lunule

    comme cadeau, sur le dos :
    un instrument, ses leçons
    de musique, somnambule.





    Christophe Lamiot Énos, « Passage le livre », (…) sur la ligne, Éditions de l’Amandier, Collection Accents graves / accents aigus, 2015, pp. 136-137-138-139.





    Surlaligne





    CHRISTOPHE LAMIOT ÉNOS


    Lamiot-enos-christophe
    Ph. © Olivier Roller
    Source




    ■ Christophe Lamiot Enos
    sur Terres de femmes

    The Sun Brings (lecture de Sabine Huynh)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Christophe Lamiot Énos
    → (sur le site des éditions de l’Amandier)
    une fiche sur (…) sur la ligne de Christophe Lamiot Énos
    → (sur le site du Matricule des Anges)
    un entretien de Christophe Lamiot Énos avec Emmanuel Laugier





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  • Claude Ber | In memoriam



    IN MEMORIAM
    Ad plures ire
    (extrait)



    Je te souviens pourtant au nid des corps à souvenir
    champ de maïs au traversant des plaines
    bruissant de vent
    sa coulée de couleuvre entre les épis

    fuyant le temps au dormant des fenêtres
    ce lit des blés couchés c’est ta tombe le tertre
    où ils s’arasent
    le cœur commun que nous a fait l’amour

    bat encore là je ne sais où
    son édifice immatériel perdu dans un bout de Beauce
    moissonné en bord de route droite

    dans l’odeur de foin grillé
    le bleu simple d’un ciel mince
    son clapet d’éternité refermé sur nous à nos mesures


    Au balancier des saisons (chaque septembre le remugle des feuilles fanées) tu suivais vivre, demain, encore ou bientôt
    les nuages sans terre visible à leur dessus
    la glissière des yeux curieux
    le plaisir que tu avais des gens, des choses
    Tu aimais aussi le courage et la clarté. Tout cela écarquillé par la mort. Sans équité. Sans justice. Le temps venu de moins que ton ombre dans sa paix.


    La folie a mangé la moitié de ma vie et l’entier de la tienne, riveraine de biais pendue aux pampilles de l’esprit comme dans le parfum poivré des immortelles la chair blanche des eucalyptus est sous l’écorce

    ce qui en réchappe s’agite désordonné et dérisoire
    dénué de sensation de soi-même
    une roue tourne silencieuse à la moue d’un capot
    puis plus rien à ce rien donné absolument

    ne reste de la nuit que ta rencontre, yeux vides, avec une telle tristesse d’être en mort que j’ai serré tes côtes creuses contre moi pour te consoler, berçant tes
    os
    et l’avenir offert comme un verre de vin je l’ai bu, trinquant au plus grand nombre que j’irai rejoignant, fuyant ma vie fuyante, que je croyais posée sur mon épaule voletant à mon cou l’apprivoisée, quand un fouet de soie a claqué une joue d’esclave à ma face et une voix de hache m’a finie au merlin telles les bêtes à l’abattoir autrefois, tandis que, soulagée de tout, dans le léger d’une vie soufflée comme un cheveu, j’ai ramené à mon visage le tien et tous ceux que j’ai aimés pour qu’ils m’emportent avec la joie que j’ai eue d’eux



    Claude Ber, “In memoriam, Ad plures ire,” in Épître Langue Louve, fragments 6, Éditions de l’Amandier, Poésie, Collection Accents graves Accents aigus, 2015, pp. 60-61-62.







    Claude Ber, Epitre, Langue Louve




    CLAUDE BER


    Claude-BER  ©-Adrienne-Arth NB
    Ph.© Adrienne Arth
    Source




    ■ Claude Ber
    sur Terres de femmes


    Épître Langue Louve (note de lecture d’AP)
    Il y a des choses que non (note de lecture d’AP)
    La mort n’est jamais comme (note de lecture d’AP)
    Je dis mer (extrait de La mort n’est jamais comme)
    Sinon la transparence (extrait du recueil Sinon la transparence)
    [Toujours la langue veut dire] (extrait du recueil Il y a des choses que non)
    Vues de vaches (note de lecture d’AP)
    Claude Ber, Pierre Dubrunquez, L’Inachevé de soi (note de lecture d’AP)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    le miel à la bouche




    ■ Voir aussi ▼


    le site de l’écrivain Claude Ber
    → (sur Place de la Sorbonne)
    une lecture d’Épître Langue Louve par Joëlle Gardes



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  • Joëlle Gardes, Louise Colet. Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur

    par Angèle Paoli

    Joëlle Gardes, Louise Colet.
    Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur,

    Éditions de l’Amandier,
    Collection Mémoire vive
    dirigée par Joëlle Gardes, 2015



    Lecture d’Angèle Paoli


    Louise_colet
    Source






    “LE VRAI VISAGE” DE LOUISE COLET



    Les chemins se croisent présent-passé-présent. Va-et-vient incessant, les souvenirs affluent, qui refont surface au fil des jours, dans l’espace exigu d’un hôtel parisien de la rue des Écoles. La pluie bat les fenêtres, le ciel est uniformément gris. Une solitude extrême à quoi viennent s’ajouter la maladie et les crises de rhumatismes. Telle est la bien triste réalité à laquelle Louise Colet est désormais confrontée. Réalité d’une nature bien différente de celle de l’enfance méridionale et ensoleillée d’antan, partagée entre la belle demeure familiale de Servanes, près de Mouriès, et l’hôtel particulier de la rue de l’Opéra, à Aix-en-Provence.

    Louise Colet écrit. Malgré l’usure de ses os et les douleurs qu’elle lui inflige. Écrire ? Comment y renoncer quand l’écriture a été la passion d’une vie tout entière ? Y renoncer ne reviendrait-il pas à précipiter la venue de la mort ? Que faire d’autre du reste, lorsque la vieillesse est là, que les amis s’en sont allés et que les difficultés financières ne permettent pas de donner davantage de sel à la vie ? Louise Colet – née Louise Révoil – écrit. Comme elle l’a toujours fait. Elle confie aux pages ses chagrins, ses désarrois, ses désillusions. Ses colères. Tout ce dont sa vie de femme et de femme de lettres a été modelée. Mais, sous sa plume, sous ses mots et ses réflexions, c’est une autre voix qui affleure. C’est la voix de Joëlle Gardes que l’on entend. Jusque dans les inflexions. Une voix qui vibre pour celle dont elle écrit le roman, le récit d’une vie, avec une empathie maîtrisée mais réelle. Pour ne pas dire avec une vraie passion.

    Intitulé Louise Colet, le dernier roman de Joëlle Gardes porte en sous-titre cette énumération nominale : Du sang, de la bile, de l’encre et du malheur. Solidement ancré dans l’Histoire des grands mouvements politiques du XIXe siècle, le récit de Joëlle Gardes s’appuie sur des données biographiques documentées. Alimentée par de nombreuses lectures ― en particulier bien sûr par celles des œuvres mêmes de la femme de lettres ―, Louise Colet est une fiction dans laquelle les voix respectives des deux femmes tissent une belle partition qui mêle intimement l’écriture et la vie. Émouvante partition, parfois interrompue par le regard distancié d’un narrateur extérieur qui commente, par des inserts en italiques (« des vignettes »), certains aspects ou moments de la vie de Louise.

    S’agit-il de réhabiliter Louise Colet ? C’est sans doute l’un des objectifs que poursuit en secret Joëlle Gardes. Femme de lettres, comme son héroïne. Rendre justice à Louise Colet. La rendre à sa pleine personnalité de femme de chair de sang d’esprit et d’encre. La réhabiliter aux yeux du monde. Cela relève pour Joëlle Gardes de l’engagement. Parce que la postérité n’a gardé de Louise Colet, journaliste attachée à défendre avec ses mots de larmes et de sang la cause des femmes, que les échos de ses amours tumultueuses. Elle est certes Louise Colet, écrivain, poète et quatre fois prix de poésie de l’Académie ; mais son nom est le plus souvent rattaché à celui des hommes qu’elle a aimés. Le philosophe Victor Cousin, Gustave Flaubert, l’avocat Désiré Bancel, les deux Alfred ― Musset et Vigny ―… et d’autres encore. Liaisons passagères, liaisons orageuses. Si la postérité a retenu le nom de Louise Colet, c’est indubitablement parce qu’il est associé à celui de ses amants. Et il ne reste plus d’elle qu’une ombre noircie par les propos malveillants que d’aucuns ont tenus sur elle. C’est pour dénoncer ce dénigrement réducteur et le plus souvent méprisant qu’écrit Joëlle Gardes. La poète-grammairienne écrit contre. Contre la lecture en négatif qui a été faite de Louise Colet. Au détriment de son œuvre de poète de conteuse d’essayiste. Et même de dramaturge. Effacée l’œuvre de Louise Colet. Oubliée. Qui se souvient en effet des poésies de Fleurs du Midi (1836) pourtant « sincèrement admirées » par le chansonnier Pierre-Jean Béranger ? Qui se souvient du recueil Penserosa (1840), inspiré par ses amours avec Victor Cousin et remarqué par Juliette Récamier ? Qui se souvient de Lui (1860) ― récit « inspiré par ses liens avec Musset » ―, dont le « journaliste Philarète Chasles » « a écrit le plus grand bien ». Selon le « célèbre journaliste » en effet, « ce livre est le meilleur qu’elle ait fait ». Et celui-ci d’ajouter : « Il y a du sang, de la bile et du malheur ». C’est de la plume du « célèbre journaliste » que Joëlle Gardes tient son sous-titre. Qu’elle parachève et commente en empruntant la voix de Louise : « Du sang, de la bile, du malheur, si l’on ajoute de l’encre, voilà bien de quoi définir ma vie. »

    Mais, soyons honnêtes : qui, aujourd’hui, se souvient de ceux qui jouissaient alors d’une belle notoriété et animaient les salons de leur époque du tumulte de leurs exploits ? De Désiré Bancel ? De Pierre-Jean Béranger ? De Philarète Chasles ? Voire de Victor Cousin ? Ce sont là des noms qui refont surface un instant puis retombent tout aussitôt dans l’oubli où ils étaient relégués. « La gloire et l’éclat sont transitoires : qui, de notre siècle, survivra dans la mémoire, en dépit des honneurs reçus ? », s’interroge lucidement notre poète-grammairienne dans l’avant-propos.

    L’histoire n’a donc arbitrairement retenu de Louise Colet que ses « emportements » amoureux et ses déboires sentimentaux. À croire qu’« [é]crire serait pour les femmes de lettres une maladie, maladie des mains mal lavées, des cheveux mal peignés : c’est ainsi qu’on les décrit, déclassées, traîtres à leur sexe, au fond ni hommes ni femmes, des monstres. »

    Ainsi pense et s’exprime la « Louise Colet » de Joëlle Gardes. Et si, d’aventure, est accordé quelque crédit ou intérêt aux activités littéraires de ces dames, c’est pour mieux ironiser et les traiter de bas-bleus.

    « Serions-nous maudites, nous autres femmes qui avons voulu acquérir quelque renommée par nos talents littéraires ? Devons-nous payer le prix des rares moments de gloire qu’ils nous ont acquis ? Jamais, pourtant, je n’aurais voulu, je n’aurais pu renoncer à l’écriture ».

    Réhabiliter la talentueuse et non moins belle Louise Colet, tel semble bien être, en vérité, le profond désir qui anime Joëlle Gardes à travers le récit mouvementé de la vie de son héroïne. Une vie riche en engagements et en combats. Ainsi, en bonne héritière des Lumières, Louise Colet est-elle le parangon même de l’anticléricalisme viscéral auquel Joëlle Gardes souscrit. Louise Colet dénonce l’obscurantisme dans lequel le clergé maintient ses ouailles, les femmes en particulier. En témoigne le discours enflammé qu’elle prononce, à l’âge de soixante ans, au moment de la proclamation de la République, devant un parterre de mille personnes :

    « Je pensais à Mirabeau, je me sentais emportée par le souffle puissant de la foi en l’humanité. Avec la proclamation de la République, je croyais que les charlatans, les imposteurs, les corrupteurs de l’esprit du peuple seraient enfin chassés. Notre-Dame de Lourdes et de la Salette, les deux vierges rivales, qu’on vénérait depuis quelques années pour leurs prétendues apparitions, je voulais les dénoncer, ainsi que toutes les superstitions qui empêchent le développement des idées de progrès et de l’amour de la patrie. Les femmes, je ne le sais que trop, en sont les premières victimes. »

    Mariée ― de son plein gré ― à l’âge de vingt-quatre ans au musicien et compositeur Hippolyte Colet, qui la tiendra sous le boisseau, elle parvient à tenir salon. Comme son amie Julie Candeille ou comme Juliette Récamier. Là, dans ces rencontres hebdomadaires, s’échangent avec brio les idées, entre habitués et amis. Là se refait le monde. Farouchement républicaine, Louise Colet se bat. Elle se bat pour les autres. Elle se bat pour elle aussi. Pour que soient respectées par les hommes les valeurs d’égalité en lesquelles elle croit. Tempétueuse, passionnée, Louise Colet rêve d’une société qui se battrait pour une France qui prendrait exemple sur sa proche voisine : l’Italie.

    Héritée de son père, Henri-Antoine Révoil, sa passion pour l’Italie est alimentée par ses voyages et par ses lectures. Notamment celle de Mes Prisons (1832) de Silvio Pellico. Elle se dit « très impressionnée par le sort des Italiens en lutte pour leur Indépendance ». Elle voue une admiration sans bornes à Garibaldi, ce « Christ laïque » pour qui elle a composé des vers lors de son entrée dans Palerme, et qui lui a serré la main à Turin et à Naples. Elle vibre pour le Risorgimento et pour cette unité italienne qui la bouleverse. Dans le même temps, elle déplore que les hommes politiques qui gouvernent son propre pays, fassent passer leurs intérêts particuliers avant l’intérêt collectif. Elle dénonce avec verve et ferveur les bassesses et les compromissions des hommes de pouvoir. Elle réprouve, se mettant en cela au diapason de la voix d’Edgar Quinet, cette « République sans républicains » qui se vautre dans le luxe, oublieuse, dès les lendemains de la Commune, du sang versé. Les causes qu’elle défend, c’est haut et fort qu’elle le fait. Sans mâcher ses mots.

    Louise Colet est une femme libre en vérité. Cela lui vaut l’inimitié de certains des misogynes les plus célèbres de son époque : Jules Barbey d’Aurevilly (dans Les Bas-bleus, 1878) qui voit en elle « le bas-bleu même », « union pittoresquement claudicante d’une Gorgone et d’une Madame Trissotin », et va jusqu’à écrire de Louise que sa beauté « ne manquait ni d’éclat tapageur ni d’opulence charnue », mais qu’elle « n’avait ni distinction idéale, ni chasteté ». Théophile Gautier, qui fréquenta un temps son salon « tant qu’il espéra son aide pour sa [propre] candidature à l’Académie française », et qui prit ses distances par la suite. Alexandre Dumas fit de même. Le journaliste Alphonse Karr ― pour autant, qui aujourd’hui se souvient de lui ? ― ne se prive pas de se moquer d’elle dans sa revue satirique Les Guêpes. Sans parler des amis mêmes de Flaubert : Louis Bouilhet l’ingrat et Maxime Du Camp (« l’âme damnée » de Louise), qui la dénigraient par leurs propos aux yeux de son amant. Parmi les femmes, George Sand est sans pitié. Louise Colet ne peut attendre d’elle aucun soutien. Ni de femme à femme ni d’écrivain à écrivain. Si elle compte « quelques amies dans la vraie vie », ses « meilleures amies » sont les « amies imaginaires » : Madame du Châtelet, Madame Roland, Charlotte Corday… Quant à ses amis hommes, ceux qui la soutiennent et l’estiment, ils existent bien sûr. Ils se nomment Victor Hugo, Leconte de Lisle, dont Louise Colet aimait « la poésie et l’âme républicaine ». Ils lui seront toujours fidèles. Ils se nomment aussi Pierre-Jean Béranger et Philarète Chasles. Mais sûrement pas Gustave Flaubert : l’autre passion de sa vie, à l’égal de l’écriture. Cette rivale. Sa passion pour Flaubert, malgré tout le mal qu’il lui a fait endurer, continue de la tourmenter à travers le fantôme de Gustave dont elle n’est jamais parvenue à se détacher.

    Ainsi Louise Colet est-elle une femme plurielle, comme tant d’autres femmes méconnues. Sous la plume de Joëlle Gardes, l’héroïne rejoint la longue cohorte des femmes oubliées. Dont Olympe de Gouges, pour ne citer qu’elle, qui s’est vu confisquer son talent de dramaturge et a péri sur l’échafaud.

    Louise Colet est sans doute imparfaite. Pas vraiment une mère idéale, ni une épouse modèle. Mais elle est volontaire, enthousiaste… et insoumise. Comment admettre et supporter que quarante-trois années de vie de plume – de 1836 à 1879 ― se puissent réduire à néant ? Joëlle Gardes s’attache à rendre à Louise Colet son « vrai visage ». Louise Colet en son temps s’était attachée à semblable défi :

    « Je croyais que mes écrits ne pouvaient faire que du bien, mais évidemment, la réserve n’a jamais été de mon fait et ma pire crainte à moi a été de ne pas jouir d’assez de publicité. En tout cas, j’en ai fait à ces femmes admirables, peut-être condamnées à l’oubli définitif sans les histoires que j’écrivais pour elles. J’ai toujours cru en la mission de l’écrivain et j’ai cherché à mettre mon talent au service de mes sœurs reléguées dans l’ombre […] ».

    Une bien belle entreprise, et ambitieuse, que celle de Louise. Relayée dans Louise Colet par la lecture éclairante et passionnante de la romancière. Joëlle Gardes s’inscrit ainsi dans la noble lignée des femmes qui mettent leur talent « au service des sœurs reléguées dans l’ombre ». Elle s’inscrit contre. Contre ceux qui pensent et déclarent aujourd’hui encore, sans barguigner et à qui veut complaisamment l’entendre, que se battre pour la défense des femmes ― et, qui plus est, des femmes de lettres ― est décidément un combat dépassé ou « d’arrière-garde ».



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Colet






    LOUISE COLET




    ■ Louise Colet
    sur Terres de femmes


    15 août 1810 | Naissance de Louise Colet (+ extrait de Louise Colet, par Joëlle Gardes)
    23 août 1846 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    19 septembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    16 décembre 1852 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet
    26-27 mai 1853 | Lettre de Gustave Flaubert à Louise Colet




    ■ Voir aussi ▼


    le site de Joëlle Gardes
    → (sur le site des éditions de l’Amandier) une
    bio-bibliographie de Joëlle Gardes
    → (sur Terres de femmes)
    une bibliographie de Joëlle Gardes
    → (sur Terres de femmes)
    7 mai 1748 | Naissance d’Olympe de Gouges (note de lecture sur Joëlle Gardes, Olympe de Gouges, Une vie comme un roman)





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  • Joëlle Gardes | Jardins de toute sorte



    JARDINS DE TOUTE SORTE
    (extrait)


    De mes bras, j’ai entouré le tronc du vieil arbre et j’ai appuyé ma joue sur son écorce rugueuse. Immobile, j’ai tenté de percevoir la circulation de la sève, le cheminement des racines nourricières et l’avancée tranquille du temps. J’aurais voulu que la terre me retienne, que je devienne minéral et végétal pour vivre de la vie mystérieuse des choses qu’on croit inertes.

    […]

    Combien de jardins m’attendent encore ?

    Jardins d’entrelacs où le buis sombre et la santoline grise brodent des motifs délicats,
    rocailles du Sud où s’agrippent les plantes charnues gorgées de leur propre suc qui n’aiment que le soleil, rochers travaillés en grottes où court un tronc tordu qui a la couleur de la terre, tunnels, ponts sur des mares asséchées, branches devenues pierre et ciment en forme de fleurs…

    Jardin japonais, plénitude du vide, musique du silence, eau insipide sur les cailloux pourtant promesse de saveurs…

    Jardins de toute sorte, de toute saison et de tout temps.

    Le vieil arbre au bout de l’allée m’a fait signe. De mes bras, j’ai entouré son tronc rassurant et j’ai appuyé ma joue sur son écorce. Mes pieds se sont enfoncés profondément dans le sol, les rameaux de ma chevelure ont frémi sous le vent et j’ai touché le ciel.

    Alors je suis devenue arbre, je suis devenue jardin.



    Joëlle Gardes, « Jardins de toute sorte », Sous le lichen du temps, poèmes en prose, Éditions de l’Amandier, Collection Accents graves-Accents aigus, 2014, page 11 et pp. 28-29. Photographies de Patrick Gardes.





    JOËLLE GARDES


    Gardes JoElle (1)




    ■ Joëlle Gardes
    sur Terres de femmes

    « Les arcanes subtils d’une relation triangulaire » (La Mort dans nos poumons) [note de lecture + bibliographie]
    Dans le silence des mots, poésie (note de lecture)
    Et si la profondeur n’était que… (extrait de Dans le silence des mots)
    L’Eau tremblante des saisons (lecture de Françoise Donadieu)
    Jardin sous le givre (note de lecture + extrait)
    [Le regard tourné vers l’intérieur ou l’ailleurs] (extrait de La Lumière la même)
    [Matinée de printemps précoce](extrait de L’Eau tremblante des saisons)
    Méditations de lieux (note de lecture)
    Ostinato e chiaroscuro (Ruines) [note de lecture + extrait]
    [Tota mulier in utero] (extrait d’Histoires de Femmes)
    31 mai 1887 | Naissance de Saint-John Perse (Joëlle Gardes, Saint John-Perse, Les rivages de l’exil, biographie)
    Trentième anniversaire de la mort de Saint-John Perse/20 septembre 1975 (chronique de Joëlle Gardes)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    Hôpital



    ■ Voir aussi ▼

    le site de Joëlle Gardes






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  • Tita Reut | [On pose la perte]



    Le peintre de mon propre trait
    Ph., G.AdC






    [ON POSE LA PERTE]



    On pose la perte
    de part en part
    on dépose le rempart
    à perte
    On retourne chaque jour
    à la prise
    Et ce qui tue
    cimente la langue

    Avalez
    le sapin de marbre
    qui couve en vous
    Avalez l’arbre
    des agonisants
    et la crête d’huile
    qui pend dans les larmes

    Il y a de l’ombre
    dans la vallée
    Seul le chemin de cime
    enivre
    car on y vole
    la pureté de la chute

    Un jour
    dans l’air
    je serai
    cette coulée
    de peinture
    devenant le peintre
    de mon propre
    trait



    Tita Reut, Le Temple des singes, Éditions de l’Amandier, Collection Accents graves Accents aigus, 2014, page 66. Préface de Joseph Julien Guglielmi.






    Tita Reut, Le Temple des singes






    __________________________

    « Dans la poésie d’aujourd’hui, la démarche de Tita Reut représente un cas particulier, des plus rares. Loin de se contenter d’un lyrisme convenu ou d’une sècheresse de pseudo avant-garde, elle renouvelle le rapport avec la tradition en élaborant un champ sensuel et rythmique où l’audace du vécu engendre une langue bifide, où l’incarnation exaspère la sexualité et une ferveur, où l’image ne se suffit jamais d’un rapport univoque au fil de vers bien tempérés. »

    Son « baroque très personnel » mêle humour et tragique et débouche sur un univers original joignant « l’érotisme le plus inventif et sans contraintes » à l’interrogation métaphysique. Dans « cet esprit de liberté qui anime les démarches les plus originales et fécondes d’aujourd’hui », la voix de Tita Reut fait résonner dans le grand larynx l’intensité du désir et l’énigme d’être au monde.

    D’après la préface de Joseph Julien Guglielmi (op. cit. supra).






    TITA  REUT


    Tita Reut
    Source




    ■ Tita Reut
    sur Terres de femmes


    La rage (poème extrait de Hamada)
    Tu vas au rein (poème extrait de Persiennes d’Hécate)
    [Au bout de la jambe] (poème extrait de L’Invention des gestes)




    ■ Voir aussi ▼


    → (le site du cipM)
    une bio-bibliographie de Tita Reut
    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature)
    une fiche bio-bibliographique consacrée à Tita Reut





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  • Pierrick Steunou | [le nuage qui se défaisait a disparu]



    Sur le fond immensément profond et bleu
    Ph., G.AdC







    [LE NUAGE QUI SE DÉFAISAIT A DISPARU]
    le nuage qui se défaisait a disparu des fenêtres j’ai baissé la tête je ne me sentais pas la force de parler de lui de ses gigantesques volutes qui passaient au-dessus de moi de ses fumées blanches et grises glissant l’une sur l’autre et pourtant quelle envie subite de le décrire d’écrire sur lui et sur le ciel où il glissait se démembrait avec lenteur sur le fond immensément profond et bleu irradiant de lumière contenue&nbsp: quand j’ai relevé la tête il avait disparu ou était devenu méconnaissable peut-être parti se fondre dans le grand corps sombre là-bas derrière au-dessus des sapins aux cimes ébouriffées immobiles sentinelles de l’éphémère

    Pierrick Steunou, « Pièces (resserrement) », Interstices, Éditions de l’Amandier, Collection Accents graves-accents aigus, 2014, page 74.







    Pierrick Steunou, Interstices, Éditions de l’Amandier, Collection Accents graves-accents aigus, 2014







    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions de l’Amandier)
    une fiche sur Interstices





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  • Hélène Sanguinetti, Et voici la chanson

    Hélène Sanguinetti, Et voici la chanson,
    Éditions de l’Amandier | Poésie,
    Collection Accents graves Accents aigus, novembre 2012.



    Lecture d’Angèle Paoli


    Hélène Sanguinetti-Photo D. Warzy-Sans le fond !
    Photo D. Warzy






    « CHANTER POR EXISTAR POR EXISTAR ! »



    Avec pour titre un hexasyllabe ― Et voici la chanson ―, Hélène Sanguinetti présente et signe sa dernière partition. Poétique, musicale, graphique ? Tour à tour l’une et l’autre ou les trois ensemble, cette création, plurielle et déroutante, se soustrait aux classifications courantes de la poésie et échappe à toute définition rassurante de genre et de forme. Seule la construction rigoureusement ordonnancée que révèle la « table » en fin d’ouvrage, permet au lecteur de visualiser les appuis nécessaires à son entrée dans le poème. À lui aussi de stimuler son oreille pour que la partition rende tout son jus et toute la richesse de sa palette sonore.


    À l’origine, il y a une première de couverture. Sur l’ivoire de la page, le « Et » annonciateur du poème semble ancrer le recueil dans une séquence. Celle, silencieuse, mais virtuellement présente, des œuvres précédentes. Et marquer ainsi, par la concision nominale du titre ― son caractère enjoué et son humour ―, un provisoire achèvement. Mais ne nous y trompons pas, le titre n’est peut-être qu’illusion. Ainsi, « la chanson », pourtant ostensiblement présentée, ne constitue-t-elle pas l’ouverture du poème. Le recueil s’ouvre en effet sur un huitain intitulé « la parole se cassa ». Ponctué et encadré par trois griffures incurvées de longueurs inégales, ce huitain aux vers irréguliers est repris à l’identique dans le finale de la partition. Avec pour seule variante, une répartition intervertie des griffures qui le caractérisent. 1-2//2-1. L’une à l’autre assemblées, les deux forment un chiasme, figure cruciforme que l’on retrouve de façon récurrente dans d’autres séquences du texte. Entre le début du poème et son aboutissement, rien n’a changé. Le drame annoncé dans le huitain d’ouverture se retrouve dans le huitain final. Mais à travers le refrain qui la porte, la Chanson va son chemin !


    Entre ces deux huitains se déploie le poème, ponctué de signes, flèches → ou ↓, tirets —, de dessins au tampon qui bousculent les habitudes de lecture : minuscules lutteurs fléchés, loup accompagné de son long cri, visage hurlant ses cris, émoticônes (notes de musique, cœur, soleil, as de pique, de trèfle, de carreau, symboles mâle / femelle, petit dessin cabalistique…), autant de graphies qui animent la page. Tout comme l’onomatopée récurrente pfffffuuuuuuiiiif (et ses variantes) ponctue le lire/dire du poème.


    Quant au poème lui-même, il est composé de pavés aux typographies différentes, passant du romain à l’italique ; les mini-pavés en petit corps finalisant comme des répons les pavés principaux, alternant eux-mêmes avec quatre « apparitions » en pleine page aux tailles de caractères démesurées. À quoi viennent s’ajouter des encadrés singularisés par des filets-cadre dans lesquels s’inscrit une histoire autre ; des « parlures », des bribes de conversations courantes ; des colonnes de mots en italiques ; des énumérations échevelées introduites par des « MOI je »… ou par des « Ah » anaphoriques… Ainsi de ce texte à dominante ludique qui donne à voir autant qu’à lire :


    « Ah,

    Relever sa robe !

    Ah, passer le Pont à reculons !

    Ah, griffer Ses jambes baiser ses jambes !

    Ah, perdre ses doigts En liesse

    d’épouser !

    Ah, mentir du jour, rouler d’ivre, folle !

    Ah, S’en aller au fossé !

    Filles, joyez »


    C’est dire si le « faire » du ποιεῖν, dans le rapport qu’il entretient avec la page, joue, chez Hélène Sanguinetti, avec l’aspect visuel. Et le lecteur se prend à feuilleter cette partition à la recherche d’idéogrammes, à la manière d’un enfant. Sans doute la poète en appelle-t-elle à tout ce qui, en chacun de nous, demeure encore de l’enfance et de ses rêves, de ses joutes amoureuses et de ses jeux. Mais si l’on s’attarde dans le vif du texte lui-même, la légèreté et l’insouciance réputées être l’apanage de cet âge d’or n’affleurent que par intermittence. Et la chanson annoncée par le clairon du titre n’a rien d’allègre ni de léger. Du moins la première chanson. Associée à la violence aveugle et meurtrière de « Joug », la première chanson ― « Voici la chanson » ― est chant funèbre. Thanatos règne en maître sur le monde. La Chanson évoque le rêve baltique anéanti par les souvenirs noirs de la déportation. Derrière la scansion Ô BALTIQUE QUE JE RÊVAIS se dresse le « camp méconnu NEUENGAMME » en Allemagne du Nord. Surgissent alors les barques livrées aux rats et aux « Puants », les grappes humaines conduites vers les camps d’extermination. Après la tragédie de la prison flottante Kap Arkona, la chanson s’achève par le décompte des rescapés.


    Accompagnée d’une didascalie en espagnol ― (para bailar a dos) ―, la seconde chanson est au contraire une « Chanson qui fait pleurer de joie ». Chanson à danser pour exister / « por existar por flamenquer », elle est hymne à la vie et à l’amour. Introduite par « Joui » le bienvenu, figure bienveillante et rêveuse, elle est pleine manifestation de bonheur. Le « joïr » domine et entraîne dans sa cadence endiablée les deux héros du jour. Flamenco et Flamenca. Por existar por existar scande la poète pour s’insurger contre la mort. Pour insuffler ses forces de vie là où préside la mort.


    Une autre partition « à chanter » vient mimer les deux moments précédents. « Voici la dispute ». Épique et enlevée, cette vive « dispute » médiévale, tout droit sortie des fabliaux (Ysengrin montre sa « Pauvre-queue-gelée »), est rythmée par les onomatopées de l’échauffourée. Vlan ! Vlan ! Vlan ! Les phrases, débarrassées de leurs déterminants, s’enchaînent, percutantes et rapides. Le récit est ponctué de régionalismes (méridionalismes) ― « oh tanqué tanqué tanqué » ― qui scandent les actions. Les participants à la « dispute » ― cavaliers et roncins, cuirasses et loups ― surgissent au milieu des poules et font voler les plumes. Le monde est retourné. L’épique s’empare des hommes et les emmêle, comme souvent dans les poèmes d’Hélène Sanguinetti. Au milieu de tout ce charivari, une voix insiste qui clame son désir : « Et moi je veux chanter chanterchanterchanter ».


    Il faudrait pour cela que les opposants « Joug » et « Joui » ― dont les traits caractéristiques sont précisés au cours de quatre « apparitions » zoomées pleine page ― cessent de s’affronter en vaines joutes. Il faudrait pour cela que tous deux cèdent au désir de réconciliation espéré par la poète. Il faudrait que Jour et Nuit s’assemblent pour que la terre se repose enfin de ses massacres. Il faudrait qu’Eros l’emporte sur Thanatos. Ainsi « Joui » tente-t-il des intrusions dans la violence de « Joug ». Minuscules intrusions (usage des bas-de-casse), modestes comme des parenthèses, vie menue où affleurent les images de l’enfance éblouie, l’humilité des tomettes de la cuisine, la pochette Rouge bien repassée. Autant de parenthèses de jeunesse et de fraîcheur susceptibles de faire reculer la terreur. Un instant seulement.


    Reste pour la poète son travail obstiné sur la langue, ses inventions et ses jeux sur les sonorités, ses distorsions et ses ruptures aux limites de l’« a-grammaticalité », avec tenu serré au cœur, le désir du poème ― son comment et son faire ―, qui cherche à concilier le visuel avec l’oralité. Car, pour Hélène Sanguinetti, le travail sur les mots est recherche des origines. Mettre les mots en voix et en corps, n’est-ce pas renouer avec l’oralité qui préexiste à toute forme écrite ? Écouter Hélène donner corps et voix à son poème, c’est vivre avec elle ce pneuma qui l’habite et nous traverse jusque dans les pfffuuuuiiiit ! qui chuintent et glissent entre ses lèvres.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Hélène Sanguinetti, Et voici la chanson





    ______________________________________
    NOTE d’AP : Et voici la chanson fait partie de la sélection du Prix des Découvreurs 2013-2014.






    HÉLÈNE SANGUINETTI


    Hélène Sanguinetti
    Source



    ■ Hélène Sanguinetti
    sur Terres de femmes

    [Automne vivant et adoré] (extrait de Et voici la chanson)
    Alparegho, Pareil-à-rien (note de lecture d’AP)
    De quel pays êtes-vous ? (extrait d’Alparegho, Pareil-à-rien + bio-bibliographie)
    De la main gauche, exploratrice (I)
    De la main gauche, exploratrice (II)
    De ce berceau, la mer (extrait de D’ici, de ce berceau)
    À celui qui (extrait de Hence this cradle)
    Le Héros (note de lecture d’AP)
    [Ma trouvaille de tout à l’heure] (extrait de Domaine des englués)
    [Premier soleil] (autre extrait de Domaine des englués)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    La vieille femme regarde en bas
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    un Portrait de Hélène Sanguinetti (+ un poème extrait de De la main gauche, exploratrice)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site Printemps des poètes)
    un extrait sonore de Et voici la chanson (« JOUI 1 », pp. 15-18) dit par Hélène Sanguinetti
    un autre extrait sonore [10 mn] de Et voici la chanson (« JOUG 2 » « Voici la chanson », pp. 22-31) dit par Hélène Sanguinetti. Prise de son : François de Bortoli
    → (dans la
    Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique (+ un extrait sonore issu de Pareil-à-rien)





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