Étiquette : éditions du Noroît


  • Louise Dupré | [Comment écrire depuis le cœur qui souffre animal ?]




    [COMMENT ÉCRIRE DEPUIS LE CŒUR QUI SOUFFRE ANIMAL ?]


    Comment écrire depuis le cœur qui souffre animal ? Tu reviens à la rudesse des langues velues, tu voudrais parler chien ou chat, savoir ce qu’on ressent quand une femme ferme la cage qui nous conduira à notre éternité, tu voudrais savoir si, le dernier matin, la brise prend l’odeur des feuillages ou des cendres. Tu voudrais décomposer la détresse en nanosecondes, l’avaler, la fixer dans tes os, qu’elle accueille l’ombre du poème comme une deuxième chance, un tremblement apeuré en toi, une âme indigne dont tu apprendrais à t’approcher sans mépris. Tu pourrais alors écrire je, comme si ce pronom se creusait enfin, devenait caverne, pierre poreuse qu’il suffirait de caresser de la paume pour que surgisse de l’oubli la forme des fossiles.




    […]




    [TON TERRITOIRE S’EST CONSTRUIT MALGRÉ TOI]


    Ton territoire s’est construit malgré toi sur une plaie à ciel ouvert, il inquiète les jours et leurs ailes, les nuits et leurs ailes, c’est sans repos où tu habites, un guet permanent. Tu voudrais délivrer du mal tous les oiseaux, tu attaches des clochettes au cou des chats, et tu te promènes la tête dans la grisaille des nuages en rêvant que ton geste ridicule puisse empêcher la ville de sombrer. Tu ne sauveras que quelques passereaux, mais tu agis, tu oses agir avec l’espoir d’alléger un rien la détresse, puisque la détresse risque de t’emporter. Juste un geste, et ce mot tout droit sorti d’un autre siècle, charité, que tu récupères en cherchant une posture pour vivre adossée à l’abîme.




    [ADOSSÉE À L’ABÎME]


    Adossée à l’abîme, tu apprends à squatter un peu d’air pour ta survie, ça pénètre dans ton ventre avec la poussière du sol, ça te fait pierres au foie, pierres aux reins, tu apprends à parler minéral, comme si tu voulais apprivoiser les fossiles déposés en toi, reliques des morts trop morts pour renaître au printemps. Tu portes un temps qui n’a plus souvenir des semailles ni des herbes affolées par le vent, te voilà revenue aux balbutiements d’un monde sans leçons à donner, sans terres à défendre. Tu aurais beau posséder toute la science de ton siècle, connaître des centaines de langues, aucune ne pourrait te soulager. Tu es un deuil qui se casse sans cesse contre la faille des continents, une humiliation quotidienne. Tu es là, preuve parfaite que Dieu ne sait pas exister.




    Louise Dupré, La Main hantée [éditions du Noroît, Montréal, 2016], éditions Bruno Doucey, Collection Soleil noir, 2018, pp. 36, 70, 71.






    Louise Dupré  La Main hantée






    LOUISE DUPRÉ

    Louise Dupré NB2
    Source




    ■ Louise Dupré
    sur Terres de femmes

    Jusqu’à la fin (extrait)




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur L’île, l’infocentre littéraire des écrivains québécois)
    une notice bio-bibliographique sur Louise Dupré
    → (sur le site des éditions Bruno Doucey)
    la fiche de l’éditeur sur La Main hantée





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Denise Desautels | [ça dit grand]




    Aquatinte la regardeuse regardée l’océan dans la peau
    la regardeuse regardée

    l’océan dans la peau
    Aquatinte, G.AdC






    [ÇA DIT GRAND]



    ça dit grand
    la regardeuse regardée

    l’océan dans la peau
    assise, mortelle sans condition

    mon œil droit devant mord
    la moitié encore du tableau
    son pan d’écume et d’histoire
    juste au bas de l’autre, l’ocre
    l’agitée
    tachée d’objets tranchants qui volent

    voyez de près le va-et-vient
    je pars mais ne quitte pas



    Denise Desautels, « Rose désarroi » in L’Angle noir de la joie, éditions Arfuyen/éditions du Noroît, 2011, page 60. Prix de Littérature Francophone Jean-Arp 2010.






    Denise Desautels  L'Angle noir de la joie





    DENISE DESAUTELS


    Denise-desautels
    Ph. Rémy Boily
    Source





    ■ Denise Desautels
    sur Terres de femmes

    La dernière rivière (autre poème extrait de L’Angle noir de la joie)
    D’où surgit parfois un bras d’horizon (lecture d’AP)
    Pour dire nous voici (extrait de D’où surgit parfois un bras d’horizon)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de la Mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Denise Desautels
    → (sur Mediapart)
    « Denise Desautels ou la résistance à l’écriture », par Pascal Maillard





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  • Denise Desautels, D’où surgit parfois un bras d’horizon

    par Angèle Paoli

    Denise Desautels, D’où surgit parfois un bras d’horizon,
    Inventaires 2012-2016,
    Éditions du Noroît, Collection Poésie, 2017.



    Lecture d’ Angèle Paoli



    « DIS OUI NOMBREUSE À VOIX VIOLENTE »



    Je regarde ce livre, je le déplace d’un lieu à un autre, je le déplace au gré des heures. Il m’accompagne et pourtant il m’effraie. Je sais que tôt ou tard, je vais m’immerger dans les pages et peut-être m’y noyer. À l’image de cette nageuse qui, sur la première de couverture, lutte désespérément. Contre la vague submergeante. Ce que je vois me happe, je m’en détourne, de peur de. Une femme se noie, une moitié du visage dans l’eau, l’autre encore hors de l’eau. Pour combien de temps ? Son œil dilaté sectionné par la vague dit l’effroi. De même sa bouche grande ouverte sur le cri. Des bulles d’eau remontent des profondeurs, qui asphyxient la nageuse. L’eau verte l’aspire. Pourtant elle lutte. Son bras droit tente l’effort ultime. La survie. Une larme s’échappe qui tombe rejoindre les bulles. Elle pleure. Loin derrière elle, une esquisse d’horizon. Devenu inaccessible. Ce qui surprend, c’est la cigarette qui pend des lèvres, hors de la bouche. La dernière bouffée du condamné avant sa disparition finale ? Peut-être.

    L’illustration de couverture est empruntée à une toile de Dana Schutz : Swimming, Smoking, Crying (2009). Titre du recueil : D’où surgit parfois un bras d’horizon. Celui-ci est signé Denise Desautels.

    Je lis et je relis. Je passe d’un « inventaire » à l’autre — il y en a quatre en tout —. J’avance dans un univers où domine le noir. La nuit. La mort. La mort de la nageuse peinte par Dana Schutz, mais aussi celle pour qui ont été écrits, en hommage à la poète Anne Hébert, les poèmes d’« Inventaire I », rassemblés sous l’intitulé : « Une petite morte s’est couchée en travers de la porte. » « Obsédante petite morte qui se joue des pronoms. » Une manière sans doute pour Denise Desautels de se mettre à l’écoute du drame intime de l’autre, de partager la terreur qui en émane et qui renvoie à d’autres terreurs, personnelles celles-là. S’il y a une douleur que toutes les femmes peuvent comprendre et s’approprier, c’est bien celle de la perte d’un enfant. « À chacune sa petite morte rebelle », écrit Denise Desautels. Ou encore : « À chacune — vue de face — la terreur de toutes… ».

    Des drames intimes de chacune aux douleurs de toutes. Du particulier à l’universel. De l’individuel à l’« humain ». Vertige abyssal. Qui porte avec lui, dans son flot incontrôlable, ce « fracas » permanent que le mot « fait dans la tête ». Ce lot de questionnements insolubles qu’il convoie et charrie, avec les mêmes heurts, les mêmes incompréhensions. Avec cette interrogation personnelle lancinante :

    « Au seuil de soi où est-ce. Où est-on.

    Où bouge l’autre. Et jusqu’où. »

    Denise Desautels est de ces femmes qui vibrent à l’unisson de toutes les autres femmes, dans la même colère, dans le même effroi, dans la même souffrance. Dans le même parti pris féminin.

    « À chacune tous les continents

    une infinitive colère se hisse.

    S’ouvre.

    Où désobéir.

    Où partir.

    Sans mort à nos trousses. »

    Écrire, pour crier ce qui meurtrit. Ce qui enrage. Lutter contre « l’effroi de la vie » qui submerge, de la vie qui anéantit.

    Les « Inventaires » sont au nombre de quatre. Quatre inventaires, amples, diversifiés, numérotés et encadrés par deux dates : février/octobre. Deux mois butoirs, rédigés, en italiques, à la manière d’un journal. Il y a bien aussi (en sous-partie d’« Inventaires IV ») des « Inventaires des odeurs », isolés, avec leur crescendo de tragédies, nombre de morts et dates.

    En février 2012, la poète cherche l’élan. La force de se régénérer quand le manque obsède. Celui-là même qui catalyse tous les manques. Et draine toutes les absences. Tenace, le manque originel. Qui fouaille jusqu’à l’os. Quelque chose de l’enfance meurtrie refait surface « surdité et sauvagerie maternelles. »

    « Il aurait fallu […] Que se liguent tôt sur la paroi du maigre muscle de famille espoir pensée élan et langue. Que j’acquière tôt l’habitude d’être vivante. »

    Comment trouver le désir lorsqu’il faut continûment chaque matin, jour après jour, « aborder la douleur » ? La nécessaire plongée dans le gouffre côtoie l’appel au secours :

    « Viens, accompagne-moi, sauve-moi. »

    Face à l’obsédant déchirement engendré par le chaos perpétuel, et malgré les efforts entrepris pour s’en dégager, « le poème pleure ». Et « les mots ne prennent plus ». De ce terrible constat, il s’ensuit cet appel :

    « Vois vacillants mes mots par l’excès graves tordus cassés vaincus. »

    Et cet aveu :

    « Une nouvelle mort dépossède ma langue. »

    En octobre 2013, « l’inconsolable insomniaque » continue de ne voir que la nuit. Comment faire pour « [é]chapper au ressassement de l’obscur » ? s’interroge la poète. Comment supporter et affronter « l’immense pourquoi » ? La réponse émerge dans les mots de Louise Dupré, une réponse encourageante, consolatrice, qui dit la confiance :

    « Il y a longtemps que tu penses noir, que tu vois noir, que tu parles noir en plein soleil. La nature humaine est incurable, tu le sais depuis longtemps, tu es nombreuse en ta solitude, ce n’est pas une consolation, tout au plus un constat. Tu n’as pas fini de compter les chaises vides autour de toi et tu les observes du coin de l’œil en jurant que tu ne t’y assoiras pas. C’est debout que tu veux t’habiter, debout parmi les vivants. »

    C’est sur ces mots parégoriques, apaisants que se clôt le recueil de Denise Desautels.

    La traversée poétique du recueil se fait sur quatre années (2012-2016) et sur plusieurs épisodes. Chacun de ces « inventaires » est explicité par un sous-titre qui en donne la coloration spécifique : « la mémoire/l’oubli » ; « la résistance/la colère » ; « le désir /la douleur » ; « la vie/le vieillissement/l’apocalypse /l’art ».

    Nombreux sont les indices textuels du paratexte qui disent la violence qui malmène l’âme en perdition, et qui la conduisent vers la nuit. Ainsi des nombreuses citations, exergues (mais pas seulement), qui ponctuent les poèmes. Ils constituent à eux seuls des textes à part entière. Ils sont autant de jalons, d’appuis, de repères que Denise Desautels arrime, au fur et à mesure, tout au long de son cheminement poétique. On y croise nombre de poètes québécois, connus, mais bien d’autres poètes encore, venus d’ailleurs, Anise Koltz, Alejandra Pizarnik, Emily Dickinson, Tita Reut, Christa Wolf, Yves Bonnefoy, Rainer Maria Rilke, Fernando Pessoa… Pour n’en citer que quelques-uns. Mais les thématiques qui les réunissent dans la toile tissée par la poète, sont les mêmes. Elles reprennent en écho ce qu’énonce ou que dénonce Denise Desautels. Ainsi des textes en prose de « Pour dire nous voici » — Inventaire II, la résistance, la colère — : l’exergue emprunté à Nicole Brossard donne le ton :

    « À quoi ressemble une colère amplifiée de pluriel féminin ? »

    Et Denise Desautels de reprendre à la suite : « Dis oui nombreuse à voix violente » ou encore : « Nous seins nus pour dire non pour dire nous voici. »

    Et de clore par ces mots exaltés qui disent la révolte et l’unisson dans la révolte :

    « Nous toi tes camarades dans le même cœur menacé avec nos corps nos morts nos désordres distincts. Nous en spirale planétaires pour penser nid d’espérance. Le poids réel de notre cœur menacé ajusté à la haute résonance des livres. »

    La douleur qui habite la poète est polymorphe. Inassouvissable, elle se nourrit de sa propre monstrueuse « humanité ».

    « Ça flirte parfois avec l’insensé. Ai déjà moi-même soulevé carnage levé main poing poignard. Aurais pu aller loin loin. Grâce à cette panoplie de monstres en moi — qui fouillent partout jusqu’à la pointe des os. Émeute, mugissement. Solidaire par tous mes pores.
    C’est fou à lier ou rien du tout ou simplement humaine —
    Le suis-je encore. Avec ou sans camisole. »

    Polymorphe également, l’écriture pour dire cette douleur, pour la traquer et la cerner. Une écriture au vitriol. Pour dénoncer les vies saccagées, les os dépecés. Dense serrée, nourrie de la douleur multiple d’autrui, artistes surtout, poètes, et femmes, l’écriture de Denise Desautels est un cri. Tantôt saccadé, heurté, brisé ; tantôt fluent comme l’eau qui enserre le naufrage. Le cri est partout. Que domine d’emblée celui de Munch, entraînant à sa suite bien d’autres cris. Ceux de l’artiste belge Berlinde de B[ruyckere] et ces « arbres-corps tombés blessés pansés » ou encore ce « tas de chair » de la voix de Geneviève Blais, « ces sons de gorge mal accordée/ de gorge éraillée un bruit d’animal à l’abattoir ». Œuvres majeures avec lesquelles Denise Desautels a établi un lien indéfectible. Un apparentement :

    « On transmigre. On se rapproche du fond. C’est vacarme en nous filles et mères humaines face à l’autre océan. Doigts bras grilles — appelant on dirait. Plateforme de caresses soudain mobilisées. En attente. D’être sauvées. Ta voix cogne. Toi. Moi. Nos complots d’éclopées. Un long mur de ronces penche. Avant même notre première rencontre. La forêt ne tient plus — qui la réparera. »

    Pourtant, çà et là, parmi les décombres et l’encagement, surgissent une lueur, un éclair de tendresse.

    Ainsi, dans ces quelques vers extraits du dernier poème dédié à Hélène Monette :

    « pourtant nous veille

    rêve

    dis viens poème

    petite paix »

    Et puis, ces vers clairsemés, sans pareil, de la « faiseuse de poèmes » :

    « Il neige inconditionnellement. »

    « Vivre. Irrésistiblement vaste. »

    « Nous ne sommes pas celles que nous sommes. »

    « Je perds un monde chaque jour. »

    Et tant d’autres vers à méditer en silence, dans le silence, soulevés par la voix puissante de Denise Desautels.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli







    Denise Desautels  D'où surgit parfois un bras d'horizon





    DENISE DESAUTELS


    Denise-desautels
    Ph. Rémy Boily
    Source





    ■ Denise Desautels
    sur Terres de femmes

    Pour dire nous voici (extrait de D’où surgit parfois un bras d’horizon)
    [ça dit grand] (poème extrait de L’Angle noir de la joie)
    La dernière rivière (autre poème extrait de L’Angle noir de la joie)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Dimedia)
    une fiche sur D’où surgit parfois un bras d’horizon
    → (sur Recours au Poème)
    Denise Desautels : La Dame en noir de la poésie québécoise, par Marilyne Bertoncini
    → (sur le site de la Mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Denise Desautels
    → (sur Mediapart)
    « Denise Desautels ou la résistance à l’écriture », par Pascal Maillard





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  • Denise Desautels | Pour dire nous voici



    POUR DIRE NOUS VOICI
    (extrait)




    Avant. Mais tout est si récent. Avais-je déjà fait un voyage. M’étais-je déjà vue avant. Avais-je même déjà pensé maison. Autre chose que « mes murs à perpétuité ». Mon genre ma place ma joue tendue sur le miroir. Fresque officielle. Jamais complète ni future et nul pont probable. Qui étais-je — de quel amour. L’une parmi tant taboues que rien ne soigne. Dans grande famine qui broie. Maintenue à la cheville de son sexe. Et loin l’immensité du territoire.





    Depuis — un autel mon nom d’effroi et un volcan. Ça a poussé. Quelque chose s’est fait en mon absence. Arrivée lente à l’aveugle autobiographie de mon espèce. Je commence tard à mourir à chaque aube. Me relève tard mais rude résiste revis veux me battre. Jusqu’aux étoiles. Dis oui nombreuse à voix violente.





    Je commence tard à hurler à chaque aube.

    À « notre moi désaxé ». À nous. Nous sauve « ma force fracassée / ma force noire. » Fenêtre d’âme offerte sans faste. Nous « corrige notre vie ». Nous — claire conscience colère de femmes — « n’irons plus mourir de langueur mon amour / à des mille de distances dans nos rêves bourrasques / des filets de sang dans la soif craquelée de nos lèvres ». Nous souches errantes volontaires avançons. Nous seins nus pour dire non pour dire nous voici.





    Où commencer. Car toujours cœur d’os d’armes d’émois s’emballe. Vitriol à nerf vif de nos peurs. Avançons manœuvrons catalogues d’infos chagrins de première heure. Poitrines d’abus. Jusqu’au parti pris. Ni le monde ni le sans espoir de nous du monde ne nous reconnaissent.

    Nous ne sommes pas celles que nous sommes.





    Or tout (re)commence à mon soudain cri. Je suis espèce deuillante indignée. J’envisage chaque jour prochain en nuit. Chancelante résiste. Mon poing sur des sons drus d’encre. Mon poing retient alarme et plaie respire planète et nostalgie future. Me voici plurielle. Nous. En force qui soulève ce qui s’effondre. Qu’on arrache. Qui revient s’afficher aux murs d’angle de passage des villes — espoir aux phrases mobiles. Vieille colère rose feu qui nous a fait nous dresser. À cet ébranlement de la configuration antique des espèces humaines. Ombre unanime. Les rubans hurlants de Jenny Holzer s’y enfouissent encore. S’ouvrent encore somptueusement l’esprit le lieu — océan de marbre d’un pavillon des Giardini.





    « car le mystère est cécité
    et projection d’antennes vers une seconde lueur »
    MICHELINE SAINTE-MARIE





    Denise Desautels, « Inventaire II, Pour dire nous voici », in D’où surgit parfois un bras d’horizon, Inventaires 2012-2016, Éditions du Noroît, Collection Poésie, 2017, pp. 59-61.







    Denise Desautels  D'où surgit parfois un bras d'horizon





    DENISE DESAUTELS


    Denise-desautels
    Ph. Rémy Boily
    Source





    ■ Denise Desautels
    sur Terres de femmes

    D’où surgit parfois un bras d’horizon (lecture d’AP)
    [ça dit grand] (poème extrait de L’Angle noir de la joie)
    La dernière rivière (autre poème extrait de L’Angle noir de la joie)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de Dimedia)
    une fiche sur D’où surgit parfois un bras d’horizon
    → (sur le site de la Mél [Maison des écrivains et de la littérature])
    une fiche bio-bibliographique sur Denise Desautels
    → (sur Mediapart)
    « Denise Desautels ou la résistance à l’écriture », par Pascal Maillard





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  • Fabio Scotto, “Musée Thyssen Bornemisza Madrid”, Jacob Isaacksz Van Ruisdael




    Ruisdael
    Jacob Isaacksz VAN RUISDAEL,
    Chemin à travers champs de blé dans le Zuiderzee, v. 1660-1662
    Huile sur toile, 44,8 x 54,6 cm
    Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid
    Tous droits reserves
    Source








    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL,
    Camino entre campos de trigo cerca del Zuider Zee, 1660-1662





    Due sentieri s’incontrano
    nella piana che sale
    Sole che filtra
    tra le nubi
    Lontani
    una casa
    un mulino
    una cattedrale
    Mucche al pascolo
    un viandante
    un cane
    Il grigio minaccia l’azzurro
    Chissà dov’è
    Lo Zuider Zee…



    Fabio Scotto, « Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid », Bocca segreta, Poesie 2004-2007, Bagno a Ripoli (Firenze), Passigli Poesia, 2008, p. 48.







    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL,
    Chemin à travers champs de blé dans le Zuiderzee, 1660-1662





    Deux sentiers se rejoignent
    dans la plaine qui monte
    Soleil qui filtre
    entre les nuages
    Au loin
    une maison
    un moulin
    une cathédrale
    Des vaches en pâture
    un vagabond
    un chien
    Le gris menace l’azur
    Qui sait où c’est
    le Zuiderzee…



    Traduction inédite d’Angèle Paoli
    pour Terres de femmes (décembre 2008)







    JACOB ISAACKSZ VAN RUISDAEL,
    Camino atraversando campos de trigo cerca de Zuider Zee, 1660-1662





    Deux sentiers se rejoignent
    dans la plaine qui monte
    Soleil qui filtre
    entre les nuages
    Lointains
    une maison
    un moulin
    une cathédrale
    Vaches en pâturage
    un passant
    un chien
    Le gris menace l’azur
    Qui sait où est
    le Zuider Zee…



    Fabio Scotto, “Musée Thyssen Bornemisza Madrid” in Bouche secrète, Éditions du Noroît, Montréal (Québec), 2016, page 40. Traduit de l’italien par Francis Catalano.






    Fabio Scotto  Bouche secrète





    FABIO SCOTTO


    Fabio Scotto
    Source




    ■ Fabio Scotto
    sur Terres de femmes


    A riva | Sur cette rive (note de lecture d’AP)
    Regard sombre (extrait de A riva | Sur cette rive)
    Je t’embrasse les yeux fermés (poème issu du recueil Le Corps du sable)
    Le Corps du sable (note de lecture d’AP)
    Ces paroles échangées (poème issu du recueil L’intoccabile)
    China sull’acqua… (traductions croisées)
    Tra le vene del mondo (extrait de La Grecia è morta e altre poesie)
    La Peau de l’eau (lecture de Sylvie Fabre G.)
    Venezia — San Giorgio-Angelo (extrait de La Peau de l’eau)
    Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid (onze « poèmes peints » traduits en 2008 par AP)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de l’écrivain Claude Ber)
    un dossier Fabio Scotto (dimanche 27 février 2011)
    → (sur Lyrikline)
    Fabio Scotto disant dix de ses poèmes





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  • Diane Régimbald | [J’écris vie et mort]





    Partager les étages avec les ombres qui traversent les corridors
    « je ne renonce pas […] à partager les étages
    avec les ombres qui traversent les corridors »
    Ph., G.AdC







    [J’ÉCRIS VIE ET MORT]




    J’écris vie et mort — mes mains touchent aux parois du rêve.

    Je ne renonce pas à refaire l’appartement — à remettre la bibliothèque en état d’être lisible — à partager les étages avec les ombres qui traversent les corridors — reviens à la table creuse le territoire

    Je sors la corde du jeu la vois revenir de loin ses pas créent une suspension dans l’air un arrêt des gestes un retournement

    têtes penchées vers nos poitrines les tissus ne voilent plus rien

    le froid dessine des clairs-obscurs



    Diane Régimbald, « Dessin du jeu » in Sur le rêve noir, Collection Poésie, Éditions du Noroît, Montréal (Québec), 2016, pp. 48-49.






    Diane Régimbald, Sur le rêve noir




    DIANE  RÉGIMBALD


    Diane Régimbald 2
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Diane Régimbald (dont une notice biographique et une notice bibliographique)
    → (sur le site des éditions du Noroît)
    la page de l’éditeur sur Sur le rêve noir





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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Cèlia Sànchez-Mústich | Conflit au-delà



    Leonardo Cremonini, 4
    « quina fulla, quin mirall,
    podrien escindir-me o desdoblar-me?
     »
    [Leonardo Cremonini, Les Sens et les Choses,
    acrylique sur toile, 1968]
    Source








    CONFLICTE MÉS ENLLÀ




    Com seria,
    si en un més enllà també carnal
    —filem més prim : sexuat— us retrobés?
    quina fulla, quin mirall,
    podrien escindir-me o desdoblar-me?

    Jugaríem tots tres arraulits en un llit per a dos
    o tots dos rodolant en un llit per a tres?
    S’hi esmunyirien, també, les vostres amants,
    les que haurien escrit, qui ho sap,
    aquest mateix poema
    de vèrtexs innumerables
    difuminant-se entre els llençols,
    i jo em corsecaria, muda, tendra,
    fins que m’aventurés a compatir-vos
    amb una extrema rendició?

    O ja és així que hem viscut sempre i no ho sabíem.






    CONFLIT AU-DELÀ




    Comment serait-ce,
    si dans un au-delà aussi charnel
    — soyons plus précis : sexué — je vous retrouvais ?
    Quelle feuille, quel miroir,
    pourraient me scinder, me dédoubler ?

    Jouerions-nous tous trois à rouler sur un lit pour deux
    ou tous deux sur un lit pour trois ?
    Vos maîtresses s’y glisseraient-elles aussi,
    celles qui auraient écrit, qui sait,
    ce même poème,
    d’innombrables sommets
    s’estompant entre les draps,
    tandis que moi, je me consumerais, muette, tendre,
    jusqu’à m’aventurer à vous partager
    dans une extrême reddition ?

    À moins que nous n’ayons toujours vécu ainsi sans le savoir.



    Cèlia Sànchez-Mústich, Cet espace entre nous [On no sabem, Edicions Tres i Quatre, S.L. Sant Ferran, Valencia, Espagne, 2010], Éditions du Noroît/Myriam Solal Éditeur, Collection « Le temps du rêve », 2014, pp. 38-39. Traduit du catalan par François-Michel Durazzo.





    ___________________________________
    NOTE d’AP : Cèlia Sànchez-Mústich a lu le poème ci-dessus le vendredi 18 juillet lors du 17e Festival Voix de la Méditerranée de Lodève 2014.







    Cet espace entre nous






    CÈLIA SÀNCHEZ-MÙSTICH


    Cèlia S
    Ph. Frèia Berg



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Festival Voix de la Méditerranée, Lodève)
    une fiche bio-bibliographique sur Cèlia Sànchez-Mústich (+ trois extraits de Cet espace entre nous)
    → (sur YouTube)
    une présentation (en catalan) de Cet espace entre nous par Cèlia Sànchez-Mústich





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