Étiquette : Éditions Empreintes


  • Françoise Matthey | [Sur la berge du fleuve]



    [SUR LA BERGE DU FLEUVE]



    Sur la berge du fleuve
    elle passe de son pas qui n’est déjà plus d’elle
    le cœur brûlant au chant de ce qui va s’ouvrir

    son départ comme une orée secrète
    — si loin se confond avec si près —
    dans un élan d’épiphanie

    à peine entend-elle
    la vie dans son trébuchement
    désancrer le pardon d’une eau vive

    De ses sandales elle a chaussé le sentier
    puis d’un pas reculé dans la mort
    sans se préoccuper des promesses
    contenues dans le chant du loriot

    Elle remonte
    vers sa source
    augmentée
    de tout ce qu’il lui faut perdre

    Lorsqu’une résille de sel blanc
    embrasa son adieu
    elle ceignit comme si de rien n’était
    une vague qui se fit passerelle
    un sabbat d’absolue solitude

    elle ne sombre pas
    elle approche

    […]

    Son désir d’absolu lissa
    la pente douce de l’adieu
    À la troisième vague
    elle but le mot le plus haut
    le plus limpide
    et s’ouvrit à qui l’émerveillait

    Son élan fut plus que nous
    Vivant



    Françoise Matthey, Comme Ophélie prenait dans l’eau sa force, Éditions Empreintes, CH – 1510 Moudon, 2000, pp. 17-18-19-21. Avant-propos d’Henry Bauchau. Prix Schiller 2001.






    Matthey Comme Ophelie prenait dans l'eau sa force





    FRANÇOISE  MATTHEY


    Françoise Matthey 3
    Ph. Jacques Bélat
    Source




    ■ Françoise Matthey
    sur Terres de femmes

    [À quoi bon ces colères] (extrait d’Avec la connivence des embruns)
    [le milan] (extrait de Dans la lumière oblique)
    [Une louve au souffle court] (extrait de Moins avec mes mains qu’avec le ciel)
    [C’est un genre de journée où l’on laisse tout tomber] (extrait de Pour qu’au loin s’élargisse l’estuaire)



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  • Françoise Matthey | [À quoi bon ces colères]



    [À QUOI BON CES COLÈRES]





    À quoi bon ces colères qu’avec obstination
    le matin réajuste
    ces désarrois brûlants
    suppliant la présence de gués

    Aux bords extrêmes noués de bourrasques et d’oiseaux
    des schistes bleus disputent aux reflets
    la sereine patience qui me fait tant défaut

    Contre l’épaule indulgente du jour
    tenter d’appréhender
    ce qui cherche
    à se dire




    Françoise Matthey, Avec la connivence des embruns, Éditions Empreintes, CH-1022 Chavannes près-Renens, 2016, page 25.






    Françoise Matthey  Avec la connivence des embruns





    FRANÇOISE  MATTHEY


    Françoise Matthey 3
    Source



    ■ Françoise Matthey
    sur Terres de femmes

    [le milan] (extrait de Dans la lumière oblique)
    [C’est un genre de journée où l’on laisse tout tomber] (extrait de Pour qu’au loin s’élargisse l’estuaire)
    [Sur la berge du fleuve] (extrait de Comme Ophélie prenait dans l’eau sa force)
    [Une louve au souffle court] (extrait de Moins avec mes mains qu’avec le ciel)



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  • Mira Wladir | [aux abords des bois]



    [AUX ABORDS DES BOIS]



    aux abords des bois
    un renard est couché
    son flanc est immobile

    il faudrait rejoindre
    le feuillage
    endormi sur le bord

    traverser les haies de buis serrées
    qui protègent nos rêves
    des clartés impromptues

    caresser le renard
    habiter un peu
    sa mort

    et livrer d’un seul coup
    nos membres ensemencés
    aux étranges matins
    balayés de lueurs



    Mira Wladir, L’Exil des renards, Éditions Empreintes, CH-1022 Chavannes-près-Renens, 2011, page 32.






    Mira Wladir, L'Exil des renards






    ______________________________
    QUATRIÈME DE COUVERTURE DE L’EXIL DES RENARDS


    L’Exil des renards agit comme un sésame sur l’imaginaire du lecteur. S’agit-il d’une incantation qui sonde les forces mystérieuses de la passion ? D’un chant qui vise à cautériser les plaies qu’engendrent ses fureurs ? En même temps se fait entendre une incitation à « la fuite magnifique », de celle qui renverse l’empire des contingences. Mais aussi un appel à tout ce qui permet de retrouver les joies archaïques, telles les privautés de la morsure. On est emporté par les images aiguisées comme des canines, par le rythme syncopé des césures, par la pudeur des confidences retranchées dans leur tanière. Et le conditionnel des verbes réveille le fabuleux bestiaire tapi au fond de l’enfance, et qui murmure à nos oreilles : « car c’est vivre que je veux ». En cognant l’un contre l’autre la parole et le silence, Mira Wladir fait jaillir les étincelles qui éclairent les soubassements de notre mémoire, là où les peurs et les désirs de chacun se promènent dans une nudité originelle.

    Olivier Beetschen




    MIRA WLADIR


    Mira Wladir 2
    D’après une photo de Claude Labarre
    (Bazoches, 8 juillet 2012)
    Source




    ■ Mira Wladir
    sur Terres de femmes

    [ce qui fut dérobé](poème extrait d’Équilibres équestres)
    [corps éparpillé](poème extrait de L’Invention de la légèreté)
    [mon corps est une femme]
    [peut-être] (poème extrait de Luisance) [+ notice bio-bibliographique]






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  • Françoise Matthey | [Une louve au souffle court]



    La félonie des cendres dérive vers une coulée d’oiseaux
    Ph., G.AdC





    [UNE LOUVE AU SOUFFLE COURT]




    Une louve au souffle court
    a suspendu son pas
    s’offre à la fébrilité de l’aube

    Éprise de ce fléchissement du temps
    la félonie des cendres dérive vers une coulée d’oiseaux

    J’oublie qu’hier encore j’avais froid

    J’embrasse ma part d’infini

    et que m’importe la confusion des siècles
    mes mains se tendent
    vers les pollens qui en savent
    ô combien plus
    que les arpèges du vent



    Françoise Matthey, Moins avec mes mains qu’avec le ciel, Poème, Éditions Empreintes, 2003, page 44.





    Françoise Matthey, Moins avec mes mains qu'avec le ciel





    FRANÇOISE  MATTHEY


    Françoise Matthey 3
    Source




    ■ Françoise Matthey
    sur Terres de femmes

    [À quoi bon ces colères] (extrait d’Avec la connivence des embruns)
    [Sur la berge du fleuve] (extrait de Comme Ophélie prenait dans l’eau sa force)
    [le milan] (extrait de Dans la lumière oblique)
    [C’est un genre de journée où l’on laisse tout tomber] (extrait de Pour qu’au loin s’élargisse l’estuaire)



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  • François Debluë | Liminaire




    Leurs inévitables basculements
    Ph., G.AdC





    LIMINAIRE




    Aurai-je laissé
    disparaître
    les uns après les autres
    les jours       les saisons

    aurai-je laissé mourir
    toutes leurs nuances
    de ciels de fruits
    de pétales et de feuilles d’or
    sans les avoir assez regardées
    sans avoir su dire
    leurs surprenantes nouveautés
    — leurs inévitables basculements ?



    François Debluë, « I – Aujourd’huis », in Le Front aux vitres, Éditions Empreintes, Moudon, 2008, page 11.





    François Debluë, Le Front aux vitres, 4





    FRANÇOIS  DEBLUË


    François Debluë, 5
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Cultur@ctif)
    une notice bio-bibliographique sur François Debluë
    → (sur le site du cipM)
    une notice bio-bibliographique sur François Debluë



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  • José-Flore Tappy, Tombeau

    par Bernadette Engel-Roux

    José-Flore Tappy, Tombeau,
    éditions Empreintes, Lausanne, 2013.
    Encres de Juan Martínez.



    Lecture de Bernadette Engel-Roux



    Tombeau_dessin (1)
    Encre de Juan Martínez
    Source







    [UN LIVRE À DEUX CENTRES BATTANTS]



    Pour que José-Flore Tappy fût l’éditrice de la Correspondance entre Jean Paulhan et Monique Saint-Hélier (1995), mais pour qu’elle fût aussi la personne à qui Philippe Jaccottet confia sa propre Correspondance avec Gustave Roud (2002), puis avec Ungaretti (2008), il fallait qu’elle eût le savoir solide de ceux qui s’aventurent dans la recherche et l’exploration non seulement des textes littéraires mais aussi des zones d’ombre d’un écrivain ou d’un poète que de tout autres textes ont fait connaître. Il fallait que ce savoir s’augmentât de rares qualités de discrétion et de pudeur : l’éditeur de correspondance(s) est la main invisible qui donne à lire deux voix qui, en un même livre, parlent entre elles. Main invisible qui offre (en pleine page, la sienne en bas) la tresse de deux voix sur le mode majeur en y nouant la sienne (en mineur). Celle qui dirige la partition n’est pas au pupitre. Elle se tient derrière le rideau.

    Il fallait aussi qu’à ces qualités rarement réunies de compétence dans la recherche, de dévouement à l’archive, de discrétion et d’élégance, s’ajoutât cette sensibilité particulière qui met en face et dans une vibrante proximité deux poètes entre eux. En confiant à José-Flore Tappy la direction et l’édition de son Œuvre poétique dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard), Philippe Jaccottet pouvait être sûr de son choix. Une élection qui, en raison du chantier, ne fut pas seulement un cadeau, ni pour le poète « pléiadé » ni pour celle qui le « pléiadisait ».

    José-Flore Tappy, en effet, est poète. Sa réserve mais aussi cet éloignement où nous tenons, depuis la France, les plus belles voix suisses, ne font pas d’elle un poète connu ou lu de l’autre côté du Léman. Pourtant, avant cette étonnante édition, et dans ces années où elle se consacrait aux Correspondance(s), elle a pu faire publier, en Suisse, où elle vit et travaille, plusieurs recueils de poèmes. 1







    Jaccottet Tappy
    Philippe Jaccottet et José-Flore Tappy à Grignan
    Source







    À la voix réservée, sobre de paroles, des précédents volumes assemblés par les soins des éditions Empreintes, à Lausanne, succède celle de ce volume, Tombeau, d’une tension et d’une violence contenue qui peut surprendre. Comme une constante, ou un pli de voix, la sobriété de paroles est la même. Mais Tombeau, fermé, est dans nos mains comme une dalle, sous les majuscules monumentales de son titre, lettres serrées entre elles jusqu’à la constriction. Coupé en deux syllabes superposées


    TOM-
         BEAU


    le mot-titre dessine le graphe d’une flamme noire au-dessus du bûcher de bois noir d’où un crâne calciné, posé sur un plat, tourne vers nous son absence de regard. La page d’avant-titre est, sur ses deux faces, saturée de noir jusqu’à ses marges extrêmes, comme un drap tendu.

    Le recueil s’ouvre sur la même tête sans corps, cernée de noir, avant qu’à la onzième page les premiers mots se posent, en grands, très grands caractères plombés. Une typographie réduite à sa dimension courante suffirait à prouver que la sobriété de paroles est la même que dans les recueils précédents. Peu de mots par page mais en caractères si gros, et dans une encre noire au trait si épais qu’avant le sens qu’ils enclosent c’est leur violence typographique qui atteint le lecteur. Noir épais sur fond blanc mat, éteint. Peu de mots, si peu de mots que ce sont les mêmes qui se répètent, lorsque la première phrase tient enfin son sens accompli. Comme si une souffrance qui ne peut se dire se confiait à son balbutiement, à son ressassement, à sa répétition étranglée. Ainsi lisons-nous par deux fois :


    D’un bord
    à l’autre
    du bois
    qui les
    sépare
    nos bouches
    au parloir
    se touchent
    presque
    inconsolables



    répété sous cette forme à peine moins contractée, à peine plus respirante :


    D’un bord à l’autre du bois

    qui les sépare

    nos bouches au parloir

    se touchent

    presque

    inconsolables


    Dans le livre, les encres de Juan Martínez : têtes plus souvent crânes, brindilles plus souvent bûchettes, traces d’un pinceau large, n’ont pas fonction d’illustration. Elles sont en très parfait accord avec les mots du texte. On sent ici qu’une suite de poèmes, ou plutôt un seul poème, se déroule en quelques pages, écrit en quelques mois, dans ces zones d’ombre du poète que seul un artiste ami ou complice pouvait conduire à la lumière, en sorte qu’on tient un livre à deux centres battants, comme une partition à quatre mains. Le peintre et le poète ensemble énoncent un même constat :


    ici tu es

    nulle part

    trop grand l’espace

    semble flotter


    posent une même question :


    Où est-il

    allé, où

    sans emporter sa veste

    ni ses clefs ?


    partagent la même quête, éprouvent la même errance, que dit la parole de l’un, que peint la main de l’autre. Le poète pourrait dire : j’erre sans fin à la recherche de moi-même (si j’existe…) comme une ancre flottante, et dit :


    Chaque jour je pose les pieds

    sur ces marches mouvantes


    Il n’y a plus de sol sous les pas, quelque chose quelqu’un s’est dérobé qu’aucun mot ni geste ne rendra.



    Bernadette Engel-Roux
    D.R. Bernadette Engel-Roux
    pour Terres de femmes,
    21 juin 2014




    ________________________
    1. Les éditions Empreintes ont rassemblé plusieurs recueils en trois livres : Errer mortelle, suivi de Pierre à feu (Collection Poche Poésie, 1995) ; Terre battue, suivi de Lunaires (Collection Poche Poésie, 2005) ; Hangars (2006. Prix Schiller), avant de publier, en 2013, ce Tombeau, avec des encres de Juan Martínez.



    _____________________________
    NOTES d’AP :
    1. Le recueil Tombeau a été repris dans l’édition américaine bilingue des Œuvres poétiques de José-Flore Tappy (Sheds/Hangars: Collected Poems 1983-2013, The Bitter Oleander Press, Fayetteville, New York, 2014, pp. 200-213. Translated from the French by John Taylor).
    2. José-Flore Tappy est aussi présente dans l’anthologie bilingue de poésie suisse francophone dirigée par Philippe Jaccottet : Die Lyrik der Romandie: Eine zweisprachige Anthologie (Nagel & Kimche Verlag Ag, 2008).







    Tombeau 2
    Source





    JOSÉ-FLORE TAPPY


    Tappyp-a-grisoni
    Ph. © P-A Grisoni
    Source





    ■ José-Flore Tappy
    sur Terres de femmes

    [elle transpire l’humide la verte terre] (poème extrait de Lunaires)
    [Même par poignées les allumettes] (poème extrait de Tombeau)
    [Qui se penche] (poème extrait de Hangars)
    [Tandis qu’un nom dans ma tête chantonne] (poème extrait de L’île in Terre battue)
    Les pylônes (poème extrait de Trás-os-montes)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur culturactif.ch)
    une fiche bio-bibliographique sur José-Flore Tappy (+ de nombreux poèmes)
    → (sur asymptote)
    une notice bio-bibliographique (en anglais) de John Taylor sur José-Flore Tappy (+ plusieurs poèmes)
    → (sur lecourrier.ch)
    une page sur sur José-Flore Tappy [PDF]




    ■ Autres notes de lecture de Bernadette Engel-Roux
    sur Terres de femmes

    Jean-Claude Pirotte, À Saint-Léger | suis réfugié
    Olivier Rolin, Extérieur monde
    Jean-Loup Trassard, Causement





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