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  • Éric Sautou, Beaupré

    par Angèle Paoli

    Éric Sautou, Beaupré,
    éditions Flammarion,
    Collection Poésie/Flammarion, 2021.



    Lecture d’Angèle Paoli



    Vision miroir
    « (écrire c’est trembler) »
    Collage photographique, G.AdC







    « (ÉCRIRE, C’EST TREMBLER) »




    Dernier recueil d’Éric Sautou, Beaupré offre une traversée dans un temps infini qui s’étaie sur la coulée des jours. « Les jours et les jours ». Jusqu’à « Beaupré », lieu affectionné de l’enfance. Beaupré, son jardin, sa véranda, sa balançoire, ses fleurs. Une campagne hors du monde qui tient son univers entier entre ses deux syllabes jointes. C’est dans cet univers-là que prennent place les mots d’Éric Sautou. Des mots qui se cherchent, se répètent, faisant retour sur eux-mêmes, à l’identique. Des mots simples qui disent la solitude grande, le chagrin et l’absence. La perte et la mort. La véranda, cette véranda qui donnait son titre à un précédent recueil est celle, désormais vide, de la mère du poète. Le poète dédie à Marcelle Sautou ce Beaupré dont le titre aux résonances marines s’éclaire en cours de lecture. Le nom de Beaupré est tour à tour associé à un lac aux eaux dormantes et narcotiques ; à la « mémoire (vide) » ; à la mort de la mère — « perdue », « noyée ». Il est le mot sur lequel se clôt le recueil, cette « eau sombre » des nuages dans laquelle l’enfant poète désire pénétrer et se perdre, jusqu’à l’oubli :

    « c’est moi l’enfant (l’absent) laisse-moi entrer

    des nuages (nuages) je n’en vois qu’une eau sombre

    Beaupré ».

    C’est pour sa mère que le poète écrit, dans le tremblé d’une existence qui se vit dans la proximité de sa disparition :

    « rien faire sans toi plus rien

    écrire d’autre (j’écris pour toi qui n’es plus là).

    Peut-être aussi pour parvenir au silence auquel le poète aspire :

    « j’écris

    pour ne plus rien écrire (je m’assieds vraiment seul) ».

    Le lecteur fidèle à l’œuvre du poète retrouve dans les pages de Beaupré une même mélancolie ; une même atmosphère lente, à la fois désuète et obsédante, construite à partir des mêmes motifs. La solitude, indépassable, le vide, le rien, les questions sans réponse, l’incompréhension, le silence, l’attente. La disparition. Le suspens.

    « vois ce sont des feuilles des fleurs

    qui une à une elles aussi »

    ou encore, dans ces vers, étranges et mystérieux :

    « est-ce que nous allons vraiment

    vraiment alors c’est vraiment ça nous allons vraiment ».

    Aller ? Dans quel sens ?

    Aller vers ? Aller bien ? Aller ensemble ?

    Seule l’insistance de l’adverbe ponctue le discours comme pour se convaincre, ou convaincre l’autre à qui il s’adresse, du bien-fondé de sa réflexion.

    Le recueil s’ouvre sur la mère, dans le vague des formes qui l’entourent et qu’elle ne parvient pas à définir :

    « je fais

    quelque chose mais quoi… ».

    Sur un temps qui passe à l’identique, temps inchangé d’une saison l’autre :

    « les jours

    c’est un jour

    de plus cependant

    il est trop tard cependant je le sais ».

    Beaupré se clôt sur la demande du fils qui se présente devant l’eau sombre de l’oubli.

    Elle/Lui. Elle avec l’autre, à la fois pareil et autre. La mère voit en son fils un autre soi-même, vision-miroir. Qui va de pair avec le désir du toujours, immuable, identique aujourd’hui à ce qui fut, afin que rien ne change.

    Le « nous » parfois les réunit dans l’alternance de l’un à l’autre ; pour aboutir à l’abolition de toute différenciation :

    « vois comme le jardin

    la maison désormais

    et comme ici nous sommes

    seule à seul désormais ça n’a plus d’importance ».

    À ces vers répondent, plus loin, ceux du poète, comme un écho assourdi :

    « je suis seul d’être avec toi

    je te parle

    de toi j’écris

    dimanche

    d’autre chose maison de soi

    vie où nous sommes

    qu’est-ce qui qui s’en va qui disparaît ».

    Il arrive que les voix se brouillent. Que l’on hésite un moment entre elle et lui. Que l’on se perde dans la question « qui parle à qui ? » Comme dans ces vers qui tournent en boucle :

    « je suis avec toi (qui me ressembles)

    avec toi qui me ressembles oh vivre est là depuis toujours avec toi

    qui me ressembles ».

    Une osmose les confond : elle, sous ses mots ; lui, avec les siens, que la mère ne comprend pas. Parce qu’« écrire est à l’écart ». C’est sans doute ce qui sépare la mère de son fils et fait entre eux écran. Car la mère n’a pas les mots, ne sait que dire, n’a rien à dire ou si peu de choses que ce peu rejoint le rien, le silence le vide. Parfois, pour un dialogue construit sur le manque, un aveu. La peur de ? L’hésitation. Un dialogue au-delà des mots ; au-delà de toute temporalité.

    « peur d’être seule parfois

    ce que tu ne dis pas

    je n’ai pas su quoi faire

    je te raconte ça

    je t’aime (je t’aimais) ».

    C’est la force d’Éric Sautou de tisser le poème à partir de ces mailles insaisissables faites de répétitions et de parenthèses. Des parenthèses qui interrogent, tant elles font partie intégrante de l’écriture du poète, de son mode de pensée. Que disent-elles, ces variations sur l’infime ? Ces légers déplacements sont-ils un prolongement du vide, de la chute, du rien ? Ou une forme de lallation propre à endormir ou anesthésier la douleur ? Souvent les parenthèses reprennent les mots des poèmes comme si les fleurs, les feuilles, les heures, les jours, la pluie ou le soleil, les mots (« choses écrites ») — tout ce qui tombe en cours de vers — s’assourdissait (s’amenuisait ?) dans la répétition ou dans l’écho infini d’une onde qui se noie.

    C’est pour sa mère que le poète continue d’écrire, pour prolonger un peu ce tremblé d’un temps qu’ils avaient tous deux en partage : « (écrire c’est trembler) », confie le poète.

    De ce tremblé des mots, qui tombent comme notes égrenées en boucle, naît la musique mono-tonale si particulière de ce recueil. Une musique répétitive qui hypnotise dans la durée et agit à la manière d’une bouleversante mélopée.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Sautou Beaupré 3





    ÉRIC SAUTOU


    Sautou 2
    Ph. Sébastien Solidon
    Source





    ■ Éric Sautou
    sur Terres de femmes


    [c’était ça simplement ça] (extrait de Beaupré)
    À son défunt (lecture d’AP)
    [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront)
    La vie éternelle, I (extrait d’Une infinie précaution)
    [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances)
    La Véranda (lecture d’AP)
    [assise et seule assise] (extrait de La Véranda)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Éric Sautou





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  • Éric Sautou | [c’était ça simplement ça]


    [C’ÉTAIT ÇA, SIMPLEMENT ÇA]



    c’était ça simplement ça
    je m’étais endormie
    je n’avais devant moi
    que quelques mots de peine
    (c’était pour rien écrire toi qui n’avais
    nulle joie pour moi c’était pour rien)
    la balançoire
    (vide)
    les chaises du jardin les bancs
    feuilles du vent (bouleversées)
    entends le téléphone
    que plus rien plus personne (dans la maison personne)




    chaque jour
    toi qui réapparaissais je n’ai fait
    que t’attendre (t’attendre)
    et tu n’es pas venue




    si peu de mots à nous dire et cette façon que tu avais
    de me dire (j’ai oublié maintenant) ce n’est pas
    seulement rester seule c’est aussi
    non je ne sais pas




    Éric Sautou, Beaupré, éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2021, pp. 93-95. [en librairie le 10 février 2021]






    Sautou Beaupré 3





    ÉRIC SAUTOU


    Sautou 2
    Ph. Sébastien Solidon
    Source





    ■ Éric Sautou
    sur Terres de femmes


    Beaupré (lecture d’AP)
    À son défunt (lecture d’AP)
    [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront)
    La vie éternelle, I (extrait d’Une infinie précaution)
    [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances)
    La Véranda (lecture d’AP)
    [assise et seule assise] (extrait de La Véranda)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Éric Sautou
    → (sur le site des éditions Flammarion)
    la fiche de l’éditeur sur Beaupré





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  • Andrée Chedid | La Table des poussières



    Andrée Chedid portrait
    Portrait d’Andrée Chedid, 1962, coll. Louis Chedid
    Collage d’Andrée Chedid, 2002, coll. particulière







    LA TABLE DES POUSSIÈRES




    Inscris

    Le poème doublé de nuit

    Le poème drapé du linceul des mots

    Le poème

    S’égarant dans les cavernes du doute

    Se rétractant sous les rides du chagrin

    Sombrant dans les puits sans échos


    Inscris

    Le poème s’étirant dans les blés

    Le poème s’allongeant vers les sphères

    Le poème bondissant

    dans les pâturages de l’âme

    Le poème frémissant

    dans le corps des cités


    À présent
    Efface

    Que le poème retourne à la poussière

    Qu’il supprime toutes paroles

    Qu’il t’annule à ton tour


    Efface et puis
    Renais

    Sur la table rase

    Inscris…



    Andrée Chedid, Épreuves du vivant (1983) in Textes pour un poème suivi de Poèmes pour un texte, éditions Flammarion, 1983 et 1991 ; éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2020, pp. 484-485. Préface de Matthieu Chedid.





    Andrée Chedid  Textes pour un poème



    ANDRÉE CHEDID


    Andrée Chedid  Guidu
    Image, G.AdC




    ■ Andrée Chedid
    sur Terres de femmes


    L’Autre (poème extrait de Rythmes)
    Épreuves du langage
    L’île
    Les nuages
    L’Œil (poème extrait de Rythmes)
    La source des mots (poème extrait de Rythmes)
    « Les traversées poétiques d’Andrée Chedid »
    La vieille mourante
    20 mars 1920 | Naissance d’Andrée Chedid
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    le portrait d’Andrée Chedid (+ un poème extrait de Territoires du souffle)





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  • Anne Calas | Val cosmique



    Calas +







    VAL COSMIQUE
    [15]





    Le vide absorbera la joie aux commissures
    Je prends le ciel à la gorge
    Je prends son cri et son silence
    Je prends ses giclées de béton
    Sa pluie d’encre féconde
    Ses semelles d’aube claire
    Je prends ses arrivées ses lignes
    Et son tourment et ses ombres
    Je prends
    [Tout]




    Anne Calas, « Val cosmique » in « III. Sans faille, la vie nouvelle », Déesses de corrida, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion dirigée par Yves di Manno, 2019, page 117.





    Anne Calas  Déeesses de corrida
    feuilleter





    ANNE  CALAS

    Anne Calas





    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    [Mon île fantastique et joyeuse] (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)
    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)



    ■ Voir aussi ▼


    le site personnel d’Anne Calas
    → (sur le site personnel d’Anne Calas)
    une lecture de Déesses de corrida par Jean-Paul Auxeméry [PDF]
    → (sur le site des éditions Flammarion)
    la page de l’éditeur sur Déesses de corrida





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  • Anne Calas | [Mon île fantastique et joyeuse]



    Calas +







    [MON ÎLE FANTASTIQUE ET JOYEUSE]




    Mon île fantastique et joyeuse tu viens noyer
    Ma transparence, les raisons de toutes
    Nos édifications intimes, colosses
    De pierres volcaniques sous des dehors
    De douce et lente euphorie
    Marcher là, courir, monter en selle
    Revêtir les habits de Molière je regarde
    Tes boucles brunes sur la photo
    Ta fossette, ingénue, prudente, innocente.
    Il est parfois des cépages comme
    Des espèces animales disparaissant
    Dans le courant de nos archéologies
    Intimes de
    Nos grottes de nos
    Mystères

    Il faut imaginer que nous soyons femmes-

    Oiseaux que nous soyons sommets de la falaise

    Sternes fuligineuses, archipels façonnant

    Le nombril du monde, ton galet orangé

    Magnétique, me berçant doucement




    Anne Calas, « Mireille, intime d’où je viens », in « II. Lignes d’aubes, terres », Déesses de corrida, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2019, page 71.





    Anne Calas  Déeesses de corrida





    ANNE  CALAS

    Anne Calas





    ■ Anne Calas
    sur Terres de femmes


    Val cosmique (autre poème extrait de Déesses de corrida)
    [Ni princesse, ni d’hier ni d’aujourd’hui] (extrait d’Honneur aux serrures)
    Honneur aux serrures (lecture d’AP)
    Littoral 12 (lecture d’AP)
    Yves di Manno | Anne Calas | [par transparence d’une vitre] (extrait d’Une, traversée)




    ■ Voir aussi ▼


    le site personnel d’Anne Calas
    → (sur le site personnel d’Anne Calas)
    une lecture de Déesses de corrida par Jean-Paul Auxeméry [PDF]
    → (sur le site des éditions Flammarion)
    la page de l’éditeur sur Déesses de corrida





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  • Esther Tellermann | [Puis se ferme | la porte]




    [PUIS SE FERME | LA PORTE]




    Puis se ferme

    la porte
    en vain nos
    reflets s’étaient
    fondus

    au chant.
    J’avais voulu arracher

    au plus profond

    l’acanthe
    émietter

    l’entretien
    dans les porphyres
    rassembler

    les questions.




    Serai-je

    celle
    qui recueille
    les sons

    du coquillage ?
    Voulus
    en vous graver
    la lenteur ?

    Qui apaise
    et te garde ?
    Je t’avais inventé

    en guise

    d’adieu.




    Fallait-il suivre
    les façades du miel
    écouter les hypothèses ?
    Fallait-il que
    chacun multiplie

    les glissades

    au long des cycles
    des Orients dépecés ?




    Même fissure
    même
    pulsation
    serons
    même
    écart du sommeil
    trouverons
    la même découpe
    de prière.




    Esther Tellermann, Un versant l’autre, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2019, pp. 55-58.






    Esther Tellermann  Un versant l'autre

    ____________________________
    NOTE d’AP : Un versant l’autre est disponible en librairie à compter du 17 avril 2019.






    ESTHER TELLERMANN


    Esther tellermann





    ■ Esther Tellermann
    sur Terres de femmes


    Carnets à bruire
    Corps rassemblé (lecture d’AP)
    [Pour elle il voulut] (extrait de Corps rassemblé)
    Éternité à coudre (lecture d’AP)
    [Je sais vous me disiez de préférer l’ombre] (poème extrait du recueil Le Troisième)
    Je t’ai vu (poème extrait de Contre l’épisode)
    [Jours firent de toi ma teinture]
    Première version du monde (lecture d’AP)
    Sous votre nom (lecture de Matthieu Gosztola)
    Sûrement je vous tiendrai (poème extrait de Terre exacte)
    [Un mot encore] (poème extrait de Sous votre nom)
    [Un écho un roman] (extrait d’Éternité à coudre)
    Voix à rayures
    [Onde] (poème extrait du recueil Voix à rayures)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la Maison des écrivains et de la littérature) une
    fiche bio-bibliographique sur Esther Tellermann
    → (sur le site de la revue de littérature et de critique Le Nouveau Recueil)
    L’indécise exactitude de la terre : Esther Tellermann, par Michaël Bishop
    → (sur Remue.net)
    François Rannou / « D’où un homme est-il visible ? » | une approche de la poésie d’Esther Tellermann
    → (sur Recours au poème)
    une lecture d’Une odeur humaine d’Esther Tellermann par AP





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  • Jean-Paul Michel, Meditatio italica




    MEDITATIO ITALICA
    (extrait)








    [4]



    Peut-être est-ce la mer
    sous nos yeux, là — comme hier
    pour un égal probable
    dans un espace équivalent — qui
    à ce point donne sentiment
    de vie égale et de proximité —
    participer d’une rumeur commune
    tourner les yeux vers des points proches
    — dans le dos de la montagne — ici les mêmes o
    rangers — devant les mêmes
    eaux — me souvenant de l’impression
    de gaieté non personnelle qui me vint
    à marcher dans la Vieille Ville
    croisant des visages contemporains
    de tous les Orients comme
    de tous les âges
    avec ce seul sentiment
    d’une existence en cela seulement réelle
    que de la pluie ruisselait
    sur ce même front réellement






    [5]



    Devant moi quelques bris de poterie pi
    eusement recueillis à Paestum — dans
    ma poche encore je trouvai l’un
    de ces fragments tout-à-l’heure cherchant
    de quoi payer le café au bar — admirant
    des lézards éternels — d’un vert inconnu,
    pour moi grecs— tandis qu’entre les temples
    d’Héra un homme affairé ramasse
    des dents de lion sans le moindre trouble
    historique



    et

    mes sandales — sans plus couleur ni forme
    usées aux pavements des chaussées antiques
    — ironiques présences, pour cela chères — dans
    l’élégie





    Jean-Paul Michel, Meditatio italica [4], [5] [Retour de Pompéï, Naples, 1991], Le plus réel est ce hasard, et ce feu, éditions Flammarion, 1997, in « Défends-toi, Beauté violente ! », éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2019, pp. 142-143. Préface de Richard Blin.






    Jean-Paul Michel






    JEAN-PAUL MICHEL


    Jean-Paul Michel
    Source




    ■ Jean-Paul Michel
    sur Terres de femmes

    « Quand on vient d’un monde d’Idées, la surprise est énorme », par Matthieu Gosztola




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur « Défends-toi, Beauté violente ! »





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  • Éric Sautou, La vie éternelle, I




    LA VIE ÉTERNELLE, I




    Choses de l’oubli.
    La rime (avec le vent).
    L’autre nom (de votre solitude).
    L’immense nuit même s’y apaise.
    Jusqu’à de plus sombres degrés.
    Seule et inchangée à la vigie du phare.
    Ma tête, mon bocal, mon oursin.
    Fracas de l’étrave (falaise de craie).
    Une huître (fermée).




    Verre en pyrex (asparagus).
    Là, puis là, puis là encore ou bien là.
    Cognée aux vitres en vol.




    Petite fleur seulette de Walser.
    Tombée de son mouchoir (ou restée seule dans la main).
    Une fois l’écrin réouvert, cueillir, et n’offrir, à personne.




    L’échelle dans l’herbe (la pomme dans l’arbre).
    Traîneau (ou baldaquin de fée).
    En sa tour (dévastée).
    Enfant comme hier.




    Tombe la neige (que même regardent les étourneaux transis).
    Où mourir de tant de neige (parmi les herbes et les fleurs).
    Cœur vibrant du lapereau.
    Cœur humide du bouvreuil.
    Se défaire (et se défait).
    Au cœur de neige disparaît.



    Éric Sautou, « La vie éternelle », I, in Une infinie précaution, Éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2016, pp. 37-41.






    Eric Sautou  Une infinie précaution





    ÉRIC SAUTOU


    Sautou 2
    Ph. Sébastien Solidon
    Source





    ■ Éric Sautou
    sur Terres de femmes


    À son défunt (lecture d’AP)
    Beaupré (lecture d’AP)
    [c’était ça simplement ça] (extrait de Beaupré)
    [Lire les poèmes] (extrait des Jours viendront)
    [comme le héron je descends de ma fenêtre] (extrait des Vacances)
    [assise et seule assise] (extrait de La Véranda)
    La Véranda (lecture d’AP)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Éric Sautou
    → (sur le site des éditions Unes)
    la fiche de l’éditeur sur La Véranda
    → (sur Terre à ciel)
    une page sur Éric Sautou





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  • Catherine Weinzaepflen, Le Rrawrr des corbeaux

    par Angèle Paoli

    Catherine Weinzaepflen, Le Rrawrr des corbeaux,
    éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2018.



    Lecture d’Angèle Paoli




    « J’ATTENDRAI / LE TEMPS D’USURE / D’UN SAVON À L’AMBRE »



    De Sydney à Paris, Catherine Weinzaepflen écrit. Qu’elle soit en Australie, en France ou ailleurs, les livres ne la quittent pas. L’écriture non plus. Son dernier ouvrage en date est une suite de poèmes rassemblés sous le titre Le Rrawrr des corbeaux. En tout, 66 poèmes numérotés (en lettres majuscules et sans traits d’union entre les numéraux composés) auxquels viennent s’ajouter douze autres textes non numérotés, lesquels se glissent entre les pages. Étrange composition. Étrange contrepoint. Qui interroge et qui engendre une lecture à double entrée. La première en suivant, page après page, l’ordre d’occurrence des textes dans la suite composée par la poète. La seconde en récurrence, en commençant par la fin de l’ouvrage, c’est-à dire en consultant les deux ultimes pages portant l’intitulé :

    « Catherine Weinzaepflen avec : »

    Suit une liste de noms de poètes, écrivains et artistes, connus ou non du lecteur, chacun mis en correspondance avec un ou parfois plusieurs nombres. À partir de cette « table » d’un genre particulier tout s’éclaire. Le lecteur comprend que chaque poème s’inscrit dans un dialogue de la poète avec l’autre, lequel est quelquefois nommé dans le poème (Walt Whitman, Tim Winton, Reznikoff) ou dont on peut aussi saisir la présence à travers mots ou initiales (M.D.). L’autre : un tremplin pour l’écriture.

    L’écrivain ne part jamais de rien et l’écriture qui est la sienne se fait in praesentia des autres ; même si cette présence — et c’est ici le cas — semble partiellement cryptée pour le lecteur. La voix de Catherine Weinzaepflen entre en symbiose avec la voix de ceux ou de celles qui sont convoqués sur la scène d’écriture du livre. Jusqu’à se confondre. Parfois certains signes — titres, citations et initiales, allusions explicites — facilitent l’identification de l’autre. Ainsi du poème CINQUANTE QUATRE :

    « j’écoutais ce matin

    la voix de M.D.

    ici à Sydney

    la lumière d’un jour

    d’hiver ensoleillé

    Marguerite balayant ainsi

    une nuit de cauchemars

    […]

    il y a des tas de régions

    en toi

    qui se mettent à nu,

    disait-elle à son acteur

    et j’aime qu’elle dise région »

    Mais ce n’est pas toujours le cas. Il arrive que le poème ne se livre pas. Il garde alors son entier mystère. Quant à la poète, elle entre en symbiose avec les auteurs poètes et artistes qu’elle affectionne et qui structurent de longue date sa vie intellectuelle. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’une composition métissée, tableau ou suite narrative dans laquelle Catherine Weizaepflen se dévoile en dévoilant ses propres goûts littéraires, artistiques ainsi que sa sensibilité politique. Dominent dans ce panorama qu’elle nous offre de son arrière-pays culturel les auteurs australiens et anglo-saxons. Artistes et auteurs français sont aussi bien représentés. Je m’étonne de la présence solitaire de l’Allemand Friedrich Hölderlin, de celle, singulière, de la Japonaise Sei Shônagon. Et je remarque le trio italien représenté par Andrea Zanzotto, Erri De Luca et Dante Alighieri. Je ne suis cependant pas surprise de l’absence de la poète allemande Ingeborg Bachmann. Qui a déjà fait à elle seule l’objet de tout un ouvrage, intitulé Avec Ingeborg. Il est donc possible d’imaginer que Le Rrawrr des corbeaux est un prolongement de ce précédent ouvrage.

    Le titre de cette suite a de quoi inquiéter. Les corbeaux sont désignés par leur cri, « le rrawrr », onomatopée brute, sauvage (raw) et noire qui insiste sur le roulement des « r » et contient en miroir le mot war. Dès la première page (UN), la présence inquiétante des oiseaux est avérée. En nombre : « les corbeaux prolifèrent ».

    Les corbeaux se manifestent aussi dans les poèmes. Mais par intermittence. Annonciateurs de mort. Ils surgissent au travers des violences, dont les injustices et les désespoirs préparent le terrain. Ainsi du poème HUIT qui prend appui sur la colère de Jean-Jacques Viton :

    « les expulseurs les banquiers les politiques

    ça suffit maintenant ça suffit »

    et la poète d’enchaîner avec ses mots :

    « back home

    loin du Pacifique

    loin du bush aux fleurs minuscules

    le bush peuplé de mille oiseaux

    j’entends la voix de mon ami

    sa formidable colère

    ils disent nouveau gouvernement

    et je pense Fuck off

    alors où comment

    une autre vie

    tout est si désespéré mon ami »

    Viennent les attentats et les guerres. Gaza 2014 où « les enfants meurent déchiquetés / par les bombes ». Ou encore, en ONZE (Frank Smith), les strophes qui s’agencent autour de l’attentat du 7.01.2015 :

    « la scène qui annihile toute pensée :

    dans une pièce de 25 m2

    l’assassinat de 10 personnes

    à l’arme de guerre »

    Pour Catherine Weinzaepflen

    « la date retenue

    sera le 11.01.2015

    un million de personnes dans la rue… »

    La poésie de Catherine Weinzaepflen s’empare de ce qui fait le quotidien de C.W., où domine l’anglais, et celui des personnes avec qui elle fraternise. Celle-ci évoque ce quotidien sans pathos, soucieuse de coller au plus près au réel et de ne pas le perturber par ses propres réactions. Ainsi du poème SIX (qui ne fait référence ni allusion à aucun poète ou artiste) qui brosse dans un décor de guerre, de manière sèche et concise, une scène d’intimidation au pistolet, de mise en joue vécue en direct par la poète :

    « nuit

    ville en ruine

    noir

    tout est noir

    jellabas noires

    visages noirs

    les tueurs patrouillent

    […]

    deux tient un pistolet

    dans chaque main

    […]

    soudain des cris

    une agitation

    les tueurs partent en courant

    nous ne sommes pas morts »

    D’autres cruautés surgissent au détour d’une page. Ainsi de cette scène d’émasculation en Inde d’enfants offerts à la Divinité :

    « le médecin

    muni de machettes

    émascule le jeune garçon

    l’aura fait manger et dormir

    avant de le castrer »

    [DIX HUIT, Roberto Bolaño]

    L’économie des notations et l’absence de lyrisme qui caractérisent l’écriture de Catherine Weinzaepflen ne sont cependant pas synonymes de froideur. Ici ou là transparaît la trace d’une émotion. Souvent en lien avec le rêve. Ainsi d’Anna Torres dont, en DIX SEPT, elle clôt l’évocation par ces mots :

    « elle s’est tuée un jour d’août

    pendue

    je rêve parfois d’elle ».

    De même dans le poème TROIS, consacré à Sylvia Plath qui se conclut ainsi :

    « de mon côté

    dans la nuit noire sans lune de Sydney

    je caresse le souvenir d’eux »

    Eux : Sylvia / Assia (seconde épouse de Ted Hughes) / Shura (demi-sœur de Frieda qu’Assia tua avec elle / Nicholas, fils de Sylvia.

    Ailleurs, dans les poèmes qui ne renvoient à aucun artiste ou écrivain particulier, la poète évoque sa jeunesse. Ainsi du poème SOIXANTE TROIS. Un brin de nostalgie transparaît, lisible grâce à la disposition des mots sur la page :

    « nous étions jeunes

    et nous nous aimions

         follement

    […]

    mes plus belles années ?

    (pensée excessive sûrement) »

    Si les corbeaux, quelle que soit la forme que prend leur présence, sont à l’œuvre dans la poésie de Catherine Weinzaepflen, il demeure quelques trouées de lumière : « une sauterelle / venue d’on ne sait où » ; la « perfection d’un matin d’été ».

    Et ces quatre vers qui se détachent de DIX :

    « la pureté du matin

    un monde simple

    terrasse blanche

    sous un toit de canisses ».

    Ainsi, au milieu de tragédies devenues la norme, le bonheur se manifeste-t-il encore parfois, ténu mais présent malgré tout :

    « le bonheur

    advient

    par bribes ».

    Et la poète de conclure sa suite poétique par cet aveu singulier et intime :

    « j’attendrai

    le temps d’usure

    d’un savon à l’ambre ».

    Trois vers qui à eux seuls suffisent à susciter le désir d’une relecture.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Catherine Weinzaepflen  Le Rrawrr des corbeaux




    CATHERINE WEINZAEPFLEN


    Catherine Weinzaepflen
    Source




    ■ Catherine Weinzaepflen
    sur Terres de femmes


    Huit [avec Jean-Jacques Viton](extrait du Rrawrr des corbeaux)
    Avec Ingeborg (lecture d’AP)
    Celle-là (lecture d’AP)
    L’Odeur d’un père (lecture d’AP)
    [Quand j’ai onze ans] (extrait de L’Odeur d’un père)
    8 juillet 1593 | Naissance d’Artemisia Gentileschi (+ un extrait du roman Orpiment de Catherine Weinzaepflen)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    la terre est ronde




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site du cipM)
    une page bio-bibliographique sur Catherine Weinzaepflen (+ deux extraits d’archives sonores)
    → (sur le site des éditions Flammarion)
    la fiche de l’éditeur sur Le Rrawrr des corbeaux





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  • Catherine Weinzaepflen | Huit [avec Jean-Jacques Viton]



    HUIT



    les expulseurs les banquiers les politiques
    ça suffit maintenant ça suffit


    back home
    loin du Pacifique
    loin du bush aux fleurs minuscules
    le bush peuplé de mille oiseaux
    j’entends la voix de mon ami
    sa formidable colère
    ils disent nouveau gouvernement
    et je pense Fuck off
    alors où comment
    une autre vie
    tout est si désespéré mon ami

    quitter cette ruine fuir la défaite chercher
    des châteaux en forêt des cabanes dans les arbres

    suggères-tu
    ce matin un vieillard à barbe
    fouillait une poubelle verte
    récupérait des emballages de fast food
    les raclait de ses doigts qu’il léchait
    j’ai pensé à Noé
    celui de l’Arche oui
    nous autour
    noyés



    Catherine Weinzaepflen, Le Rrawrr des corbeaux, éditions Flammarion, Collection Poésie/Flammarion, 2018, page 16.






    Catherine Weinzaepflen  Le Rrawrr des corbeaux



    _______________________________
    NOTE d’AP : Le Rrawrr des corbeaux est disponible en librairie le 26 septembre 2018.




    CATHERINE WEINZAEPFLEN


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    ■ Catherine Weinzaepflen
    sur Terres de femmes

    Le Rrawrr des corbeaux (lecture d’AP)
    Avec Ingeborg (lecture d’AP)
    Celle-là (lecture d’AP)
    L’Odeur d’un père (lecture d’AP)
    [Quand j’ai onze ans] (extrait de L’Odeur d’un père)
    8 juillet 1593 | Naissance d’Artemisia Gentileschi (+ un extrait du roman Orpiment)
    → (dans l’anthologie poétique Terres de femmes)
    la terre est ronde



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur le site du cipM)
    une page bio-bibliographique sur Catherine Weinzaepflen (+ deux extraits archives sonores)
    → (sur le site des éditions Flammarion)
    la fiche de l’éditeur sur Le Rrawrr des corbeaux





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