Étiquette : éditions Gallimard


  • Arun Kolatkar | La Pause déjeuner de l’homme aux rats


    THE RAT-POISON MAN’S LUNCH POISON
    (extract)




    The woman pours some water from a mug
    for the man to wash his hands in the thali,

    which produces a passable drum solo,
    to act as a coda to one man’s lunch.

    They both get up; he says something to her,
    pats her affectionately on the bottom

    as she bends to pick up the sloppy thali
    and he turns away to reclaim his poster;

    and holding it before him like a shield,
    is ready, once again, to face the world,

    happy, once again, as wouldn’t be,
    with a singular truth to hide behind.








    LA PAUSE DÉJEUNER DE L’HOMME AUX RATS
    (extrait)




    La femme verse de l’eau au-dessus du thali*
    pour que l’homme se lave les mains

    et déclenche un solo de batterie passable
    qui clôt en fanfare le one-man-show.

    Ils se lèvent de concert, il lui dit quelques mots,
    lui donne une tape affectueuse sur le derrière

    alors qu’elle se baisse pour prendre le plat huileux,
    puis se détourne pour récupérer son affiche,

    la brandissant comme un bouclier
    et il se tient prêt, une fois encore, à affronter le monde,

    heureux, une fois de plus, on le serait tous à sa place,
    de s’abriter derrière une vérité unique.



    Arun Kolatkar, « La Pause déjeuner de l’homme aux rats », 6, Kala Ghoda. Poèmes de Bombay [Kala Ghoda Poems, 2004, 2006], édition bilingue, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard (n° 487), 2013, pp. 294-295. Préface de Laetitia Zecchini. Traduction de l’anglais (Inde) par Pascal Aquien et Laetitia Zecchini.



    _____________________
    * thali : repas comprenant plusieurs plats servis sur un plateau en métal.





    Arun Kolatkar





    ARUN KOLATKAR


    Arun Kolatkar portrait
    Ph. Tous droits réservés
    Source





    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Kala Ghoda. Poèmes de Bombay
    → (sur La République des livres)
    Du plaisir de traduire Arun Kolatkar, par Laetitia Zecchini





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  • Torquato Tasso | Tacciono i boschi e i fiumi



    Batista-Dossi-Allégorie-de-la-nuit
    Battista Dossi, Allégorie de la Nuit, vers 1543-1544
    Huile sur toile, 82 x 149,5 cm
    Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Gemäldegalerie








    TACCIONO I BOSCHI E I FIUMI



    Tacciono i boschi e i fiumi,
    E ’l mar senza onda giace,
    Ne le spelonche i venti han tregua e pace,
    E ne la notte bruna
    Alto silenzio fa la bianca luna ;
    E noi tegnamo ascose
    Le dolcezze amorose.
    Amor non parli o spiri,
    Sien muti i baci e muti i miei sospiri.







    SE TAISENT BOIS ET FLEUVES



    Se taisent bois et fleuves,
    Et la mer sans vague repose ;
    Dans leurs grottes, les vents connaissent paix et trêve
    Et dans la nuit brune,
    La lune blanche répand son grand silence ;
    Et nous deux tenons secrètes
    Nos cajoleries amoureuses :
    Qu’Amour ne parle ni ne souffle,
    Muets soient nos baisers et muets mes soupirs.




    Torquato Tasso, Rimes, in Anthologie de la poésie italienne, édition établie par Danielle Boillet, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, pp. 788-789. D’après une traduction d’André Rochon.




    TORQUATO  TASSO


    Alessandro Allori   Portrait of Torquato Tasso 1585-90
    Alessandro Allori (1535-1607),
    Portrait de Torquato Tasso, 1585-90
    Huile sur toile,
    Galleria degli Uffizi, Florence





    ■ Torquato Tasso
    sur Terres de femmes


    Comment l’amour vient aux bergers et bergères
    Di nettare amoroso




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    15 mai 1567 | Naissance de Claudio Monteverdi (+ « Ecco mormomar l’onde » de Torquato Tasso)
    → (sur YouTube)
    « Tacciono i boschi e i fiumi » de Torquato Tasso dit par Sergio Carlacchiani





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  • Alain Duault | Comprendre la poésie


    COMPRENDRE LA POÉSIE
    (extrait)




    Dans quelle « île » peut-on apercevoir la beauté, par quelle fente du ciel ? Dans le fond d’une grotte ou au sommet d’une montagne-vigie ? Peut-être dans l’eau qui la cerne, bleue, verte, changeante – et transparente quand je m’approche, quand j’essaie de la saisir entre mes mains ? Peut-être dans le reflet de la lumière sur une épaule inconnue ? Alors que la beauté est comme. Le ciel, le secret de la grotte, la transparence de l’eau, le désir que fait naître la peau. Le beau serait-il donc ce qui retient le temps dans la forme, contre la pourriture, contre la corruption ? Quand Milan Kundera écrit que « la laideur s’empare du monde », il ne pointe en fait qu’une réalité sociologique, un effet – dont la cause demeure le désir de beauté que manifeste en creux une telle phrase. La beauté nous est nécessaire, résistance à la putréfaction, expression d’une sorte de chœur au fond de nous, au fond de la langue, résurgence face à la violence illimitée du monde et à la dégradation de plus en plus grande de nos destins misérables ? Ou n’est-elle qu’une immanence à découvrir, à interroger – puisqu’elle ne nous appartient pas, jamais ? Ou bien encore n’existe-t-elle que dans la célébration, la poésie, l’art, la musique ?



    Alain Duault, « Comprendre la poésie », La Poésie, le ciel, Petite méditation lyrique, éditions Gallimard, Hors série Littérature, 2020, page 78.





    Alain Duauly  La Poésie  le ciel couv



    ALAIN DUAULT


    Alain Duault
    Source




    ■ Alain Duault
    sur Terres de femmes


    [Il n’est peut-être pas trop tard] (poème extrait de La Cérémonie des inquiétudes)
    [Tempêtes tempêtes] (poème extrait de L’Effarant Intérieur des ombres)
    Le dos (poème extrait de Nudités)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur La Poésie, le ciel
    l’humeur d’Alain Duault (le blog d’Alain Duault)






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  • Kiki Dimoula | La pierre périphrase


    Η ΠΕΡΙΦΡΑΣΤΙΚΗ ΠΕΤΡΑ



    Mίλα.
    Πες κάτι, οτιδήποτε.
    Μόνο μη στέκεις σαν ατσάλινη απουσία.
    Διάλεξε έστω κάποια λέξη,
    που να σε δένει πιο σφιχτά
    με την αοριστία.
    Πες:
    «άδικα»,
    «δέντρο»,
    «γυμνό».
    Πες:
    «θα δούμε»,
    «αστάθμητο»,
    «βάρος».
    Υπάρχουν τόσες λέξεις που ονειρεύονται
    μια σύντομη, άδετη, ζωή με τη φωνή σου.

    Μίλα.
    Έχουμε τόση θάλασσα μπροστά μας.
    Εκεί που τελειώνουμε εμείς
    αρχίζει η θάλασσα.
    Πες κάτι.
    Πες «κύμα», που δεν στέκεται.
    Πες «βάρκα», που βουλιάζει
    αν την παραφορτώσεις με προθέσεις.
    Πες «στιγμή»,
    που φωνάζει βοήθεια ότι πνίγεται,
    μην τη σώζεις,
    πες
    «δεν άκουσα».

    Μίλα.
    Οι λέξεις έχουν έχθρες μεταξύ τους,
    έχουν τους ανταγωνισμούς:
    αν κάποια απ’ αυτές σε αιχμαλωτίσει,
    σ’ ελευθερώνει άλλη.
    Τράβα μία λέξη απ’ τη νύχτα στην τύχη.
    Ολόκληρη νύχτα στην τύχη
    Μη λες «ολόκληρη»,
    πες «ελάχιστη»,
    που σ’ αφήνει να φύγεις.
    Ελάχιστη
    αίσθηση,
    λύπη
    ολόκληρη
    δική μου .
    Ολόκληρη νύχτα.

    Μίλα.
    Πες «αστέρι», που σβήνει.
    Δεν λιγοστεύει η σιωπή με μια λέξη.
    Πες «πέτρα»,
    που είναι άσπαστη λέξη.
    Έτσι, ίσα ίσα,
    να βάλω έναν τίτλο
    σ’ αυτή τη βόλτα την παραθαλάσσια.




    Κική Δημουλά, Από τη συλλογή, Το Λίγο του κόσμου, εκδόσεις Νεφέλη, Ἀθήνα, 1971, in Ποιήματα, Ίκαρος, Ἀθήνα, 2005.





    Kiki Dimoula poiemata







    LA PIERRE PÉRIPHRASE



    Parle.
    Dis quelque chose, n’importe quoi.
    Mais ne reste pas là comme une absence en acier.
    Choisis ne serait-ce qu’un mot,
    qui te liera plus étroitement
    à l’indéfini.
    Dis :
    « en vain »,
    « arbre »,
    « nu ».
    Dis :
    « on verra »,
    « impondérable »,
    « poids ».
    Il y a tant de mots qui rêvent
    d’une vie brève, sans liens, avec ta voix.

    Parle.
    Nous avons tant de mer devant nous.
    Là où nous finissons
    la mer commence.
    Dis quelque chose.
    Dis « vague », qui ne tient pas debout.
    Dis « barque », qui coule
    quand trop chargée d’intentions.
    Dis « instant »,
    qui crie à l’aide car il se noie,
    ne le sauve pas,
    dis
    « rien entendu ».

    Parle.
    Les mots se détestent les uns les autres,
    ils se font concurrence :
    quand l’un d’entre eux t’enferme,
    un autre te libère.
    Tire un mot hors de la nuit
    au hasard.
    Une nuit entière au hasard.
    Ne dis pas « entière »,
    Dis « infime »,
    qui te laisse fuir.
    Infime
    sensation,
    tristesse
    entière
    qui m’appartient.
    Nuit entière.

    Parle.
    Dis « étoile », qui s’éteint.
    Un mot ne réduit pas le silence.
    Dis « pierre »,
    mot incassable.
    Comme ça, simplement
    pour mettre un titre
    à cette balade au bord de mer.




    Kiki Dimoula, Le Peu du monde [Το Λίγο του κόσμου, Ἀθήνα, 1971] in Le Peu du monde suivi de Je te salue Jamais, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2010, pp. 99-100. Traduit du grec par Michel Volkovitch.





    Kiki Dimoula  Le Peu du monde





    KIKI DIMOULA (1931-2020)


    Kiki_dimoula-2
    Source





    ■ Kiki Dimoula
    sur Terres de femmes


    Autoconservation (extrait du Peu du monde)
    Temps allongé (extrait de Mon dernier corps)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site de Michel Volkovitch)
    d’autres poèmes de Kiki Dimoula
    → (sur Poetry International)
    dix poèmes de Kiki Dimoula
    → (sur Lumière des jours, le blog de Jacques Ancet)
    un article de Jacques Ancet (« Tristesse de fond ») sur la poésie de Kiki Dimoula
    → (sur YouTube)
    Kiki Dimoula lisant Φωτογραφία 1948. Pour lire la traduction cliquer ICI
    → (sur le site du Σπουδαστήριο Νέου Ελληνισμού/Center for Neo-Hellenic Studies)
    trois poèmes de Kiki Dimoula (dont Ο πληθυντικός αριθμός) dits par elle-même
    → (sur YouTube)
    Ο πληθυντικός αριθμός, de Kiki Dimoula, dit et interprété par Τάνια Τσανακλίδου. Pour lire la traduction, cliquer ICI
    → (sur books.google.fr)
    Anthologie de Kiki Dimoula, par Eurydice Trichon-Milsani






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    » Retour Incipit de Terres de femmes


  • Olivier Rolin , Extérieur monde

    par Bernadette Engel-Roux

    Olivier Rolin , Extérieur monde,
    Éditions Gallimard, Collection blanche, 2019.



    Lecture de Bernadette Engel-Roux



    Extérieur monde ne sera pas le récit de plus, d’un voyage de plus à travers les steppes orientales, les déserts arabes, les vastitudes latines. Un temps d’arrêt plutôt. Un homme, un écrivain, et cela change les choses, et qui a passé le milieu du chemin de la vie, ici voyage autour de sa chambre. Aux murs et partout (on imagine) les livres lus, beaucoup relus, aimés, marqués de bleu comme la peau des femmes aimées. Et devant soi, des dizaines de carnets bourrés de papiers, couverts de notes, tenus au fil du temps, au cours des voyages, pour garder trace de ce qui eut tant de prix qu’on en voudrait aussi, par ces gribouillis, conserver le fantôme, la chair du monde qui fut aussi un peu la chair de soi, pour se prouver que cela fut vraiment à l’heure où l’on a tout perdu, si l’on venait à douter ? Pour se tenir compagnie aussi – on est si souvent seul. Et enfin la mémoire qui reflue, ramène, mêle sur la grève du présent – où l’on va seul – ses épaves, ses trésors, ses cadavres, ses reliques et qui comme elle (la mémoire) sait le faire merveilleusement, les noie dans sa brume, les trouble, les rend de nouveau infiniment désirables — mais on ne tend jamais les bras que vers une Ombre, simillima somno.

    Entre ces trois points cardinaux : les livres, les carnets, la mémoire, un homme, un écrivain, piétine et ne s’apaisera que s’il parvient à faire de tout cela un autre livre — celui que nous tenons dans nos mains — à cette heure il n’en est pas sûr, ni de quelle forme il aura, ni s’il aura forme. Mémoires, non, rien moins que l’aura d’un siècle autour de soi, à la manière du Vicomte. Recherche, non, ce ne sera pas cette cathédrale du Temps perdu et retrouvé, de si admirable architecture, aux chapelles si ouvragées — on n’est pas esthète à ce point, ni reclus en sa chambre enliégée : le monde est trop beau dehors. Ni confessions : « je n’ai aucun goût pour ». Ni Je me souviens, ni Choses vues, malgré et pour l’admiration émue qu’on en a.

    Digressions, c’est certain. Mais pas en titre, ce qui indiquerait une méthode, un procédé. C’est le monde qu’il faut indiquer, quand il y a eu cette « curiosité » avide (l’une des raisons, mais pas seulement) qui a poussé dehors celui qui écrit. C’est une démarche digressive qui a conduit les pas, qui conduira ce livre, s’il se fait : « Je digresse, c’est ainsi que j’avance ». Mais pas « à sauts et à gambades ». On a perdu l’allégresse du cavalier de la pensée, on n’en a pas le génie.

    Embardées, bifurcations : « Les verres de vin du Chili me font bifurquer vers Chicago » — la mémoire comme ce Jardin aux sentiers qui bifurquent : docilité à ses reflux imprévisibles ses marées noires parfois, à ses remous, à ses dépôts qu’elle remportera — donnent lieu à ces séquences inégales en quantité dont la succession est la seule composition de ce livre non composé.

    On pourrait faire le relevé des incipit de chacune des séquences. Tous font lever des flots un visage un corps (une femme aimée, un ami), un paysage (ville, port, désert), une page de livre, et même une Bibliothèque. Tous sont Choses vues, senties, vécues surtout, et intensément. Mais filtrées par le temps qui a passé, ramenées avec le flou (« ce bougé fait partie du fatras de ma mémoire ») de la mémoire affective qui n’est pas celle de l’ordinateur, accrochées par l’hameçon d’un mot, d’un nom, d’un prénom. À l’entrée des portes cimmériennes, un homme les convoque pour les poser dans les mots de la langue. Une nekuia.

    Un boutre, un ferry-boat, un tarmac, une Toyota, un bimoteur (en attendant la barque de Charon)… on ne monte jamais que sur les embarcations qu’approche la mémoire. Chaque incipit est un embarquement pour le lecteur, peut-être un débarquement pour celui qui écrit et qui repose, illusoirement, le pied sur une plage, une piste, un seuil, un quai : « Je me souviens d’un voyage avec elle dans ce petit train qui longe le Tage… ». Il s’avance dans les salles et les jardins de brume d’un Château de Laze. Chaque incipit ouvre une station, une stase, ce livre pourrait n’avoir pas de fin. Il n’est fait que de l’accueil et de la saisie incertaine, douloureuse parfois, d’Ombres de corps et d’Ombres de lieux, oui, semblables au songe.

    La plupart des livres de Rolin sont ainsi composés, ou plutôt non composés ; ils s’écrivent dans un mouvement spiralé, tournoyant, parfois vertigineux (L’Invention du monde, Tigre en papier), révolutionnaire, au sens cosmique (Jean-Christophe Bailly a parlé de vortex) mais qui ramène toujours au noyau éclaté de l’homme qui a vécu ce qu’il écrit tout en ayant fixé quelquefois des centres géographiques à ses divagations : le Luxembourg est, avec un autre « lieu maritime », « l’autre foyer de mes orbites désordonnées ».

    Alors, se laisser surprendre par les embardées de la mémoire, recueillir pieusement (il y a beaucoup de la pietas antique dans ce livre, qu’on me pardonne de le sentir ainsi) ce qu’elle dépose sur les grèves, en ressaisir par les mots quelques fragments, leur redonner cette vie simulacre que confère l’écriture mais qui grise tout de même et apaise : Da quietud al alma, « comme disait Don Luis » quand tout vient à faillir. L’écriture (graphie et texte) est peut-être l’une des rares choses qui s’affermissent avec le temps :

    « tout ne se déglingue donc pas à mesure qu’on vieillit ».

    L’homme dans sa chambre, l’écrivain avec ses mots, s’arrête et prend la mesure du temps : en amont, le temps qui a passé (humble suggestion : Extérieur monde, moins un récit de voyages-paysages qu’un livre du Temps…), en aval, le temps qui reste. L’inégale balance emplit de mélancolie (la mélancolie est la couleur de ce livre, autre impression personnelle). C’est la conscience aiguë de cette balance irréversible qui est l’« une des mesures du temps qui passe, qu’on nomme désormais : le temps qui reste ». Non qu’on s’afflige tant de devoir quitter la place, vider les lieux, il faudra bien (Montaigne et Ronsard l’ont bien su et dit), mais parce que « ces minutes heureuses… blotti dans tes genoux », ces pays abandonnés loin en arrière, c’est la beauté même de la vie, et que tout ce passé amont a fait ce que nous sommes :

    « Nous sommes tout tramés de passé, qui est aussi la matière même de la littérature ».

    En pause un moment, le temps d’écrire ce livre imprévisible, l’homme entreprend le « déballage », vide son sac. Il en tombe des morts, il en tombe du pain, comme de l’armoire de Guillevic : « cartes postales, timbres, feuilles séchées, tickets de métro ou de bus… », éclats de plâtre… tous billets d’entrée aux vastes salles du passé. Chacune de ces miettes « libère une bribe d’histoire ».

    Mais tant de ceux avec qui il a vécu ces histoires sont morts. Le plus atroce des dons du temps qui passe est la mort qui a emporté tant d’amis. À un moment du livre, le « pius poeta » dresse un obituaire bouleversant. C’est le nom prononcé trois fois selon le rite qui ouvre la convocation des morts. Les amis sont appelés dans leurs beaux prénoms de vifs. Le plus connu est « Bob, le faune de Verdier dont j’ai appris la mort un jour de neige et de solitude, à Moscou ». À Serge qui est en train de mourir, l’offrande d’une trentaine de pages. Ici s’ouvre une séquence magnifique, non : sublime. On peut pleurer à la lire. Le temps qui a passé a pu effacer les êtres aimés et jusqu’aux « violentes émotions » qu’ils ont causées, « mais non l’ombre qu’est leur souvenir ».

    Extérieur monde est aussi un livre d’Ombres. « Car l’amour aussi s’en va », « comme cette eau courante ». C’est souvent le ton, presque le timbre d’Apollinaire, celui de « Zone », qu’on y entend. Avec cette façon de s’y parler à la deuxième personne (Michaux aussi, moins de mélancolie, plus de dérision) pour se mettre à distance. Nostalgie pour le ton, mélancolie pour la couleur, le tout revendiqué : « Je suis, au sens strict, un nostalgique », quand de jeunes abrutis, « maniaques d’un présent frelaté ont fourré dans les petites têtes d’aujourd’hui que ce sentiment qui est celui d’Ulysse, l’inventeur du nostos, était une maladie honteuse ». Critique acerbe ponctuée de cette confession amère et triste infiniment :

    « je n’ai pas d’Ithaque, aucune Pénélope, et ce retour est sans fin ».

    La mort n’a tout de même pas tout pris, pas encore à cette heure. Le temps qui passe a abandonné quelques vestiges. Les villes, les sites, résistent mieux que notre chair périssable. « Le port de Souakim, au Soudan » n’avait pas changé. Mais quels spectacles étonnants elles/ils offrent quelquefois ! « La forme d’une ville change plus vite, hélas… ». Même lorsqu’il arrive que pour tel lieu, ce soit mieux maintenant, l’écrivain garde la nostalgie de ce qu’il a connu. Et combien plus pour les amis ! Les retrouvailles avec eux, vingt ans, trente après — et c’est presque toujours pour les obsèques de l’un ou l’autre, occasion de se dire : à bientôt mon tour — c’est presque toujours la soirée chez les Guermantes.

    Mais… mais il y a les femmes. Les femmes sont le miracle du monde. Il y a des moments, rarissimes d’accord, vraiment heureux, des « capsules » de bonheur pur, fût-ce au prix « d’une opération d’optique magique ». « Vieil amoureux mélancolique », soit, mais Rolin est un amoureux fou des femmes. Pas une seule des Très Aimées ne revient vieille. Dans les pages de l’amant qui écrit, elles ont toutes la jeunesse éternelle. Ou alors, si une deuxième rencontre a lieu, c’est qu’un dieu protège telle amante d’autrefois.

    « J’avais peur que nous ne nous reconnaissions pas, une trentaine d’années avaient passé ».

    Et voici le miracle, le don des dieux :

    « Elle m’attendait, et c’était la même ».

    Joie. Joie. Pleurs de joie.

    « Elle était si environnée d’images d’autrefois que je la voyais à travers elles, le passé en quelque sorte l’enveloppait… » .

    La page est à lire, absolument. Belle à pleurer, comme cette femme.

    Sur soi-même, aucune nuée ou pluie divine qui fasse élixir ou bain de jouvence. Constat général de délabrement : usé, vieilli, gris, ce ne sera jamais un portrait en gloire. Chez les Guermantes, on imagine sans mal ce que les autres voient de soi. Pour lui-même, Rolin est sans complaisance.

    « Deux jeunes, à Shanghai, m’ont offert leur place dans le métro. Il faut s’y faire »…

    ou alors, choisit la dérision :

    « Ulysse au petit pied ».

    Enfin, la discrétion des descriptions de soi ne tient pas au désir de passer sous silence le délabrement, mais à la pudeur. Il y a tellement mieux à dire.

    Si portrait il y a, alors ce sera un portrait en creux. Une image revient : « celle d’un jeune ramendeur de poteries, en Égypte, à Saqqara ». De tessons épars. « À la fin de la journée, il pouvait avoir reconstitué un vase canope » …

    « C’est le même genre de travail que j’entreprends : rabouter, coller des dizaines d’éclats de souvenirs, en recomposer un vase imparfait, fracturé, dont je ne serai que le vide central ».

    Les mille détails « d’immenses paysages parcourus maintes fois en train » sont les mille détails adorables de notre terre de vivants, mais ils servent aussi de toile de fond au reflet d’un visage sur la vitre, ils recomposent un portrait par défaut :

    « comme si tu n’étais pas autre chose que le dessin vide où passent ces arbres, ces baraques, ces marécages, ces fleuves… un portrait de l’artiste en globe terrestre », en quelque sorte. Le « soi » n’est fait que de ce matériau qu’est le monde et que sont les autres.

    « Une vie n’est pas que sa propre petite vie individuelle […] elle est faite de ces innombrables rencontres […] Ces autres vies ont à petits coups forgé la tienne ».

    Bien modeste portrait de soi que ce portrait en creux. Que confortent les lignes de El Hacedor de Borges, mises en exergue. On en revient au point de départ.

    Les êtres aimés, les carnets de notes et les livres lus, les paysages du monde, c’est de tout cela que se compose ce que « je » suis. Rien de moins qu’une glorieuse monade.

    « Chacun a déposé en moi quelque chose que je ne saurais pas nommer, pas une “leçon”, certainement pas, plutôt une très mince pellicule, de savoir, d’émotion, de rêve, et toutes ensemble ont composé à la fin ma vieille écaille jaspée de tortue marine… Chacun fait, sans le savoir, partie de mon immense famille. »

    On se souvient de … « pas d’Ithaque, aucune Pénélope »… Rien de moins, donc, que le prestigieux rejeton d’une lignée généalogique, non, mais la ramification infime et infinie d’une immense famille. Et c’est beaucoup plus beau de « se » voir ainsi.

    Cela interdit le désespoir. Extérieur monde peut avoir par moments le ton d’une affligeante mise au point, d’un bilan négatif. Ce serait peut-être mal lire. Il y a une énergie interne qu’on voudrait dire « l’amour qui meut le soleil et les autres étoiles », et dans les dernières pages un vrai coup de fouet, une rébellion qui les dynamise. Extérieur monde n’est pas un livre morose ou funèbre.

    « Testamentaire, et quoi encore ? On ne baisse pas le rideau, jamais de la vie ! »

    De la vie, c’est le mot. Vivre est une chose stupéfiante, un don merveilleux qui mérite gratitude. Dum spiro spero.

    « Ces carnets ne seront pas les derniers, c’est donc décidé. »

    Non que l’œuvre importe plus que la vie, comme pour Proust. Il importe de vivre sans que cela soit porté par aucune foi. Il faut croire en l’amour pour tout ce qu’il a donné, l’amour qui rend pourtant « cinglé » : « le moindre moment d’un bonheur souhaité… », dans la version Rolin : quand « on ne souffre même plus, quel ennui ! ». Il faut croire à tout ce que les livres des grands autres nous ont donné, cette richesse des plus belles pages lues, relues, apprises par le cœur. Il faut croire en la beauté vertigineuse du monde :

    « Le monde est tout de même un objet assez vaste et bigarré, qui mérite qu’on y aille voir ».

    Certes, on ne part pas toujours de gaîté de cœur et sans doute y a-t-il eu souvent au principe des départs « une envie de disparaître ». « Quelque chose…comme s’estomper, s’effacer », « une esquive mélancolique ». Mais pas seulement. Partout le monde a déployé son extérieur fastueux, misérable, insolite, éblouissant, fascinant, « spectacle somptueux ». Si vieux, usé, désabusé soit celui qui y a roulé sa bosse, écrit ce livre, il lui reste au cœur « la curiosité », « plus élémentaire encore, plus enfantin, le désir de voir ». Et le désir d’entendre, ici, là-bas, partout la polyphonie du monde dont le Jardin du Luxembourg répercute les échos :

    « Toutes les langues du monde tournent et se mélangent autour du bassin, dans un poudroiement de poussière dorée, se nouent un bref moment et se dénouent. Toutes les langues que j’aime à l’égal de la mienne, qui sont les voix multiples du monde, que j’aimerais tant parler comme je parle la mienne ».

    Le monde aussi comme une vaste langue sonore.

    Alors, dans les dernières lignes du livre, après l’aveu bouleversant : « Désemparé soudain, seul », ce coup de fouet :

    « Qui fait qu’on recommencera, tant qu’on en aura la force — comme on continuera à se laisser étonner, et instruire, et façonner par le monde. »

    Le dernier mot sera le monde. Extérieur monde.



    Bernadette Engel-Roux
    D.R. Bernadette Engel-Roux, septembre 2019
    pour Terres de femmes






    Olivier Rolin  Extérieur monde 2





    OLIVIER ROLIN


    Olivier Rolin NB
    Source.
    Ph. Isabelle Rimbert. Tous droits réservés.






    ■ Voir aussi ▼

    → (sur En attendant Nadeau)
    « Portrait de l’artiste en globe terrestre » (une lecture d’Extérieur nuit, par Norbert Czarny






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  • Nimrod, La Traversée de Montparnasse

    par Angèle Paoli

    Nimrod, La Traversée de Montparnasse,
    éditions Gallimard,
    Collection Continents noirs, 2020.



    Lecture d’Angèle Paoli


    LA DURE EXPÉRIENCE DU VISAGE





    La Traversée de Montparnasse, dernier roman de l’écrivain et poète Nimrod, s’apparente pour partie au continent imaginaire de Patrick Modiano. L’exergue, emprunté au Prix Nobel, donne d’emblée la tonalité de ce récit. Et, comme chez Modiano, les errances subtiles du personnage principal conduisent le lecteur à travers les rues de Paris, celles du quartier Montparnasse qu’il écume jour après jour, de cafés en brasseries, de jardins en cimetière, avec parfois quelques échappées vers le lointain boulevard Pereire, aux antipodes de Vavin et du boulevard du Maine. Comme dans les romans de Modiano, l’essentiel est ailleurs que dans l’histoire elle-même. Et l’histoire elle-même — malgré l’irruption de l’événement qui prélude à la déroute finale de Gennevilliers — pourrait se résumer en quelques lignes. Parce que, chez Nimrod comme chez Modiano, tout, ou presque tout, se déroule dans les linéaments d’une pensée qu’agitent supputations, élucubrations, interrogations, silences… Et l’écriture, magnifique, accomplit le miracle de l’indicible. De sorte que deviser sur le roman de Nimrod est entreprise délicate.

    Le titre du roman, La Traversée de Montparnasse, est un titre trompeur. Une fois le livre refermé, ce titre résiste. Et garde sa part de mystère. Pourtant, il laisse à penser que seule la capitale française est au centre, unique objet des déambulations auxquelles se livrent les personnages. Or ce titre est un titre en trompe l’œil qui nécessite de déplacer sans cesse le regard. Car il est un autre lieu que le héros arpente, tantôt de manière réelle tantôt par le détour de la mémoire et le recours à l’analepse. Ce lieu, c’est l’Afrique. Et plus précisément la Côte d’Ivoire.

    Kouassi — le lecteur découvre son prénom au cours d’un dialogue — va donc parcourir le globe à grandes enjambées, se perdre en tours et détours, du Nord au Sud et du Sud au Nord ; traversant la Méditerranée pour se rendre dans son pays d’origine ou pour revenir à Paris. Abidjan, Yamoussoukro ou Bingerville où il est né n’ont pas de secrets pour lui. Pas plus que Vavin, la Gaîté-Montparnasse ou le jardin du Luxembourg. Le lecteur navigue donc sans cesse entre deux mondes que tant oppose. Existe-t-il entre l’Homo sapiens de l’hémisphère Nord et l’Homo sapiens de l’hémisphère Sud des points de rencontres possibles ? Ces points de rencontre sont-ils fiables ? Et durables ? Le lecteur et le personnage de Kouassi y croient un temps. Ils cherchent du moins à s’en persuader. Mais les certitudes se lézardent et il arrive que le trouble s’installe, remettant en question ce que l’on tenait pour acquis. Ainsi de cette petite phrase qui affleure dans le chemin de pensée de Kouassi après sa rencontre avec Jules : « Que s’était-il passé entre temps ? Avais-je réintégré le sérail ivoirien ? ». Interrogation qui pourrait passer inaperçue, malgré le constat énoncé dans la phrase introductive de l’incipit : « En me rendant au dîner de Jules ce soir-là, mes épaules se sont affaissées sous le poids de mes vingt-cinq ans. » Une interrogation cependant qui prend tout son sens dans le dernier chapitre du roman. Avec la diatribe que Pierre, ami de Jules et de Kouassi, énonce en plein dîner et qu’il adresse à l’ami ivoirien. « Sortie » fatale, dont la jalousie de Pierre et son caractère fantasque sont peut-être la cause.

    Comme il le dit de lui-même, Kouassi est un « dandy ». Par l’esprit et par la mise. Il s’habille avec soin et cultive ses contradictions avec élégance. Ce « vieux parisien » est un « ivoirien à part ». Éternel étudiant, il est lettré, sensible, bien élevé, distingué, dilettante, plein d’humour. Et riche. Il n’affiche pourtant rien de ses origines et s’évertue à cacher son aisance. Amoureux des grands arbres du jardin du Luxembourg ou du Bois de Boulogne, il l’est aussi de la « Montagne imaginaire » de Montparnasse. Ce qu’il aime et qu’il recherche infatigablement, c’est le couplage entre urbanisme et canopées. D’une forêt à l’autre, de la parisienne à l’ivoirienne, il n’y a qu’un pas que ce doux rêveur s’ingénie à franchir, chaque fois qu’il sort humer l’air de la rue Vavin.

    La vie parisienne du jeune homme se passe en rendez-vous avec « la bande ». Mais plus encore avec son ami éditeur, Jules, à qui il vient de confier une série de poèmes. Rencontres animées dans les brasseries du quartier. De rêveries en échanges, toujours reviennent, au détour d’une conversation ou d’une remarque, les origines africaines. Les siennes — il appartient au peuple Baoulé — et celles de son pays. Ensemble elles forment un tissu complexe et fécond. Fait de légendes et haut en couleur. Auquel le jeune homme est très attaché. Orphelin, fils adoptif du président de la nation ivoirienne, il a été accueilli par un jeune couple qui l’a élevé dans l’amour et dans l’aisance. Kouassi voue à ses parents, quels qu’ils soient, une reconnaissance éternelle. Grâce à sa filiation avec le « père de la nation », il s’est acquis une généalogie glorieuse. Et s’est surtout acquis un « guide », admirable tant par la sagesse que par la grandeur. Il reconnaît en lui un géant de l’Histoire. Qu’il se doit de défendre « parce que cela engage l’identité ivoirienne. » Il arrive aussi parfois que Kouassi éprouve la tentation de se rendre à l’orphelinat de Bingerville où il a passé les cinq premières années de sa vie.

    Quant à Florence Nguessan, sa mère adoptive, Kouassi dit lui appartenir « par le sang, l’amour et l’antre utérin de la pensée. » C’est de Florence, ardente protectrice de la forêt, que Kouassi détient son savoir sur l’homo sapiens. Un savoir que sa mère, une érudite à qui l’on doit « le concept de littérature chlorophyllienne », fait remonter au paléotchadien. Or, chaque fois que Kouassi se trouve en difficulté avec ses amis français, lors du « fiasco du Select » par exemple, il s’envole vers les canopées d’Afrique. C’est au-dessus des arbres qu’il se régénère. C’est là qu’il respire et renoue avec son père présidentiel : « Lorsque les siens sont en danger, il les évacue dans ses plantations. C’est un homme chlorophyllien, ainsi se résume sa sagesse. »

    Entre autres talents, Kouassi possède celui de lire sur les visages, d’en décrypter les inflexions. Nul n’échappe au regard incisif et à la perspicacité du jeune homme. Pas même Jules en qui il lit la capacité de passer de l’homo sapiens du Nord qu’il est à l’homo sapiens du Sud. Mais sans doute Jules n’en a-t-il pas conscience. Seul un « ivoirien parisien » tel que Kouassi peut lire et comprendre de telles traversées dans le visage d’une même personne. Comme dans cet extrait :

    « Jules, le garçon bien sous tous rapports, dès qu’on discute des belles-lettres, s’apparente trait pour trait à l’homo sapiens du Sud. Son visage se détend, le bleu de ses yeux s’intensifie. Il devient viril.

    Hors de la poésie, le contrôle de soi confère à son visage ce petit air conspirateur qui est la marque des timides. Ses yeux deviennent bleu-vert sous des sourcils grisonnants. Ils battent en retrait devant la moindre provocation. Il rougit comme une jeune fille en fleurs… ».

    Chaque rencontre fait ainsi l’objet d’analyses subtiles qui passent par le regard. Visages et regards jouent un rôle primordial dans les relations que Kouassi entretient avec son entourage. Étroitement liés l’un à l’autre, le motif du regard et celui du visage constituent l’une des trames les plus fines du roman. En se frottant à ses amis occidentaux, le subtil Kouassi fera la dure expérience de son propre visage et du regard d’autrui sur lui-même. L’amitié volera en éclats. Au profit de l’amour ? C’est ce que l’excipit de cet admirable roman laisse présager.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Nimrod  La Traversée de Montparnasse




    NIMROD


    Nimrod 2





    ■ Nimrod
    sur Terres de femmes


    [J’ai aimé ma mère] (poème extrait de Sur les berges du Chari, district nord de la beauté)
    Nimrod | Des « paroles plus précieuses que l’or » (chronique d’AP)
    L’enfant n’est pas mort (lecture d’AP)
    Gens de brume (lecture d’AP)
    [je suis la dernière figure de l’homme] (poème extrait de Babel, Babylone)
    L’herbe (poème extrait d’En Saison)
    Sous les étoiles
    Sur les berges du Chari (lecture d’AP)
    [Tu poseras ton faix] (poème extrait de J’aurais un royaume en bois flottés)
    Le roman s’achève (poème extrait de Petit Éloge de la lumière Nature)
    Le Temps liquide (lecture d’AP)
    En remontant le Lac Tchad (extrait du Temps liquide)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site de la Mél, Maison des écrivains et de la littérature)
    une notice bio-bibliographique sur Nimrod
    → (sur le site du Point)
    un entretien de Nimrod avec Valérie Marin La Meslée
    → (sur Africultures)
    une lecture de La Traversée de Montparnasse par Aminata Aidara
    → (sur le site de la revue Project-îles)
    une rencontre avec Nimrod (24 novembre 2020)





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  • Olivier Rolin | [Le jardin du Luxembourg, centre de mon zodiaque]




    Jardin du Luxembourg
    Source







    [LE JARDIN DU LUXEMBOURG, CENTRE DE MON ZODIAQUE]



    Toutes les saisons tournent autour du bassin du Luxembourg, celles de l’année et celles de la vie, c’est mon étoile polaire, mon horloge astronomique, le centre de mon zodiaque.

    […]

    Les arbres se teignent à l’automne des couleurs du raisin mûr, les coups de vent en lèvent des vols d’étincelles, la course des nuages fait défiler, dans les flaques laissées par l’averse, comme un ciel souterrain étendu au-dessus d’un autre monde, peut-être meilleur, vu à travers des échancrures de la terre. Une goutte d’eau scintille au bout d’une tige et de ce petit diamant liquide jaillit, inopiné, le souvenir des lignes d’Autres rivages où Nabokov relate comment « son premier poème fusa » à la vue d’une goutte roulant le long d’une feuille de tilleul – et il y a dans cet épisode un peu de l’assurance ostentatoire de son génie qui rend parfois Nabokov irritant (au fait, et sa demeure ?). Une fille en jupe rouge, cuissardes noires, blouson noir, lunettes noires, cheveux noirs avec un crayon vert planté dedans, pianote d’un ongle précis sur son téléphone noir. Les marrons jonchent le sol, petits galets d’acajou poli dont on ne peut se retenir de fourrer un ou deux en poche, avec tous leurs relents d’enfance (mon unique voyage, avec mes parents, aux « châteaux de la Loire »), bogues éclatées, charnues, à l’intérieur d’un blanc satiné. Souvenirs d’enfance, encore, les feuilles de platane qui crissent sous les pieds comme si l’on foulait une très mince pellicule de glace (tandis que celles des tilleuls, jaune acide et gris perle, duvetées, forment un tapis moelleux), et qui rappellent celles qu’on nous faisait dessiner à l’école, il y a une immensité de temps. Les parfaits palmiers sont encore là (bientôt on les rentrera, avec les orangers devants lesquels pose une Japonaise aux jambes Louis XV, en robe noire à col marin), leur ombre au sol dessine une gigantesque araignée (souvenir de L’Île mystérieuse). Sous l’un d’eux j’attendais, il n’y a pas si longtemps, une autre femme, russe, qui fut un amour violent et bref – « Tu me trouveras sous ce palmier, comme un chameau », lui avais-je dit, et souvent ensuite je signais mes messages d’une icône de chameau (de dromadaire, en fait). L’été au Luxembourg est érotique. Robes légères, dont l’ourlet (ô Baudelaire !) bat mollement des jambes bronzées, maillots découvrant des bras fins, shorts minuscules, soutiens-gorge sous la mousseline, seins entr’aperçus, fines sandales, tennis. Multiple crissement des pas sur le gravier. Japonaises à petits chapeaux, à ombrelles, queues-de-cheval, jambes pâles, pépiant. Cheveux qui volent, dansent sur les épaules, relevés sur la nuque, dont une mèche retombe… Taches de rousseur… Seigneur… Toutes les langues du monde tournent et se mélangent autour du bassin, dans un poudroiement de poussière dorée, se nouent un bref moment et se dénouent. Toutes les langues que j’aime à l’égal de la mienne, qui sont les voix multiples du monde, que j’aimerais tant parler comme je parle la mienne.




    Olivier Rolin, Extérieur monde, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2019, pp. 111-114.





    Olivier Rolin  Extérieur monde 2





    OLIVIER ROLIN


    Olivier Rolin NB
    Source.
    Ph. Isabelle Rimbert. Tous droits réservés.





    ■ Olivier Rolin
    sur Terres de femmes


    Extérieur monde (une lecture de Bernadette Engel-Roux)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur En attendant Nadeau)
    « Portrait de l’artiste en globe terrestre » (une lecture d’Extérieur monde, par Norbert Czarny





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  • Georges Perros | Ken Avo




    Kenavo
    Source






    KEN AVO
    (extrait)





    Ma motocyclette avait de ces ruades
    Comme parfois en ont les choses
    Elles éclairent violemment, crûment
    Notre piste nerveuse
    Le disque tourne fou
    Et se raye ça fait mal
    C’est un peu comme si j’allais mourir
    Toute une vie d’entre mes vies
    Défilait à toute vitesse
    Sur le réseau de mon angoisse
    Je n’avais plus peur de tomber
    Quelqu’un était en train de mourir en moi
    Quelque part, quelqu’un
    Que j’avais détesté
    Qui m’avait fait beaucoup souffrir
    Mais que je ne voulais ni ne pouvais
    En toute occasion, ne pas reconnaître
    Être un homme est ambigu
    Nul masque au monde ne m’en eût
    Caché la froide présence
    Quelqu’un qui était en train de me dire
    Le pire, le cruel,
    L’inacceptable.
    Le réel,
    C’est l’imagination relayée, vérifiée
    Soulagée
    Remplacée
    Poète celui qui pactisant
    Avec la mort
    Oublie qu’il va mourir.





    Georges Perros, « Ken Avo » (extrait), Poèmes bleus (Éditions Gallimard, 1962), Collection Poésie/Gallimard n° 545, 2019, pp. 24-25. Préface de Bernard Noël.







    Georges Perros  Poèmes bleus




    GEORGES PERROS


    Georges Perros portrait
    Source



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur Poèmes bleus de Georges Perros





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  • Jean-Paul Michel, Meditatio italica




    MEDITATIO ITALICA
    (extrait)








    [4]



    Peut-être est-ce la mer
    sous nos yeux, là — comme hier
    pour un égal probable
    dans un espace équivalent — qui
    à ce point donne sentiment
    de vie égale et de proximité —
    participer d’une rumeur commune
    tourner les yeux vers des points proches
    — dans le dos de la montagne — ici les mêmes o
    rangers — devant les mêmes
    eaux — me souvenant de l’impression
    de gaieté non personnelle qui me vint
    à marcher dans la Vieille Ville
    croisant des visages contemporains
    de tous les Orients comme
    de tous les âges
    avec ce seul sentiment
    d’une existence en cela seulement réelle
    que de la pluie ruisselait
    sur ce même front réellement






    [5]



    Devant moi quelques bris de poterie pi
    eusement recueillis à Paestum — dans
    ma poche encore je trouvai l’un
    de ces fragments tout-à-l’heure cherchant
    de quoi payer le café au bar — admirant
    des lézards éternels — d’un vert inconnu,
    pour moi grecs— tandis qu’entre les temples
    d’Héra un homme affairé ramasse
    des dents de lion sans le moindre trouble
    historique



    et

    mes sandales — sans plus couleur ni forme
    usées aux pavements des chaussées antiques
    — ironiques présences, pour cela chères — dans
    l’élégie





    Jean-Paul Michel, Meditatio italica [4], [5] [Retour de Pompéï, Naples, 1991], Le plus réel est ce hasard, et ce feu, éditions Flammarion, 1997, in « Défends-toi, Beauté violente ! », éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2019, pp. 142-143. Préface de Richard Blin.






    Jean-Paul Michel






    JEAN-PAUL MICHEL


    Jean-Paul Michel
    Source




    ■ Jean-Paul Michel
    sur Terres de femmes

    « Quand on vient d’un monde d’Idées, la surprise est énorme », par Matthieu Gosztola




    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur « Défends-toi, Beauté violente ! »





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  • 28 mars 1919 | Naissance d’Alain Bosquet

    Éphéméride culturelle à rebours



    Il y a cent deux ans, le 28 mars 1919, naissait à Odessa (Ukraine) Alain Bosquet (de son vrai nom Anatole Bisk), mort à Paris le 17 mars 1998.





    L’HERBE




    Dans la Forêt aux Six Couleuvres,
    mes bras autour d’un chêne, j’ai hurlé :
    « Je vais mourir. »
    L’azur m’a répondu : « Moi, je m’en moque. »
    Le ruisseau ne s’est pas arrêté
    et le caillou m’a dit :
    « Ce n’est pas mon affaire
    car je suis mort sans m’émouvoir plus de cent fois. »
    La fourmi m’a nargué :
    « Je ne veux rien comprendre. »
    Une herbe toutefois m’a paru plus aimable :
    « Je te recouvrirai, si tu insistes. »




    Alain Bosquet, Demain sans moi (1994), I, in Je ne suis pas un poète d’eau douce, Poésies complètes (1945-1994), éditions Gallimard, Collection Blanche, 1996, page 752, in Anthologie de la poésie française du XXe siècle, édition de Jean-Baptiste Para, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2000, page 152. Préface de Jorge Semprun.






    Alain Bosquet   Je ne suis pas un poète d’eau douce





    ALAIN BOSQUET


    Alain Bosquet





    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Gallimard)
    une notice bio-bibliographique sur Alain Bosquet






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