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  • Brina Svit, Nouvelles définitions de l’amour

    par Angèle Paoli

    Brina Svit, Nouvelles définitions de l’amour, nouvelles,
    éditions Gallimard, Collection blanche, 2017.



    Lecture d’Angèle Paoli


    ESPRIT DE GÉOMÉTRIE/ESPRIT DE FINESSE : UNE PARFAITE ALCHIMIE




    Quelles nouvelles de l’amour ? Quelles nouvelles équations/adéquations ? Inadéquations ? Quelles surprises les Nouvelles définitions de l’amour nous réservent-elles ? Accompagné en sous-titre du mot « nouvelles », le titre choisi par la romancière Brina Svit pour son dernier ouvrage annonce une manière subtile de jouer sur et avec les mots. En même temps que le plaisir implicite d’une fine psychologue agile à débusquer les petites stratégies d’aujourd’hui et à en traverser tous les mirages. Nouvelles/nouvelles. Me reviennent en mémoire les Cent nouvelles nouvelles médiévales, destinées au duc de Bourgogne entre 1456 et 1462, mais dont l’auteur n’est pas à ce jour définitivement identifié. Nouveauté des nouvelles, nouveauté des définitions ? Nouveauté. Quelles nouvelles de l’amour la romancière va-t-elle apporter à ses lecteurs ?

    Hors le titre, lointainement analogique, rien ne rapproche bien sûr le recueil de Brina Svit de l’ancêtre médiéval, rien sinon le souci de vraisemblance qui anime de part et d’autre du temps les deux « novellistes » ; rien sinon l’unité de style et de ton qui se dégage de l’ensemble des deux œuvres. Cependant, alors que les « nouvelles » médiévales en tant que genre littéraire s’apparentent aux fabliaux et offrent de ce fait une place importante aux facéties propres à l’esprit du XVe siècle, la pétillante Brina Svit ancre ses récits et leur déroulement dans la société contemporaine qui est la sienne, dans la multiplicité de ses composantes, travers et revers, drames et plaisirs. Pour en tirer un jeu de variations inépuisable sur les situations amoureuses et sur la vie. Entre hier et le ici et maintenant de l’ultra-contemporain, les routes de l’écriture se séparent.

    Depuis Con Brio (1999) jusqu’à Visage slovène (2013) en passant par Moreno (2003) ou par Coco Dias ou La Porte Dorée (2007)…, le lecteur s’est familiarisé avec l’univers romanesque de Brina Svit. Cette fois-ci, délaissant le roman, Brina Svit a opté pour la « nouvelle ». Un art peu prisé des lecteurs, si l’on en croit le personnage de Sandro qui le dit en clair dans le récit « Grain de folie » :

    « […] des nouvelles. C’est très bien, lui dit Sandro quand elle les lui fait lire, mais ça ne marche pas en France, les nouvelles. Ça marche pour moi, dit-elle avec entrain, mais bien moins sûre d’elle qu’elle ne le laisse entendre ».

    Si ça marche pour Nathalie, dans son dialogue avec Sandro, ça marche aussi pour Brina Svit, qui maîtrise à merveille cet art difficile et le déploie avec brio tout au long de ses récits. Soit un ensemble de dix nouvelles. Voilà pour le genre, qui permet à la plume experte de l’auteure d’explorer avec finesse les nouvelles facéties du « jeu de l’amour et du hasard ».

    Quant au titre, il met l’accent, grâce au pluriel, sur la variété des définitions. Lesquelles débordent largement celle de Susan Sontag proposée en exergue  : « Rien n’est mystérieux, aucune relation humaine. Sauf l’amour ». Mais est-ce bien là une définition de l’amour ? N’est-ce pas plutôt une des composantes de l’amour ? Le mystère étant ce qui caractérise toute relation amoureuse. Ainsi l’amour se dérobe-t-il, qui ne se laisse pas enfermer dans une définition unique. Sauf peut-être pour l’« ébouriffante » Lil Skarabot qui confie à son ami Trubar : « Je ne connais qu’une façon d’aimer, inconditionnelle, fidèle et absolue » (in « Histoire écrite »). Une façon qui, semble-t-il, conduit droit à la mort. En revanche, pour Esmé White, « la petite hirondelle de fenêtre », « interprète et traductrice de conférences » de son état, insatisfaite de sa relation avec Arno, elle opte momentanément pour un long jeu d’un soir, « un jeu d’adultes », « un jeu frissonnant, tremblant, haletant », exclusivement mené par le sexe.

    « C’est peut-être une autre formule à expérimenter, pensait-elle, roulée sur le flanc à côté de lui, écoutant son souffle et observant le désordre qu’ils ont mis dans la chambre : coucher avec des ornithologues de Montpellier au lieu de se tourmenter et de se faire souffrir comme ils le faisaient avec Arno… » (in « Le grand labbe et la petite hirondelle de fenêtre »).

    De son côté, lassée des « histoires avortées avec les hommes qui ne sont pas faits » pour elle, Nath préfère se « remettre » à ses « nouvelles ». C’est la conclusion provisoire à laquelle aboutit Nath dans « Grain de folie ». Si l’on en croit le couple Thomas-Larsen de « Précipice », qui persiste à ronronner sur sa « mythologie officielle », l’amour comme « dialogue ininterrompu, conversation éternellement renouvelée », ne concerne en fin de compte que les « titres de la presse et la postérité ». Pour ce qui est de la lectrice que je suis, après lecture enjouée de ces étonnantes variations, je serais bien en peine de cerner ce qu’il en est réellement de l’amour et de l’encager dans quelques mots. « Balivernes, tout ça » ?, comme conclut Nath dans « Grain de folie ».

    En revanche, ce qui apparaît dans toute la lumière de son chatoiement, ce sont les « nouvelles » configurations amoureuses. Conformes aux situations et aux vies d’aujourd’hui, elles sont multiples elles aussi, et tous les agencements sont possibles. Brina Svit jongle avec les rencontres, les séparations, les enfants, les ambiguïtés, les situations cocasses et inattendues, les retournements de situation, les sorties de trajectoire… La surprise est un de ces ingrédients savoureux dont Brina Svit a le secret.

    Par delà l’échiquier qu’elle met en place avec les acteurs du moment — « À vous de jouer maintenant », écrit Lil Skarabot à Trubar —, ce qui caractérise les récits de la novelliste, ce sont les écarts, ces fameux décalages — de tons, de signatures, de situations… —, ces légers pas de côté qui poussent le lecteur ailleurs, hors des suppositions qu’il avait anticipées, et le placent devant la perplexité, l’interrogation, le doute, le suspens. De sorte que chaque nouvelle renouvelle les donnes — redistribution des cartes — et le jeu reprend. Avec d’autres figures, d’autres personnages (qui nous ressemblent étrangement), d’autres noms. Parfois sous des cieux lointains, éloignés de Paris. Comme Buenos Aires ou Ljubljana, qu’affectionne tout particulièrement la romancière. Mais ce sont partout, toujours, les mêmes attentes, les mêmes réflexions, les mêmes atermoiements, les mêmes tergiversations. Les mêmes dialogues savoureux étroitement mêlés aux monologues intérieurs qui épousent les fluctuations de la pensée. « Est-elle déçue » ? s’interroge Lise en cherchant à cerner « son reflet dans la vitre ».

    « Triste ? Fatiguée par toutes ces émotions ? Oui, elle est tout ça, déçue, triste, fatiguée, mais aussi étrangement calme et silencieuse. » (in « Quelle que soit la couleur de son eau »).

    Le décalage, Brina Svit le pratique en permanence, cela fait partie intégrante de son art. C’est sans doute là aussi que se tient le secret de sa légèreté. Une légèreté qui va de pair avec son humour, sa bonne humeur et sa joie de vivre.

    Lire et relire Nouvelles définitions de l’amour procure un plaisir sans cesse renouvelé. Chaque nouvelle ouvre sur un univers qui lui est propre ; avec ses spécificités. Chacune désoriente par l’enchantement inattendu qu’elle réserve au lecteur. Ainsi, dans la « Deuxième révolution de Saturne », Brina Svit explore-t-elle à nouveau, à partir du personnage d’Agnès, le monde du tango qu’elle relie à celui de l’astrologie. À travers une belle métaphore astucieusement filée, la romancière donne sans doute d’elle-même une définition possible de la complexité de sa personnalité imprévisible, en même temps qu’une définition possible de son travail :

    «  Y a-t-il vraiment des hasards dans le cosmos, cette géométrie secrète et ordonnée des astres et des étoiles, le mot “cosmos” signifiant justement un monde ordonné ? »

    Chez Brina Svit, la narration ne tient-elle pas du « cosmos » ? Et les rouages de son récit n’en constituent-ils pas « cette géométrie secrète et ordonnée » qu’elle décrypte dans la carte du ciel ?

    Ailleurs, derrière le titre longtemps mystérieux « Le grand labbe et la petite hirondelle de fenêtre », c’est le monde des oiseaux qui se présente, porteur d’interrogations multiples. Une occasion pour la romancière de dialoguer sur le thème très sensible de la « migration » :

    « Que le soir, au dîner, elle était assise entre un traducteur bulgare et un ornithologue de Montpellier, un certain Jean-François qui voulait savoir si elle faisait exprès de traduire par moments “migrants” à la place de “migrateurs” et à qui elle avait répondu par l’affirmative. Que sa réponse lui a plu et l’a intrigué, pas que sa réponse d’ailleurs, a-t-il ajouté, charmant et charmeur, l’invitant à boire un dernier verre dans sa chambre. »

    Chaque nouvelle comporte sa propre ligne mélodique. Une musique intime dessine les arabesques et contrepoints qui sillonnent l’aventure amoureuse. La Grande Arche de la Défense offre à Nathalie des rêveries artistiques quotidiennes qui varient selon l’humeur du moment :

    « La Grande Arche est un mirage qui se dessine au loin, un tableau de ciel gris sur un ciel tout aussi gris et incertain. »

    ou encore :

    « …l’Arche n’est pas juste une forme aux proportions parfaites en train d’apparaître devant ses yeux. C’est un rêve. Un rêve tout blanc avec un nuage accroché au milieu. » (in « Grain de folie »).

    Dans la nouvelle « Le jardin de ma femme », la photo de la forêt alimente les perplexités de Claude Krieff face à la découverte de l’existence d’un jardin secret dans la vie de sa femme Suzanne. Morte depuis un an :

    « Puis, tiens, il ne l’a jamais vue, celle-là : une forêt, des troncs d’arbres plutôt à perte de vue, avec de la mousse au sol, des aiguilles de pins, le tout baigné d’une belle lumière latérale, laiteuse. »

    ou encore, quelques pages plus loin :

    « Et cette photo de la forêt, une étrange photo de troncs et de mousse à côté ? Qu’est-ce qu’elle a à voir dans tout ça ? »

    Les lectures de Suzanne (lectrice de Virginia Woolf et de Roland Barthes) et les rencontres au jardin de Bagnolet, apporteront-elles des réponses à ce distrait de mari ? Perdu et perplexe est-il, le pauvre veuf devant ce jardin où rivalisent de beauté des choux multicolores. Un jardin qui comblait partiellement le désir de Suzanne d’avoir « une chambre à soi » :

    « Elle voulait avoir un endroit à elle, mener sa vie comme elle l’entendait, continuer à écrire ses petits textes sur le jardin justement, une sorte de journal de bord, journal du jardin plutôt, vous voyez ce que je veux dire… ? » confie Théo à un Claude déconcerté.

    Première des dix nouvelles de l’ouvrage, « Le jardin de ma femme » est un petit chef-d’œuvre. La nouvelle donne d’emblée une idée du niveau d’exigence que Brina Svit veut conférer à l’ensemble des autres récits. Aucun d’entre eux ne déçoit l’attente du lecteur.

    Pour chacune des nouvelles, il y a ces « petits détails » qui sont la signature de leur auteure. Détails qui échappent au premier abord et qui prennent toute leur importance sous le regard attentif de la romancière :

    « Pourtant il la regarde attentivement, au cas où quelque chose pourrait lui échapper, un détail, n’importe, un champignon, cette amanite rouge, par exemple, qu’il n’a pas vue la première fois, ou ce lichen gris-vert sur une face des troncs, à la même place d’un arbre à l’autre, comme si une main invisible voulait multiplier l’effet. » (in « Le jardin de ma femme)

    Mais il y a aussi le fameux vélo qui traverse Paris. Celui qu’Alice « a attaché au poteau sur le trottoir » ou, plus loin, « au grillage du parc » (in « Dans le tunnel ») ; celui que Sol a attaché « à une poubelle devant la porte » d’un « magasin de meubles contemporains » (in « Table de Noël ) ; et les cheveux qui attirent le regard : les « longs cheveux souples et soyeux » de la caissière du G20, « attachés en queue de cheval » (in « L’été avec Sonia »). Cette même « queue-de-cheval qui bouge avec elle quand elle tourne la tête ». Observatrice de ces petits riens qui en disent long sur ses personnages, Brina Svit l’est aussi de leurs tics de langage. Ainsi, dans « L’été avec Sonia », assiste-t-on à une prolifération de « ça » qui ponctuent dialogues et monologues intérieurs. Les modalités du discours rendent compte des stéréotypes qui ficellent le couple de Maud et de Paul, tous deux prisonniers du milieu dans lequel ils évoluent et des codes de pensée qui le structurent :

    « Et elle est pressée, c’est ça, pressée. Elle veut commencer une nouvelle vie, ajoutait-elle, déjà à la porte, habillée toute en blanc, pantalon, chemise, lunettes de soleil dans les cheveux et un sac de voyage à la main, voix froide et expéditive comme quand elle veut régler une affaire au plus vite. »

    Et lui, quelques lignes plus bas :

    « Il s’entretenait, c’est ça, il voulait garder un ventre plat et une forme impeccable… »

    Et, plus loin :

    « Lui, un homme plutôt compliqué, disons-le comme ça, pas trop sûr de lui malgré tous les films qu’il a produits […] il l’a juste regardée faire — et répondre à ses questions, simplement, c’est ça, c’est le mot… »

    Les exemples sont multiples — allusions constantes à l’écriture et discrètes à la littérature (Italo Calvino, Susan Sontag, Virginia Woolf, Alice Munro…), clichés de la conversation courante et conventions en matière de goût, tous marqueurs de l’appartenance à une classe sociale — qui font la richesse du travail de patiente broderie à laquelle se plie Brina Svit. Mais toujours, dans chacune des nouvelles, qui les relie modestement mais joyeusement l’une à l’autre, la garde-robe des héroïnes du moment, dessous inclus. Avec une prédilection pour la petite jupe (rouge à pois) qui se porte avec un pull en V et des ballerines plates. Celle qui « danse autour d’elle quand elle se déplace » et « se déploie autour de ses cuisses ». Ou bien la petite robe « bleu ciel à pois, serrée à la taille et manches trois-quarts ». Ou encore cette « robe bleue sans manches en velours de soie, ni trop habillée ni trop simple mais faisant toujours effet… » Autant de variations sur le langage des signes qui émaillent habilement les récits au même titre que tous les menus décalages qui sont la marque de fabrique de Brina Svit. Ce n’est sans doute pas un hasard si Brina Svit remet en avant cette réflexion de Roland Barthes :

    « car il faudrait ne plus placer le sens du livre dans sa structure, mais au contraire reconnaître que l’œuvre émeut, vit, germe à travers une espèce de « délabrement » qui ne laisse debout que certains moments, lesquels sont à proprement parler les sommets. » (in « Le jardin de ma femme ») [Conférence de Barthes au Collège de France : « Longtemps je me suis levé de bonne heure », 19 octobre 1978]

    Des sommets que permet d’atteindre l’art de Brina Svit, qui connaît à la perfection les subtilités de « l’esprit de géométrie » et de « l’esprit de finesse ». Une alchimie parfaite, un grand bonheur pour le lecteur que ces Nouvelles définitions de l’amour.



    Angèle Paoli
    D.R. Texte angèlepaoli






    Brina Svit, Nouvelles définitions de l'amour




    BRINA SVIT


    Brina Svit denim
    Brina Svit,
    photographie de Philippe Matsas





    ■ Brina Svit
    sur Terres de femmes


    Cela s’appelle l’aurore (Coco Dias ou la Porte Dorée) [lecture d’AP]
    Coco ou le désarroi de Brina
    Conversation privée avec Brina Svit
    Le Dieu des obstacles (lecture d’AP)
    Les incertitudes du désir (Une nuit à Reykjavík) [lecture d’AP]
    Turris eburnea (Moreno + bio-bibliographie)[lecture d’AP]
    Petit éloge de la rupture (lecture d’AP)
    Un cœur de trop [lecture d’AP]
    Visage slovène (lecture d’AP)
    Rue des Illusions perdues (Con brio) [lecture d’AP]
    → (en commentaires sur Terres de femmes)
    Mort d’une Prima Donna slovène
    → (dans la galerie Visages de femmes)
    Portrait de Brina Svit (+ extraits de Moreno, Un cœur de trop, Coco Dias ou la Porte Dorée)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur lelitteraire.com)
    une recension de Nouvelles définitions de l’amour par Jean-Paul Gavard-Perret






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  • Gérard Chaliand | [Les rennes blancs courent]



    [LES RENNES BLANCS COURENT]




    Les rennes blancs courent au bord de la mer boréale
    et je pêche la baleine et le phoque.
    L’étoile polaire est au sommet de ma tente.
    Mes oiseaux sauvages emportent leurs cris blessés.
    Mes chasses n’ont plus que des veines mortes
    et mes couteaux se brisent au fil du temps.
    J’ai la mort au bord du regard
    sur ta tombe, un soleil et une lune contre les ténèbres.
    Ma carène glisse dans le jour gris.



    Gérard Chaliand, Feu nomade, 4 [Chambelland, 1972], in Feu nomade et autres poèmes, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2016, page 70. Préface de Claude Bugelin, Postface d’André Velter.






    Gérard Chaliand, Feu nomade







    ■ Voir aussi ▼

    → (sur La Cause littéraire)
    entretien avec Gérard Chaliand : « La poésie nomade »
    → (sur le site de la revue Possibles de Pierre Perrin)
    une recension de Feu nomade (12 novembre 2016)





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  • Lionel Ray | Navigation interstellaire




    NAVIGATION INTERSTELLAIRE




    une bougie allumée au fond de la mémoire     comme un œil ouvert    la maison des solitudes    la servitude des saisons        il sombra dans un futur fabuleux       aspiré par la nuit aventureuse la constellation d’Hercule     ou d’autres alvéoles            cherchant une planète habitable un chiffre simple centaines de mille millions de milliards le noyau de l’extrême l’inaltérable la rédemption l’apogée de l’être mercuriel ou neptunien     ô tant de naissances inapaisées ces générations frénétiques
                     et le mystère entier d’une présence invisible entre la chevelure de Bérénice                 et Véga de la Lyre il voyagea          il avait rencontré toute la boue du temps il revint par matin tiède     c’était en avril     jusqu’au pied du lit étroit de l’après-sommeil



    Lionel Ray, « Variabilité » in Entre nuit et soleil, poèmes, Éditions Gallimard, Collection Blanche, 2010, page 60.






    Lionel Ray, Entre nuit et soleil





    LIONEL RAY


    Ray Kobel
    Lionel Ray au festival Voix Vives
    de Méditerranée en Méditerranée (Sète)
    le 27 juillet 2010
    Ph. : Pierre Kobel
    Source





    ■ Lionel Ray
    sur Terres de femmes

    Résurrection (poème extrait de Souvenirs de la maison du Temps)
    Tu cherches la lettre perdue (poème extrait de Syllabes de sable)
    [Tu serais un arbre calme] (autre poème extrait de Syllabes de sable)
    Viatique



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Lionel Ray
    → (sur le site de Poésie/première)
    une page sur Lionel Ray
    → (sur La Pierre et le Sel)
    « Lionel Ray, poète lyrique à trois têtes », une contribution de Jean Gédéon





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  • Erri De Luca, Le plus et le moins

    par Martine Konorski

    Erri De Luca, Le plus et le moins
    [Il più e il meno, Feltrinelli, 2015],
    éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 2016.
    Traduit de l’italien par Danièle Valin.



    Lecture de Martine Konorski


    Erri De Luca 3
    Image, G.AdC






    Lire Le plus et le moins laisse le goût délicieux d’un bain de mer au grand large, lorsqu’on se sent bercé par l’immense, au loin, et pourtant au plus près de soi. Le goût de sel finement déposé sur les lèvres, le grain d’une croûte de sel plus épaisse sur la peau, les cheveux mouillés qui se collent puis sèchent au vent… Un vent de liberté, « l’expérience de la liberté comme d’un désert », qui souffle sur ce magnifique livre d’Erri De Luca, quintessence de l’ensemble de ses livres, que l’on se réjouit de lire et de relire.

    Le plus et le moins : 37 textes, fragments inclassables, dans une écriture poétique hors du commun, qui nous font voyager dans un temps et dans un espace, guidés par la géographie des souvenirs de l’auteur, de l’enfance à l’âge adulte : des moments de sa vie à Naples, Ischia, Turin, Paris, les Dolomites. Un voyage sincère et tendre au pays de la fraternité humaine et du partage. Un voyage au pays de la liberté et de la vérité. Un voyage dans le silence habité de l’âme du poète, lorsque l’auteur, dans l’arc tendu de la beauté de son écriture pudiquement évocatrice, sensuelle et sans grandiloquence ni ornementation, nous transporte parmi les éléments de la nature et des saisons, « là où la poussière était l’âme du monde ».

    Instantanés de la vie de l’auteur, les textes qui composent ce livre éclairent son œuvre d’une lumière solaire qui vient de l’intérieur, tant ce qu’il décrit émane directement des émotions et des sensations qui le traversent profondément.

    On y retrouve les thèmes de prédilection qui animent Erri De Luca et nourrissent son écriture :

    – les luttes politiques et sociales des « années de cuivre », comme il dénomme les années 1970, qui « conduisaient le courant électrique des luttes sociales […] une vraie énergie électrique de transformation »,

    – le temps de l’intérêt collectif opposé au temps de l’intérêt individuel d’aujourd’hui « où l’on est évalué en fonction du pouvoir d’achat », symbole de notre monde désespérant et vide, qui sombre dans la barbarie et où il est vital de rester insoumis, de se révolter pour être vivant et porter « la parole contraire » pour tenter de mettre fin aux injustices, aux tyrannies, aux guerres, aux racismes…

    – mais aussi le deuil des parents qui prend le goût du silence, « un silence comme les deux lèvres d’une blessure ouverte » et qui provoque aussi « l’exil alimentaire », puisque depuis la mort de sa mère, l’auteur a renoncé à son plat préféré : les aubergines à la parmesane ; une manière si humaine de vivre une telle séparation, puisque pour l’auteur « le deuil se vit plus à table qu’au cimetière ».

    Et puis, l’on trouve aussi les souvenirs d’enfance, ceux du « fils égaré » : « je ne suis pas un père, je suis resté un fils, une branche sèche », qui a quitté sa Naples natale sans retour, qui tourne dans sa bouche toute la journée les pages de la Bible comme un « noyau d’olive », qui découvre les amours adolescentes avec le premier baiser : « je sais depuis que le baiser est le sommet atteint, la parfaite ligne d’arrivée » et les étreintes qui empêchent de dormir et transforment en « poissons qui ne ferment pas les yeux ».

    L’escalade aussi occupe une place importante dans l’œuvre et la vie de l’auteur-alpiniste : « je pratique l’escalade et je sais qu’un sommet atteint exauce un désir autant qu’il l’épuise »…

    Au fil des pages, cette écriture vibrante secoue le corps comme des percussions. Séisme intérieur provoqué par la beauté de textes à l’amplitude évocatrice maximale, à travers une parole minimale, juste et dense. Pas un mot de trop, mais une parole resserrée, traversée par la sensibilité et par l’émotion d’un homme devenu écrivain, par le traumatisme d’une humiliation scolaire, une accusation de tricherie pour sa première rédaction, alors que pour lui « ce fut un précipice d’écriture » qui lui permit de découvrir alors combien l’écriture peut déranger les corps constitués et participer à un acte de résistance. Depuis lors, l’écriture, comme un cadeau, est sa plus fidèle compagne.

    Une écriture vitale, une écriture de vie et d’espoir inscrite dans le corps et dans la peau : « j’avais besoin de pages à tenir en main comme un verre et de m’y plonger la tête la première jusqu’au terminus ».

    Le plus et le moins est un livre essentiel, d’un auteur essentiel qui, à rebours de la fureur des médiocrates de l’analyse et du commentaire, nous offre, avec humilité et profondeur, une parole authentique.

    Donc, un livre à mettre entre toutes les mains… de celles et ceux qui s’interrogent sur notre monde et sur ce que c’est qu’être humain.



    Martine Konorski
    D.R. Texte Martine Konorski
    pour Terres de femmes







    Erri De Luca, Le plus et le moins,




    ERRI DE LUCA


    Erri De Luca  portrait





    ■ Erri De Luca
    sur Terres de femmes


    Due voci (poème issu du recueil Aller simple)
    Considero valore (poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Qui a étendu ses bras au large (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Volti (autre poème issu du recueil Œuvre sur l’eau)
    Piero della Francesca (poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Statua di Caino (autre poème issu du recueil L’Ospite incallito)
    Première heure (lecture d’AP)
    Le Tort du soldat (extrait)




    ■ Voir aussi ▼


    le site de la fondation Erri De Luca (en italien)





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  • Richard Rognet | [Le lierre]


    [LE LIERRE]




    Le lierre — puis l’église et ce qui tourne
    en nous, la vie patiente, les histoires
    anciennes, chats bottés, bois dormants,
    ombres retranchées dans les tremblements

    du soir — et les massifs de fleurs qui
    tentent de résister sous les crocs
    de la pluie, ces chants qui s’élèvent dans
    la mémoire et repoussent l’oubli, ces

    chants, éclaireurs de nos songes,
    paroles premières, mots d’amour
    sous l’usure de nos paupières, mots

    recueillis sur la feuille précocement
    brunie qui tombe du tilleul et laisse
    comme une trace dans l’air étonné.



    Richard Rognet, Élégies pour le temps de vivre, éditions Gallimard, 2012, in Élégies pour le temps de vivre, suivi de Dans les méandres des saisons, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2015, page 72. Préface de Béatrice Marchal.






    A46747






    RICHARD ROGNET


    Richard rognet




    ■ Richard Rognet
    sur Terres de femmes

    [Depuis ce matin, une tourterelle] (extrait de Lutteur sans triomphe)
    Un peu d’ombre sera la réponse (lecture de Sylvie Besson)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site du Printemps des poètes)
    une fiche bio-bibliographique sur Richard Rognet
    → (sur le site écriVosges)
    une fiche bio-bibliographique sur Richard Rognet
    → (sur Mediapart)
    une page sur Richard Rognet (par Bernard Demandre), dont plusieurs poèmes
    → (sur La Pierre et le Sel)
    Richard Rognet, poète vosgien (par Jean Gédéon)
    → (sur écriVosges)
    une fiche biobibliographique sur Richard Rognet (+ sept poèmes inédits)
    → (sur Patrimages)
    une page sur Richard Rognet (par Patricia Laranco)





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  • Anise Koltz | Ouverte



    Moi qui passe
    Ph., G.AdC






    OUVERTE




    Je traverse les mots
    en marchant sans boussole
    ma poésie est ouverte
    comme une plaine

    Je ne rencontre personne
    si ce n’est moi
    qui passe
    sans me regarder



    Anise Koltz, Je renaîtrai, Éditions Arfuyen, collection Les Cahiers d’Arfuyen, 2011 (Prix des Découvreurs de Poésie 2012) in Somnambule du jour, poèmes choisis, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2016, page 172.







    Koltz somnambule





    ANISE KOLTZ


    ANISE KOLTZ
    Source




    ■ Anise Koltz
    sur Terres de femmes


    L’Ailleurs des mots
    Automne (extrait du Cirque du soleil)
    Béni soit le serpent
    [Dans mes poèmes] (poèmes extraits d’Un monde de pierres)
    [Gémeau] (poème extrait de Soleils chauves)
    Je me transforme (poème extrait de Je renaîtrai)
    [Je suis l’impossible du possible] (poème extrait de Pressée de vivre)
    [Qu’ai-je emprunté à la chair maternelle ?] (poème extrait de Galaxies intérieures)
    Les soleils se multiplient (poème extrait du Cri de l’épervier)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page consacrée à Anise Koltz
    → (sur Lyrikline)
    dix poèmes extraits du Porteur d’ombre (2001), dits par Anise Koltz





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  • Jean-Pierre Lemaire | [Ne te hâte pas de regagner la surface]



    [NE TE HÂTE PAS DE REGAGNER LA SURFACE]




    Ne te hâte pas de regagner la surface
    où tout s’oublie si vite. Ici, avec moi
    et les pauvres qui voient le monde par-dessous
    tu n’es pas loin de son entrée. Sois fidèle au jugement
    pour être fidèle à la grâce. Et si tu suffoques
    dans les angles des villes cristallisées
    les fumées d’or qui font vaciller le soleil
    baisse-toi : l’air frais se trouve près du sol
    Tu as été fouillé à la frontière
    et tu attends le reste de tes bagages
    mais moi qui n’ai rien, je t’offre d’échanger
    tes ailes de cire avec mes mains percées
    tes raisons avec mon silence
    une fausse innocence avec le vrai pardon



    Jean-Pierre Lemaire, « Au pied de l’arc-en-ciel », Visitation, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1985 (prix Max-Jacob 1986 | médaille de bronze de l’Académie Française) [ouvrage épuisé] in Jean-Pierre Lemaire, Le Pays derrière les larmes, poèmes choisis, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2016, page 154. Préface de Jean-Marc Sourdillon.






    Jean-Pierre Lemaire, Le Pays derrière les larmesNOTE d’AP : sur les vingt-deux suites de poèmes qui composent le volume anthologique Le Pays derrière les larmes, sept sont extraites du recueil Visitation (Gallimard, Collection blanche, 1985, prix Max-Jacob 1986, recueil épuisé) : « La rivière et la route », « Accompagnement », « Le sursis », « À découvert », « Au pied de l’arc-en ciel », « Album », « L’habit de noces », le recueil Visitation comportant lui-même douze suites de poèmes.






    JEAN-PIERRE LEMAIRE


    Jeanpierre-lemaire
    Source



    ■ Jean-Pierre Lemaire
    sur Terres de femmes

    Giotto (poème extrait de L’Intérieur du monde + une notice bio-bibliographique)
    [La terre est invisible] (autre poème extrait de L’Intérieur du monde)
    [Pendant la tempête](poème extrait des Marges du jour)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Recours au Poème)
    plusieurs poèmes de Jean-Pierre Lemaire
    → (sur Ce Qui Reste)
    plusieurs poèmes inédits de Jean-Pierre Lemaire





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  • Pentti Holappa | Tu jettes l’ancre



    TU JETTES L’ANCRE




    Au fil de l’eau le vent soupire, toi.
    Dans ton sommeil mon tramail prend à
    son piège les pensées égarées, les bancs de poissons de l’âme
    sur le drap il reste le coquillage de tes formes,
    musique résonnante. Ici ta main touche
    les roseaux de la rive, une guipure de mousse
    dérivante, le tombeau d’une souche noyée,
    et vite tu souffles une vague coiffée d’écume.
    Le gris, l’or, le brun. Ces couleurs
    qui font luire ton corps. Tu ouvres encore
    tes yeux vers le matin, mais sans le savoir
    tu jettes l’ancre dans la vase profonde.



    Pentti Holappa, Locataire Ici-Bas, 1983 in Les Mots longs, Poèmes 1950-2003, Éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 1997 ; édition augmentée 2006, page 82. Traduit du finnois par Gabriel Rebourcet.







    Pentti Holappa






    PENTTI HOLAPPA


    Pentti Holappa portrait
    D.R. Ph. Jean-Marc de Samie
    Source : cipM



    ■ Pentti Holappa
    sur Terres de femmes

    La matière est langage



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Esprits Nomades)
    une page sur Pentti Holappa
    Le site Pentti Holappa





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  • Anise Koltz | Les soleils se multiplient



    LES SOLEILS SE MULTIPLIENT



    Je suis le monde
    qui tourne
    traversé de parallèles
    et de méridiens

    En moi des peuples se font
    et se défont

    Dans le ciel
    les soleils se multiplient
    la mort en moi
    me donne la force de vivre



    Anise Koltz, Le Cri de l’épervier, Éditions PHI, 2000 in Somnambule du jour, poèmes choisis, éditions Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2016, page 98.







    Koltz somnambule





    ANISE KOLTZ


    ANISE KOLTZ
    Source




    ■ Anise Koltz
    sur Terres de femmes


    L’Ailleurs des mots
    Automne (extrait du Cirque du soleil)
    Béni soit le serpent
    [Dans mes poèmes] (poèmes extraits d’Un monde de pierres)
    [Gémeau] (poème extrait de Soleils chauves)
    Je me transforme (poème extrait de Je renaîtrai)
    [Je suis l’impossible du possible] (poème extrait de Pressée de vivre)
    Ouverte (poème extrait de Je renaîtrai)
    [Qu’ai-je emprunté à la chair maternelle ?] (poème extrait de Galaxies intérieures)




    ■ Voir | écouter aussi ▼


    → (sur le site des éditions Arfuyen)
    une page consacrée à Anise Koltz
    → (sur Lyrikline)
    dix poèmes extraits du Porteur d’ombre (2001), dits par Anise Koltz





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  • Gérard Macé | Affluent d’un fleuve



    AFFLUENT D’UN FLEUVE




    Où l’on ne se baigne pas deux fois,
    la rivière est difficile à suivre. Tour à tour
    souterraine et résurgente, miroir gelé
    comme dans les livres, paresseuse qui serpente
    et prête à changer de nom pour se jeter
    dans les bras d’un fleuve où elle se perd,
    comme nous dans les méandres du discours :

    vieux boa qui voulait avaler le monde
    et digère les idées comme on digère un buffle.



    Gérard Macé, « Tour », Promesse, tour et prestige, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2009, page 28.





    Gérard Macé, Promesse, tour et prestige




    GÉRARD MACÉ


    Mace_gerard_photo_c._helie_gallimard_
    Ph. © Catherine Hélie | Éditions Gallimard
    Source





    ■ Gérard Macé
    sur Terres de femmes


    Homère au royaume des morts a les yeux ouverts (lecture d’Isabelle Lévesque)
    Billard. Téléphone. (poème extrait d’ Ici on consulte le destin)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Le bruit du temps)
    une fiche bio-bibliographique sur Gérard Macé
    → (sur le site Auteurs contemporains)
    une fiche bio-bibliographique sur Gérard Macé







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