Étiquette : éditions Gallimard


  • Nuno Júdice | Deus




    Un point qui brille
    Ph., G.AdC








    DEUS




    À noite, há um ponto do corredor
    em que um brilho ocasional faz lembrar
    um pirilampo. Inclino-me para o apanhar
    — e a sombra apaga-o. Então,
    levanto-me: já sem a preocupação
    de saber o que é esse brilho, ou
    do que é reflexo.
    Ali, no entanto, ficou
    uma inquietação; e muito tempo depois,
    sem me dar conta do motivo autêntico,
    ainda me volto no corredor, procurando a luz
    que já não existe.




    Nuno Júdice, Meditação sobre Ruínas, Quetzal editores, Coleção Poesia, 1994 ; Edição/reimpressão 1999.







    DIEU




    La nuit, il y a dans le couloir
    un point qui brille comme
    un ver luisant. Je me penche pour le saisir
    — et l’ombre l’efface. Alors,
    je me lève : déjà sans la préoccupation
    de savoir ce qu’est cette lueur, ou
    de quoi elle est le reflet.
    Là, cependant, persiste
    une inquiétude ; et longtemps après,
    sans me rendre compte du vrai motif,
    je retourne dans le couloir, cherchant la lumière
    qui n’existe plus.




    Nuno Júdice, Méditations sur des ruines in Un chant dans l’épaisseur du temps, suivi de Méditations sur des ruines, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 1996, réimp. 2001, page 144. Traduit du portugais par Michel Chandeigne.





    NUNO JÚDICE


    Nuno_judice1
    Source




    ■ Nuno Júdice
    sur Terres de femmes

    Désir (poème extrait de Geometria Variável)
    Lisboaxaca (poème extrait de Guia de Conceitos Básicos)
    Semiología (poème extrait de o movimento do mundo)
    Un thé dans la véranda (poème extrait de Naviguer à vue)



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    → (sur BiblioMonde)
    une notice bio-bibliographique sur Nuno Júdice
    → (sur Recours au poème)
    cinq poèmes de Nuno Júdice
    → (sur La Pierre et le Sel)
    une page sur Nuno Júdice
    → (sur lepetitjournal.com )
    un portrait de Nuno Júdice
    → (sur le site de la Fondation Calouste Gulbenkian)
    une bio-bibliographie (en portugais) de Nuno Júdice
    → (sur Lyrikline)
    plusieurs poèmes de Nuno Júdice dits par l’auteur





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  • Pierre Péju, L’État du ciel

    par Sylvie Fabre G.

    Pierre Péju, L’État du ciel,
    éditions Gallimard, Collection Blanche, 2013.



    Lecture de Sylvie Fabre G.




    Le bleu
    Ph., G.AdC







    ACCOMPLIR “L’INSTANT, PROVISOIREMENT REDRESSÉ”



    « Tu vois, dit Nora, j’ai recommencé, mais cette fois la couleur est complètement libre. Le bleu, je le laisse s’étaler. Moi je ne m’occupe que de la ligne ». Ces paroles que prononce, en parlant de sa peinture, l’héroïne de L’État du ciel à la fin du dernier roman de Pierre Péju qui vient de paraître cet automne chez Gallimard, nous donnent peut-être une des clés de cette histoire initiatique où la ligne entre le ciel et la terre, les dieux et les hommes, la vie et la mort n’est plus seulement la ligne toute tracée des destins ni une ligne de séparation ou de clôture mais un chemin d’élargissement et un horizon ouvert. Les personnages, après avoir vécu la chute dans le malheur extrême, l’errance, la folie et le désamour, ne vivront-ils pas une lente remontée vers la lumière et ne pourront-ils pas laisser gagner « le bleu » d’un vécu et mystérieux recommencement ?

    L’auteur inscrit cet espoir, d’Occident en Orient, de France en Grèce, dans une traversée menacée dont la trajectoire mène les protagonistes des bords ombreux du lac d’Annecy dans les Alpes jusqu’à l‘île de Sifnos à l’aube, « ultime terrasse sur la mer Egée», sorte de « bout du monde » et « avant-goût du paradis », comme si en ce lieu où origine et fin se confondent, où tous les éléments naturels, les couleurs et le langage entrent en dialogue, où les êtres célestes côtoient les humains, ses personnages pouvaient réintégrer l’ordre du cosmos dans une forme d’harmonie et accomplir « l’instant, provisoirement redressé », dans l’éternel présent de l’amour et de la beauté.

    Mais avant ce moment suspendu dans l’espace et le temps, il y a le constat désenchanté de l’état du ciel et de la terre, dressé par l’ange Raphaël dès le début du roman en un long monologue, sorte d’envoi en italiques qui jette les bases de l’intrigue à venir. L’emploi de la première personne sera symboliquement le privilège de l’ange dont les observations et commentaires omniscients ponctueront régulièrement chapitres ou parties alors que le reste de la narration se fera à la troisième personne dans la multiplicité des points de vue humains.

    Celui-ci donc, après avoir souligné la déréliction, l’impuissance, la mélancolie ou l’absence des dieux ou de Dieu, ainsi que l’instabilité, l’absurdité, la cruauté du monde terrestre, prend la décision d’instiller « une goutte de mieux dans la mer du pire » en faisant le choix, pari modeste, de descendre sur terre aider un couple à la dérive. Ce trio de personnages va permettre à Pierre Péju de varier les registres en mêlant le merveilleux et le réalisme, le tragique et le lyrique. Il fait ainsi de son roman un roman des sens et du sens, une fable à fonds mythologique et à portée philosophique et morale.

    Le tableau de la planète et de la vie détruite de ses personnages que l’auteur brosse dans toute la première partie de sa narration a la tonalité âpre de celle que nous connaissons dans l’ensemble de son œuvre romanesque. Les malheurs singuliers et les malheurs collectifs, Pierre Péju nous les donne à voir, je l’ai dit, à travers le regard de l’ange Raphaël, mais aussi à travers celui des deux autres héros, Mathias, médecin humanitaire, gynécologue à Annecy mais exerçant différentes missions autour du globe, et sa femme Nora, fille d’un résistant grec à l’époque des Colonels, peintre reconnue et mère ravagée par la mort d’un enfant.

    « Mortels, malheureux mortels », ces deux-là et tous les personnages secondaires qui les entourent portent leur croix (martyre d’un père et perte d’un fils et de son art pour Nora, solitude et incommunicabilité pour Mathias qui teste ses limites par la varappe, marginalité et mort violente pour Nikos leur enfant, misère psychologique et sociale pour Elsa sa compagne qui a du mal à être mère comme la Thérèse de la Petite Chartreuse, enfance ballotée et meurtrie pour leur fils…), mais la place donnée par l’auteur dans leur vie à la nature, à l’art, à la médecine, à la révolte ou à la relation à l’autre porte en germe la possibilité de recommencer la vie « par-delà le désespoir ». Pierre Péju dans ce roman est disciple de Camus. Comme lui, il met l’accent sur l’importance des forces naturelles et sur la puissance des mythes, comme lui il œuvre à maintenir une forme de fraternité et d’espoir mais sans nous bercer d’illusions sur l’homme et son ambivalence, ni sur les épreuves de sa condition. Le roman n’est nullement idéaliste, la folie, la destruction, la haine rôdent, le mal est là mais sa réalité n’empêche pas le désir d’absolu et l’ouverture au beau, au bien et au vrai. Raphaël l’ange semble attiré par cette humanité capable du pire mais aussi du meilleur quand elle revient à la source sacrée de la vie.

    La présence de l’enfance tout au long du roman en est le signe le plus infrangible que nous donne l’auteur. Si nous savons le déchiffrer, il nous fait comprendre la profondeur de l’histoire racontée. Dès le cinquième chapitre, l’enfant de Nora, Nikos, apparaît comme « l’enfant talisman » dont le regard abrite « un vieux sage lui-même enfantin ». Sa venue au monde a permis à Nora d’apaiser les anciennes blessures et de changer les couleurs de sa palette en accordant « la maternité et sa vocation picturale ». L’enfant n’entrave donc pas sa création (et Pierre Péju, sans le dire, combat avec efficacité cette idée reçue) mais annonce au contraire que « la promesse de la lumière », qui est sa quête dans la peinture, un jour « sera tenue ». L’écrivain nous montre magnifiquement que, jusque dans les situations les plus extrêmes d’errance, de guerre ou de misère, l’enfant demeure ce pourvoyeur de clarté, « d’instant très pur ». Il crée d’ailleurs le personnage de Mathias à partir de cette expérience. Très jeune, celui-ci a découvert, sous « le visage irrité et sale » du bébé d’une SDF qu’il a tenté d’aider, l’absolu d’« une vie minuscule et secrète ». De ce moment est née sans doute sa vocation d’obstétricien engagé.

    S’il est déjà signifiant que pour les deux héros l’enfance ait une telle amplitude dans leur destin, le miracle réalisé par l’ange en renforce l’aura. N’est-il pas étroitement en lien avec l’arrivée d’un nouvel enfant dans leur vie à un moment où elle se délite entièrement ? L’art du conte va, à partir de l’apparition du fils de Nikos, l’enfant de Nora assassiné, dérouler une série d’évènements et de métamorphoses qui touchent l’ensemble des personnages et bousculent leurs « trajectoires » linéaires, en faisant se croiser autrement leurs vies, les emboîtant les unes dans les autres par cercles successifs, jusqu’à ce centre, l’île grecque dont nous avons parlé, où ils vont retrouver unicité et unité.

    C’est à ce moment du récit que Pierre Péju fait réapparaître le personnage d’Isis, « jeune fille au voile couleur d’arc en ciel », venue au début de l’histoire s’accouder près de Raphaël pour « jeter elle aussi un coup d’œil au monde d’en-bas ». « Frêle messagère céleste », n’est-elle pas la jeune déesse symbole de la maternité et protectrice des enfants et des morts ? Avec un autre intercesseur, le pope Georgios, à mi-chemin lui entre les hommes et Dieu, elle va présider aux retrouvailles des personnages et ouvrir la « magique profondeur du temps » en permettant aux deux mères meurtries, Nora et Elsa, d’emprunter à nouveau la voie de l’amour, y faisant entrer par là-même Mathias et l’enfant prénommé symboliquement par l’auteur Nikos lui aussi. Comme si la douleur vécue ne pouvait plus empêcher la joie de renaître dans le cycle infini de la vie où un enfant mort tient la main d’un enfant vivant. Pierre Péju nous renvoie ainsi au mythe de l’Éternel Retour mais en laisse ouverte l’énigme.

    Le roman se clôt en effet sur le voyage où tous s’embarquent pour « l’île des morts » ou « l’île des amoureux », deux noms pour un même pays natal, dont on « espère seulement » ne jamais revenir. Son sens, convoyé par la lumière des « derniers rayons du jour », « l’écharpe au vent » d’Iris, « l’index levé vers le ciel » du pope et le vœu prononcé par Mathias, renvoie le lecteur, comme l’auteur, à ce qui nous dépasse, un inconnu qui peut-être « fixe enfin son chemin »1


    Sylvie Fabre G.
    D.R. Texte Sylvie Fabre G.





    _________________________________________
    1. François Cheng, Cinq méditations sur la mort, Albin Michel, 2013.







    Pierre Péju, L'Etat du ciel
    feuilleter le livre





    PIERRE PÉJU


    ■ Pierre Péju
    sur Terres de femmes


    Enfance obscure (lecture de Sylvie Fabre G.)
    L’Œil de la nuit (lecture de Sylvie Fabre G.)
    [Un immense brasier] (extrait de L’Œil de la nuit)




    ■ Voir aussi ▼


    → (sur le site des éditions Gallimard)
    la fiche de l’éditeur sur L’État du ciel




    ■ Autres lectures de Sylvie Fabre G.
    sur Terres de femmes


    Jean-Pierre Chambon, Le Petit Livre amer
    Jean-Pierre Chambon, Tout venant
    Patricia Cottron-Daubigné, Visage roman
    Pierre Dhainaut, Après
    Ludovic Degroote, Un petit viol, Un autre petit viol
    Alain Freixe, Vers les riveraines
    Luce Guilbaud, Demain l’instant du large
    Emmanuel Merle, Ici en exil
    Emmanuel Merle & Thierry Renard, La Chance d’un autre jour, Conversation
    Angèle Paoli, Lauzes
    Pierre Péju, Enfance obscure
    Didier Pobel, Un beau soir l’avenir
    Erwann Rougé, Passerelle, Carnet de mer
    Fabio Scotto, La Peau de l’eau
    Roselyne Sibille, Entre les braises
    Une terre commune, deux voyages (Tourbe d’Emmanuel Merle et La Pierre à 3 visages de François Rannou)






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  • António Ramos Rosa | [Il y a une terre qui halète dans la gorge]





    O tempo é o de um jardim
    Ph., G.AdC






    [HÁ UM OFEGAR DE TERRA NA GARGANTA]



    Há um ofegar de terra na garganta,
    há um feixe de ervas que perfuma a casa.
    O ar é solidez, o caminho é de pedra.
    Procuro a água funda e negra de bandeiras.

    Encho a cabeça de terra, quero respirar mais alto,
    quero ser o pó de pedra, o poço esverdeado,
    o tempo é o de um jardim
    em que a criança encontra as formigas vermelhas.

    Vou até ao fim do muro buscar um nome escuro:
    é o da noite próxima, é o meu próprio nome?



    António Ramos Rosa, Ciclo do Cavalo, Limiar, Colecção Os Olhos e a Memória, Porto, 1975, pág. 36.









    Je vais jusqu'à la fin du mur chercher un nom obscurq
    Ph., G.AdC






    [IL Y A UNE TERRE QUI HALÈTE DANS LA GORGE]



    Il y a une terre qui halète dans la gorge,
    il y a un bouquet qui embaume la maison.
    L’air est solide, le chemin pierreux.
    Je cherche l’eau profonde et pavoisée de noir.

    J’emplis de terre le crâne, je veux respirer plus haut,
    je veux être la poussière de la pierre, le puits verdi de mousse ;
    le temps est celui d’un jardin
    où l’enfant rencontre les fourmis rouges.

    Je vais jusqu’à la fin du mur chercher un nom obscur :
    est-ce celui de la nuit proche, est-ce le mien ?



    António Ramos Rosa, Le Cycle du cheval suivi de Accords, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 1998, page 43. Traduction du portugais par Michel Chandeigne. Préface de Robert Bréchon.







    Rosa cheval





    ANTÓNIO RAMOS ROSA


    Antonio_ramos_rosa
    Source



    ■ António Ramos Rosa
    sur Terres de femmes

    C’étaient des jours de clarté estivale (poème extrait du Livre de l’ignorance)
    Parfois chaque objet s’éclaire (autre poème extrait du Livre de l’ignorance)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site des éditions Lettres vives)
    « António Ramos Rosa, l’Ermite de Lisbonne », par Michel Camus
    → (sur Poetry International Web)
    une bio-bibliographie d’António Ramos Rosa
    → (sur Les Carnets d’Eucharis de Nathalie Riera)
    deux poèmes d’António Ramos Rosa





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  • Guillevic | A



    A
    Image, G.AdC






    A




    Vive l’absolu –

    Clame l’horloge
    qui ne marche pas.

    *


    Alambics
    Nous sommes.

    Voici des mots
    À près de cent degrés –

    Parfois.

    *


    Une anthologie
    Des abris rêvés
    Depuis la bactérie.

    *


    Être un arc
    Une arbalète,
    Pour les mots.

    *


    Les arcanes des mots :
    Un pléonasme.

    *


    Essayons de faire
    Que les mots
    Employés par nous

    Ne soient pas archaïques,
    Aussitôt.

    *


    Comment les archanges
    Se reconnaissent-ils
    Entre eux ?

    *


    Il y en a pour croire
    Qu’on joue du mot
    Avec un archet.

    *


    Trouvez-moi un mot
    Qui ne se prenne pas
    Pour un archétype.

    *


    Archicube, archichambellan,
    Archichancelier, archidiacre,
    Archiduc, archimandrite,
    Archimillionnaire, archiprêtre –

    Il y a des mots
    Qui vont avec l’allure
    De ces archi-là.

    *

    On parle de l’au-delà.
    On ne dit jamais
    Au-delà de quoi.

    *


    La planche
    Séparée de l’arbre

    Parle encore
    D’un avenir.

    *


    Avoir des mots.

    Avec qui ?
    Avec quoi ?

    *


    Azotobacter.

    Nom officiel
    D’une bactérie.

    *

    Le ciel bleu
    S’est forgé lui-même
    Le terme d’azur.




    Eugène Guillevic, Accorder, poèmes 1933-1996, Editions Gallimard, Collection blanche, 2013, pp.108-109-110-111. Édition établie et postfacée par Lucie Albertini-Guillevic.





    GUILLEVIC


    Guillevic_eugene
    Source



    ■ Eugène Guillevic
    sur Terres de femmes



    5 août 1907 | Naissance d’Eugène Guillevic
    À Denise Le Dantec
    Carnac, traduit en corse par Francescu-Micheli Durazzo
    Rites





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  • 21 mai 1926 | Naissance de Robert Creeley

    Éphéméride culturelle à rebours




    Le 21 mai 1926 naît à Arlington dans le Massachusetts Robert Creeley (mort des suites d’une pneumonie à Odessa, Texas, le 30 mars 2005).

    À la mort de son père en 1930, l’enfant est élevé par sa mère et par sa sœur à Acton. En 1943, il entre à Harvard pour y faire ses études mais il abandonne ses études l’année suivante pour s’engager dans l’American Field Service. Ce qui l’amène jusqu’en Inde où il devient ambulancier, et dans le Sud-Est asiatique. De retour aux États-Unis, il entreprend une correspondance avec William Carlos Williams puis entre en relation avec Charles Olson. Ces deux rencontres majeures mettent Creeley sur la voie de la littérature et de l’écriture poétique.

    Tout au long des années 1950-1960, Creeley s’implique dans le groupe expérimental du Black Mountain College (Caroline du Nord) qui rassemble, sous la direction de Charles Olson, poètes, écrivains et artistes novateurs. Tels Merce Cunningham, John Cage, Willem De Kooning, Robert Motherwell et Robert Rauschenberg. Creeley crée la Black Mountain Review dont il sera le coordinateur éditorial jusqu’à la disparition de la revue, en 1957. Tournant définitivement le dos aux formes versifiées traditionnelles, Olson et Creeley optent pour le « projective verse » et pour la « composition by field »/« composition par champ ». Ainsi, dans l’essai intitulé Projective Verse (1950), Creeley développe-t-il l’idée qui lui tient à cœur : « la forme n’est qu’une extension du contenu » (« Form is nothing more than the extension of content », lettre à Charles Olson, 5 juin 1950, in George Butterick (ed.), The Complete Correspondence, vol. I, Santa Barbara, Black Sparrow Press, 1980, pp. 78-79).

    Après son divorce d’avec Ann MacKinnon, Creeley retourne quelque temps au Black Mountain avant de s’installer provisoirement à San Francisco où il assiste à l’explosion du « San Francisco Poetry Renaissance ». C’est là qu’il rencontre les écrivains de la Beat Generation, dont Allen Ginsberg et Jack Kerouac.

    En 1960, Robert Creeley reçoit le Prix Levinson pour sa poésie. À Albuquerque (Nouveau-Mexique) où il s’installe, Creeley publie en 1962 For Love : Poems 1950-1960. Dédié à sa seconde femme Bobbie Louise Hall, ce recueil, qui rassemble dix années d’écriture, porte à la fois la trace de l’influence de William Carlos Williams et de celle du jazz. Cet opus est le premier d’une longue série de recueils, dont Words (1965 et 1967), The Finger (1968), Pieces (1968), Later (1979), Mirrors (1983), So There: Poems 1976-1983 (1984), Memory Gardens (1986), Windows (1990), Echoes (1994), Life & Death (1998), Just in Time: Poems 1984-1994 (2001). Publications consacrées en 1999 par le Bollingen Prize of Poetry.

    Ses poésies complètes ont été rassemblées dans The Collected Poems of Robert Creeley 1945-1975 (University of California Press, 1982) et dans The Collected Poems of Robert Creeley 1975-2005 (University of California Press, 2006 ; reed. 2008).

    En 1963, Creeley a publié The Island – dédié à Charles Olson –, unique roman dans l’abondante production de Creeley. L’action se déroule à Majorque et retrace l’histoire de la relation de Creeley avec Ann MacKinnon.






    R.B.Kitaj, For Love (Creeley), 1966, lithograph
    Ronald Brooks Kitaj (1932–2007),
    For Love (Creeley), 1966
    Lithographie, 58,42 x 40,64 cm
    Source







    L’INSULAIRE – CHAPITRE V (Extrait)



    Le chemin grimpait au-dessus des terrasses, se continuait en pente raide, passait devant des troupeaux de chèvres, de moutons, appartenant aux dernières petites fermes en bordure du village. Puis les arbres firent leur apparition, des pins rabougris qui poussaient parmi la rocaille. La famille déboucha enfin sur une petite clairière, derrière une falaise qui tombait à pic. Au pied d’un rocher, ils trouvèrent une petite source ; on avait pratiqué une entaille afin de recueillir l’eau dans une sorte de cuvette. On avait également taillé de petits renfoncements pour y poser des pots de fleurs et diverses choses. On disait que la fontaine remontait à l’époque où les marins grecs faisaient la navette le long de cette côte depuis Marseille. En regardant au loin, on ne voyait que les arbres qui descendaient en pente abrupte, des cimes de pins qui s’étageaient jusqu’à la mer, s’étendant à perte de vue sur trois côtés.

    Ils firent un petit feu à côté de la fontaine et John réussit à installer une sorte de grille avec des pierres afin que les enfants puissent y faire réchauffer leurs hot-dogs à l’aide de baguettes de bois vert qu’il avait également taillées. On étala de la moutarde et du ketchup sur les petits pains coupés en deux. Il y avait un sac pour les détritus. Les enfants mangèrent avec plaisir, burent de l’eau à la source, puis ils entreprirent d’explorer les alentours. Ils disparurent bientôt entre les arbres.

    C’est le moment, pensa John. Je t’aime, Joan, dit-il. C’était après le dîner, vendredi soir, la semaine de travail terminée. Elle venait de les nourrir tous avec son propre assentiment. Ils n’étaient pas des Grecs.

    Joan était contente que ce fût réussi. Ils regardèrent ensemble la petite source et pensèrent aux hommes qui auraient pu la faire. Probablement un paysan du coin. Les Grecs et les Maures qui avaient sans doute vécu ici n’étaient que des figures livresques. Mais la mer pouvait en être l’image. Au loin, là-bas, c’était possible et probable.

    Comme ça, dit-elle, en tressant une couronne de fleurs hâtivement cueillies qu’elle posa dans ses cheveux. Comme ceci. Une déesse. Elle ôta la couronne et la posa près de la fontaine, dans l’un des renfoncements.

    N’es-tu pas heureux, dit-elle. N’est-ce pas un endroit ravissant.

    Elle venait d’accomplir un rituel. Par une sorte d’approximation grotesque, elle avait disposé son corps dans une attitude de sacrifice. Bien, bien.

    Vu sous un autre angle, c’était le triomphe de la féminité américaine. Comment se trouverait-elle autrement dans un endroit pareil, avec des hot-dogs, des enfants et un mari terne, symbole d’une virilité rabougrie, qui la regardait, tassé sur lui-même en clignant des yeux à la lumière du soleil couchant. Les enfants étaient perdus dans la forêt. Le retour les attendait sur un chemin difficile, rocailleux, non familier.

    Quel est l’instant où survient l’amour, le lieu, par quel moyen, quel chemin, affirme-t-il soudain sa présence. L’autel de la déesse au milieu des bois.

    En effet, pensa-t-il, c’est un endroit ravissant. Répète. Un endroit ravissant. C’est un endroit ravissant. […]



    Robert Creeley, L’Insulaire [The Island, 1963], Éditions Gallimard, Collection Du monde entier, 1972, pp. 55-56-57. Traduit de l’anglais par Céline Zins.





    ROBERT CREELEY


    Robert Creeley
    Source



    ■ Robert Creeley
    sur Terres de femmes

    The Return | Intervals
    Words



    ■ Voir | écouter aussi ▼

    le site de Robert Creeley
    → (sur Poetry Foundation)
    une bio-bibliographie (en anglais) de Robert Creeley
    → (sur PoemHunter.com)
    un grand nombre de poèmes (en anglais) de Robert Creeley
    → (sur PennSound)
    un grand nombre de poèmes de Robert Creeley dits par lui-même
    → (sur Culture, le magazine culturel de l’Université de Liège)
    un article (en français) de Gérald Purnelle sur Robert Creeley





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  • 18 mars 1978 | André Pieyre de Mandiargues, Crachefeu

    Éphéméride culturelle à rebours



    Il laissait courir son cabriolet décapoté
    Source







    à Salah Stétié



        Il y a encore quelques métiers dont l’exercice est comme une vacance heureuse, qui persisterait d’une saison à l’autre. Un bonheur tranquille, aussi profond qu’éminent, difficile à exprimer sinon même tout à fait ineffable, voilà ce que ressentait Bellin de Ballu tandis qu’à moins de quatre-vingts kilomètres à l’heure, le pied à peine appuyé sur la pédale d’accélération, il laissait courir son cabriolet décapoté sur la longue ligne droite d’une route forestière, en observant dans les sous-bois l’absence de quoi que ce fût d’étranger à l’ordre de la nature. Quand il levait la tête, il voyait une bande étroite d’un bleu vif resserrée entre les ramures des sapins, des pins sylvestres, des bouleaux, et il aimait ce bleu comme il eût aimé une femme ou un joli enfant. À faible allure, ainsi, la fraîcheur oxygénée de dix heures du matin, dont la vitesse aurait fait une griserie brutale, se répandait dans les poumons du conducteur avec une légèreté délicieuse. Il y avait de la lumière sur le miroir gris de l’asphalte, car le chemin allait en direction de l’orient, et Belin pilotait, lui semblait-il, vers le soleil, qui s’était levé six heures plus tôt au point de cette belle journée de juin qui l’éblouissait un peu. Ses lunettes de soleil étaient dans la boite à gants, mais il n’en sentait pas assez le besoin pour renoncer à la nudité de son visage offerte à la caresse de l’air.
        « Claire forêt », pensait Belin de Ballu, selon la vieille habitude qu’il avait de se dire et de se répéter quelques mots, toujours les mêmes, quand à bas régime, deux mille huit cents tours au compteur en quatrième vitesse à présent, il conduisait distraitement son « crachefeu », comme il appelait le petit cabriolet spitfire de couleur noire dont chaque jour il usait pour inspecter la vaste forêt domaniale dont avec le grade d’ingénieur en chef de district il était responsable. Sa forêt, pensait-il avec un sentiment de paternité ou d’amitié autant que de propriété, depuis qu’il en avait reçu la charge, un an et demi plus tôt, de veiller à la bonne conservation de celle-là dans les trois ordres du minéral, du végétal et de l’animal. Sa forêt claire, puisqu’il en avait en quelque sorte épousée à tel point qu’aucun lieu de son étendue ne lui était plus étranger et que cette connaissance intime était en contradiction avec les formules de forêt sombre ou de forêt noire qui ont trop généralement cours. Du beau mot de « perceforest », qu’il gardait aussi en tête et dont il savait qu’il avait servi de titre à un roman jadis, il pensait qu’il n’aurait pas mal convenu, lui non plus, au crachefeu. Ainsi passait-il le temps, avec les arbres bordés à leur pied de mousse qui passaient à droite et à gauche. Le moteur s’entendait moins que le roulement des pneus sur la chaussée.
        Un oiseau, que le reflet gris, rose et bleu de ses ailes et la modulation bavarde de son cri pouvaient faire prendre pour un geai, avait traversé la route d’un vol bas, devant la voiture. C’est peu après l’avoir vu disparaître sous des branches de pin que Belin avait aperçu, loin encore, un cycliste qui allait dans la même direction que lui. À l’ouïe de la voix, presque féminine, de l’oiseau, son pied spontanément s’était soulevé en étranglant le gaz et le régime était tombé à deux mille cinq cents tours, la vitesse à soixante-dix à l’heure. Il n’avait pas accéléré de nouveau. Malgré la lenteur de l’allure, un bruit mécanique devait se faire entendre de tous côtés sur une distance de vingt à quarante kilomètres, car le cycliste s’était retourné pour regarder derrière lui un long moment, ce qui l’avait porté vers le milieu de la route. Alors Belin avait reconnu que ce cycliste était une femme en réalité, une jeune fille aux cheveux coupés court, avec une frange sur le front. Plus près, quand elle s’était retournée une autre fois, il avait vu que ces cheveux plats, un peu plus clairs que la peau hâlée par le soleil, avaient une couleur entre châtain et blond, brillante, accordée à l’environnement sylvestre autant que le vert frais des jeunes fougères ou que le brun des anciennes. Vêtue d’une salopette rose et d’une blouse rouge à manches courtes, elle pédalait, pieds nus, sur un léger vélo blanc, un vélo de course de garçon. […]


    18 mars 1978




    André Pieyre de Mandiargues, « Crachefeu » in Le Deuil des roses, nouvelles, Éditions Gallimard, Collection blanche, 1983, pp. 67-68-69.





    ANDRÉ PIEYRE DE MANDIARGUES


    Mandiargues par Edouard Boubat
    Source



    ■ André Pieyre de Mandiargues
    sur Terres de femmes

    12 août 19… | André Pieyre de Mandiargues, Madeline aux vipères
    19 octobre 1977 | André Pieyre de Mandiargues | Bernard Noël
    13 décembre 1991 | Mort d’André Pieyre de Mandiargues



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur le site de l’IMEC)
    la fiche André Pieyre de Mandiargues






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  • 7 juillet 1807 | Signature du traité de Tilsit



    Tilsit
    Entrevue et traité de Tilsit
    Source







    [SIGNATURE DU TRAITÉ DE TILSIT]



        Le 7 juillet 1807, quand le traité de Tilsit fut signé entre les empereurs de France et de Russie, Pozzo dut sans doute murmurer, comme l’avait fait un proche d’Alexandre après Austerlitz : « On se serait cru à une demi-heure de la fin du monde. »
        La nouvelle lui fut annoncée alors qu’il se trouvait sur une frégate russe et qu’il venait d’assister au combat naval du mont Athos où la flotte turque fut écrasée. Il s’était embarqué aux premiers jours d’avril à Corfou ; à la fin de l’été, une dépêche du nouveau ministre des Affaires étrangères, Budberg, lui signifiait que sa mission était terminée.
        Après Tilsit, Pozzo n’existe plus. Il est malade, en proie à la fièvre. Il voit le tsar et, à la suite de leur entretien, lui écrit pour lui rappeler la teneur de leur conversation. Sans doute sait-il les puissants oublieux et veut-il sceller, par cette lettre, le pacte moral qu’ils ont conclu : « À mon retour des Dardanelles, je suis venu, Sire, me mettre aux pieds de Votre Majesté Impériale. Sa politique avait changé, mais j’eus le bonheur d’être convaincu que son opinion et sa bonté envers moi étaient toujours les mêmes. […] J’exposai avec candeur à Votre Majesté mes opinions en général et les embarras de ma situation particulière. Elle daigna apprécier les motifs qui me décidaient à m’éloigner, et elle me permit de voyager avec des marques de sa faveur et de sa munificence. »
        Pozzo, si j’ose dire, sauve les meubles, mais il doit quitter Saint-Pétersbourg au plus vite et rentre à Vienne, épuisé. Le comte Romanzoff lui donne asile pour peu de temps. Metternich, pour la première fois, mais ce ne sera pas la dernière, et « avec des formes les plus exquises », dit Pozzo, le prie de quitter Vienne. Sa vie est menacée : la police de Napoléon est à ses trousses. Il écrit de nouveau au tsar : « Que Votre Majesté me donne l’autorisation de partir. Loin de lui être utile, je ne lui serais maintenant qu’un embarras. Bonaparte n’a point oublié sa haine de jeunesse. […] Au reste, je doute que l’harmonie soit durable entre Votre Majesté et Napoléon. […] Je ne cesse point d’ailleurs d’être un serviteur de Votre Majesté. Avant qu’il se soit passé beaucoup d’années, je le prévois, elle aura daigné me rappeler. »
        Dans ces années qui voient le triomphe de Napoléon, il faut imaginer la terrible solitude de Pozzo. Perdu, sans appui, exagérant quelquefois cette solitude et son dénuement, se soutenant à l’idée que l’ordre des choses finira par triompher et les Bourbons avec lui, Pozzo oppose à Napoléon la persévérance de l’obscur.
        Longtemps, rien n’alla comme il l’aurait voulu. Il en conçut de l’amertume, souvent dissimulée sous l’ironie du propos ; j’y vois la cause de l’obstination qu’il mit à faire persécuter Napoléon après sa chute et à le faire exiler à Sainte-Hélène, ce qui n’était pas digne du grand adversaire loyal qu’il avait toujours été.
        Au moment où je trace ces lignes, le doute m’étreint : Pozzo fut-il vraiment le grand adversaire loyal de Napoléon ?



    Marie Ferranti, Une haine de Corse. Histoire véridique de Napoléon Bonaparte et de Charles-André Pozzo di Borgo, Éditions Gallimard, Collection blanche, 2012, pp. 233-234-235.





    Une haine de Corse






    ■ Marie Ferranti
    sur Terres de femmes

    Marie Ferranti, Une haine de Corse (note de lecture d’AP)
    Postures et impostures de l’écrivain (billet d’AP autour de Lucie de Syracuse)
    La Princesse de Mantoue (note de lecture d’AP)
    Mort et résurrection d’une île ? (note de lecture d’AP sur La Chasse de nuit)
    Bastia (extrait de La Fuite aux Agriates)



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur herodote.net)
    7 juillet 1807 | Le traité de Tilsit
    → (sur Terres de femmes)
    15 mai 1796 | Stendhal, Incipit de La Chartreuse de Parme (entrée du Général Bonaparte dans Milan)
    → (sur Terres de femmes)
    26 novembre 1812 | La Grande Armée au bord de la Bérézina (extrait de La Guerre et la Paix de Léon Tolstoï)
    → (sur Terres de femmes)
    29 mai 1816 | Emmanuel de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène
    → (sur Terres de femmes)
    5 mai 1821 | Mort de Napoléon Bonaparte (extrait de Vie de Napoléon de Chateaubriand [livre XIX à XXIV des Mémoires d’outre-tombe])






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  •          Renée Vivien | Nocturne


    Clovis Trouille, oh_calcutta_calcuta
    Clovis Trouille (1889-1975), Oh! Calcutta! Calcutta!, 1946
    Collection particulière
    Source







                                        NOCTURNE



    J’adore la langueur de ta lèvre charnelle
    Où persiste le pli des baisers d’autrefois.
                           Ta démarche ensorcelle,
    Et la perversité calme de ta prunelle
    A pris au ciel du nord ses bleus traîtres et froids.


    Tes cheveux, répandus ainsi qu’une fumée,
    Clairement vaporeux, presque immatériels,
                           Semblent, ô Bien-Aimée,
    Recéler les rayons d’une lune embaumée,
    D’une lune d’hiver dans le cristal des ciels.


    Le soir voluptueux a des moiteurs d’alcôve ;
    Les astres sont comme des regards sensuels
                           Dans l’éther d’un gris mauve,
    Et je vois s’allonger, inquiétant et fauve,
    Le lumineux reflet de tes ongles cruels.


    Sous ta robe, qui glisse en un frôlement d’aile,
    Je devine ton corps, ― les lys ardents des seins,
                           L’or blême de l’aisselle,
    Les flancs doux et fleuris, les jambes d’Immortelle,
    Le velouté du ventre et la rondeur des reins.


    La terre s’alanguit, énervée, et la brise,
    Chaude encor des lits lointains, vient assouplir
                           La mer enfin soumise…
    Voici la nuit d’amour depuis longtemps promise…
    dans l’ombre je te vois divinement pâlir.




    Renée Vivien, Études et préludes, 1901, in Éros émerveillé, Anthologie de la poésie érotique française, Éditions Gallimard, Collection Poésie, 2012, pp. 233-234. Édition de Zéno Bianu.





    Eros émerveillé





    RENÉE VIVIEN


    Renée Vivien



    ■ Renée Vivien
    sur Terres de femmes

    11 juin 1877 | Naissance de Renée Vivien
    3 mars 1903 | Publication des poèmes de Sappho dans une traduction de Renée Vivien
    Atthis
    La Dame à la louve (note de lecture d’AP)
    Le Toucher



    ■ Voir aussi ▼

    le blog de Cristie Cyane sur Renée Vivien
    le site de l’Académie Renée Vivien
    → (sur émergence)
    une conférence de Marie Perrin : Renée Vivien. De l’anorexie mentale à la création littéraire
    une page Renée Vivien sur le site Remy de Gourmont

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  • 26 décembre 1891 | Naissance de Henry Miller


    Éphéméride culturelle à rebours



    La maison de Brooklyn (Remsen Street) où Miller a vécu en 1925-1926
    Source







    Le 26 décembre 1891 naît à Yorkville (New York) Henry Miller. Élevé à Brooklyn, Henry Miller se fixe à Paris à la fin des années 1920. C’est là, dans une cité d’artistes du XIVe arrondissement (villa Seurat, N° 18), qu’il écrit son premier ouvrage, Tropique du Cancer, publié en 1934. Printemps noir, publié en 1936 et dédié à Anaïs Nin, est le troisième livre qu’Henry Miller a écrit à Paris.

    « Me voici assis à la place Clichy en plein soleil. Aujourd’hui, assis au soleil, là, je vous dis que je me fous que le monde aille à sa ruine ou non ; je me fous que le monde ait raison ou tort, qu’il soit bon ou mauvais. Il est : et ça suffit. Je le dis, non pas comme un Bouddha accroupi sur ses jambes croisées, mais inspiré par une sagesse à la fois joyeuse et solide… ».







    INCIPIT DU PRINTEMPS NOIR


    « Je suis un patriote ― du 14e District, Brooklyn, où je fus élevé. Le reste des États-Unis n’existe pas pour moi, sauf en tant qu’idée, histoire ou littérature. À l’âge de dix ans, je fus arraché de mon sol natal, et transporté dans un cimetière, un cimetière Luthérien, où les tombes étaient toujours propres et les couronnes jamais fanées.

    Mais je naquis dans la rue, et fus élevé dans la rue. « La pleine rue d’après l’ère des machines, où la plus merveilleuse et hallucinante végétation de fer, etc. » Né sous le signe du Bélier, qui donne un corps ardent, actif, énergique et quelque peu agité. Mars étant dans la neuvième maison !

    Naître dans la rue signifie vagabonder toute sa vie, être libre. Signifie accident et incident, drame et mouvement. Signifie par-dessus tout rêve. Harmonie des choses disparates, qui donne au vagabondage une assurance métaphysique. Dans la rue, on apprend ce que sont réellement les êtres humains ; autrement, ou après, on les invente. Ce qui ne se passe pas en pleine rue est faux, dérivé, c’est-à-dire littérature. Rien de ce qu’on appelle « aventure » n’approche jamais de la saveur de la rue. Peu importe que l’on s’envole vers le Pôle, que l’on s’installe au fond de l’Océan, une rame de papier à la main, que l’on vadrouille dans neuf villes l’une après l’autre, ou que, tout comme Kurtz, on remonte un fleuve pour trouver la folie au bout. Si passionnante, si intolérable que soit la situation, il y a toujours une issue, toujours une amélioration, un réconfort, une compensation, des journaux, des religions. Mais autrefois, il n’y avait rien de tout cela. Autrefois, on était libre, déchaîné, sanguinaire…

    Les gamins adorés dès le premier contact avec la rue demeurent avec vous toute votre vie. Ils sont les seuls vrais héros. Napoléon, Lénine, Capone ― fiction que tout cela. Napoléon ne m’est rien comparé à Eddie Carney, qui, le premier, me pocha l’œil. Je n’ai jamais rencontré personne d’aussi princier, d’aussi royal, d’aussi noble, que Lester Readon, lequel, rien qu’en descendant la rue, inspirait terreur et admiration. Jules Verne ne m’a jamais conduit à ces endroits que Stanley Borowski tenait sous sa cape dès la nuit tombée. Robinson Crusoé manquait d’imagination comparé à Johnny Paul. Tous ces gamins du 14e District ont encore pour moi leur saveur. Ils n’étaient pas inventés, ni imaginés: ils étaient réels. Leurs noms sonnent comme des pièces d’or ― Tom Fowler, Jim Ruckley, Matt Owen, Rob Ramsay, Harry Martin, Johnny Dunne, sans compter Eddie Carney ou le grand Lester Readon. Eh bien, oui ! Même maintenant, quand je dis Johnny Paul, les noms des saints me laissent un goût fade dans la bouche. Johnny Paul était l’Odyssée vivante du 14e District ― qu’il soit devenu plus tard chauffeur de camion est tout à fait hors du sujet.

    Avant le grand changement, personne n’avait l’air de remarquer que les rues étaient sales ou laides. Si les bouches d’égout bâillaient, on se bouchait le nez. Quand on se mouchait, on trouvait de la morve dans son mouchoir, et non pas son propre nez. On avait davantage de paix intérieure et de contentement. Il y avait le bistrot, le champ de courses, le vélo, les femmes légères et les chevaux de trot. On pouvait encore se la couler douce. Dans le 14e, du moins. Le dimanche matin, personne ne s’habillait. Si Mme Gorman descendait en peignoir, les yeux sales, pour saluer le pasteur : ― « Bonjour, mon père! ― Bonjour, madame Gorman ! »- voilà la rue purgée de tout péché. Pat McCarren mettait son mouchoir dans la basque de son habit ― il était bien placé là, comme le trèfle national à sa boutonnière. Les bocks de blonde avaient des faux cols, et les gens s’arrêtaient pour un brin de causette.

    Dans mes rêves, je reviens au 14e District, comme le paranoïaque retourne à ses obsessions. »



    Henry Miller, Printemps noir [Black Spring, 1936], Éditions Gallimard, 1946 ; collection folio, 1975, pp. 15-16-17.





    HENRY MILLER


    Henry_miller_1



    ■ Henry Miller
    sur Terres de femmes

    O Lake of Light
    Trois grains d’ellébore, ma commère !
    19 juillet 1957 | Henry Miller écrit la préface de Justine de Lawrence Durrell



    ■ Voir aussi ▼

    → (sur Terres de femmes)
    21 février 1903 | Naissance d’Anaïs Nin





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